De l'irrésistible marche en avant du capitalisme.
Partout dans le monde, la
marche
du capitalisme met l'humanité en marche. Est-ce par la
contrainte,
est-ce par son
universalité même
? L'une et l'autre, car aucune contrainte ne pourrait être aussi
efficace, si elle ne correspondait
pas à une part
structurelle
de l'humaine condition. Qu'est-ce qui, dans le capitalisme marchan(t)d,
exprime et
détermine la
libération
de la puissance du désir humain universel? Chacun le voit :
l'argent
comme équivalent
général de tout
bien et service est le moyen universel du désir de consommer
comme
la forme la plus immédiate et
la moins complexe de
l'expression
du désir humain comme désir du désir de soi et de
l'autre. Le désir humain est,
dans toutes les cultures et
sous différentes formes, rivalité mimétique :
chacun
ne désire que ce qui est l'objet du
désir de l'autre en
une compétition indispensable à l'affirmation de soi
(prestige).
Les biens matériels que nous
désirons ne sont que
des biens symboliques exprimant des valeurs collectives
auto-valorisantes
; en cela ils sont, si
l'on veut, essentiellement
spirituels ; mais la supériorité du capitalisme est
d'attiser
sans cesse cette rivalité
mimétique en donnant
à chacun l'espoir de s'approprier réellement cette image
valorisante de soi que confère les
biens de consommation, qui
ne sont que des services, plus ou moins durables (pensons à la
mode)
rendu à la
personne pour servire son
désir d'être et de paraître . Ce n'est pas un hasard
si les biens les plus désirables dans un
contexte où sont
satisfaits
les besoins " vitaux " sont ceux qui nous permettent de nous
représenter
aux autres et à
nous-mêmes, à
nous mettre en scène : maison, vêtements, bijoux,
télé,
camescope, ordinateur, Internet, voyages,
produits de beauté,
produit culturels, selon les codes symboliques du (des) milieu(x) dans
le(s)quel(s) nous jouons
notre vivante comédie.
Cette libération du
désir met en jeu et en scène l'infini en acte (en
marchant-d)
de sa puissance, au contraire des
religions traditionnelles
qui détournaient celle-ci vers un point focal transcendant fixe
et toujours virtuel - Dieu
infiniment bon et juste et
la vie éternelle - pour mieux le soumettre et le contrôler
. Les hyper-marchés sont les
nouveaux temples de la
modernité
capitaliste et démocratique : pas de rituel de contrition, pas
d'inégalité
de statut,
pas de sacrifice. Chaque
client
est présenté comme un roi dont la puissance et la valeur
ne dépendent que de son
porte-monnaie. Rien d'un
devoir
moral catégorique dans cette affaire : seuls sont
nécessaires
le droit et l'éthique du
commerce fondés sur
un contrat négociable entre des intérêts mutuels.
La
capitalisme est amoral et individualiste,
en cela libéral : Il
ruine, comme le disait Marx, toute les allégeances
impératives
et les relations traditionnelles. Il
universalise le jeu du
désir
tout en évitant la violence ouverte qui bloquerait les
échanges
commerciaux ; il
substitue l'échange
(compétitif) réciproque sur fond d'équivalence
à
la guerre ouverte (Montesquieu) ; sauf
exceptionnellement lorsque
ces intérêts vitaux sont en jeu, face à la violence
de ceux qui se sentent exclus.
Mais, le capitalisme n'a rien
d'un régime idéal, un idéal est par
définition
inexistant (à moins de croire en Dieu et à la
cité céleste):
il génère sa violence propre et ses contradictions; car,
contrairement aux dires de certains de ses
épigones, il ne
fonctionne
pas à l'équilibre :
1) Il produit sans cesse
les
inégalités dont il a besoin pour faire du profit.
Inégalités
entre ceux qui possèdent
(l'argent, le savoir, le
pouvoir
d'expertise technique et économique) et les autres et par
conséquent
entre ceux qui
disposent des moyens de faire
usage de la consommation et les autres qui marchent derrière,
voire
leur courent
après en vain, jusqu'au
moment où il ne trouvent plus le jeu plaisant et n'hésite
plus à faire usage de la violence et
du commerce illégal
ou semi-légal (drogue, prostitution, armes) pour faire valoir
leur
droit au prestige. Or ces
contradictions font courir
un danger permanent de transformer le jeu marchan(t)d en
règlements
de comptes violents
entre mafias ; il est donc
nécessaire au capitalisme de soumettre les rapports
économiques
à des règles de droit
sociaux (en vue d'une certaine
redistribution et d'une plus grande égalité des rapports
de force) pour faire paraître
la partie jouable par tous,
d'autant qu'il doit constamment conquérir de nouveaux
marchés.
Il ne peut donc se
dispenser à plus ou
moins long terme d'une régulation politique et
démocratique
des échanges.
2) Il oppose constamment
les
désirs à court terme , qu'il privilégie, aux
désirs
à long terme qu'il sacrifie, les
intérêts
financiers
de quelques uns, aux intérêts économiques et
sociaux
du plus grand nombre, la satisfaction
illimitée des
désirs
au désir de jouir de conditions de vie écologiquement
supportables.
Mais cela condamne-t-il le
capitalisme pour autant ? Cela nous conduit-il a obliger les individus
à renoncer à leur
désir de consommer
au nom de la justice et du principe de responsabilité ? (c'est,
on le sait, une tentation chez
Hans Jonas)
Non, car d'une part, toutes
les expériences qui prétendaient administrer
l'économie
ont échoué ; elles sont
nécessairement
inefficaces
: aucune planification centralisée des échanges ne peut
répondre
à la puissance
multiforme du désir
humain et adapter à priori l'offre à la demande ; en cela
le marché est le meilleurs régulateur
possible des relations entre
les désirs et les intérêts individuels. Et d'autre
part elles aboutissent nécessairement au
totalitarisme dans leur
volonté
de soumettre le désir individuel à des normes morales et
idéologiques supérieures ;
sauf à ce qu'elle
soient
universellement acceptées par l'effet d'une idéologie
hégémonique
exclusive, contraire à la
liberté de
désirer
et de penser (religion cléricale et/ou laïque, avec ou sans
Dieu). Les contradictions du
capitalisme exige un
encadrement,
un encastrement, juridique et politique démocratique
international
de son
fonctionnement pour ne pas
déboucher sur la violence entre les nantis et les autres , sur
le
totalitarisme
révolutionnaire et/ou
réactionnaire et à la destruction de notre environnement.
Au cœur de la reproduction du
capitalisme, l'exigence
démocratique
de sa régulation politique s'impose. Or celle-ci passe par
l'expérience
des
menaces, des souffrances et
des dégâts (parfois catastrophiques), pour qu'elle
deviennent
désirable par la majorité
des individus, y compris par
ceux qui profitent directement des avantages du capitalisme : on peut
regretter
que
l'expérience
négative
seule permette la prise de conscience de cette exigence, mais en
l'absence
d'une idéologie
unanime qui définirait
le bien et le mal, la souffrance et la peur, seuls, invitent à
la
prudence dans l'expression de la
puissance infinie de nos
désirs.
Il est donc stérile et même dangereux pour les libertés et la paix, de croire que l’on peut résister au capitalisme en refusant cette évolution généralisée et libérales (libératrice) mondiale, des échanges et des valeurs qui les soutendent, au nom de formes dépassée, limitées et exigeant la soumission inconditionnelle des individus au groupe ( car toujours liées à des symboliques communautaristes exclusives particulières), car le capitalisme met en scène la réalisation imaginaire actuelle du désir humain dans ce qu’il a d’universel, non dans le ciel mais ici, sur terre, non après la mort mais maintenant. Mais il est faux de croire que le capitalisme « sauvage » (sans règles, sans impôts et droits sociaux) est viable. À l’heure où tous les hommes voient tous les hommes vivre et désirer et désirent ce que les autres ont et qu’ils n’ont pas (encore), notre seule chance de parvenir à la paix est non pas dans un retour en arrière qui supposerait l’impossible et peu souhaitable séparation des cultures, mais dans « l’inventer » d’une démocratie internationale visant à réguler les échanges économiques et symboliques pour ne pas exclure du jeu du désir universalisé -ce qui y mettrait fin- la majorité des humains. Un capitalisme social internationalisé est seul, à terme, un capitalisme qui marche.Qu'il y ait d'autres modalités d'expression plus riches (dont l'égoïsme est plus altruiste), mais dont le jeu est plus
Vis-à-vis du capitalisme, soyons réaliste, rêvons du possible ! Dans la mondialisation du capitalisme, cherchons la justice et la préservation des équilibres écologiques, en développant les conditions d’un marché que les contraintes politiques pourraient rendre tout à la fois rentable et plus équilibré. Toute autre position, qui prétendrait, au nom d’idéologies particulières (religieuses ou politiques) dépasser la capitalisme serait vouée à l’échec et à la violence totalitaire en prétendant mettre fin à ses contradictions ; le capitalisme est universel car, dans le jeu social, il met en scène l’universel du désir humain (et ses contradictions) sans faire intervenir de médiation transcendante particulière (Dieu ou la Morale). L’argent et les droit démocratiques sont des médiateurs immanents suffisants. Pour le reste (amour, amitié, création..), contentons nous de défendre nos droits à la vie privée et à la gratuité comme forme plus authentique et plus conviviale du désir du désir de l’autre.. Le combat politique ne doit pas se tromper de cible : la révolution réactionnaire anti-capitaliste n’est pas à l’ordre du jour.Vis-à-vis du capitalisme, soyons réaliste, rêvons du possible ! La révolution/réaction anti-capitaliste et anti-mondialisation, n'est plus à l'ordre du jour: il faut souhaiter que le sympathique José Bové réussisse son pari: vendre son excellent roquefort, chez Mac-Do et ailleurs, partout dans le monde.S.Reboul, le 30/01/2000
Argent et libéralisme, suivi de "Les services publics" et "l'éthique du capitalisme"
Droit de la propriété et démocratie: critique de Hobbes et de Rousseau
Les relations de pouvoirs et les jeux du désir
10 propositions philosophiques libérales
Besoin et désir
L'humaine condition
Libéralisme et philosophie
Bonheur et philosophie suivi de: Le bonheur et la présence d'autrui
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