Une éthique est une ensemble plus ou
moins cohérent de valeurs et de règles de
régulation
des comportements individuels et collectifs; elle devient philosophique
lorsque:
1) Elle vise une certaine cohérence
rationnelle interne explicite
2) Elle s'efforce pour ce faire de
déconstruire
les croyances dogmatiques en recherchant d'une manière
systématique
les contradictions qu'elles recèlent. (Doute volontaire)
Ceci veut dire que la philosophie ne doit
pas se contenter de produire une herméneutique
conceptualisée
des préjugés et des croyances symboliques (principalement
religieuses) mais qu'elle doit en faire la critique du point de vue la
logique et de l'expérience générale
(généralisable
sans contradictions dans des conditions déterminées) des
hommes. Elle se doit de présenter les principes axiomatiques de
la cohérence régulatrice qu'elle propose, à la
condition,
de les soumettre à l'évaluation critique de cette
expérience
généralisable, non seulement sur le plan formel mais sur
le plan pratique.
C'est pourquoi il me semble irrationnel de
proposer des principes pratiques dont la valeur ne reposerait que sur
des
croyances et des préjugés absolus et dogmatiques et qui
ne
seraient pas applicables avec efficacité à la pratique
réelle, c'est à dire empirique
et désirante des hommes. En cela la position de Kant me semble,
en effet, métaphysique, au sens où elle définit
des
principes d'action sans s'interroger sur leurs conditions d'application
empirique (expérimentales) et leurs effets réels dans tel
ou tel contexte. Il faut affirmer, contre l'avis de Kant, que les
résistants avaient le droit de mentir à la gestapo pour
faire
échec à l'oppression nazie et au génocide afin de
faire droit au désir d'autonomie et au désir de
vivre,
seuls formellement et réellement universalisables sans
contradiction
(droits de l'homme).
Ainsi, un principe qui ne serait pas
applicable
avec succès à notre expérience désirante du
bien-vivre avec soi et les autres ne serait pas régulateur mais
perturbateur. En droit et en éthique individuelle, il convient
de
rechercher
non l'absolu, mais le convenable, c'est
à
dire le meilleur compromis régulateur possible entre le
l'universellement
souhaitable (dans tel ou tel contexte de désir) et le
réellement
possible.
Le problème avec la
métaphysique
pratique c'est qu'on ne voit pas à quel jeu et quelle
stratégie
de désir elle serait applicable (gagnant/ gagnant;
donnant/donnant;
Gagnant/perdant; perdant/ perdant). Elle a toute les chances, en
récusant
le désir comme source de valeur, de jouer le jeu
perdant/gagnant,
voire perdant/perdant, au nom d'une conception transcendante
(indésirable)
du devoir.
Un principe d'action dont la valeur serait
absolue et qui ne dépendrait en rien du droit vécu
au bonheur, serait un principe irrationnel car contraire à son
but
humain: rendre possible une action humainement viable dont la
finalité
serait désirable sans contradiction. La morale kantienne n'a
qu'un
défaut, mais selon moi rédhibitoire, en excluant le
désir
d'être heureux comme fondement de l'éthique, elle est
proprement
inhumaine; ce que Kant, et en cela il est un philosophe, admettait du
reste
tout à fait; cette position l'obligeait à croire alors,
au
nom de la raison (croyance rationnelle, selon ses
présupposés
sur la morale du devoir), en une possible réconciliation entre
l'aspiration
au bonheur et l'exigence morale par delà la mort, c'est à
dire de croire en Dieu, en l'immortalité de l'âme et
en la liberté absolue de l'homme comme les postulats
fondateurs
de la moralité et du droit. C'est dire que la morale de Kant est
en dernière instance religieuse (chrétienne) et qu'elle
ne
peut se prévaloir de l'absolue nécessité de ses
principes
qu'en tant que telle. Mais c'est dire aussi que si l'on refuse un tel
fondement
religieux, dans les limites ou non de la simple raison, on ne peut plus
être rationnellemnt que pragmatique.
S.Reboul, le 07/11/2000