La sensation de plaisir ne se définit pas plus que la couleur
rouge; cela prouve que le langage et la philosophie ne se suffisent pas
à eux-mêmes et tant mieux si cela nous rappelle que
philosopher
ne peut épuiser la vie et qu'il convient de restaurer la
primauté
de l'intuition sensible pour tenter d'en rendre compte afin de mieux
vivre
Cela est vain ou faux d'affirmer que le plaisir est cessation de la
douleur,
ataraxie (Epicure) ou retour à l'état zéro
d'excitation,
décharge (Freud) car ces définitions négatives
passent
à coté de la positivité qualitative essentielle de
l'expérience des plaisirs.
On peut, il est vrai distinguer des qualités de plaisir plus
ou moins durables ou intenses, mais ce qu'il nous importe de comprendre
ce sont les significations, les conditions et la valeur des
différents
plaisirs. Au premier abord, on peut pointer le plaisir défendu
en
tant qu'il parait d'autant plus désirable et supposé
authentique
et naturel qu'il est interdit par la loi sociale: il semble
échapper
au contrôle social et son sens apparaît incompatible avec
les
obligations intégratives et identificatoires que posent,
proposent
et imposent les jeux sociaux conventionnels aux acteurs dont le social,
aux travers de ses divers champs réglés de forces qui
s'affrontent
et s'allient, cherche à ordonner les comportements sur fond de
violence
réelle et/ou symbolique.Que le plaisir soit solitaire ou
à
plusieurs, dès lors qu'il exclut ou refoule les attentes des
tiers
et les exigences de la responsabilité sociale,est toujours
soupçonné
d'être égocentrique et socialement
désintégrateur
(exemples: l'usage de la drogue et la sexualité deviennent
condamnables
dès lors qu'elles semblent opérer contre le maintien du
lien
social et de sa reproduction.)
L'expérience du plaisir semble dans l'expérience intime
de chacun s'affranchir de la contrainte sociale: faire l'amour exige
l'isolement
à deux et les jeux (échanges) de plaisirs marquent
nécessairement
une frontière étanche entre les partenaires et les
autres.
En cela la logique de plaisir parait asociale. Mais l'existence des
plaisirs
sociaux, indispensable à l'intériorisation du lien et des
contraintes sociales pour en faire l'enjeu des désirs des
acteurs
nous invite à remettre en question cette apparence et
révèle
l'ambivalence sociale des plaisirs. Qu'en est-il du sens du plaisir
dans
ses rapports au principe social de réalité; quel usage
libérateur
doit-on faire de ces rapports et de leur significations?
De l'ambivalence du plaisir
- D'une part l'expérience du plaisir, dès lors qu'elle
sanctionne la réussite sociale du sujet, est toujours
socialement
conditionnée . Le narcissisme est la source principale du
plaisir
que ce soit dans la consommation, le pouvoir et l'honneur, voire
l'amour;
or l'expérience narcissique est le plus souvent
dépendante
de références idéales socialement
valorisées
et valorisantes. J'ai plaisir à me reconnaître dans le
jugement
favorable des autres et à faire reconnaître ma valeur par
les autres selon des critères généralement, voire
à mes yeux universellement, admis ou admissibles. Le rôle
de la justification de nos actes est donc fondamental pour être
content
de soi et il n'y a d'authentique plaisir "heureux" que par cette
expérience
réussie de l'amour de soi. Cette justification implique le
regard
et le jugement positif de ceux qui disposent de l'autorité
légitime
ou d'un capital symbolique institué. J'ai même plaisir
à
paraître renoncer à certains plaisirs apparemment asociaux
et défendus pour preuve de mon pouvoir sur moi-même afin
de
mieux répondre aux exigences sociales qui me valorisent (le
renoncement
aux plaisirs dégradants).
- Mais, d'autre part, dans une société qui fait de la
liberté individuelle une valeur fondatrice, l'interdit social,
s'il
est culpabilisant, suscite ce qui est défendu comme
désirable
par et pour soi en tant que critère de distinction significative
de l'exigence valorisante d'autonomie, . Le plaisir
décompensateur
de la désocialisation dans l'expression de notre illusoire
désir
d'être nous-mêmes contre les normes instituées et le
conformisme ambiant est l'autre versant du narcissisme. Nous oscillons
sans cesse entre plaisir obligatoire intégrateur et plaisir
défendu
plus ou moins provoquant, entre plaisir de la reconnaissance et auto
reconnaissance
dans le plaisir interdit, entre valorisation collective et valorisation
séparatrice, sur fond des normes sociales, qui, tout à la
fois, socialisent et desocialisent les acteurs/individus en suscitant,
rejetant, exploitant et recyclant l'insociable sociabilité de la
conscience de soi dont Kant parle dans ses considérations sur
l'histoire.
Si l'on peut opposer en théorie, les plaisirs défendus
et dégradants et les plaisirs permis, voire obligatoires car
socialement
valorisés et valorisants; on voit que cette distinction est
trouble
et donc troublante, car les uns impliquent nécessairement les
autres
dans la pratique toujours socialisée du plaisir. Cette
indissociation
s'exprime dans nos sociétés libérales sous la
forme
paradoxale de cette opposition toujours proclamée mais jamais
respectée,
car impossible à séparer nettement, entre la vie
privée,
voire intime et de la vie publique ou professionnelle. Le désir,
comme exigence d'être par soi et les autres heureux de soi,
s'alimente
des contradictions irréductibles internes entre soi, les autres
et le social. En cela il doit se mettre en scène dans
l'échange
et le dialogue autorégulateur avec soi et les autres qui seul le
préserve de la chute dans le délire passionnel et auto
destructeur.
La conscience de soi est à la fois socialisante et
désocialisante;
c'est ce jeu qui fait que toute pratique érotique dans la
relation
à l'autre est indéfiniment désirable.
Je voudrais pour traiter de la question du sens et de l'usage du
plaisir
me poser 3 questions:
Qu'en est-il, dans la société d'aujourd'hui, des rapports
entre le principe de plaisir et la principe social de
réalité?
Qu'en est-il des rapports entre la recherche du plaisir et la
moralité?
Qu'en est-il des rapports entre l'expérience du plaisir et la
liberté?
Plaisir et Réalité sociale.
Nous vivons aujourd'hui dans une société plurielle et
laïque sans religion dominante, où le désir,
à
défaut de Dieu, ne peut que se désirer lui-même et
désirer à l'infini le désir des autres et cela me
parait irréversible. La recherche du plaisir passe par des
pratiques
qui tout à la fois affirment et dénient les valeurs de la
reconnaissance de soi que la société libérale
propose
et déplace sans cesse. Mais c'est peut être à ce
prix
que l'autonomie comme expérience de plaisir est sinon garantie,
du moins possible, nous y reviendrons.
Dans ces conditions, la relation entre le principe de plaisir et le
principe social de réalité est nécessairement
ambigüe;
si tout plaisir est égocentrique et narcissique; il ait des
plaisirs
obligatoires, permis et défendus qui s'impliquent
étroitement.
Obligatoire est le plaisir socialisé qui sanctionne la
réussite:
richesse, pouvoir, honneur, consommation et amour
légalisé.
Permis est la plaisir qui, dans la société permissive
moderne, permet de vendre et de faire du profit et qui valorise
l'individu
dans son rapport aux autres (compétition dans l'accès au
capital économique et symbolique) On voit que cette
permissivité
n'est pas neutre; elle est incitative (c'est bien vu) car elle est
modélisée
dans le registre de l'obligation douce que chacun est inscité
à
intérioriser pour s'affirmer dans un désir
mimétique,
vécu comme illusoirement autonome
Défendus sont les plaisirs violement
désintégrateurs
ou formellement contradictoires avec l'idéal libéral
aujourd'hui
dominant de l'autonomie du sujet, mais qui s'affirment du même
coup
comme des signes irréductibles contre-valorisants de
singularité
et qui offrent le plaisir de se croire différents; ce qui est
revendiqué
comme légitime par ailleurs. De là le rapport ambigü
aux plaisirs interdits, criminalisés (viol, pédophilie,
crimes
sexuels en série..) mais en même temps
spécularisés,
mis en scène comme objet d'un plaisir dont la transgression de
l'interdit
est la source même. L'autonomie serait là à son
comble:
à la fois désirable et condamnable, vécue par
procuration
dans son intensité jouïssive maximale. Cette
référence
aux plaisirs interdits est, à mon sens, recyclée dans
l'obligation
"douce" du plaisir permis sous la forme symbolique du message
publicitaire.
C'est pourquoi les médias commerciaux font de la violence et de
la transgression érotique ouvertement symbolisée le socle
de l'euphorisation publicitaire qui joue de l'interdit comme stimulant
de la circulation et des échanges marchands,
présentés
comme la condition du bonheur ici-bas.
Pour comprendre cette ambiguité du plaisir dans son rapport au principe de réalité , je ferais les hypothèses anthropologiques suivantes:
- Tout désir est généré par le relation
au désir des autres; le désir est recherche d'un plaisir
anticipé sur fond d'imitation ou de répétition
d'une
expérience réelle ou imaginaire vécue dans une
relation
aux autres et au social.
- Cette socialisation implique la dimention performative, pronominale,
personnalisante, et interpellative du langage qui structurzent les
affects
et les comportements selon des valeurs collectives à
prétention
universelles.
Mais quel usage éthique convient-il de faire de cette ambiguïté?
Plaisir et moralité.
Selon les cas et les jeux de rôles collectifs
(stratégies
gagnants/gagnants, à somme nulle ou donnant/donnant) qu'il
serait trop long mais nécessaire d'analyser, cette socialisation
prédertermine plus ou moins des comportements communautaristes
fusionnels
et identificatoires: les plaisirs obligatoires intervalorisants; ou des
comportements individualisants plus autonomes: les plaisirs de la
distinction,
voire génère des plaisirs de violence
désintégrative;
Dans ce cas toujours menaçant, le désir de l'autre comme
sujet et objet de désir ne va pas de soi. Or du fait que jamais
les désirs ne fusionnent longtemps et ne convergent
spontanément
indéfiniment, ce cas est général; les conflits
sont
le lot commun de tout rapport de désirs: la concurrence, les
rapport
de force politiques et sociaux, voire amoureux engendrent les passions
désintégratives, voire destructrices consubstancielle
à
l'expérience du désir. C'est la raison pour laquelle la
morale
entend régler les passions en soumettant le désir et
l'expérience
du plaisir à des limites et des convictions valorisantes
(narcissiquement
plaisantes). Mais quelle morale et à quel prix?
Toute morale de conviction du devoir absolu (Impératif catégorique de la raison et/ou commandement divin ou naturel) est nécessairement aveugle aux plaisirs et au jeux du désir dans ses effets bénéfiques sur la puissance d'être et d'agir des acteurs et partenaires du jeu. Toute morale sacrificielle du désir condamne le sujet/acteur de sa vie à la culpabilité stérilisante et à l'impuissance. L'ethique positive consiste selon moi, à tenter de saisir les contradictions des jeux des désirs et des intérêts individuels et collectifs, de leurs conditions déterminantes et de leurs effets, non pour les résoudre, ce qui est contraire au dynamisme de la vie et donc ni possible ni souhaitable, mais pour les diriger selon des règles (toujours à redéfinir dans l'épreuve de leurs conséquences pratiques) permettant aux acteurs d'optimiser leur plaisirs mutuels à échanger dans la réciprocité de leurs désirs. C'est dans l'accroissement de l'autonomie interdépendante de chacun (dans la mise en oeuvre de son droit au bonheur et à la reconnaissance positive de soi) que réside le sens de l'éthique; en dehors de toute perspective transcendante toujours asservissante.
Plaisir et libération
Penser le plaisir hors du social et du langage me parait l'illusion idéologique, voire philosophique, fondamentale: celle de la liberté du sujet comme indépendance que l'on confond avec l'idée ou l'exigence sociale d'autonomie dans l'interdépendance du biologique, du social et du symbolique. Si tout comportement et affect est conditionné par des niveaux hétérogènes et divergents de contraintes et de sollicitations, cela confère au sujet une marge de manoeuvre propre qu'il doit développer en en prenant une conscience réfléchie et réflexive; cet effort de prise de conscience rationnel est nécessaire à la définition et à la mise en oeuvre de stratégies efficaces et personnelle; cela suppose une éducation philosophique et anthropologique tournée vers le présent qui reprenne à nouveaux frais l'exigence de lucidité et de libération, débarassée de leurs illusions métaphysiques, de la pensée philosophiques du passé.
Conclusion
L'expérience du plaisir devient alors le témoignage concret et intuitif que le bonheur comme sentiment de la puissance d'agir du sujet est la seule fin positive possible dans une socété libérale et athée: un bonheur esthétique et érotique qui s'accomplit dans la reconnaissance de soi et des autres; il exige de faire l' usage le plus créateur possible des contradictions des désirs et des intérêts en posant les conditions régulatrice théoriques et pratiques de l'autonomie de chacun dans la poursuite de son droit à construire son projet de vie avec les autres
Sylvain Reboul, le 31/03/98.
Démonstration:
Rien n’empêche personne chez nous de faire l’amour ou de cultiver l’amitié à sa mesure; ni d’écrire des poèmes ou faire de la musique, voire de publier ses oeuvres sur le net; aucune société n’a été si libérale sur les questions de l’art, der la vie privée, même s’il reste quelques poches de resistance traditionaliste (homoparentalité par exemple). Les gens ne sont pas dans leur grande majorité victimes passives (quel mépris du consommateur!) de la publicité mais en jouent dans le cadre d’une stratégie personnelle de représentation de soi, d’autant plus que la publicité est diverse et concurrentielle. Elle mélange les styles et les références symboliques (la plupart des objets de consommation sont surdéterminés symboliquement et esthétiquement). Ceux qui refuse de jouer ce jeu peuvent le faire; aucun tribunal ne les sanctionnera; mais je ne vois pas au nom de quelle morale répressive et abstinente ils condamnerait la société de rendre ce jeu possible pour ceux qui l’aiment (la grande majorité) et/ou au nom de quoi ils déclareraient malheureux la grande majorité de ceux qui ont passés ces jours derniers à se faire plaisir ainsi que leurs proches à participer au grand jeu de la consommation pour renforcer leur rapports et témoigner de leuyr affection.
Les romains affirmaient que le peuple voulait du pain et du cirque et ils avaient raison car le cirque ou le théatre n’ont rien de méprisables si ce n’est pour les moralistes étroits. ce qui est inhumain c’est le pain sans le cirque ou le théatre de la représentation de soi.
Le vrai problème est ailleurs: il est dans le fait qu’une toujours trop grande majorité est exclue du jeu social de la reconnaissance plus ou moins personnalisée de soi..
Qui a peur de la consommation a peur de la
liberté de se faire du bien sans faire du mal aux autres.
"Cachez ce
sein que je ne saurais voir!"
Si la consommation est un bien en tant qu'elle
confère au sujet un liberté de choix et un plaisir
lié à la valorisation de soi, seul son mauvais usage
(excessif) peut devenir un mal. Or ce mauvais usage procède non
de la société mais du sujet lui-même incapable de
maîtriser son désir d'être. Cette dépendance
vis-à-vis de la consommation compulsive est une
maladie en effet(addiction) et cette maladie ne procède pas de
la consommation elle-même mais de la consumation du sujet
piégé par son propre désir maladif d' objets
symboliques transformés par son trouble en fétiches
idolatrés dont il croit que sa vie dépend. Il s'agit
d'une maladie individuelle dont les causes ne sont qu'indirectement
sociales , car elles sont principalement liées à
l'histoire individuelle du sujet. Cette maladie ne peut être
traitée que par une approche psychologique et philosophique et
non pas politique. Il s'agit d'apprendre la sagesse ("Rien de trop!"),
à savoir la connaissance de son désir authentique ,
condition du bonheur, à savoir se valoriser en
devenant plus sage et maître de soi. Cela vaut pour tout
désir: il faut apprendre à se raisonner dans l'expression
de son désir d'être et d'agir et à ne pas croire
que le mieux-vivre peut venir d'ailleurs que de soi-même. Encore
moins de Dieu que des produits de consommation.
Dans une société libérale, il est d'autant plus indispensable
d'éduquer et de s'éduquer à l'autonomie et cette
éducation passe par le refus de croire aveuglement que le
bonheur dépend principalement de l'extérieur ou de la
politique, mais que celui-ci oblige à un travail de
réflexion sur soi-même, dans son rapport aux objets, aux
autres et à soi. Encore faut-il que l'exigence de justice
sociale soit politiquement prise en compte, c'est à dire que la
société soit plus libérale ensore qu'elle ne le
prétend..
S. Reboul, le 298/12/05
Il me semble qu’il manque
dans la plupart des propos critiques sur l'hyper-consommation une
réflexion
sur la notion de bonheur afin de mieux saisir l’enjeu
philosophique de cette critique, à savoir: Comment vivre
plus sagement et donc
plus heureux aujourd’hui?. Il nous faut distinguer et
articuler, pour comprendre le paradoxe de l’hyper-consommation, le
bonheur, la bonne fortune et le simple bien-être; de même il convient
de distinguer individualisme et égoïsme solitaire exclusif. Posons nous la simple question: quand est-ce qu’un individu est universellement malheureux? La
réponse est relativement simple dans son principe, sinon dans ses
formes d’expression et ses conditions: quand il se sent impuissant,
seul, non-reconnu ou méprisé et que ce mépris est intériorisé dans une
relation négative (dévalorisée) de soi à soi; la conscience, bonne ou
mauvaise, de soi est en effet la marque universelle de l’humaine
condition. Disons donc a contrario que le bonheur comme gratification
subjective interne (qui affecte la relation à soi) n’est que
l’expression positive de l’amour de soi dans le cadre des relations
valorisées et valorisantes que nous entretenons avec la conscience des
autres. Le désir d’être heureux n’est autre que le désir d’accomplir
cet amour de soi dans et par la reconnaissance des autres, réels ou
imaginaires. Cette reconaissance valorisante peut se vivre de manière
contradictoire dans le cadre de relation de domination (s’estimer
supérieur aux autres dès lors qu’on dispose du pouvoir objectif de leur
imposer d’obéir), d’autorité non dominatrice (se faire obéir par
l’effet d’une valeur partagée et partageable par les autres qui y
consentent), d’amour et d’amitié réciproque (qui exige l’égalité et la
réciprocité de la reconnaissance "gratuite" personalisée peu ou prou
exclusive entre des individus concrets, sensibles et sensuels). La
bonne fortune est le fait d’être chanceux dans l’accès aux moyens
extérieurs de cette reconnaissance et le bien-être réside dans la
satisfaction, non pas du désir de reconnaissance mais des besoins
physiologiques et sociaux indispensable pour vivre dignement. L’hyper-consommation
procède d’une difficulté à renconter la reconnaissance et l’amour des
autres et un certain pouvoir ou autorité sur eux autrement que par la
médiation d’objets symboliques de valeurs partagées qui doivent être en
permanence renouvelés pour être signifiants et donc gratifiants. Le
goût du luxe est l’expression même de la mise en valeur et/ou en scène
"somptuaire" de soi. Mais une telle quête est infinie et enferme le
sujet dans une solitude qui le rend impuissant à nouer avec les autres
des relations de réciprocité et de confiance durables. La recherche du
paraître détruit son désir intime d’être et l’enferme dans des images
dans lesquelles il se perd comme individu autonome et créateur de
relations libres et authentiques aux autres. Victime des
objets-fétiches qu’il consomme compulsivement il se fétichise
immanquablement dans un course infinie à la satisfaction d’un désir
d’être devenu insatiable. Poursuivant une image évanescente de soi, il
s’absente de toute possibilité de maîtrise de soi et de sa vie
personnelle et transforme son individualisme légitime en affirmation
arrogante et solitaire de soi qui l’enferme dans un malheur radical
(désamour et impuissance). C’est cette expérience
du malheur que l’on appelle dépression, suscitée par le mirage de
l’hyperconsommation, qui seule, dès lors que l’on prend conscience de
la dimension philosophique du bonheur, comme pratique de la sagesse
(rien de trop) et de la maîtrise de soi pour la reconnaissance, peut
conduire à résister à l’illusion que le bonheur réside dans notre
rapport aux objets et non nos relations aux autres qu’ils symbolisent
en les pervertissant (ou fétéchisant) , en tant que sujets de désir et
à nous mêmes, conditions authentiques de l’amour de soi.
Le 12/06/06