Certaines interventions philosophiques qui se réclament de l’intérêt général pour s’opposer à toutes les lois qui viseraient à réduire les inégalités sont à mon sens typiques de la démarche idéaliste en philosophie ; laquelle présuppose que l’intérêt commun serait définissable rationnellement avant même que les conflits entre les points de vue particuliers légitimes sur sa définition ne puissent s’exprimer ; avant, donc, tout débat démocratique.
L’intérêt commun est un résultat toujours provisoire en démocratie d’un compromis entre des intérêts particuliers et entre des conceptions particulières de l’intérêt général et il ne peut en être autrement sans mettre en cause le pluralisme politique, condition de la démocratie, et l’action citoyenne des acteurs pour faire valoir la prise en compte, dans le droit et les faits, de leurs droits légitimes. Est légitime, à mon sens, c’est à dire conforme à l’intérêt universel, tout droit qui élargit l’autonomie de chacun sans nuire à celle des autres et/ou qui corrige des inégalités formelles de droit et/ou d’usage réel de ces droits.
C’est pourquoi les lois sur la parité
et
le Pacs, ne concernent pas que l’intérêt particulier
d’une
minorité.
· La parité vise à mettre
fin à une inégalité réelle quant à
l’exercice
des responsabilités publiques entre les hommes et les femmes,
laquelle
compromet et rend suspecte la définition même de
l’intérêt
général.
· Le pacs ne concerne pas seulement les
homosexuels mais tous les couples qui le désirent.
Ce qu’on appelle des minorités sont
souvent
des catégories de la population qui sont victimes
d’inégalités,
dont tous, c’est à dire le bien-vivre ensemble, sont et/ou
peuvent
être victimes
Avec un tel point de vue, les lois sociales
telles
que celles qui, constitutionnellement, légalisent l’exercice du
droit de grève, seraient contraires à
l’intérêt
général au prétexte qu’elles concernent les
salariés
et non les chefs d’entreprise.
Il n’y a pas d’autre moyen, dès lors
que
des intérêts et des points de vue divergents s’affrontent,
que de se mettre d’accord, en démocratie, par la
négociation
entre les acteurs/sujets et par des contrats sociaux
négociés,
en vue de la prise en compte des intérêts légitimes
de tous. Le rôle de l’état démocratique et
républicain
ne consiste pas à imposer la loi rationnelle transcendante,
comme
s’il en était le détenteur divin, mais, en en
définissant
le cadre et les procédures, à favoriser cette
négociation,
et en cas d’échec à poser des arbitrages légaux.
L’intérêt
général ne se décrète pas d’en haut : la
monarchie
philosophique de Platon est une fiction dangereuse pour la
démocratie,
et une illusion philosophique liberticide.
S.Reboul, intervention au forum de
l'émission
"La dispute" de France-culture
1) L'individu ne se construit pas comme sujet sans normes et lois; or celles-ci sont portées par des institutions pluralistes où s'affrontent des pouvoirs concurrents et autonomes.
2) L'intériorisation des lois est toujours conflictuelle, voire ambivalente, car le désir des individus ne se soumet jamais à la règle que selon le propre point de vue de sujet du désir et selon des stratégies singulières.
3) Les individus-sujets refusent de se soumettre aux institutions sans conditions et cette apparente soumission ne va jamais sans ambivalence et conflits rendant toujours possible, un détournement des rapports de pouvoirs qui les traversent.
4) L'individu libéral est socialisé, non dans le reflet intériorisé d'un pouvoir transcendant, mais dans le conflit entre désir(s) et institutions, au pluriel.
5) Il n'y a pas d'autre choix qu'entre
l'immanence
régulées des jeux du désirs des individus/sujets
par
laquelle ceux-ci peuvent intervenir en permanence dans la
définition
de cette régulation et l'illusion politico-religieuse d'une
transcendance sacrée d'un pouvoir
central
homogène.
6) Le libéralisme économique est un faux-semblant, dès lors qu'il réduit le jeu social à la loi soi-disant naturelle des marchés financiers et le soumet au seul pouvoir prétendument transcendant des détenteurs des capitaux.
7) Le libéralisme cohérent est pluraliste, donc politico-symbolique, car il rend possible l'exigence du sujet de trouver son compte dans les jeux de pouvoir et dans les régulations que les institutions mettent en oeuvre. C'est pourquoi la politique est nécessaire: négocier et définir les règles des jeux de pouvoirs et les faire respecter.
8) Une société réconciliée autour de valeurs transcendantes ne peut être qu'oppressive
9) Défendre l'autonomie de l'individu, c'est défendre non une subjectivité abstraite dans le cadre d'un pouvoir supérieur, supposé incarner l'intérêt général, mais le droit au bonheur de chacun dans le cadre d'une pluralité de pouvoirs institutionnels autonomes. C'est donc défendre le primat de la vie privée sur la vie publique et en celà B.Constant a raison d'opposer la liberté des modernes à celle des anciens. C'est cela le libéralisme politique. Toute autre voie mène au retour vers un communautarisme liberticide.
10) Le lutte contre le faux libéralisme qui se fait au nom de la solidarité est vouée à l'échec et/ou à la terreur dès lors qu'elle refuse le libéralisme authentique.