Critique des fondements du droit libéral
 
 

La notion de droit libéral semble paradoxale: le droit est l'ensemble des obligations et des interdits contraignants auquels sont soumis les comportements des individus dans leurs relations mutuelles et les rapports qu'ils entretiennent avec la puissance publique; la loi s'impose sous la menace de sanction, elle semble  donc s'opposer à la liberté d'agir des individus ; pourtant  le droit, qui se dit libéral, s'affirme au service des droits de l'homme, c'est à dire des libertés fondamentales et l'état de droit se veut le garant de ces mêmes droits mettant sa force à leur service; Comment traiter, sinon résoudre, un tel paradoxe?
Ce paradoxe est pour partie est liée à la double fonction du droit libéral: assurer l’ordre public et garantir les libertés individuelles, ce qui ne va pas de soi ; et pour d’autres parties ressort de l’ambiguïté de son fondement (naturel, culturel ou rationnel ?) et des conflits qui naissent entre les valeurs à prétention universelles dont il se réclament (liberté, égalité fraternité). Examinons donc ces trois niveaux.

1)Les fonctions du droit libéral :

Le droit, dit libéral, définit les règles de la vie ensemble (code et lois ) selon deux directions dont la compatibilité est problématique :

1-1 D’un côté il s’agit de préserver l’ordre social nécessairement inégalitaire du fait des fortunes et des fonctions inégales de pouvoirs, d’autorité et de responsabilités qu’impliquent la coordination et la cohérence des actions et des échanges, en vue de maintenir la cohésion de l’ensemble et d’éviter la violence et le désordre, voire la guerre civile, qu’entraîneraient la contestation et la subversion des inégalités sociales et politiques existantes : les riches et les puissants considèrent qu’ils méritent nécessairement leurs avantages et cherchent par tous les moyens à convaincre les autres de leur supériorité légitime jusqu’à l’imposer par la force et la terreur lorsqu’ils se sentent menacés dans leurs privilèges.

1-2  D’un autre coté cet ordre inégalitaire ne peut être reconnu comme légitime et juste, en l’absence d’un fondement transcendant et/ou naturel indiscutable des inégalités, fondement que la pensée occidentale à radicalement récusé d’une manière irréversible en renonçant à tout fondement naturel et religieux de l’ordre social existant, que sur fond du respect des libertés égales et garanties des individus (droits de l’homme et du citoyen).
Cette contradiction qui consiste à instaurer une égalité inégalitaire stable et légitime (« tous les hommes sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres ») est traitée, sinon résolue (car cette contradiction est, à mon avis, insoluble, les abus de pouvoir et autres manipulations dominatrices par qui en détient les moyens de forces et de persuasion, voire de chantage, sont toujours possibles pour qui désire et peut en profiter) de deux manières :

1-3 L’une ressort du droit politique : c’est l’institution de la fiction démocratique qui consiste à faire dépendre les fonctions de pouvoir inégales des dirigeants de l’approbation et/ou plutôt du pouvoir de désapprobation des dirigés

1-4 L’autre ressort du droit privé ; c’est le reconnaissance de l’égal droit à la propriété privée de ses biens matériels et intellectuels, de son travail, de son image etc.. En vue de favoriser un l’échange contractuel, présenté comme volontaire, généralisé de biens et de services en vue de la satisfaction des intérêts mutuels (marchandisation généralisée des échanges)

Or nous savons bien que cette égalité théorique fondamentale est génératrice d’une inégalité réelle : celle qui assure, via le droit de propriété des biens de production et d’échange, la domination et l’exploitation des pauvres par les riches, du travail par le capital et celle qui permet d’associer, via la démocratie, les opprimés au choix de leur oppresseurs (Lénine), sans qu’ils puissent renverser l’oppression qu’ils subissent dès lors que l’homme politique, quelque soit sa tendance, est soumis aux dictats de ceux qui détiennent le capital (on parle aujourd’hui de loi du marché) ; il ne peut en effet transgresser les intérêts généraux du capital sans mettre en cause la loi de propriété capitaliste et sans provoquer un effondrement immédiat de la production et des échanges ; ce risque est aggravé par le processus de la mondialisation des échanges qui permet au capital d’échapper à toute mesure locale « démocratique »

Cette contradiction du droit libéral, ne peut être supportée par ceux qui en sont victimes qu’autant que la course pour les richesses et aux fonctions de pouvoirs restent l’enjeu d’une compétition qui se présente comme égalitaire : c’est l’invention de la fiction de « l’égalité des chances », qui supposerait, pour qu’elle devienne réalité, que l’héritage économique et culturel soit supprimé ou pour le moins sérieusement réduit et/ou corrigé (impôts sur les droits de succession, école publique gratuite et droits aux soins gratuits). Mais, comme cela est impossible pour la raison que je viens de dire plus haut, ), une certaine « sécurité sociale » et l’accès à la consommation et aux divertissements (le pain et le cirque) est alors substituée à cette égalité des chances fictive, mais que l’on ne peut pourtant pas totalement écarter du débat politique gauche/droite qui nourrit la vie démocratique, dès lors que l’acceptabilité des inégalités économiques et politiques et donc la stabilité relative de la société dite libérale en dépend entièrement (voir la question scolaire, des examens et des concours). Mais que ces « diversions » viennent à faire défaut par l’effet d’une mutation du capitalisme et c’est la stabilité du capitalisme, du droit de la, propriété et la démocratie qui entrent en crise, sans forcément que des alternatives socio-politiques démocratiques et pacifiques soient possibles et c’est la situation que l’on vit aujourd’hui, en l’absence de toute perspective révolutionnaire crédible (souhaitable et possible). D’autant que cette contradiction des fonctions se double de contradictions quant aux fondements et aux principes du droit libéral..
La suite bientôt

2) La question du fondement du droit libéral

Or cette difficulté, déjà problématique par elle-même, à concilier les deux exigences du droit libérale opposées se double de celle de fonder toute tentative de conciliation sur la position précisément libérale qui définit les droits de l’homme/individu et les libertés individuelles extérieures  appelés droit subjectif , qu’il pose en dehors de toute conception intérieure et métaphysique de la liberté, comme les fondements du droit objectif (ordre public) (article 1 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Ainsi ce trouve renversé l’ordre du droit traditionnel qui fonde les droits et les devoirs subjectifs souvent inégalitaires (ex ; hommes/femmes) sur des motifs d’ordre public exigeant la différentiation inégalitaire strictes des statuts, des droits et des devoirs. Dans la logique libérale, sinon dans la réalité, les droits subjectifs doivent primer sur les droits objectifs : l’ordre social, même nécessairement inégalitaire dans les faits qu’il s’agit de stabiliser, prétend, pour être considérer comme universellement juste, servir et garantir les droits subjectifs égalitaires sur fond de règles établies et révisables par l’ensemble des individus-citoyens dans le cadre du vote démocratique dont le règle est un homme égale une voix dans le cadre d’une décision réputée solitaire dans les conditions du libre débat démocratique (isoloir qui définit l’espace préservé de la décision du citoyen en son âme et conscience)  Mais sur quel fondement assurer la légitimité de cette prééminence des droits subjectifs ?

Il est clair que le droit libéral ne peut se reconnaître aucun fondement religieux qui établirait la liberté comme droit fondamental de l’individu, au contraire du droit traditionnel qui l’exige pour être assuré et accepté, et cela pour deux raisons:
 - La religion se réfère toujours à l’ordre du sacré transcendant et/ou d’une puissance supérieure aux individus qui doivent s’y soumettre pour leur salut individuel et collectif. Ce qui est contradictoire avec l’idée de liberté individuelle (de penser et d’agir) : les droit de Dieu entrent en conflit logique avec les droits de l’homme-individu à s’affirmer dans son autonomie ; la théocratie apparaît, dans ces conditions, contraire à la démocratie
 - Les sociétés modernes sont pluralistes, c’est à dire qu’aucune religion particulière ne peut s’imposer comme référence indiscutable à la définition des normes communes, d’autant que l’athéisme de fait s’étend, sous l’influence de la logique marchande,  de l’esprit critique scientifique et technique et de l’individualisme démocratique qu’ils génèrent (le souci d’efficacité l’emporte sur les convictions dans les pratiques sinon dans les discours): la loi de Dieu ne peut plus servir de fondement à la loi humaine car encore faudrait-il une seule loi et une seule religion pour l’administrer et la faire respecter ; laquelle unité est devenu impossible à assurer. (principe de la laïcité et de la séparation des églises et de l’état).

2-1 De la rupture entre droit traditionnel et droit libéral
Mais cette séparation du politique et du religieux , de la loi divine et de la loi humaine, a-telle elle même était rendue possible par la nature de la religion chrétienne comme beaucoup le pensent? Celle-ci, en effet, semble faire de la liberté humaine une faculté radicalement distinctive de l’homme dans son rapport à Dieu, à ses lois et à la nature ; d’autre part, pour des raisons historiques et théologiques une certaine séparation (toujours problématique) entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel s’est imposée ; Saint-Augustin n’a-t-il pas contribué à distinguer clairement la cité terrestre et la cité céleste, les actes des hommes et la volonté divine afin d’éviter de rendre Dieu responsable des turpitudes humaines et rendre possible (pensable) le salut de l’humanité par delà la corruption et du péché de la vie ici-bas ?
Cette thèse est tentante, mais elle ne concerne que l’origine idéologico-politique du droit libéral et non son fondement ; c’est à dire sa justification en raison, valant pour tous les hommes, croyants ou non, par delà ses déterminations et/ou motifs religieux particuliers. De plus on pourrait renverser la perspective en disant que le christianisme n’a fait que reprendre une exigence de liberté à son compte, en lui donnant une forme religieuse. Rien ne dit que ce ne sont pas les hommes qui ont créé  Dieu à leur image et selon leurs aspirations humaines historiques et/ou universelles.

2-2 Du fondement du droit libéral
Reste donc à justifier et à fonder le droit libéral sur la nature de l’homme lui-même, indépendamment de toute considération théologique, que l’on va déclarer libre pas sa capacité à s’autodéterminer dans les fins et les moyens de ses actions, en tant qu’être raisonnable (Kant), ce qui le distingue radicalement des animaux, déterminé, en l’absence de tout choix, pas la nature de ses instincts (une loi étrangère dira Kant). Cette liberté est plus que l’intelligence conceptuelle et langagière la qualité distinctive des humains affirmera Rousseau ; car l’intelligence permet d’expliquer et de comprendre les choses mais pas de choisir entre des alternatives bonnes ou mauvaises d’autant et que l’on peut toujours choisir le mal en voyant le bien pour choisir comme un plus grand bien, l’affirmation de notre liberté en choisissant le mal (Descartes). Nul ne peut nier, croyant ou non, que l’homme est plus ou moins conscient (et/ou qu’il peut le devenir) de lui-même comme sujet de ses pensées et des actes qui en découlent et qu’à ce titre il est né libre en tant qu’il est capable de se déterminer lui-même selon des valeurs entre lesquelles il peut consciemment choisir. Il suffit donc d’étendre à l’humanité tout entière (et cette extension universelle sur un tel fondement est nécessaire ) cette capacité de choix pour refuser un droit qui soumettrait les hommes à des lois extérieures, naturelles ou divines et qui plus est, distinguerait entre eux des degrés statutaires dans le liberté et les droits qu’elle implique par l’effet d’une volonté extérieure et/ou d’une loi naturelle quelconque. Les hommes ont une seule et même nature fondamentale et chacun est libre de décider de sa vie sociale et personnelle selon des règles qui doivent valoir pour tous, exit donc les ordres, les races, et la différence sexuelle comme principe de hiérarchisation stable et ayant valeur de droit des humains. Les droits subjectifs (droits de l’homme-individu) sont au fondement du droit objectif et cela d’une manière incontestable si l’on admet que tous les hommes sont égaux en liberté. La démocratie législative en découle : seuls les individus doivent décider des règles de vie ensemble et des droits objectifs visant à maintenir la cohésion sociale et l’inégalité des fonctions et des responsabilités « utile » au maintien de l’ensemble fondamentalement égalitaire , sinon à l’unanimité, du moins à la majorité, dans la limite que cette majorité ne prétende pas déchoir ceux qui appartiennent à la minorité des droits humains individuels et politiques généraux qui définissent les axiomes mêmes de la démocratie en introduisant, par là, la domination et l’inégalité formelle entre les individus.

2-3 De l’universalité du droit libéral.
Est-ce à dire que cette rupture entre droit traditionnel et droit libéral, du point de vue du fondement du droit (à ne pas confondre avec l’origine) ne relève d’aucune condition culturelle particulière et qu’elle s’impose d’emblée et d’elle-même comme valant universellement y compris dans et en dépit des cultures qui trouvent leur équilibre dans l’autorité de traditions hiérarchiques ? Deux réponses sont possibles : la première est d’affirmer que les droits de l’homme doivent s’imposer partout et transformer toutes les cultures dans le sens même de l’évolution de la culture occidentale vers le libéralisme individualiste (ou individualisme libéral). Exit donc le respect des cultures traditionnelles : le respect des individus et de leur droits fondamentaux et égaux prime dans tous les cas. La culture juridique libérale occidentale a raison : elle est la seule universelle en droit et donc doit le devenir dans en fait ; cette conception est à la base de la déclaration des droits de l’homme adoptée à l’ONU en  1948 et elle autorise l’ingérence internationale pour faire respecter les droits de l’homme partout dans le monde contre la souveraineté des états et la prétendue légitimité des cultures qui les violeraient.
Mais d’autres feront remarquer que cette position revient à considérer que les individus, dans les sociétés traditionnelles, sont déjà individualistes et revendiquent des droits personnels contre la conscience qu’ils ont de leur attachement aux traditions. Ce qui est pour le poins contradictoire ! Peut-on libérer les hommes contre leur volonté et faire comme si la destruction des cultures traditionnelles qu’implique l’affirmation de l’universalité en droit et en fait de la culture occidentale ne mettraient pas en danger les équilibres et les règles de vie ensemble qui font la paix civile dans les sociétés traditionnelles et cela ne risque-t-il pas de généré une violence sans limites,;, la liberté sans règles transmises lentement par l’éducation ne met-elle pas en danger la vie des individus et les conditions même de leur sociabilité ?

Or, nous savons que la mondialisation des échanges marchands, de toute manière, remet en question irrésistiblement (sauf résistance terroriste et sanglante désespérée) les liens traditionnels et met la recherche du profit et donc la vision de l’individualisme libéral intéressé et rationnel, au cœur des relations de production et d’échanges, d’autant plus que les modes de vie occidentales se diffusent partout dans le monde par les moyens modernes de télécommunications (y compris Internet). Les frontières tombent ou s’effritent (et les occidentaux le savent bien qui tentent, sans grand succès, de fermer leur frontières aux individus venant des pays pauvres, alors même que les plus riches investissent sans restriction partout où cela peut leur permettre de faire du profit et où les touristes des classes moyennes des pays occidentaux se promènent partout). Dans ces conditions, préserver les cultures traditionnelles dans leurs fondements moraux, religieux et hiérarchiques est impossible sauf à mettre les survivants de ces cultures dans des réserves artificielles transformés dans les parcs d’attraction pour touristes que l’on voit fleurir dans tous les pays non-occidentaux. Deux dernières raisons s’y ajoutent qui nous imposent de considérer que nous ne pouvons plus vouloir vivre dans des lieus séparés : les armes d’autodestruction universelle circulent partout dans le monde et sont à la portée de n’importe quel état ou groupe et la menace écologique concerne l’humanité toute entière !

Mais, si toute séparation des cultures est ni possible, ni souhaitable, comment alors traiter cette contradiction entre l’universalité théorique et pratique du modèle démocratique et libéral, mais construit dans un cadre déterminé, et fonctionnant au profit des pays les plus riches et le respect des spécificités culturelles que de nombreux humains revendiquent au nom de leur liberté individuelle et collective ? Et plus profondément, de quel droit, le droit libéral, qui est une construction culturelle historique déterminée, peut-il prétendre s’imposer comme naturel ?
La nature à bon dos, en effet, toute culture a toujours prétendu, être la plus, voire la seule, naturelle et la culture occidentale n’y fait pas exception. Or si ce n’est pas la nature de l’homme qui fonde l’universalité du droit libéral, dès lors que l’individualisme de principe qui la soutend est lui-même un effet de la culture occidentale et de l’évolution historique qui l’a produite, comment justifier l’universalité du droit libéral ?
La seule réponse possible est qu’elle ne se justifie que par l’histoire de l’humanité et des luttes contre l’oppression et pour leurs libertés que les humains ont développées. C’est dire que c’est le développement du monde irréversible contemporain qui nous interdit de penser que la séparation culturelle en sous groupes clos sur eux-même de l’humanité soit encore possible sans violence; sauf à accepter des régimes extrémistes du genre de celui des talibans en Afghanistan, les hommes sont aujourd’hui en passe et de se cohabiter, de se mélanger et d’échanger, donc d’évoluer ensemble et la seule conception viable du droit dans ces conditions, c’est la conception libérale qui autorise chacun à vivre là où bon lui semble avec qui il veut, et de participer à titre de citoyens de plein droit à la définition des règles de la vie. Mais cette universalisation du droit libéral est toujours l’effet des luttes de libération des hommes afin d’accéder également aux richesses mondiales, à la médecine moderne (pensons au SIDA en Afrique), à l’égalité entre les femmes et les hommes (pensons à l’excision) ; il n’est donc pas question d’imposer ce modèle à des individus qui s’y refuseraient mais il convient d’aider tous ceux qui se battent contre l’oppression et les inégalités qu’ils subissent de la part  pays occidentaux riches, contre l’esprit même du droit libéral (toujours la même histoire de la lettre contre l’esprit !) mais aussi, de la part de ceux qui se réclament de leur traditions pour les maintenir dans la domination et l’inégalité des droits (pensons à l’Afghanistan) ; ce n’est pas à l’occident de libérer et de civiliser (en son sens) les autres populations, mais c’est de sa responsabilité d’aider les peuples à se libérer au nom du droit libéral dont il se réclame et à accéder au niveau de développement qu’ils souhaitent. Quant au danger d’extermination par l’usage des armes atomiques et/ou bio-chimiques, l’occident, sous l’autorité d’instances internationales habilitées et légitimes (il faudrait du reste revoir la composition du conseil de sécurité, en l’état illégitime, car non représentatif des populations du monde) doit pouvoir intervenir pour le réduire au nom de la survie l’humanité toute entière ainsi que pour venir en aide à des populations menacées de génocide. L’occident a des responsabilité particulière, au nom des hommes qui luttent contre l’oppression, oppression dont il profite et qu’il exerce lui-même du fait de sa force économique, idéologique et militaire, de par sa puissance même, afin de favoriser l’égalité des droits dont il se réclame. Car, comme l’histoire nous l’apprend, la force et droit sont indissociables dans l’évolution de l’humanité pour le meilleur et pour le pire. La force de l’occident doit donc être mise au service du droit de tous les hommes.

Mais toutes les contradictions du droit libéral sont-elles pour autant résolues; les valeurs mêmes dont il se réclament que sont celles de la liberté individuelle, de l’égalité et de la fraternité ne sont-elles pas en permanence en conflits?

3) Les conflits de valeurs du droit libéral.

La valeur fondamentale du droit libéral est la liberté individuelle définie comme qualité de l’homme en général et non comme le simple statut du citoyen régi par les lois de la société à laquelle il appartient. Cette vision de la liberté distingue, voire oppose, comme l’affirme avec justesse B.Constant, la liberté des anciens grecs et celle des modernes : la première signifie la participation des citoyens à la vie publique et ne prend sens que dans ce cadre : l’homme n’est libre qu’en tant que citoyen ayant le droit et le devoir de participer à la vie de la cité, de décider des lois communes en commun ; mais tout citoyen exclu de sa cité et/ou étranger est considéré sinon comme esclave (et ce risque existait à Athènes où tout citoyen qui ne payait pas ses dettes ou ne remplissait pas ses devoirs pouvait être déchu de sa qualité de citoyen libre et devenir, par exemple, l’esclave de son créancier), du moins comme n’ayant pas de liberté garantie et reconnue ; sa liberté reste relève du domaine privé, elle n’implique aucune protection publique garantie. Par contre la liberté des modernes, au fondement du droit libéral, est posée comme un préalable au statut du citoyen et surtout n’implique pas la participation à la vie politique dans un cadre et selon des obligations déterminées : elle est considérée comme « naturelle » et donc socialement inconditionnelle. Un individu se sent d’autant plus libre qu’il peut vaquer à ses occupations en vue de poursuivre son droit personnel au bonheur ( cf déclaration des droits de l’homme américaine et l’affirmation de Saint-Just : « Le bonheur est une idée neuve en Europe ! ») et qu’il est protégé des abus de pouvoir de l’état et de la collectivité ; d’où le fameux principe de la dite « séparation des pouvoirs » par lequel le pouvoir judiciaire doit pouvoir « arrêter » (Montesquieu) le pouvoir exécutif dès lors que celui-ci prétend violer les droits fondamentaux de l’homme-individu. Cela est tellement vrai que le droit libéral autorise tout individu adulte à fuguer et à rompre tout lien et contact avec la société et même la famille auxquelles il appartient, pour ne pas parler de sa religion (voir, par contraste, la position de l’islam à ce sujet). Même Rousseau fait de la liberté naturelle un préalable à la liberté civile et considère que celle-ci, sous l’autorité de la volonté générale (elle même expression des volontés particulières en ce qu’elles ont de commun après avoir retranché les positions trop divergences qui s’annulent nécessairement par l’effet de la procédure du vote) et de la souveraineté du peuple, doit permettre d’établir en droit la liberté naturelle dans des limites telles que chacun retrouve une certaine « indépendance naturelle » (ou « droits naturels » illimités antérieurs au contrat) qu’il a volontairement aliéné au moment du contrat) qui soit compatible avec celle des autres dès lors que la propriété privée du sol, des moyens de travail ainsi que de son résultat est garantie par la loi commune, expression de la volonté générale, dans l’égalité des droits et celle, plus relative, des fortunes et de telle sorte que chacun puisse vivre de son travail en le consommant ou en l’échangeant et que nul ne puisse profiter à son profit exclusif et s’enrichir en exploitant le travail des autres. Cette conception de la liberté est contradictoire avec le maintien des liens et des attachements, voire des allégeances traditionnelles inégalitaires prescrits et impératifs et les mœurs qu’ils régulent a priori (ex : l’inégalité statutaire et traditionnellement considérée comme naturelle entre les hommes et les femmes, les nobles, les purs, et les autres, etc..).
Cette conception moderne de la liberté, qui privilégie le droit subjectif par rapport au droit objectif et qui n’assigne comme limite à la liberté de chacun que le respect de la même liberté chez autrui, entraîne plusieurs conséquences :

3-1- Le droit libéral opère une distinction nette entre la vie privée et intime qui, hors le cas de violence, est totalement libre et doit être protégée du regard des autres et de toute publication (droit à l’image) et la vie publique soumise à des règles , des contrôles et des sanctions ; mais, même dans ce cadre, le droit libéral déclare que tout ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé ; au contraire du droit traditionnel qui fonctionne selon le principe que tout ce qui n’est pas autorisé (par Dieu, ou par la tradition) est interdit.

3-2 La vie privée et la recherche de l’intérêt personnel prime sur les solidarités traditionnelles impératives

3-3 L’économie et les échanges se privatisent et deviennent entièrement marchands, via la propriété illimitée des moyens de production et d’échange, (contrairement a l’égalitarisme de Rousseau qui voulait par là préserver la possibilité que puisse s’exprime un intérêt authentiquement général) , au nom de la liberté de s’enrichir et d’entreprendre par le travail et l’épargne placée et investie dans la propriété privée, devient le droit libéral central qui donne a chacun l’usage de ce dont il est propriétaire a son profit, y compris de le force de travail, devenue marchandise, d’autrui ce qui le transforme en vendeur de sa force de travail dont on lui reconnaît la propriété formelle. Là condition est qu’il accepte « librement » les conditions du contrat de travail contre rétribution salariale négociable en droit , sinon négociée en fait ; exit donc l’esclavage, le servage et la subordination a vie des domestiques . Est réalisé a sa manière le principe formel de Kant : Toujours respecter en même temps la personne d’autrui et soi-même comme fin de son action, et j ajoute : alors même qu on l’utilise comme moyen. Dans un rapport des forces réellement inégalitaire, l’exploitation de l’homme par l’homme est donc légitimée au nom de la liberté et de son expression majeure : la propriété à laquelle chacun aspire et qu’il possède déjà, dès lors qu’il est au moins propriétaire de son corps, de sa force de travail et, aujourd’hui, de plus en plus, de son image publique.

3-4 la régulation des échanges s’opèrent par la médiation du marché concurrentiel, sur lequel chaque acteur peut intervenir au mieux de ses intérêts, et s’il est bien informé et bien qualifié et que son offre répond à une demande, échanger à son profit. Et ainsi s’auto-réalise l’ajustement automatique des offres et des demandes et donc la mutualisation optimale des intérêts individuels, comme par l’effet « d’une main invisible », sans règle de morale extérieure, sinon les règles du commerce non-violent, du respect des termes des contrats et de la libre concurrence ; sans règle qui obligerait chacun se soucier de l’intérêt d’autrui plus que du sien et/ou de s’engager définitivement à la fidélité à une quelconque communauté

3-5 Les individus peuvent alors être socialement égoïstes et cultiver leur insociable-sociabilité (Kant) sans crainte de nuire trop aux autres et à eux-même (par effet de rétorsion). Cette intériorisation de la logique individualiste de l’échange marchand , en droit, sinon en fait, égalitaire, va investir tous les comportements, y compris privés, sous des formes qualitatives et selon des règles diverses, d’autant plus que la logique sociale marchande privatise toutes les relations humaines sur le mode du libre contrat réciproque révisable. Cette intériorisation de la logique marchande est d’une puissance irrésistible :, en l’absence de religion hégémonique autoritaire traditionnelle ; la grande majorité des hommes sont conditionnés jusque dans leur vie intime à se reconnaître comme libres de choisir avec qui, pourquoi et à quelles conditions ils veulent se lier aux autres et font de cette autonomie revendiquée (plus apparente que réelle) un indice objectif et subjectif de leur valeur personnelle dans la concurrence de tous les instants qui « anime » leur existence sociale. Le narcissisme relationnel dans l’échange s’affirme sans culpabilité sous la condition de prendre le narcissisme de l’autre (sa motivation propre), au delà de ses intérêts purement économiques, en considération.

Mais il est de fait que cette compétition pour la richesse, la considération, la séduction, le pouvoir, la renommée (un quart d’heure à la télé) la qualification, etc.. que l’on voit s’affirmer partout ne fait pas en bout de course que des gagnants : le jeu gagnant/perdant s’impose derrière le jeu donnant/donnant. Les déséquilibres que le système avait théoriquement pour conséquences soi-disant automatique (main invisible) d’éliminer sont reproduits, à l’échelon du monde, par le fonctionnement même du système qui en a besoin afin d’utiliser les inégalités existantes pour exploiter la force de travail et optimiser les profits: les plus puissants utilisant leurs moyens pour contraindre les moins chanceux à travailler à leur conditions afin d’accroître toujours plus leur puissance (voir plus haut dans la première partie). Cette contradiction entre la liberté contractuelle (apparente) selon l’idée fictive (formelle) de l’égalité des droits et l’inégalité réelle dans l’accès aux biens matériels et symboliques, dont la distinction tend à disparaître, tend alors à devenir explosive et l’exigence de liberté détournée par son interprétation capitaliste se dénonce elle-même comme nécessairement inégalitaire et injuste, cherchant à reproduire « la liberté du renard libre dans le poulailler libre » (Marx) en présentant l’exploitation de l’homme par l’homme et sa subordination à la loi du profit comme co-substantielle à l’autonomie de chacun. L’ effet en retour de cette mystification est le refus même du respect de l’exigence d’autonomie pour les autres, la révolte plus ou moins violente infra-politique et potentiellement criminelle et auto-destructrice, en l’absence de perspective et de désir de changer la logique marchande, des exclus de la consommation légale (qu’on pense à la drogue) et de la course à l’amour propre (qu’on pense à la passion des BMW des loubards et aux courses rodéo) . Le capitalisme est donc menacé par la destruction de toute solidarité sociale et le développement de ce que Durkheim appelait l’anomie sociale ou la désocialisation des individus livrés à eux-mêmes sans règles, ni références éthiques communes possibles, sinon une hypertrophie de l’égoïsme exclusif et, pour ceux qui sont les exclus du marché, du sens de l’honneur sans réciprocité, voir l’effacement de toute conception du droit et de la justice universelle.

3-6 L’égalité est donc au centre de la question du droit libéral et des paradoxes qu’il génère : d’une part la liberté d’entreprendre et de rechercher son bonheur s’affirme égale pour tous et d’autres part les moyens de l’exercer, n’appartiennent  qu’à ceux qui disposent de capitaux et de revenus suffisants. Les inégalités réelles mettent en cause le fondement même du droit libéral : les écarts s’aggravent (voir plus haut) et l’égalité en droit et des chances ne sont plus que des mots creux qui virent à la mystification ouverte. Cette situation explosive sur les quels les états n’ont de possibilité de régulation que limitée du fait des effets  la mondialisation qui échappent de plus en plus à leur pouvoir, mettent en cause la démocratie elle-même qui seule peut encastrer le fonctionnement du capitalisme et en corriger les conséquences anomiques. En effet l’idéal d’égalité est fondamental pour légitimer le capitalisme ; et du reste celui-ci a toujours prétendu que les inégalités qu’ils générait était le résultat justifié du mérite de ceux qui mettaient leur compétences , leur argent et leur intelligence stratégique au service des clients. Or l’expérience dément tous les jours cette prétention : rien ne justifie que les cadres dirigeants et les actionnaires voient leur revenus augmenter à proportion des réductions des coûts du travail et du nombre de licenciements massifs qu’ils diligentent. La compétition économique, la course à la rentabilité et à la productivité favorise en permanence les détenteurs des capitaux aux dépens des salariés, hormis les plus qualifié dans les domaines les plus dynamiques du point de la création de plus-value pour les investisseurs. Les gouvernants des états cherchent, avec de moins en moins de marge de manœuvre à éviter la débâcle politique et à sauver par la redistribution en faveur des plus démunis , via les impôts dont les détenteurs des capitaux exigent une réduction massive les concernant, ce qui peut l’être des services publics fondés sur le principe de la répartition (santé, retraites, enseignement etc..).
Le droit libéral, via l’état démocratique, en effet, pour pouvoir maintenir la crédibilité idéologique du  principe d’égalité des droits-libertés, remis en cause par le développement de l’économie libérale capitaliste , a inventé la notion de droits sociaux (droits-créances) au profit des plus faibles, afin qu’ils ne soient pas exclus de la compétition sociale ou victimes impuissantes de décisions économiques qui les affectent dans leurs droits-libertés fondamentaux. Certains droits collectifs, qui ne sont plus des droits individuels identiques pour tous (droits des salariés, droit de grève, droit des chômeurs, droits des femmes etc..) ont été progressivement intégrés, sous l’effet des luttes sociales collectives (luttes de classes) pour plus de justice égalitaire, au fonctionnement du droit libéral individualiste afin de compenser partiellement les effets des inégalités réelles qu’il génère par le biais du droit fondamental à la propriété des biens de production et d’échange. Certains secteurs liées aux conditions fondamentales de reproduction de la crédibilité des sociétés égalitaires en droit ont été partiellement soustraits à la pure la logique du marché (éducation, santé, transports, retraites, justice, police etc..) pour devenir des services publics obéissant à une logique théorique de l’égalité de traitement quelque soit la solvabilité des individus (exemple récent : la couverture sociale universelle). Mais l’expérience montre tous les jours que cette régulation de la liberté économique, pour les détenteurs des capitaux, par les droits sociaux est précaires dans sa définition et son application ; les capitalistes, exigent, par  un chantage à la compétitivité économique et à l’investissement exercé sur les décideurs politiques, quelque soit leur couleur et tendance politiques, un démantèlement des droits et des acquis sociaux obtenus par des luttes antérieures.

Si donc l’égalité demeure une valeur fondamentale du droit libéral, c’est donc toujours sous le primat de la liberté individuelle et du droit de propriété qui sans cesse y fait obstacle et/ou la remet en cause. Le droit libéral, dans ses valeurs internes, est donc fondamentalement contradictoire :

3-7 D’une part, la liberté, prétendument universelle, devient celle de quelques-uns d’exploiter et de dominer le plus grand nombre ; c’est dire que l’égalité doit s’imposer contre la logique de libéralisme économique fondé sur la propriétés privée des moyens de production et d’échange.
Mais d’autre part, le libéralisme économique, fondé sur la recherche du profit dans un cadre concurrentiel et son expression marchande, est le système économique le plus efficace pour satisfaire les besoins et désirs individuels, à évolution rapide, et les choix des consommateurs, à quelques catégories sociales qu’ils appartiennent. En tout cas toutes les autres tentatives ont fait la démonstration de leur échec aussi bien en terme de liberté que d’égalité, et on ne voit pas d’autres système de production et de distribution qui puissent le remplacera aux bénéfice de l’égalité dans la liberté, qui mettraient ces deux valeurs automatiquement en harmonie, comme le prétendent toutes les utopie politiques. L’espoir d’une révolution socialiste, voire communiste, s’effondre partout, non seulement par l’effet de la puissance des pays capitalistes, mais par le désir individualiste de consommer de ceux que cet espoir étaient censé conduire dans leur désir de justice sociale.
Ainsi, nous retrouvons toujours la même contradiction indépassable, qui est liée à la condition humaine, entre liberté asociale et socialité (Kant). Et cette contradiction n’a peut être résolue en apparence, ou mieux n’a pu être historiquement contenue, que par la terreur politique et/ou religieuse, au dépens des droits de l’homme ; mais, dès lors que les hommes ont goûtés aux libertés individuelles et se sont arrachés au poids des traditions, quelques soient leur histoires culturelle; ils n’y renoncent plus durablement et s’il y a une logique de l’histoire, elle est que les hommes ne désirent jamais, sauf quelques cas pathologiques (voir les sectes) revenir au statut d’esclaves consentants, quelques soient leurs croyances religieuses originelles. Allons plus loin : les hommes désirent progressivement la liberté d’entreprendre et de penser comme la condition fondamentale du droit au bonheur et ce mouvement est irréversible.

3-8 Dira-on, comme certains idéalistes moraux, voire certains révolutionnaires historiques, que le « fraternité universelle » serait la valeur réconciliatrice de la liberté et de l’égalité et donc la valeur la plus fondamentale du droit libéral égalitaire ? En se sentant frère les hommes se respecteraient dans leur autonomie sans s’exploiter, car il ne le désireraient plus.
Mais posons-nous la question : À quelle condition une telle valeur serait-elle possible ? Rousseau avec raison, avait répondu à cette question : à la condition que les hommes soient réellement égaux entre eux et non pas seulement fictivement. Qui pourrait, en effet, se sentir frère de son exploiteur ? De deux chose l’une :
- Soit cette fraternité ne remettrait pas en question les privilèges des exploiteurs et des dominants ; mais alors elle renforcerait l’inégalité, au lieu de la réduire ; et c’est bien ce qui se passe dans l’exercice de la charité des riches pour les pauvres : elle entretient l’inégalité en la présentant comme (aussi) bonne aux pauvres.
- Soit elle remettrait en cause les inégalités aux dépens des intérêts de ceux qui se considèrent toujours comme légitimes propriétaires de leurs titres et comme méritants leurs avantages ; mis alors elle ne serait plus vécue comme universelle mais comme l’expression des intérêts des uns contre ceux des autres (la mauvaise jalousie des pauvres comme l’appellent les riches).

Dira-t-on qu’ils faut convaincre moralement les riches d’abandonner leurs privilèges au profit de pauvres  et les convertir, eux d’abord et en priorité, à la fraternité universelle à leurs dépens ? Mais pour cela il y faudrait un pouvoir de persuasion extrême que seule une religion hégémonique sans faille, se réclamant de Dieu et de la crainte du jugement de Dieu, peut mettre en oeuvre ; mais on a vu, dans le pire des cas,  quels usage les puissants ont fait de la religion à leur avantage (se soumettre est un ordre de Dieu) et dans le meilleur, que les riches ont abandonné une partie de leur fortune au profit de l’église pour gagner une place au paradis et ont pratiqué la charité sans abandonner leurs privilèges ; seuls une infinité d’entre eux ont tout abandonné ( au profit, d’ailleurs d’autres riches et/ ou de la puissance économique et politique des églises) sont rentrés dans les ordres et se sont fait moines pauvres au service des pauvres ; mais toujours sans changer l’essentiel, sinon entre eux. (et encore). de toute manière une telle conversion ne peut se faire qu’aux dépens des libertés et contre les désirs de la très grandes majorités des riches. C’est dire que cette fraternité universelle,
- soit suppose le problème des inégalités résolu
- soit prétend le résoudre contre les libertés de penser et d’entreprendre et/ou par une révolution plus ou moins violentes, physiquement et/ou « moralement » (idéologie totalitaire).

Dans ces conditions, la justice (la réduction des inégalités) ne peut provenir que des luttes sociales, lesquelles supposent que les opprimés ne se sentent pas frères de ceux qui anti-fraternellement les traitent en inférieurs et qui, du reste, ne se font aucun scrupule de les dominer. Les seuls moments de fraternité entre riches et pauvres apparaissent dans les moment de guerre où les riches envoient les pauvres se faire tuer contre un ennemi commun, au nom de la solidarité « nationale » pour ne pas dire nationaliste, voire ethnique (voire l’orchestration de haine des boches en France à partir de 1870, jusqu’en 1945). Seule l’idée de solidarité sociale des opprimés et de tous eux qui souffrent des inégalités à un sens favorable à la justice.

La référence à l’idéal de fraternité universelle est donc un faux semblant du droit libéral, un leurre destiné à faire passer la pilule des inégalités bien réelles et à désamorcer les luttes sociales ; un dernier vestige d’un christianisme « charitable » en voie d’extinction politique pour faire place nette au froid calcul libéral des intérêts et à l’individualisme triomphant. Elle n’a du reste rien de contraignant, contrairement au droit de propriété : elle n’impose, et du reste si peu, que « l’assistance à personnes en danger », mais n’impose pas l’interdiction des licenciements qui mettent les salariés à la rue.

Si les contradictions du droit libéral sont à la fois fondamentales et indépassables ; sauf à en revenir à un droit non-libéral, dont la plupart des hommes, avec raison, ne veulent pas, cela veut-il dire qu’il faille laisser l’injustice se développer sans rien faire ?

4) Droit libéral et philosophie politique

4-1 Philosophie et politique.
Le philosophie du droit et de la politique est, depuis l’origine,  traversée par le débat entre la tendance qui voudrait résoudre les contradictions de l’existence humane en général et celle de la sociabilité en particulier dans le mise en oeuvre d’un idéal cohérent et unique de vie personnelle et collective harmonieuse défini a priori comme seul rationnel (l’idée du Bien en soi chez Platon, idée de société communiste universelle réconciliée chez Marx) et celle qui cherche à mettre à jour les contradictions plus ou moins occultées par les représentations idéologiques et moralisantes pour en faire un usage raisonnable en vue de l’autonomie des individus et du développement des conditions du bien-vivre ensemble ; bref du convenable comme juste compromis, dans des conditions déterminées, entre qui est souhaitable entre des exigences opposées et la réalité (La prudence chez Aristote et plus généralement la pensée démocratique et pragmatique). Il est clair que le droit libéral refuse la non-contradiction et le l’absence de conflit comme norme et règle à laquelle il faudrait impérativement soumettre l’existence personnelle et collective des hommes. Le droit libéral a pour objectif de mettre en œuvre des règles et des procédures telles qu’elles permettent  aux contradictions et conflits de s’exprimer sans que cela ne compromettent la paix civile au service du droit au bonheur des individus et en vue de rendre possible des compromis entre des intérêts et désirs divergents, voire opposés, réalistes et  acceptables par le plus grand nombre. Le droit libéral se veut donc plus raisonnable que logiquement rationnel. C’est dans cette perspective théorique  que l’on peut définir les avantages du droit libéral et les conditions de son usage en vue de réduire les injustice .

4-2 le droit libéral comme condition de l’autonomie stratégique des individus.
Le droit libéral organise l’expression des tensions fondamentales des sociétés humaines contre lesquelles les sociétés traditionnelle tentaient de se prémunir ou qu’elles s’efforcer de réduire le plus possible pour pouvoir se reproduire à l’identique, sans jamais y parvenir parfaitement. La tension fondamentales dont toutes les autres découlent est celle qui découle de l’insociable sociabilité (Kant) qui met en permanence en jeu l’opposition entre la conscience de soi et son exigence d’autonomie dans le désir de chacun de s’affirmer, sinon contre les autres, au moins dans sa différence propre comme expression de son désir d’être et d’agir singulier et celle se s’identifier, y compris dans le jeu de son désir de reconnaissance, au groupe auquel il appartient et de se soumettre à ses valeurs, ses conventions et règles de vie collectives qui rendent possible une coopération et un ordre hiérarchique cohérents et stables dont chacun peut penser tirer un avantage direct ou indirect.
Or le droit libéral, justement met en tension ouverte les droits subjectifs définis comme prioritaires (droits « naturels » de l’homme) et les droits objectifs (variables et démocratiquement révisables) visant à discipliner les actions individuelles afin d’éviter la violence et permettre une coopération confiante et durable entre les « sujets » du droit. Dans cette tension les exigences individuelles et collectives se déclinent et peuvent s’affirmer « pacifiquement », sous les formes suivantes
1 celle entre la liberté et la solidarité, laquelle est de moins en moins  un impératif transcendant prescrit par la tradition et la religion, mais est de plus en plus l’expression volontaire d’un choix personnel (mis à part le devoir d’assistance à personne en danger) et est en permanence négociée et contractualisée dans ses conditions et ses objectifs. ( voir le statut légal des associations à but non lucratifs, humanitaires, culturelles, religieuses, sportives, syndicales etc..).
2 celles entre l’autonomie des individus et les mœurs, lesquels ne sont plus des normes de références allant de soi et deviennent contestable dès lors qu’ils s’opposent à l’affirmation du droit à la différence dans un contexte libéral (sexuelle, esthétiques etc.. ; voir la question des homosexuels et du PACS)
3 celle entre désir singulier et efficacité ; laquelle exige une mise en forme conventionnelle des désirs singuliers et afin de les ordonner dans le sens de la mutualisation expérimentée des intérêts contradictoires, ce qui supposent compétence et hiérarchie des positions de responsabilité et de pouvoir ; mais cette hiérarchie n’est légitime qu’à la condition de se présenter comme conforme aux intérêts mutuels en question et les « décideurs » doivent donc toujours persuader les consciences, voire séduire (capter) les désirs de ceux sur lesquels s’exerce l’autorité. Leur « pouvoir » repose donc sur un contrat toujours provisoire. Pas de maîtres et donc pas d’esclaves : des employeurs, des patrons (contestables), des employés ayant des droits, y compris celui de refuser par la grève de se soumettre sans conditions à l’autorité de moins en moins supérieure ; les subordonnés sont appelés des « collaborateurs  et les chefs, des responsables, voire des animateurs de projets collectifs)». S’il y a une grande part d’illusion dans cette remise à plat de la relation hiérarchique, cette évolution du langage traduit néanmoins l’exigence incontournable de soumettre la question du pouvoir à des normes démocratiques libérales, ce qui le rend toujours contestable.
4 celle entre les droits individuels (droits-libertés) et droits sociaux collectifs (droits-créances), entre les droits formels et les droits réels ; Les droits réels et/ou créances accordent, sous l’autorité de l’état démocratique aux individus qui n’en ont pas les moyens par le seul jeu des relations économiques entre individus, la possibilité d’exercer leur droits-libertés fondamentaux et tentent, pour que chacun puisse bénéficier des relations mutuelles, d’établir une certaine égalité dans le cadre d’un rapport des forces trop déséquilibré (ex : droit des salariés, droits des femmes , droits des handicapés, des homosexuels etc..).
5 celle entre souci de soi et l’image publique ; laquelle doit recevoir (sauf fonction publique, justement), l’accord du «sujet» pour être diffusée et le rôle professionnel et public qui doit rester partiellement « extérieur » à l’individu privé. Et plus généralement la vie privée et la vie publique et professionnelle. Cette tension et la subordination de la vie publique à la vie privée est justement la marque décisive du droit libéral anti-totalitaire. Cette distance et cette hiérarchie des valeurs est ainsi au cœur (chœurs) de l’idée libérale.
6 celle entre droits et devoirs, lesquels ne sont que la réciproques des droits qui restent prioritaires : les  devoirs de chacun ne sont que le respect des mêmes droits chez les autres et/ou des droits de supérieurs qu’il ont  sur lui dès lors qu’il les leur a librement conférer dans son intérêt (contrat interindividuel et/ou politique et social)
7 celle entre droits de l’homme et droits du citoyen; lesquels n’accordent la plus souvent les droits politiques, dans un espace juridique donné, qu’aux « nationaux » et transforment les étrangers résidants en citoyens passifs au mépris des règles de la démocratie.
8 celle entre les droits nationaux et droits internationaux lesquels, dans l’interdépendance des états de moins en moins souverains et parfois au nom des droits de l’homme tentent de s’imposer.
9 celle entre le droit contractuel et droit réglementaire, lequel doit définir les conditions générales (lois et décrets) des contrats entre les individus pour valoir dans un cadre compatible avec les fondements du droit (exemple la non-commercialisation des hommes et de leur corps, en tout ou en partie) et la mutualisation des intérêts légitimes réciproques.

Toutes ces tensions (et j’en oublie probablement), dans lesquelles se manifeste l’insociable-sociabilité humaine,  sont l’objet d’un débat démocratique permanent qui évolue selon les contexte culturels et sociaux (voire symboliques) et historiques spécifiques ; ce qui interdit de penser et de croire à la possibilité d’un modèle idéal de conciliation harmonieuse stable. C’est du reste l’immense avantage du droit libéral : il permet à chacun de décider lui-même de sa stratégie personnelle et de ses choix politiques, dans la mesure où la liberté suppose la contradiction et le conflit entre des possibles qui ne sont jamais totalement « compossibles » (Leibnitz) et il rend possible par là l’évolution adaptative des normes de comportement, voire des mœurs et conventions symboliques tacites, dans un sens de plus en plus libéral-libertaire.

Le libéralisme est en train de gagner la guerre idéologique contre toutes les formes antérieures autoritaires-disciplinaires de sociabilité ; car il est le plus flexible, le plus efficace des systèmes philosophiques ; il inscrit le pragmatisme démocratique au cœur de ses procédures de régulation en permettant que soit redéfini en permanence le meilleur compromis possible entre le souhaitable (le désirable par le plus grand nombre) et le réalisable. C’est pourquoi contester la position libérale revient à vouloir, non pas changer « la » société (ce qui est possible et souhaitable afin de le rendre moins inégalitaire), mais changer « de » société dans une révolution totalitaire qui ne pourrait  être, en son sens littéral , qu’une régression liberticide et, dans l’état de développement actuels des moyens de mort, autodestructrice. Le droit international sera libéral ou ne sera pas, et son absence laissera libre court à la violence apocalyptique sans aucune chance de salut pour quiconque. Mais c’est au bord du gouffre que naît le désir de devenir sage...
Sylvain Reboul, le 17/07/2001


Du faux libéralisme
Il est inexact d’affirmer que la pensée libérale qu’il ne faut pas confondre avec la prétendue idéologie libérale repose sur un égoïsme exclusif des droits et libertés des autres. Dès son origine les penseurs libéraux mettent en avant le principe de base du droit libéral: "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse" ou la liberté des autres s’arrête ou commence celle des autres"

Certains du reste que l’on appelle les utilitaristes (Bentham) mette l’intérêt et les droits collectif avant les droits individuels, ce qui n’a pas manqué de faire débat chez les libéraux. Car il est exact de dire que, pour la plupart, les penseurs libéraux refusent par principe toute morale du sacrifice individuel ou de la générosité contrainte au nom de valeurs transcendantes dont l’origine ne pourrait être que religieuse et donc rejettent une morale qui supposerait que tous les individus partagent, sous le contrôle d’une autorité divine identique, la même vision éthique concrète du bien et de mal. De plus les libéraux ne font nul confiance à la générosité prétendument spontanée ou à l’amour altruiste prétendument tout aussi spontané entre les hommes et qu’il tentent de fonder la relation aux autres sur l’intérêt bien compris qui implique la prise en compte de l’intérêt et des droits d’autrui. C’est ce qu’A. Smith, après Hume, appelle l’intérêt bien compris régulé pas la loi ou les bonnes moeurs fondé sur la sympathie (capacité à comprendre en soi-même les intentions et intérêts des autres) ("Théorie des sentiments moraux", A.Smith).

Cette position apparaît la plus réaliste en cela qu’elle ne fonde pas la sociabilité sur le lien communautaire de l’amour collectif et identificatoire sacrificiel. Lequel ne peut être que de nature religieuse (ne serait-ce que ceztte religion civile qu’est le "nationalisme exclusif") en cela qu’il soumet les individus au groupe qui se reconnaît les mêmes valeurs transcendantes et sacrées (incontestables).

Le libéralisme apparaît donc comme indissociable de la démocratie pluraliste. Qui refuse ce libéralisme philosophique au nom de ce détournement liberticide et donc anti-libéral qu’est l’idéologie du néo -libéralisme économique risque fort de rejeter la liberté individuelle elle-même au profit d’une religion politique collectiviste ou communautariste.

L’amour altruiste sacrificiel des autres est une valeur privée et non pas sociale, ce qui est une valeur sociale du point de vue de la pensée libérale, c’est le justice fondée sur la sympathie (capacité de comprendre l’égoïsme des autres).

Tout refus du libéralisme philosophique et politique est l’expression d’un morale communautaire tout aussi liberticide des droits individuels que le faux libéralisme économique.
Le 10/03/07



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