L'argent et le libéralisme.
 

L’argent est fin et moyen des échanges, il est l’objet de nos désirs personnels et le fruit de notre croyances collective dans sa valeur d’équivalent général de toute valeur marchande. Toute valeur tend, par la puissance de cette équivalence même et par la généralisation des échanges marchands comme unique forme quantifiable de la réciprocité, à devenir telle. Cette croyance institutionnalisée est soumise, en économie libérale à la loi de l’offre et de la demande ; la quantité et la valeur relative de la monnaie dépend donc de l’opinion collectivement produite par le jeu des échange et est certifiée par les institutions monétaires (banques centrales) plus ou moins dépendantes et/ou autonomes des institutions politiques.

Ainsi par la forme collective, anonyme et abstraite de sa valeur, la monnaie transcende les désirs individuels et, comme Dieu unifiant son peuple de fidèles, l’argent impose ses règles et ses enjeux à tous les partenaires des échanges afin que chacun puisse espérer voir ses désirs reconnus et ses efforts dans l’échange de biens et de services justement récompensés. Mais, de ce fait, cette croyance, au contraire de la croyance religieuse traditionnelle, brise la communauté fusionnelle car sa transcendance est indéfiniment manipulable par les désirs multiples voire contradictoires de chacun sans que cela n’entraîne, nécessairement, de violence autodestructrice : la communauté solidaire laisse la place à le société individualiste plus ou moins pacifiquement auto-régulée. Dieu n’est plus indispensable (sauf à titre de référent purement symbolique : voir le dollar), pour préserver ici-bas le jeu des échanges, la religion tend à devenir une assurance voire une thérapie symbolique parmi d’autres ; bref, une affaire privée ou familiale en vue de la préservation de son identité particulière individuelle et collective ; mais de plus en plus difficilement sociale et/ou politique : les individus savent qu’ils ont à vivre, à travailler et à échanger avec d’autres qui peuvent être opposés à leurs croyances autres que monétaires et que celles-ci ne reposent que sur des expériences subjectives et imaginaires sans contenu rationnel objectivement universalisable ; la preuve de la véracité de leur croyance est soit impossible soit immédiatement contestable par tel ou tel de leur proche.

L’argent comme valeur universelle dominante car seule objectivable produit donc
- La possibilité de s’entendre sur des intérêts rationnellement mutualisés sur fond de réciprocité mesurable,
-Le reflux du religieux dans le sphère privée
- Le développement de l’égoïsme rationnel généralisé aux dépens des solidarité automatiques des sociétés communautaires traditionnelles plus ou moins fermés.

Cette opposition entre Dieu et l’argent ne va pas sans résistances et recherche de compromis problématiques à travers les contradictions récurrentes entre existence privée et vie publique, entre communautés particulières et sociétés globales en voie de mondialisation des échanges économiques culturels et humains. Comprendre ces contradictions et les stratégies des acteurs sociaux pour les traiter (bien ou mal) est aujourd’hui une tache prioritaire pour qui veut participer positivement aux évolutions brutales en cours et échapper `la tentation illusoire et mortelle d’un statut quo miné par le risque de la violence identitaire et a fortiori du retour fantasmatique et illusoire à la communauté liberticide perdue.

                                                        __________________________________

1) Argent et religion

Dans la société laïque, lorsque se développent les rapports d’argent, tout peut devenir marchandise :  les biens extérieurs, les services, la force de travail donc le corps et l’esprit indissociables : on peut comme on dit en Afrique " faire boutique avec son cul ". Il est alors difficile, selon St Mathieu de servir à la foi Dieu (don de soi) et l’argent (vente de soi ou de ses biens pour acheter ou louer les biens et les services, et la personne des autres) ; cette contradiction égoïsme/solidarité est poussée à son comble par les religions communautaristes : La solidarité inconditionnelle exigée y considérée comme incompatible avec l’appât individuel du gain. Inversement, l’argent et la loi du profit pour soi ne s’affirment que par la destruction des relations symbolico-religieuses traditionnelles et ont tôt fait de substituer à la religion la vague religiosité sentimentale dans laquelle chacun peut y mettre ses propres rêveries et son désir, personnel dans ses bricolages fantasmatiques, de consolation face à la mort et à la souffrance. Le syncrétisme in/différencié met alors en cause l’unité et l’autorité de la religion en tant que ciment social et fondement de l’autorité morale et politique, A chacun ses intérêts économiques et spirituels ! Le Dieu pour tous n’est plus qu’une abstraction qui n’engage pas vis-à-vis des autres et n’exige rien de soi sinon ce que l’on se commande à soi-même pour soi-même (ne serait-ce que pour se donner bonne conscience !). " L’ athéisme " comme refus de soumettre la société et de se soumettre soi-même à la prétendue Vérité divine est permis, voire, à travers le principe de la laïcité, revendiqué comme un fondement de la vie politique et de l’éducation civique des individus/citoyens. Ainsi la stratégie efficace de l’argent est, dans le meilleurs des cas, celle du donnant/donnant qui se réclame de l’autonomie individuelle alors que la logique plus ou moins (ir)rationnelle de la religion s’affirme (apparemment) dans la valeur du don gratuit, l’allégeance personnelle au groupe et au supérieur religieux et/ou politique et l’identification fusionnelle à la communauté et à ses chefs. L’opposition entre les logiques et les stratégies devient proprement déroutante et, dès lors que la tentation de l’absolu reste vivace (par l’effet de la confusion psychologique illusoire sans cesse renaissante entre nos désir et la réalité), cette opposition engendre angoisse personnelle et conflit idéologiques collectifs. Mais l’affirmation du primat de l’individu qu’a rendu possible la victoire de l’argent comme régulateur de la vie sociale (sinon politique) a aussi permis le développement de la liberté individuelles et de la démocratie modernes contre les sociétés religieuses traditionnelles, comme tous les théoriciens moralistes du libéralisme nous le rappellent avec raison.

Or si cette ambivalence et cette opposition sont mal vécues (croyances naïves dues à une éducation traditionnelle peu philosophique, peur de l’autonomie et de la relative solitude qui en est le prix...) la tentation est grande d’y échapper par d’illusoires (irrationnels) compromis symboliques et pratiques.

La première stratégie est de constituer une secte qui refuse la modernité jugée pervertie et pervertissante, en interne sinon en externe, pour reconstituer la communauté sans rapport d’argent ; elle exige de ses membres un dévouement ritualisé indéfectible, elle se protège contre les influences extérieures par des pratiques ségrégatives violentes contre les traîtres et ceux qui prétendraient changer les rapports en les individualisant ; sous couvert de liberté religieuse, elle impose une idéologie totalitaire et un contrôle incessant sur les comportements en utilisant la menace de l’exclusion desidentifiante ; elle provoque l’angoisse de la déréliction afin de s’assurer l’obéissance consentie des sectateurs qu’elle prétend protéger contre les autres et surtout contre leur propre angoisse de vivre et de mourir. (amisch)
Cette tentative n’a de chance de survivre que lorsque est maintenue une distance, un isolement politique et géographique dans un contexte relativement favorable à ces pratiques sectaires tel que celui créé par la conception multicommunautariste Nord-américaine . Mais si le contexte extérieur reste dominé par les rapports d’argent et l’individualisme qu’ils engendrent nécessairement , la violence extrême, au moins symbolique, est la seule manière de faire fonctionner la secte sous le pouvoir quasi absolu d’un chef ou d’un groupe de prêtres charismatiques investis d’une puissance surhumaine.
Mais l’expérience de cette violence est et devient incompatible avec les fondements du droit de la société moderne et ses modes d’existence  ; ces sectes, sans cesse menacées, sont alors tentées, soit par le terrorisme pour éradiquer le mal de ce monde absolument corrompu , soit par la mort collective présentée comme la coupure salvatrice radicale avec celui-ci, ou les deux.

Une deuxième tentative de pratique sectaire est d’invertir l’argent d’un pouvoir religieux unifiant la communauté pour un projet de conquête des positions de pouvoir dans la société civileen vue de la réussite sociale de ses membres par le développement de leur puissance individuelles d’être et d’agir, collectivement organisée sur un mode idéologique totalitaire (scientologie). L’argent pompé par et sur les membres inférieurs est l’expression même de la supériorité du groupe et de ses membres ; la religion n’est, en interne, qu’un adjuvant symbolique bricolé d’une manière infantile pour abuser les naïfs , en externe une couverture de la volonté dominatrice élitaire de ses chefs. Les membres doivent couper tous les autre liens privées hors ceux autorisés et contrôlés par la secte en vue de son intérêt de puissance et de la conversion de futurs adeptes qui s’opère par la manipulation psychothérapeutique présentée comme la condition indispensable à leur réussite individuelle dans un monde où les mieux psychologiquement armés doivent l’emporté sur les autres. Elles exploitent pour cela les difficultés psychoaffectives que l’individualisme compétitif provoque en se présentant comme seule capable de produire le lien communautaire qui manque à la réussite personnelle de ses futurs adeptes. Ce genre de sectes tentent de pénétrer prioritairement les couches sociales disposant du pouvoir économique politique et symbolique, mais n’hésitent pas à convertir la piétaille des défavorisés pour l’utiliser comme main d’oeuvre gratuite.
Mais cette tentative plus subtile car mieux adaptée au monde de l’argent que la précédente est elle-même victime de la puissance individualisante que celui-ci recèle : les chefs ne tardent pas à s’opposer entre eux pour bénéficier de la puissance économique et politique du groupe ; la secte implose en une variété de fractions, de sous sectes entredestructrices. (processus accéléré par la mort naturelle ou non du gourou fondateur).

Une troisième tentative de compromis entre l’argent et la religion moins extrême, plus courante et partant plus efficace est d’autonomiser, quant à leurs règles de fonctionnement la vie familiale et la vie économique estérieure. Celle-ci sera dominée par la recherche du profit privé sans souci de solidarité publique alors que celle-là affirmera les valeurs traditionnelles comme indispensable à la pérennité des liens familiaux. La solidarité familiale définit comme une valeur fondamentale exige le maintien prioritaire, le développement et la transmission du patrimoine économique et culturel. Cela impose le strict respect des engagements matrimoniaux et donc la fidélité sexuelle absolue soumise à une éthique autoritaire transcendante . Une telle fidélité n’est, en effet, possible que si sont maintenus, à l’intérieur de la vie familiale, les contraintes et les interdits religieux autoritaires qui n’ont plus cour dans la société extérieure (contrôle du libre choix du conjoint, criminalisation de l’adultère, de la contraception de l’avortement, homophobie, etc..).
Le problème de cette stratégie est le suivant : comment utiliser l’égoïsme engendré par la loi du profit au service de la famille fusionnelle traditionnelle laquelle apparaît comme une condition de la réussite sociale et économique ? La réponse est liée nécessairement à la question de la sexualité car le plus grand danger à l’intérieur de la famille autoritaire traditionnelle n’est pas le liberté économique ( les échanges marchands y sont l’exception) ,mais l’autonomie sexuelle qui autoriserait chacun à revendiquer son droit à s’accoupler et à engendrer comme il l’entend sans soucis de la préservation du lien familial prioritaire. Le libéralisme économique ambiant ajouté au laxisme sexuel interne auraient alors tôt fait de détruire la famille traditionnelle. C’est pourquoi le puritanisme dans certains milieux est si porté et si porteur car la contradiction entre l’argent et la religion est déplacée au profit de celle entre la religion et le sexe ; celui-ci devient d’autant plus dangereux qu’il permet à l’égoïsme extérieur de pénétrer à l’intérieur de la famille : il est l’ennemi intime de toute solidarité familiale religieuse fusionnelle traditionnelle dans une société dominée par l’argent et qui a, de ce fait, perdu le sens de la communauté primitive. Cela est vrai dans les milieux populaires menacés par les contradictions économiques et dans certains milieux nantis qui entendent préserver, voire autojustifier leurs privilèges,

Or la loi de la société marchande développée est de manipuler le désir sexuel des individus pour accroître la demande à l’infini et pour cela elle doit, par la publicité, pénétrer au plus intime des désirs sexuels en les individualisant c’est-à-dire en les soumettant directement au désir narcissique individuel exacerbé par des représentations érotiques individuelles efficaces de soi. La pub s’attaque en permanence et dévalorise la famille traditionnelle (voire les institutions chargées de l’éducation) jusqu’à prendre les enfant et les jeunes comme sa cible privilégiée afin qu’ils exercent sur leurs parents et les adultes un chantage affectif permanent à la modernité consommatrice de plaisirs narcissiques marchants indéfiniment consommables. Dans ces conditions le modèle familial traditionnel ne peut résister à la télévision commerciale, la musique sensuelle, voire pulsionnelle, les copains, la mode et l’idéologie hédoniste dominante de la consommation. Les parents qui voudraient maintenir les valeurs religieuses traditionnelles sont vite " largués " à mois de transformer la famille en secte et le père en gourou: : Noël est le fête des cadeaux exigés dans le réciprocité de la reconnaissance et du plaisir partagé ; le sens et les signes religieux ne sont qu’un décor dont l’archaïsme kitsch favorise le commerce en offrant une légitimité de façade à la consommation des biens. La religion n’est plus qu’une affaire privée à la disposition plus ou moins conformiste des individus consommateurs de plaisirs et de reconnaissance narcissiques. La famille alors change de fonction principale : de lieu de la trans-mission de valeurs pérennes instituant une autorité transcendante indiscutable et modelant les comportements et les choix individuels elle devient le regroupement plus ou moins contraints de partenaires liés par contrat tacite et révisable dont l’objectif est d’optimiser les échanges affectifs et sensuels de moins en moins structurés et intellectualisés en vue d’une meilleure intégration sociale. Tout se négocie : les conventions, les finalités, les rituels, les moyens. L’amour des siens ne s’impose pas ; il est vécu comme le prolongement de l’amour de soi. La famille est souvent perçue comme le dernier refuge plus ou moins provisoire face aux difficultés et aux contrariétés de l’existence personnelle.

C’est ainsi que la religion traditionnelle a, dans nos sociétés, laissée la place à de vagues et syncrétiques croyances, laissées à la libre disposition des individus, dont la finalité est d’offrir un exutoire au besoin de rêver sa vie ; la réalité de celle-ci se joue ailleurs : dans la poursuite de l’intérêt et du bonheur personnels plus ou moins régulée par le droit fondé sur la seule exigence de réciprocité à l’exclusion de tout salut transcendant et par des conventions en évolution permanente.
L’argent, et l’économie de marché, responsables du développement de l’idée d’intérêt et de bonheur personnels individualisés, ont disqualifié la question du sens transcendant et par là unifié et unifiant de la vie ; et avec elle, le besoin religieux traditionnel. A vouloir le restaurer on serait nécessairement conduit à poursuivre un projet sectaire, totalitaire, liberticide et violent. L’éthique du bonheur doit alors remplacer la morale du devoir. Il convient d’essayer d’en formuler les orientations principales à partir d’une critique de(s) morale(s) autoritaires et sacrificielles.

                                                             _______________________________

2)  Argent et éthique.

L’argent et les rapports qu’il rend possible, voire nécessaire, sont sensés tout corrompre dès lors qu’ils substituent l’intérêt égoïste au don de soi, le calcul au dévouement, la quantité à la qualité, la relativité plurielle et mouvante des désirs individuels à la permanence immuable des convictions collectives. Mais il suffit de considérer la plupart des rapports non-marchands traditionnels pour voir que ceux-ci, bien que plus chaleureux, sont aussi plus contraignants par l’exigence de répondre aux devoirs vis-à-vis des autres qu’ils impliquent. Ainsi, au nom de la liberté individuelle qu’ils recèlent, les rapports commandés par le profit détruiraient toutes les autres valeurs solidaires. Cette critique est juste du point de vue traditionnel et de la morale du devoir et de l’allégeance mais elle perd en partie de sa pertinence dans une société qui fait de l’autonomie de la personne son principe fondamental : on ne peut pas vouloir à la fois la liberté individuelle et la soumission à des devoirs transcendants à valeur collective et indiscutable. Remarquons d’ailleurs qu’une morale du devoir contraignante, soit s’applique à  un groupe particulier fusionnel contre d’autres (esprit tribal), soit se veut universelle (humanisme idéaliste rationalisé) mais sont alors inapplicables car la solidarité ne peut être sans priorité ni sélection : nul n’a le pouvoir divin de sauver tous les hommes ! La liberté des modernes est relativement universalisable sans contradiction parce qu’elle fait droit à l’aspiration individuelle au bonheur par et pour soi et donc à l’intérêt et au plaisir narcissique. par delà les frontières et les clivages; ce qui ne va pas sans conflits mais ce qui exige des régulations conventionnelles ou légales pragmatiques, évolutives selon des procédures démocratique mettant en jeu les opinions du moment (cf. l’avortement, le PACS et le clonage humain). Nul n’a plus le droit au nom de ses convictions absolues religieuse ou morales d’exiger que les autres s’y soumettent, sauf à les convaincre pour un temps toujours limité que cela va, pour la majorité d’entre eux, dans leur intérêt ou leur personnelle recherche du bonheur. C’est cette loi de la démocratie : chacun pour soi et la majorité pour tous que toute les idéologies transcendantalistes qu’elles soient religieuses ou rationalistes républicaines ont du mal à accepter ; or elle est la seule source aujourd’hui partageable de légitimité de l’autorité politique sauf à revenir à l’Etat-église ou l’Etat-parti et à la société ethnique monolithique et fusionnelle ou à la société bureaucratique totalitaire. Le libéralisme politique et économique dans nos société est irréversible, sauf par un retour mythique en arrière dont les conséquence pour les droits individuels seraient catastrophiques. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille réduire et réguler ses excès au profit de la mise en oeuvre réelle et non seulement formelle du droit universel à la recherche du bonheur qui est au fondement du libéralisme, nous y reviendrons. Il y a bien ici un droit universel mais il est immanent à l’expression des désirs humains dans l’espace public qu’il soit économique (marché et état distributeur) ou politique (démocratie représentative) et donc toujours problématique puisque son contenu de règles et de finalité prioritaires n’est pas fixé par une quelconque autorité supérieure mais fait toujours l’objet d’un dissensus organisé et favorisé en tant que condition même de la démocratie.
Les convictions morales sont rationnellement indécidables pour la simple est bonne raison qu’on peut toujours préférer telle valeur prioritaires à telle autres par exemple la solidarité précontrainte à l’affirmation de son moi qu’implique l’idée de l’autonomie individuelle ou la sécurité du conformisme au besoin critique et au changement créateur de nouvelles valeurs. Les valeurs concrètes ne sont pas des connaissances mais des stratégies en vue du bonheur et de la conception ou vision que l’ont en a. A ce sujet, en l’absence de religion ou de philosophie obligatoire, toute tentative aujourd’hui de mettre d’accord les hommes et les femmes entre eux est une illusion dangereuse et vouée à l’échec. La seule chose qui puisse faire l’accord, en droit sinon en fait, c’est de reconnaître cette diversité et de l’organiser par la démocratie et le négociation.

Revenons après ce détour théorique dont elle découle à la question du rapport de l’argent et de l’éthique pour en tirer les conséquences, les limites ainsi que les régulations nécessaires dans une société libérale qui n’est pas à l’abri de dérives autodestructrices
Les rapports d’argent exigent, pour que le jeu des échanges soit crédible et donc possible car jouable en vue de l’intérêt de chacun, que personne ne se sente escroqué ou violenté par son ou ses partenaires ce qui implique plusieurs règles du jeu qui sont :
1)  Le renoncement au recours à la violence pour traiter des désaccord et des conflits d’intérêt au profit de la négociation et du marchandage.
2)  le respect du droit à la propriété de chacun comme condition fondamentale de la liberté individuelle
3)  La libre concurrence
4)  Le respect des promesses et des contrats
5)  La réciprocité des échanges de biens et de services par la juste rémunération monétaire de leur valeur d’échange.
6)  Le crédit de confiance accordé a priori au partenaire du jeu marchant car très peu de transactions peuvent se traiter par un échange simultané ; l’un doit souvent anticipé le comportement correct de l’autre ; en particulier cela est par définition indispensable dans les prêts d’argent qui seuls permettent une circulation rapide et profitable du capital ; mais cette confiance à pour contrepartie l’exercice du droit pénal par l’état arbitre et juge et la contrainte par corps a posteriori que celui-ci peut faire appliquer sur sa personne en cas de manquement par le partenaire aux termes du contrat. Seuls certains commerces perçus, à tort ou raison, comme mal ou non protégés ou " protégeable " par l’état, font l’objet d’un comportement de défiance a priori : La location d’un logement par exemple, le transport public, les spectacles et les loisirs ou la prostitution où le client paie souvent d’avance. Mais pourquoi le spectacle et pas le restaurant ? L’analyse pourrait être intéressante en suivant mon hypothèse...
7)   Enfin la règle de l’universalité du service rendu dès lors qu’il est interdit, pour que le commerce soit profitable  et que la libre concurrence soit respectée, de faire des discrimination entre les clients et de refuser la vente à quiconque est solvable et tout client doit, sauf indices manifestes, donc, dans la plupart des cas, être supposé tel.

L’argent et son usage marchant capitalistique impliquent donc nécessairement la définition de règles de confiance réciproque entre les partenaires et acteurs du jeu économique ; ces règles ne relève pas d’une morale du devoir qui mettrait en oeuvre des valeurs transcendant l’intérêt égoïste mais des normes de l’intérêt mutuel qu’il ne faut pas confondre avec un quelconque intérêt commun : celui-ci ne pouvant être que l’objet des décisions privées des individus. La liberté individuelle elle-même, indissociable du droit de la propriété, n’est que la condition de l’autonomisation et de l’universalisation rationnelle des relations économique entre acteurs qui ne se connaissent pas nécessairement avant l’échange, ne se reconnaissent pas forcément une identité collective ou des intérêts communs, voire ne s’aiment pas ; cette éthique de l’intérêt mutuel est en droit universelle, rationnelle et pragmatique ; elle tente de mettre sinon hors jeu, du moins de dominer, les affections pathologiques communautaristes et subjectives et en cela réalise paradoxalement la position kantienne du droit. Mais ce n’est plus ici la Raison universelle qui fonde le droit, c’est l’intérêt mutuel bien compris qui exige des règles de raison universelle.
Les relations monétaires sont donc éthiques en elles-mêmes car elles impliquent la mesure c'est-à-dire la raison comme régulateur des échanges de biens et de services; en cela:
- elles libèrent les acteurs de tout assujétissement statutaire illimité;
- elles pacifient le jeu des intérêts en substituant l'équivalence objectivement mesurable des valeurs échangées à l'arbitraire du désir subjectif et aux rapports de force; payer est le contraire de voler ou de contraindre (payer = pacifier);
- elles obligent chaque partenaire à respecter l'autre , dans son désir comme dans sa personne, en tant que partenaire volontaire de l'échange, sauf à rendre celui-ci impossible;
- elles égalisent les conditions en relativisant les positions car chacun peut être tour à tour vendeur et acheteur et est également libre de vendre et d'acheter, s'il en a les moyens, lesquels ne peuvent, par principe, pas lui être refusés;
- elles universalisent les échanges en refusant de distinguer entre les individus parrticipant aux échanges dès lors qu'ils sont solvables (interdiction du refus de vente).
Le bilan de la "domination libérale" des relations marchandes et de l'argent dans les échanges sociaux (à distinguer des échanges privés) est donc globalement positif quant aux progrès éthiques (autonomie individuelle et justice égalitaire) qu'elle a rendu tout à la fois possibles et nécessaires.

Mais d'où vient alors la condamnation morale de l'argent?
De la remise en cause perçue comme perverse que les relations marchandes risquent de provoquer dans les domaines des relations non marchandes.
Si, en effet, la rationalité prescriptive et éthique des relations marchandes et monétaires est ajustée aux échanges entre partenaires individualisée et abstraits qui ne sont a priori rien les uns pour les autres et ne sont pas destinés à rester solidaires, elle n’épuise pas l’ensemble des désirs humains et des relations entre les hommes qu’ils génèrent : tout rapport humain d’échange n’est pas marchand et tout désir n’est pas désir de posséder un bien ou de jouir d’un service dont la valeur serait mesurée et quantifiable. Mon hypothèse est que le désir humain fondamental est celui de se reconnaître soi-même comme valeur dans les relations que chacun entretient avec les autres en tant qu’être conscient et jugeant; or la conscience et l’amour de soi ne peuvent s’affirmer seulement dans la compétition des intérêts et la juste rétribution du service rendu, mais aussi dans le sacrifice moral, l’amour de dieu et des hommes, la recherche du pouvoir, l’amour érotique etc.. ; ces différentes stratégies n’obéissent pas aux mêmes normes et conventions régulatrices que celles des relations marchandes et, lorque que l'on confond les différent jeux du désir, elles peuvent même leurs être plus ou moins contradictoires . Un même individu peut parfaitement jouer au commerce d’argent entre 9et 12 heures, au commerce amical et convivial entre 12 et 14, à la lutte pour le pouvoir l’après-midi et au commerce érotique le soir tout en restant cohérent avec les différents contextes de jeu et peut, en satisfaisant la souplesse multiforme de son désir, se reconnaître dans sa valeur, c’est à dire sa puissance d’agir sans se contredire. Mais s'il applique à un contexte de jeu les règles d'un autre contexte, ou s'il prétend que les mêmes règles morales doivent valoir pour toutes les relations humaines (impératifs absolus ou catégoriques), alors il se trouve dans l'impossibilité de jouer efficacement des jeux différents et se condamne à de l'echec (héroïque?) ou au cynisme qui prétend réduire toutes les relations humaines aux relations marchandes en s'interdisant d'autres relations (ou jeux) possibles ou en les détournant de leur sens.

La grande différence, en effet, entre les jeux marchands monétaires et les jeux de pouvoir et d’amour c’est que les second mettent les individus en position de se désirer les uns les autres directement. Précisons les choses : lorsque les acteurs se rencontrent sur le marché, chacun ne s’intéresse qu’à l’objet et au service rendu dont il cherche à s’approprier la valeur d’usage et symbolique au moindre coût sans considérer le désir de l’autre autrement que comme le moyen contraignant de parvenir à sa fin ; dans les jeux de pouvoir, d’amitié et d’amour le désir de l’autre est à la fois le moyen et la fin ; si un échange d’objet et de service s’opère cet échange vise à satisfaire le désir que chacun à d’obtenir le désir de l’autre ; le désir de l’autre est donc l’objet du désir en tant que l’autre est le sujet plus ou moins conscient de son propre désir. Dans le pouvoir et l’amour, le désir du sujet se fait désir du désir de l’autre dont il cherche à être l’objet en tant que moyen et fin du désir de soi (amour de soi), fondement du désir d’être heureux dans et par la relation-reconnaissance réciproque qu’ils produisent. Le pouvoir réside bien en effet dans la rencontre entre le désir de dominer de l’un et le désir d’être dominé de l’autre ; une domination qui s’imposerait par le terreur ou la corruption monétaire seules serait illégitime et forcément contestable donc instable; dès lors qu’elle nierait le désir du dominé elle provoquerait une résistance qui dévaloriserait à terme la reconnaissance que recherche celui qui prétend dominer. Par son désir de pouvoir, en effet, le dominant cherche à obtenir la soumission consentie de l’autre en tant que celle-ci exprime la supériorité universellement reconnaissable du dominant, laquelle passe par l’acceptation désirée par le dominé de son indiscutable infériorité. Le motif pour lequel le dominé se reconnaît comme tel est qu’il voit dans sa domination non seulement le résultat instable d’un rapport de force contraignant mais la réalisation de son désir d’être protégé de la déréliction et valorisé par identification avec les buts du dominant et le jugement positif d’un supérieur à son égard. Cette supériorité est mise en scène dans l’imaginaire des individus par les rituels sociaux collectifs associant les corps et les paroles; cette mise en scène la représente en tant que supériorité objective voire quasi naturelle car prouvée par la pratique sociale et politique auto-réalisatrice : si tout le monde y croit, par l’effet d’une mise en scène collective frappante mettant en jeu des symboles quasi religieux de valeurs présentées comme transcendantes, cela marche objectivement (collectivement) et si cela marche objectivement tout le monde croit que c’est vrai et indépassable ; chacun est alors distribué et établit sa propre stratégie dans le cadre des rapports symboliques de pouvoir et de la reconnaissance de soi; et cela, en fonction de sa position originaire sociale objectivée symboliquement médiée par le conscience et l’expérience subjective (fruit de son histoire personnelle depuis l’enfance) qu’il en a; ce double jeu du social et de l'expérience consciente personnelle va produire le degrés de soumission ou de révolte vis-à-vis des valeurs sociales et des régulations symboliques et conventionnelles dominantes visant à assurer la domination des dominants sur les dominés dans la conscience d’eux-mêmes qu’ils en ont, les uns et les autres (jeux de rôles).
Or le rôle de l’argent quant à la question des relations du pouvoir est ambivalent : D’une part il est un instrument extrêmement puissant pour obtenir l’obéissance de qui en désire grâce au service ou au bien qu’il peut fournir en contrepartie ; et d’autre part l’argent n’agit qu’à très court terme puisque si l’on peut acheter la force de travail ou le bien d’un individu dans un temps limité et mesuré, on ne peut acheter sa fidélité durable : libre en effet à celui qui vend sa force de travail de trouver mieux offrant ailleurs et de faire jouer la concurrence à son profit. L’argent ne crée aucun attachement durable, elle ne met en jeu qu’un pouvoir anonyme par nature éphémère et laisse chaque partenaire libre de faire défection à sa convenance. C’est en cela, nous l’avons vu, que la relation d’argent est par nature libérale et c’est pour cela que, tous les salariés le savent, la lutte pour le pouvoir d’achat se confond avec la revendication de la dignité et de l’autonomie.
 Ainsi, l’argent est bien corrupteur, mais il corrompt les relations de pouvoir stables, figées et statutaires au profit de relations instables qui laisse à chacun son autonomie stratégique formelle exprimée par le contrat commercial ou de travail toujours révisable ou contestable. Dans ces conditions celui qui domine par l’argent ne peut reconnaître son pouvoir ou sa puissance personnelle à travers le domination qu’il exerce : il sait qu’on lui obéit non pour ses éminentes qualité mais pour l’argent dont, ici et maintenant, il dispose et dont le hasard pourrait le déposséder. La relation d’argent dépossède le dominant de sa domination : c’est l’argent impersonnel et l’autonomie relative et réciproque qu’il rend possible qui domine à la fois le dominant et le dominé en un jeu dans lequel ni l’un ni l’autre ne peuvent s’approprier un statut et un rôle durables et indiscutables. Le pauvre peut toujours prétendre s’enrichir : c’est pour lui un droit et le riche sait que sa richesse ne suffit pas à le garantir contre la concurrence de tous les autres ; la compétition est toujours ouverte, c’est pourquoi le riche tentera toujours de persuader le pauvre qu’il le domine pour d’autres raisons : compétence, qualités morales etc.. et que son argent il le doit à son mérite intrinsèque et non à la chance ou à la ruse. Mais il est clair que cette justification ne vaut que pour ceux qui sont dominés pour et par autre chose que l’argent : religion, séduction, , besoin de sécurité, identification imaginaire et admirative...Le pouvoir est d'essence aristocratique; il a besoin pour s'affirmerr durablement de faire croire au "mérite naturel" propre de ceux qui en disposent; pour cela, ceux-ci se doivent de cultiver ce par quoi il se prétendent au-dessus des autres, à savoir l'honneur.
Qu'est-ce que l'honneur? C'est le fait de faire croire que l'on incarne dans son être et ses actes des valeurs supérieures absolues pour lesquelles on est prêt à sacrifier ses intérêts et sa vie; l'homme de pouvoir ne craint  ni la ruine ni la mort et c'est par quoi il est supérieur et peut prétendre exercer sur les autres une autorité lègitime au nom de valeurs transcendantes que tous reconnaissent. Vivre pour s'enrichir, exercer un pouvoir sur les autres pour gagner de l'argent en s'enrichissant sur leur dos est contradictoire avec l'honneur qu'exige tout pouvoir légitime et durable.Qui veut exercer un réel pouvoir et canaliser à son profit le désir de soumission doit utiliser d’autres armes que l’argent : la terreur humaine et/ou religieuse ou la séduction honorifique (charisme).
Au contraire, l’argent met en jeu des relations de pouvoir instables, contestables mais du même coup ouvertes et donc plus démocratiques. C’est pourquoi démocratie et économie marchande sont liées et que leur opposition conjoncturelle est, à terme, nécessairement une menace pour l’une comme pour l’autre.

 Quant au jeu de l’amitié et de l’amour ; le conflit et l’ambivalence avec le rôle, la valeur de l’argent et les règles de son usage sont pires encore.
L’amour et l’amitié exprime le désir d’être aimé par l’autre pour soi-même pour mieux s’aimer soi-même ; cette exigence est pour le moins problématique. L’amant désire le désir de l’autre comme preuve de sa valeur mais il n’est jamais assuré que l’autre l’aime vraiment, c’est à dire durablement ; il est donc tenté, pour obtenir le signe de ce désir de l’autre qu’est le plaisir qu’il suscite chez l’autre, d’utiliser l’argent, s’il en a, comme moyen de séduction C’est à dire de faire plaisir par des dons à forte valeur monétaire, moyen qui parait efficace sur l’instant et qui l’est en effet dès lors que ce cadeaux est accepté. Mais cette efficacité s’accompagne nécessairement du doute quant à la qualité de cet amour : s’agit-il de l’amour de l’argent ou de l’amour de la personne qui séduit par l’argent ? Le séducteur, sans son argent, serait-il aimable ?
Si oui, alors l’argent n’est pas un bon moyen d’obtenir la " preuve " d’amour que l’amant recherche et sinon le sujet ne peut sans illusion, un jour ou l’autre nécessairement déçue, croire qu’il est aimé pour lui-même. Dira-t-on qu’il suffit d’obtenir le plaisir de l’autre par tous les moyens ? non car le client ne peut être trompé sur la valeur du plaisir sensuel de la prostituée : dès lors que l’argent est la seule motivation du service sexuel rendu celui-ci ne peut être qu’une comédie plus ou moins bien jouée en aucun cas la rencontre sensuelle du désir de l’un avec le désir de l’autre qui seule valorise les signes de l’amour réciproque car seule elle met en jeu l’imaginaire intime et corporel de chacun. Ce qui vaut pour l’amour explicitement érotique vaut aussi pour l’amitié, sauf que dans ce cas la preuve érotique de cette rencontre manque ! La durée de l’amitié, par delà toute relation marchande, peut seule valoir de preuve.
Mais l’argent peut-il servir aux jeux de l’amour et de l’amitié ? oui mais à condition de subordonner sa finalité propre, le profit pour soi-même, au profit de celui qu’on aime et du plaisir partagé qu’il contribue à produire. C’est dire que l’argent ne peut ici être maître du jeu : la dépersonnalisation que provoque les rapports marchands risque toujours de tuer toutes relation intime d’affection ; c’est au contraire en personnalisant la relation d’argent que celle-ci peut servir aux jeux de l’amour et de l’amitié mais alors il ne s’agit plus de rapports marchands ! On n’est plus alors dans le un cadre public mais dans un cadre strictement privé : l’amour dans les société à économie marchande n’est plus, en droit, socialement contrôlable, sauf exception réactionnaire et contraire au droit moderne, s’il n’est pas un jeu antisocial, il s’affirme asocial ; l’amour, dans les sociétés modernes, ne relève, en droit sinon en fait, que de la libre décision individuelle. ; alors que le jeu marchand impose l’universalité impérative abstraite de la relation client-fournisseur, L’amour et l’amitié prétendent mettre en oeuvre un don réciproque dont le contenu réel, qui fait l’objet d’échanges extrêmement personnalisés (je n’aime pas n’importe qui et ne veut pas être aimé par n’importe qui), même incarné dans des biens et des services, est incommensurable car purement qualitatif.

Est-ce à dire que le jeu marchand n’exerce aucune influence sur les relations amoureuses et amicales ? L’expérience quotidienne montre, que les couples d’amis et d’amants voire les familles manifestent aujourd’hui ouvertement, comme dans les rapports d’argent, l’exigence du retour de l’investissement affectif que chacun a consenti vis-à-vis de ou des autres et que, lorsque cette exigence n’est pas satisfaite, la relation peut être dénoncée et défaite sur simple décision individuelle : chacun sait que le mariage peut se terminer par un divorce sans faute ni sanction ; si l’amour donne, il attend un contre-don et la satisfaction de cette attente est, à terme, la condition de la perpétuation de l’amour ; en un sens cela n’est pas nouveau : les anthropologues ont montré que la logique du don s’inscrit toujours dans le jeu de la dette ; qui reçoit est l’obligé, le débiteur, de celui qui donne ; mais cela, dans les sociétés traditionnelles, n’était pas explicité dans le cadre d’une revendication individuelle négociable, mais l’obligation était l’effet mécanique d’une convention sociale régulatrice prédéfinie donnant lieu à des sanction lourdes pouvant aller jusqu’à la mort ou l’exclusion du débiteur coupable d’ingratitude ou de trahison.
Ainsi, dans la jeu moderne de l’amour, chacun a le droit social, sinon moral, de trahir à sa guise ses engagements privés sans être puni, et cela, pour la bonne et simple raison que l’amour appartient à la sphère privée ; Ainsi, sous L’influence du jeu et des rapports d’argent, l’amour et l’amitié sont à la fois vécus comme des échanges négociables dont les contenus doivent être évalués sinon comptabilisés par chacune des parties et, en même temps,  comme des échanges dont les contenus ne sont pas réductibles à des valeurs marchandes. : L’amour est bien devenu un échange de services affectifs et sexuels négociés, mais n’est pas vécu comme compatible avec la prostitution par la simple raison que chacun recherche en priorité les signes du désir et/ou de l’attention plus ou moins exclusifs et non quantifiables de l’autre à son égard. Le jeu socialement dominant de l’argent fait donc de l’amour un jeu libéral, mais par opposition, plus compliqué, car tout à la fois plus individuellement exigeant et moins socialement réglé ; bref un jeu dont les règles sont à inventer par consentement mutuel pendant la partie et par les partenaires. Le " je t’aime - moi non plus " de la chanson de Guinsbourg exprime à la perfection la difficulté de ce jeu.
De plus un grand nombre de jeux semblent mettre à contribution des logiques de régulation différentes voire opposées ; ainsi les relations amoureuses ou amicales sont souvent associées à des rapports d’intérêts financiers ou de prestige sous-jacents ; mais il s’agit toujours d’un double jeu ; l’amour et l’amitié étant le plus souvent les masques de l’intérêt, d’une part celui-ci ne peut s’exhiber comme tel sans être voué à l’échec, d’autre part la preuve est requise pour ceux-là de n’être en aucun cas compromis avec une simple affaire d’argent ; ce qui oblige à une gymnastique du mensonge perpétuelle qui finit mal car une telle preuve se dénonce une jour ou l’autre pour ce qu’elle est. : une tartuferie.
Un double jeu positif consiste au contraire à s'efforcer de stabiliser une relation amoureuse ou amicale par nature problématique en lui adjoignant un enjeu économique mutuel à long terme; mais un tel jeu de la solidarité intéréssée et intéréssante doit être fondée sur un rapport des forces égalitaire entre les partenaires du jeu et une entente négociée sur les objectifs poursuivis; celle-ci n'exige aucune valeur transcendante préétablie mais elle implique des procédures rationnellesde traitement des contradictions , non pour les supprimer, mais pour rechercher un compromis ressenti comme mutuellement avantageux. Cette attitude, nécessairement pragmatique, exclut tout dogmatisme quant à la valeur des valeurs qui contraindrait de s'entendre a priori sur les objectifs communs prioritaires; si elle interdit de croire à des valeurs absolues, elle refuse la fusion identificatoire fantasmatique pour considérer l'amour comme une lutte entre les désirs de chacun du désir de l'autre, désirs toujour différents, qu'il convient de faire dialoguer pour les accorder sur des compromis mutuellement acceptables (à chacun d'en juger!) et faire de l'entreprise à deux une bonne affaire pour chacun..L'argent intervient alors dans la gestion de la compatibilité durable des désirs amoureux; mais plus que simple moyen, il devient le signe social et symbolique c'est-à-dire tangible et objectif que l'accord amoureux du désir de chacun du désir de l'autre est productif; c'est-à-dire mutuellement avantageux.

Ainsi l’argent, comme valeur socialement dominante, d’une part met en crise libéralisatrice le ou les pouvoirs idéologiques, politiques et sociaux communautaires ainsi que les relations d’attachement particuliers en les excluant de la sphère publque pour les subordonner et les confiner à la sphère de la vie privée ; (en cela, démocratie et liberté individuelle d’association-PACS compris- sont bien les deux faces d’une même médaille) et d'autre part fait que l’individualisme de principe, auto-réalisateur de l’économie de marché, se diffuse dans toutes les relations humaines non-marchandes comme fondement de l’éthique régulatrice de la vie publique et privée. En cela l'argent corrompt toutes les autres relations humaines en les piratant ou en les obligeant à se redéfinir comme relations toujours problématiques entre des désirs individuels sans valeur transcendantes (religieuses et/ou politiques) fondatrices et identificatrices qui permettraient de les fusionner.

Cette ambivalence socioculturelle de la valeur de l’argent produit nécessairement des conséquences politiques contradictoires et d’abord celle entre la réalité inégalitaire des rapports d’intérêt et d’argent et la revendication égalitarisme que l'individualisme de principe que génère les relations d'argent pose comme condition juridique et universelle fondamentale du jeu marchand. Cette contradiction est celle qui anime centralement la vie démocratique dans les sociétés modernes.

                                                        _______________________________

3)  Argent et politique.
 

Si le rapport d’argent libèrent de l’asservissement à la contrainte du devoir moral transcendant, s’ils libèrent les individus des allégeances traditionnelles non-choisies, ils n’interdisent pas les rapports d’exploitation et de domination car les richesses et les pouvoirs inégaux qu’ils mettent en oeuvre autorisent ceux d’en haut (les riches, les propriétaires) à utiliser les talents et la force de travail-marchandise de ceux d’en bas (les polétaires-salariés) pour accroître leur avantage et leurs privilèges. Les rapports entre le capital et le travail sont forcément déséquilibrés au profit de qui détient les moyens de production et d’échange pour s’approprier les richesses produites par la production et l’échange des biens et des services. La question de l’inégalité sociale est bien, dans le rapport entre les égoïsmes, la question éthique essentielle de l’économie libérale.
Cette inégalité, dans la société moderne, est tout à la fois présentée comme légitime dès lors qu’elle semble être le résultat de contrats marchands négociés et sanctionner les mérites économiques des uns et des autres dans le cadre de la libre concurrence. et d’autre part elle apparaît bien, à l’expérience, comme la conséquence de rapport sociaux, déséquilibrés au départ, entre les nantis de la fortune et de la culture et les autres. Les inégalités s’auto-entretiennent et l’égalité des chances condition d’une réelle compétition concurrentielle s’impose à ceux d’en bas comme une illusion mystificatrice. Dans les sociétés traditionnelles les inégalités étaient justifiées par le recours à la nature des choses et à la religion qui prétendaient fixer définitivement les statuts fixés par la volonté divine ou à la mise en oeuvre d’un ordre naturel immuable ; leur contestation était étouffée dans l’oeuf ou bien faisaient l’objet de sanctions humaines et divines, réelles et imaginaires, littéralement épouvantables ; dans la société formellement libérale cette contestation est permise et justifiable car fondée sur le principe de l’égalité des droits : l’inégalité sociale devient explosive parce qu’elle à la fois justifiés par la compétition et injustifiable par le fait que celle-ci est biaisé par le jeu des rapports de force et d’argent qui la reproduit. Cette contradiction interne oblige les états à mettre en oeuvre des règles de redistribution et de justice sociale (éducation, droit du travail, droits sociaux..) qui tentent de faire croire à l’égalité des chances, en s'efforçant de faire que nul ne se sente, à tord ou à raison, exclu du jeu des échanges et de l'argent.
C'est pourquoi la contradiction entre l'inégalité réelle des conditions réelles d’exercice des droits et l'égalité formelle de ces mêmes droits est au centre de la lutte, politique ou non, entre les nantis et les autres; mais cette lutte devient d'autant plus vive , voire violente et socialement dangereuse (terrorisme, violence urbaine, drogue etc..) que les pouvoirs politiques et les états sont affaiblis par la mondialisation des échanges économiques et financiers dont le contrôle leur échappe. Une grande partie de la population dans le monde se trouve exclue de fait de la compétition en vue d'assurer leur désir de promotion économique. Le pouvoir des décideurs économiques, en fait de la minorité de ceux qui gèrent le capital mondialisé, s'impose au pouvoir politique régional des états dont le rôle ne consiste plus à mettre en oeuvre des procédures de régulation restaurant la croyance dans l'égalité des chances, mais à mater les révoltes infrapolitiques que génère la montée de la précarité et de l'exclusion pour le plus grand nombre. La démocratie, qui suppose que le plus grand nombre croit dans la capacité de la politique à instaurer une forme de solidarité favorable au plus grand nombre et à établir les conditions d'une réelle égalité des chances dans la compétition sociale, est alors menacée par un capitalisme particulièrement aveugle aux conséquences sociales et culturelles de l'aggravation des inégalités réelles qui compromet l'idée même de d'égalité des chances ainsi que la confiance des citoyens dans la démocratie; une telle perte de confiance entraîne alors nécessairement la violence infrapolitique, la tentation de la dictature de droite ou de gauche et la xénophobie, voire le racisme ouvert. La capitalisme est alors lui-même menacé dans sa capacité à instaurer des règles de droit et les conditions politiques économiques nécessaires à sa survie et à son développement: les droits de la propriété et de l'échange contractuel sont bafoués par une économie mafieuse criminalisée ou blanchie; la démocratie égalitaire et libérale fondement de la légitimité apparente du jeu de l'argent est décrédibilisée, et la consommation tend à ne plus concernée qu'une minorité de nantis se protégeant contre la jalousie haineuse des autres.
De plus une autre dérive de l’usage de l’argent comme moyen de spéculer à très court terme se développe aujourd’hui sans frein dès lors que les états ne peuvent plus ni réguler et ni contrôler la circulation monétaire ; chaque investisseur particulier ou institutionnel à intérêt à investir là où il peut croire par imitation grégaire en une montée rapide auto-réalisatrice des valeurs mobilières , quelque soit la réalité économique , qu’il ne peut prédire ni maîtriser, et le rendement à long terme de ses investissements. Lorsque des investisseurs exigent un rendement de 12 à 15% dans l’année pour maintenir leurs investissements dans des entreprises, celles-ci sont alors forcées à recourir à des moyens de rentabilité qui compromettent les conditions et les ressources humaines et financières d’un développement à long terme de leurs activités : elles licencient, limitent la formation de personnel, externalisent tout ce qui est moins rentable, réduisent le poids relatif du secteur " recherche et développement " quand elles ne se livrent pas à leur tour à la spéculation financière sur les produits dérivés (spéculation sur les prix à terme des matières premières et produits, des valeurs mobilières, voire des indices de prix) sans rapport avec leurs activités de production ou de services. Le long terme est alors sacrifié au court terme ce qui provoque alors des bulles spéculatives qui accroissent les richesses financières sans causes, c’est à dire sans accroissement réel de la valeur des biens et des services rendus aux consommateurs. Mais ces bulles un jour ou l’autre éclatent lorsque les créances douteuses ne sont plus remboursables par le fait de cet absence de création de richesses réelles ; en dernier ressort les banques centrales et les institutions financières mondiales sont alors obligées, pour éviter l’effondrement systémique du système financier et économique mondial, d’intervenir pour prendre en charge tout ou partie de la dette accumulée. Comment ? en utilisant l’impôt ; ce qui s’appelle socialiser les pertes pour optimiser la privatisation incontrôlable des profits privés. Cette " économie-casino " soumet alors l’économie réelle à sa loi, aux dépends des contribuables, c’est-à-dire pour l’essentiel de ceux qui travaillent ou qui investissent " petit " (les gros organisent l’évasion fiscale vers les paradis offshore, soutenus par les états !). Le fin du fin de la logique financière actuelle, c’est, dès lors que l’on est un gros investisseur, d’échapper au risque spéculatif par le recours aux institutions politiques, que l’on disqualifie par ailleurs si elles prétendent exercer un contrôle régulateur et limitateur des profits spéculatifs. Le thème démagogique " moins d’état, moins d’impôt ! " apparaît alors pour ce qu’il est : une tartuferie destiner à masquer la volonté de faire fonctionner les institutions politiques au service des plus riches et aux dépends des plus pauvres, de l’économie spéculative aux dépends de l’économie réelle profitable aux plus grand nombre.
Mais la mise en oeuvre par les responsables et institutions politiques de cette volonté aggrave à terme les conditions générales économiques, sociales politiques voire idéologique de reproduction du capitalisme globalisé, y compris financier, en aiguisant les conflits sociaux et internationaux et en aggravant la spéculation financière pure et parfaite autodestructrice.
Les conséquences logiques de cette analyse sont, à mon sens, les suivantes:

- Le capitalisme ne peut durablement se développer sans la démocratie, c'est-à-dire la croyance pour le plus grand nombre dans le progrès social et le contrôle politique de la mise en oeuvre de ce dernier par le biais du suffrage universel; mais sa puissance tend à transcender le pouvoir politique démocratique et à détruire ses propres conditions politiques de survie.
- Le libéralisme individualiste (primat des droits individuels sur les conditions collectives de l’exercice de ces droits) est bien la seule philosophie compatible avec l'économie marchande et la démocratie politique; mais cette compatibilité ne va pas de soi: elle suppose la restauration du rôle de la politique afin de réguler la vie économique et sociale.
- Le libéralisme économique sans le développement du libéralisme politique qui exige la reconnaissance des droits sociaux et des conditions collectives de l’exercice de ses droits individuels par chacun (son droit au bonheur par et pour lui-même) n'est qu'une mystification contradictoire avec son essence.
- On ne peut combattre le faux libéralisme réellement inégalitaire qu'en lui opposant un libéralisme authentiquement universel, c'est à dire économique, social ,culturel et politique dans un cadre mondialisé. Tout retour vers des valeurs communautaires ou communistes, politiques et /ou religieuses socialement dominantes, est, dans uns nécessairement une menace d'intégrisme liberticide.

Entre la religion et l'argent il faut choisir la démocratie individualiste et sociale par l’argent, ce qui suppose la restauration de l’autorité politique et d’abord son autonomie par rapport aux puissances d’argent dominantes afin de faire du pouvoir de l’argent un pouvoir démocratisable en lui-même et dans ses conséquences ; cette autonomie et cette autorité imposent évidemment des règles destinées à lutter efficacement contre la corruption des institutions et des hommes politiques démocratiques (à commencer par la transparence sur le financement des partis et des hommes politiques, sa limitation et sa régulation), mais cela ne suffit pas : il convient de d’établir surtout l’autorité régulatrice et le pouvoir de sanction d’institutions politiques en voie de mondialisation. Les état-nations sont entrés dans une phase de déclin inéluctable ; les problèmes économiques et écologiques, les rapports sociaux, idéologiques, politiques et militaires se sont irréversiblement transnationnalisés. Tout retour en arrière sous le thème d’un " républicanisme national " est un absurdité soit stérile (nationalisme de gauche) soit catastrophique (nationalisme de droite).

                                                        _____________________________________

Conclusion :

Que faire vis-à-vis du pouvoir de l’argent ?

2 stratégies sont offertes : celle de la lutte frontale contre ce pouvoir comme force dominante de la vie sociale, ou celle de sa régulation au profit du plus grand nombre.

La première ne peut que s’enfermer dans la logique suicidaire d’une morale politique communautaire plus ou moins religieuse. Elle a du reste déjà perdu la guerre : pour des raisons de survie et de pouvoir, la religion s’est définitivement acoquiné avec la logique de l’argent et en subi les implications individualistes. Quant à la politique, elle ne peut plus prétendre restaurer l’ordre nationaliste ancien sans prendre la risque de la guerre d’extermination totale de l’espèce humaine.
Or la société en cours de mondialisation est devenue un gigantesque lieu pluraliste d’échanges économiques et symboliques entre groupes et individus qui revendiquent leur autonomie et le droit de construire leur stratégie propre dès lors qu’elle peut être rendue compatible avec celle des autres par l’intervention d’une régulation politique qui fait que chacun peut croire exprimer son droit au bonheur ou, ce qui revient au même, à la dignité. Dans ses conditions, seule la seconde apparaît souhaitable et réaliste. Réguler en l’universalisant réellement et non pas seulement formellement le pouvoir de l’argent est le seul moyen de construire une société décommunautarisée, froide mais viable ; en pratiquant la justice par le droit ( individuels et sociaux) plus que par la charité ou la solidarité émotionnelle une, telle société doit se donner les moyens économiques, juridiques et politiques de faire respecter le droit à la vie personnelle par rapport à la vie sociale pour laisser toutes leurs chances à d’autres logiques du désir possibles et peut être plus fondamentales que celle de l’argent, sous condition de leur compatibilité avec l’exigence socialisée de l’autonomie individuelle et de la non-violence physique ou psychologique : celle de l’art et de l’amour. Qui sont deux dimensions de la vie érotique plus riche et plus créatrice dans la perspective de l’accomplissement de l’amour altruiste de soi.


                La question des services publics
                L'éthique du capitalisme
                Retour à la page d'accueil