Dieu, le désir, la violence et la subjectivité.

Echange avec Monsieur Pascal Doyelle



    Sylvain Reboul

            Qu'est-ce que la violence?

Sa définition a varié; pour faire vite, est violence tout acte qui porte atteinte à l'intégrité physique (1) et au sentiment de dignité (conscience de sa valeur) des personnes . Il est clair que la souffrance, comme violence subie que génère cet acte, est subjective: elle dépend de l'interprétation que le sujet fait du sens de cet acte et des valeurs auquel il se réfère pour l'évaluer. Disons que dans certaines sociétés la violence physique privée (1) est considérée comme injustifiée, à moins qu'elle ne soit perçue comme  la juste punition d'une violence antérieure subie (loi du talion). Mais pour éviter cette violence vindicative généralisée; il convient de soumettre les individus à des codes symboliques et inégalitaires qui excluent comme sacrilège la révolte contre les autorité établies censée être les garants de l'ordre pacifié (inégalité pacificatrice contractuelle cf: Hobbes ou naturelle de droit divin); mais cette vision privilégie la régulation de la violence physique aux dépens de la violence psychologique (2): l'humiliation et/ou l'humilité intériorisée des uns (le plus  grand nombre) est admise et même orchestrée dans l'imaginaire social (sacralisation religieuse de la soummission) pour reproduire l'ordre inégalitaire afin de réduire le risque permanent de la révolte physique ouverte indifférenciée générée par la violence primitive du désir ( possession infinie et vanité ). Comme le disait Spinoza il faut rendre les hommes incomparables pour les soumettre sans susciter de jalousie potentiellement explosive et vengeresse (pourquoi l'autre a tel statut, pouvoir, privilège et avantage et pas moi?)

    Or cette vision qui ne reconnait pas la violence psychique(2) dès lors qu'elle est symboliquement rapportée à une
    inégalité substancielle imaginaire a volé en éclats dans et par le développement de la société marchande qui fait
    des individus des vendeurs et/ou des acheteurs sans allégeance mutuelle, permutables et équivalents puisqu'ils
    échangent des biens et des services dont la monnaie permet de garantir le réciprocité égalitaire instantanément.
    Même le travail (salarié) devient une marchandise soumise en droit à ce impératif d'équivalence des échanges (en
    réalité, le rapport de force est toujours inégalitaire, mais il n'est plus justifiable en droit). Tout devient objet de
    calcul sur fond de reconnaissance de cette équivalence symbolique entre les individus qui ne reconnaissent entre
    eux, comme légitimes, que des rapports contractuels et non plus contraints. Ainsi est né l'idée que la violence
    suprème est ce qui porte atteinte à l'égale dignité des personnes également libres de contracter et d'échanger entre
    elles; la violence physique n'est plus qu'un aspect de cette atteinte à la dignité confondue avec la liberté des
    personnes contractantes. L'économie marchande détruit la légitimité des inégalités symboliques statutaires
    permanentes et les inégalités subsistantes économiques et sociales ne sont admises que si elles sont considérées
    comme provisoires sur la base d'une compétition qui doit se présenter comme satisfaisant (illusoirement le plus
    souvent) le principe de l'égalité des chances dans l'accès aux positions dominantes (d'où le succès de la
    compétition scolaire et sportive comme modèle symbolique du capitalisme marchant-d-).

    Nous sommes, qu'on le regrette ou non, dans un monde dans lesquels les échanges marchant(d)s sont devenus
    dominants et donc dans un monde où les valeurs inégalitaires traditionnelles ne peuvent plus fonctionner sans
    générer une violence incontrôlable; le succès de certains fondamentalismes vient précisément du fait que les
    inégalité réelles excluent certains de la compétition marchande à laquelle la grande majorité des populations dans
    le monde aspire (il nous voient consommer à la télé et ils veulent leur part de gateau!); réguler les échanges dans le
    sens d'une plus grande égalité réelle, est la seule manière de faire reculer tout les fondamentalismes
    traditionalistes inégalitaires. Si ceux-ci pratiquent le terrorisme, c'est bien parce qu'ils ont perdus la partie
    symbolique, face à la société marchande mondialisée.

    Ceci dit, l'amour érotique réciproque est plus fondamental comme mode d'expression satisfaisant du
    désir d'être et de reconnaisance que la relation marchande; et tout doit être fait pour que la société désocialise et
    déséconomise l'amour; c'est à dire fasse passer la vie privée avant la vie publique, ce qui est
    le principe même du libéralisme authentique, culturel et politique.



 

Pascal Doyelle
 Je suis d'accord avec cette idée d'un calcul global , intelligent , et qui supprime la violence , y compris "seulement" relationnelle, (l'expulsion de la violence physique est probablement l'acquis définif de ce que l'on nomme la démocratie ) par compréhension que l'intéret , l'intéressemnt est ailleurs qu'en un profit immédiat , vers un profit différé donc , et qui de par cela même change la nature du désir originellement interprété par tout un chacun ,et historiquement, collectivement mais j'oppose à cela l'envie déraisonnable ... non pas que je défende l'envie déraisonnée ! mais je crois bien qu'un discours aussi intelligent soit-il ne parvient pas à dissoudre l'irraison là où elle se trouve ; et pour cette raison il est nécessaire de ramener à nouveau l'ancien désir absolu , mais je ne m étendrais pas là dessus.
Par contre, il me parait difficile de définir le désir uniquement comme désir du désir de l'autre ; (Hegel , Lacan etc );  non que cela soit faux , mais c'est insuffisant ; il est à mon sens un vide ; à la fois dans la réponse que l autre peut donner à  ce désir mien , une déception décisive , et légitime , ausens où la question que l on donne à l autre n est pas la réponse qu il en attend (!) et à la fois dans notre question même ; l'autre y est comme une occasion , un prétexte , essentiel (et même fondamental au début de la vie, mais il n est pas dit que ce qui est à la fin, est la même chose qu au début...) mais essentiel qui est vite dépassé ; n'est ce pas ce dieu qui orientait jadis tout autrement le désir , il était tel le grand média au travers de qui , de quoi la demande vers l'autre transitait ...et donc entre l'un et l'autre s affirmait la totalité et l'unité et cet accessoire , cette médiation (dieu) était aussi l'essentiel , non plus le moyen mais la fin .... Le désir n'est  pas à mon sens , simple , mais double , triple , pluriel , en son unité même 



   Sylvain Reboul:

    Mais pour que le désir passe par Dieu et vers Dieu, il faut y croire! Et cette croyance, pour fonctionner moralement
    d'une manière collective, est indissociable d'une institution de pouvoir et de codes symboliques distribuant les rôles
    à priori: l'église et le mariage religieux.

    Si vous ne croyez pas (si vous n'avez pas la grace) et si vous privilégiez l'autonomie comme fondement de la
    relation à l'autre, Dieu ne peut rien pour vous. Reconnaître sa finitude et reconnaître la pluralité, voire
    l'ambivalence du désir et en jouer avec l'autre est la seule définition possible de l'érotisme comme expression du
    désir de désir.

    Le désir d'absolu tend à détruire la créativité du jeu amoureux et son ouverture à la surprise émouvante, voire
    excessive. Il en fait un devoir, un souci, trop sérieux pour être authentique. L'humour est une condition de la
    relation de désir réciproque. La relation amoureuse doit rester ludique et esthétique, ce que compromet, à mon
    sens, toute vision mystique de la relation à l'autre.


Pascal Doyelle

Cher Sylvain,  loin de moi l'idée ou l'envie de redonner vie au dieu d'autrefois!!! (la philo ne peut s'intéresser à dieu , sinon comme stratégie à tel moment précis de notre histoire et en remodelant alors le discours strictement religieux ou théologique ,histoire de le tordre, distordre en et pour ce monde çi! la philo s'intéresse aux résultats , lesquels ne sont pas gagés sur un réel hypothétique et d'au-delà) utilisant dieu l'autre jour , je visais à ceci ; dieu me parait (entre autre bien sur et sans offenser les croyants ) tel LE signifiant des signifiants , celui qui engage à toutes les catégories , et n'est pas lui-même une catégorie , comme le raccourcis clavier des raccourcis clavier, et qui permet aux consciences un zapping immédiat entre tout et rien , l'affectif et l'intellect , l'amour et la haine , le moi et l'autre , le tout et le sujet etc etc

Ce raccourcis outre qu'il permet au sujet de ne pas interrompre le sujet par une intellectualisation de ses comportements (laquelle intellectualisation est fastidieuse (...)et peu souple ) et de se réguler , dans la diversité ET selon l unité préservée; les deux à la fois (sorte de description froide et matérialiste de la conscience via dieu !)  mais surtout je présentais dieu comme la marque de ce qui manque au sujet si il voit dans l'autre sujet (désir du désir de l'autre ) la seule sortie hors de son être propre ; le Un (dieu n'est qu une de ses expressions ) est ce qui lie le sujet au tout ; je n'oppose pas du tout cela à ce que vous présentez , mais c'est comme si je vous disais la raisonnabilité est une morale provisoire , et extrémement judicieuse et utilisable , en attente d' une claire compréhension de cet absolu destructeur qui nous attire, pousse, écrase, engendre haine et influe de malheur mais d une totale passion (subie?!) (je suis bien d accord là dessus ; mais pour être honnéte je dois dire que le malheur et la furie me meut (!) ici et là et constitue même le fond du fond de l'être )  pour toute ces raisons je crois qu une raisonnabilité ,lucide , patiente , attentive , intelligente , ne peut pas venir à bout du dedans du sujet ; je crois que cela n est pas votre finalité , mais je tiens que ce dedans n est pas une illusion  héritée , que le dedans veille et renaît constamment , qu il est comme qui dirait notre nature et structure en deça de  toutes les raisons 



Sylvain Reboul

Le dedans, le fond, ou "le ça" est un "chaos pulsionnel", le sujet est reconstruction permanente et cette reconstruction passe par les jeux du désir, soumise à un contrôle rationnel et une régulation éthique minimale pour en optimiser les effets de plaisir et de sens quant à la recherche du bonheur, comme reconnaissance positive de soi dans nos relations désirantes aux désirs des autres; le malheur est impuissance et passivité face au chaos que nous sommes toujours; le désir est exploitation créatrice du chaos dans l'ouverture projective et rétroprojective, toujours risquée, aux autres.

La condition pour que cela marche réside dans le refus de la tentation mortelle de l'absolu; car celle-ci nous renvoie inexorablement au chaos originaire et nous fait manquer le désir de l'autre, soit dans le retrait (renoncement à) hypocrite de son propre désir, soit dans le désir de capter totalement le désir de l'autre; ce qui fait  basculer la réciprocité érotique dans la fascination de la violence sado-masochiste et la pornographie; seul le jeu relatif du désir et de sa nécessaire frustation, comme condition de son rebondissement agissant, nous permet  d'éprouver (mettre à l'épreuve) notre puissance d'agir qui est l'essence même de l'humain. C'est dire que le bonheur n'est pas dans la satisfaction du désir, mais dans le désir même et que le plaisir n'est heureux que s'il est actif; c'est à dire que s'il stimule et accroît notre puissance d'agir et il ne peut l'être que s'il s'accompagne du sentiment de notre valeur c'est à dire de notre pouvoir/savoir conscient et rationnel (mais toujours compromis) sur nous-même et le monde. Désirer désirer, c'est se désirer comme puissance de désir et cette puissance passe avant tout par la rencontre érotique. La lutte amoureuse vise à ce que chacun puisse s'éprouver comme gagnant dans le désir de(s) l'autre(s);

Mais le gain de(s) l'autre(s) ne nous appartient pas; nous sommes voués aux seuls témoignages toujours ephémères qu'il(s) nous en manifeste(nt). Désirer l'absolu, c'est désirer l'extinction du désir et la mort: au paradis, comme en enfer tout désir est aboli; l'abolition du désir définit le malheur comme sentiment insurmontable d'impuissance de qui est repris par le chaos originaire de sa solitude radicale face à la mort (de l'autre que l'on aime, plus encore que de la sienne). Il n'y a de désir vivant et persistant que par la possibilité permanente de la mort et du chaos, que dans leur proximité latente qu'il nous faut sans cesse surmonter en nous projetant vers le désir des autres. 



        L'humaine condition
        Critique de la raison morale suivi de "Raison et désir"
        Puissance du désir et réciprocité
        Plaisir et bonheur
        Bonheur et philosophie suivi de: Le bonheur et la présence d'autrui
        Morale et éthique
        À propos de Lévinas: de la religiosité à la réciprocité
        Une éthique scientifique est-elle possible?
        Universalité du droit démocratique et éthique(s) du bonheur
        Ethique, métaphysique et pragmatisme
        Ethique et sexualité
            Dieu, l'Etre et la nature.
            Dialogue avec Carole Prompsy, professeur de philosophie

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