Position du problème
Le droit fondamental, dans nos sociétés
libérales
et individualistes, est le droit de propriété car il
assure
tout à la fois la liberté du propriétaire de faire
usage de ses biens et sa sécurité vis-à-vis des
prétentions
d’autres individus, voire de l’état, de les lui disputer
violemment
et de l’en déposséder. En cela tout les autres droits
semblent
en dépendre : le droit à la vie, le droit de circuler et
de faire usage de son corps et des ses forces d’une manière
autonome,
voire le droit de penser et d’agir dès lors que chacun est
reconnu
comme propriétaire de lui-même , c’est à dire
individu autonome, capable de se donner des fins propres . Mais, comme
le rappelle Rousseau en substance, le premier qui a dit : « Ce
champs
est à moi !» et a trouvé les moyens de faire
accepter
ce fait par les autres comme un droit fondé sur fond de croyance
commune en un prétendu intérêt
général
(la paix civile) est le véritable fondateur de
l’inégalité
sociale donc des injustices qui en découle : La domination des
riches
sur les pauvres, des propriétaires des moyens de productions et
d’échanges sur ceux qui travaillent à leur profit pour
survivre.
(Marx). De plus, cette domination, pour se perpétuer sans trop
de
violence ouverte et crises destructrices de ses conditions de
pérennité
et de reproduction, ne peut se limiter à l’exploitation
économique
du travail du plus grand nombre des non-propriétaires par les
propriétaires
mais doit s’étendre, sous des formes plus ou moins
masquées,
au domaine politique et idéologique : la classe dominante doit
faire
accepter sa domination comme nécessaire aux dominés en
instaurant
des règles de droit et des valeurs qui permettent de
légaliser
et de justifier, au nom de l’intérêt commun, voire de la
volonté
générale du peuple, son droit à exercer les
pouvoirs
que lui confère son droit de propriété : faire du
profit sur le dos des autres, c’est à dire de s’enrichir dans
une
compétition égoïste par l’usage efficace de la force
de travail des exclus (de fait et non de droit) de la
propriété
des moyens de production et d’échanges.
Ainsi le droit, dans les sociétés libérales, est
par nature ambigu : il doit préserver les libertés
individuelles
égales en droit et l’ordre public et social fondé sur les
inégalités économiques et
politico-idéologiques
conférés par la propriété privée des
moyens de production et d’échange. La seule manière de
concilier
les deux objectifs est de faire croire que chacun peut s’enrichir par
ses
qualités et compétences personnelles, son travail et son
épargne afin de conquérir une position sociale plus
avantageuse
: le droit libéral doit décréter
l’égalité
des chances dans l’accès au savoir et à la richesse,
comme
sources de pouvoir. Or cette déclaration, comme toutes les
études
le montrent, masque plus qu’elle ne corrige la reproduction stable des
inégalités par le biais de la transmission de
l’héritage
économique et culturel : le droit de la propriété
c’est aussi le droit de la transmettre à ses héritiers ;
l’école plus ou moins gratuite pour tous ne change les choses
qu’à
la marge.
Mais, dira-t-on, n’est-il pas juste que ceux qui ont concourus au bien
être général, dans un concurrence ouverte, en
répondant
mieux aux désirs et besoin des consommateurs par leur la mise en
valeur et l’usage de leur capital et/ou leur travail en tire profit et
ne doit-on pas compter sur cette motivation pour développer les
richesses et les moyens de les produire au meilleur coût, au
profit
de tous ?
L’égoïsme bien orienté par le libre marché
concurrentiel n’est-il pas le meilleurs moyen, car le plus
réaliste
et le moins aléatoire, de servir l’intérêt
général
de tous les consommateur/usagers des biens et des services produits ?
Le
droit de propriété, comme fondement du droit
libéral,
serait donc, sinon le meilleur moyen, du moins le moins mauvais, de
concilier
la liberté et la justice, l’intérêt individuel et
l’enrichissement
de tous, en laissant à chacun une chance de s’en sortir en
utilisant,
au mieux de ses intérêts propres, les ressources
économiques,
culturelles et de travail dont il dispose ? Un employé n’est pas
un esclave : il peur négocier le prix et les conditions
d’utilisation
de sa force de travail et faire l’usage qu’il veut des revenus du
travail
qu’il reçoit de son employeur ; s’il n’est pas satisfait des
conditions
qui lui sont faites, il peut changer d’employeur ; il
bénéficie,
par le biais de l’état et de procédures de
décisions
démocratiques, de droits sociaux collectifs (revenu minimum
garanti,
droit aux vacances, à la sécurité sociale,
à
la santé, à la formation, voire droit de grève
etc.
) qui lui permettent rééquilibrer en sa faveur les
rapports
de forces qu’il entretient avec le propriétaire des moyens de
productions
et d’échanges dont il est l’employé réel ou
potentiel.
Le droit individuel et le droit social semblent se compléter,
sous
l’effet de la relation entre l’économie de marché et la
démocratie
politique, en se limitant pour assurer une régulation optimale
de
la relation entre la liberté individuelle et la justice pour
tous
dans une société où chacun est reconnu, en droit,
comme propriétaire de lui-même, de sa force de travail et
de ses biens. Le droit libéral est juste en cela qu’il organise
le liberté de tous de telle sorte qu’une inégalité
dans l’exercice de la liberté se voit toujours suspectée
: en effet, elle ne va jamais de soi ; soit elle ne sert pas la
désir
démocratique de justice et d’égalité des chances
(l’intérêt
considéré comme général) et elle exige des
corrections et de limitation définis démocratiquement en
terme de droits sociaux , soit elle sert le dynamisme économique
dont tous peuvent, s’il font les efforts nécessaires, profiter.
La démocratie politique et l’économie de marché
sont
donc les deux facteurs fondamentaux et corresponsables du
développement
de la société libérale visant la justice pour
tous.
Tout irait pour le mieux dans le moins mauvais des mondes possibles,
si l’économie de marché était vraiment «
librement
concurrentielle » et si la démocratie avait vraiment le
pouvoir
d’assurer la régulation des rapports de forces et le
répartition
des richesses et du savoir dans le sens de l’égalité des
chances. Or celle-ci est peut n’être un mythe et les principes
régulateurs
de l’économie libérale et de la démocratie ,
confondus
avec la réalité du fonctionnement des
sociétés
modernes, une illusion trompeuse qui ne peut qu’aggraver les
contradictions
jusqu’à les rendre explosives en décrébilisant les
principes dont se réclament les dirigeants pour se justifier aux
yeux de « ceux d’en bas ». Et de fait, la démocratie
est en crise d’identité grave dès lors que les individus
sans pouvoir politique et/ou économiques ne croient plus en leur
capacité d’exercer un quelconque contrôle sur le pouvoir
exécutif
et législatif et sur les décisions des décideurs
économiques
et financiers et que leur vote leur paraît détourné
par une classe politique sensible aux arguments et au chantage à
la fuite des capitaux de « ceux d’en haut ». Des citoyens
apolitiques
gouvernés par des technocrates de la chose publique qui
prétendent
servir l’intérêt général sans programme ni
pouvoir
réel pour transformer les rapports sociaux et économiques
inégalitaires, sont tentés par la démission
politique
et le refus de la démocratie réelle, voire de toute
conscience
politique au profit de la poursuite de leurs seuls
intérêts
privés. Si l’on ajoute l’idéologie commerciale
envahissante
qui considère que le bonheur n’est qu’affaire de consommation
croissante
de biens et de services et non de valeurs générales ;
alors
le démocratie n’est plus qu’un masque dérisoire pour
sauver
une apparence de moins en moins convaincante et efficace : celle d’un
droit
régulateur à la fois libéral et juste.
Est-ce à dire que le droit libéral et la
démocratie
politique sont condamnés à l’échec, victime de
cette
contradiction, en effet fondamentale, entre l’exigence de
l’égalité
dans l’autonomie individuelle qu’ils revendiquent et l’obligation de
préserver
l’ordre public, la paix sociale et la hiérarchie des pouvoirs
qu’ils
protègent et reproduisent par le recours au droit premier de la
propriété individuelle des biens de production et
d’échange,
qu’il ne faut pas confondre avec les biens de consommation, comme
fondement
du droit positif ?
Pour répondre à cette question il est nécessaire
d’examiner les fondement du droit et de l’autorité politique
à
travers cette contradiction philosophique du droit moderne : le droit
est
toujours et ne peut être que l’expression et d’une
société
et d’un état inégalitaires déterminés (le
droit
de la propriété est, le droit des propriétaires),
mais l’exigence de droit s’inscrit dans la société
moderne
et libérale dans l’universel réciproque des
intérêts
individuels et collectifs en vue d’une justice et d’un ordre juridique
et politique au service de tous. Aux deux extrêmes, une
première
position consisterait à refuser l’exigence
d’égalité,
voire d’universalité comme utopique et illusoire et partant
comme
subversive et destructrice de l’ordre public et social, garant de la
paix
civile et la deuxième verrait dans la révolution violente
socialement égalitariste la seule manière de
réaliser
l’idéal du droit juste.
Remarquons que la première ne peut réussir que si les
hommes sont prêts à considérer les
inégalités
comme indépassables et/ou naturelles (voire voulues par Dieu,
c’est
à dire sacrées), ce qui est impossible dans les
sociétés
modernes démocratiques et individualistes et que la seconde
implique
un refus, au moins provisoire ,de tout droit individuel (surtout le
droit
de propriété) qui risquerait de s’affirmerait en tant que
tel contre l’ordre égalitaire proclamé, ce qui semble
tout
aussi impossible sauf par la voie de la terreur totalitaire. Comment
sortir
de cette double impasse ? Examinons pour cela ces positions pour
ensuite
tenter de percevoir à quelles conditions il est possible, voire
nécessaire, de maintenir cette contradiction du droit moderne et
d’en faire le meilleur usage possible (conditions et procédures
légales et politiques) du point de vue de la réduction du
risque de la violence physique et morale qui inclut l’accroissement de
l’autonomie et du sentiment réfléchi de solidarité
et de réciprocité comme indispensable à
l’intérêt
bien compris (le seul rationnel) de chacun.
De l'état absolu comme condition de la liberté privée (Hobbes)
Le droit a une double fonction : canaliser et réguler l’usage de la force afin de une préserver la paix civile et instituer une solidarité obligatoire entre les membres de la société. En cela le droit limite l’autonomie d’action des individus ; celle-ci est d’autant plus grande qu’ils disposent de la force pour mettre en oeuvre leurs désirs , l’autonomie est puissance d’être et d’agir sur l’environnement naturel et humain ; cette puissance est potentiellement violente en cela que les désirs humains sont rivaux et qu’il est un moyen rapide et efficace de l’emporter dans la compétition entre les projets des individus : détruire l’autre physiquement ou le soumettre. Le droit est donc un moyen de stabiliser les rapports de forces entre les individus et les groupes afin que celles-ci ne compromettent pas l’ordre public ; pour ce faire il hiérarchise les relations de pouvoirs et les statuts, interdit et oblige, au, nom de valeurs collectives (religieuses ou laïques) cimentant le lien social. En cela le droit n’est jamais l’expression de la force anarchique et violente mais met en jeu une force pacifiante qui lie la contrainte et la croyance en des valeurs communes dans un but de d’ordre et de stabilité. Le droit, au nom de la paix civile, tout à la fois contraint, sous peine de sanction, et exige de chacun de se soumettre volontairement à des règles et à des individus exerçant un pouvoir de gouvernement hiérarchique et disposant des moyens de la force publique La force ne fait pas droit, car le droit transforme les rapports anarchiques et violents de forces spontanés en rapports de soumission régulés et institués par l’état comme machine hiérarchique de pouvoir collectif et reconnu par tous.
Ainsi le droit met sous contrainte et régularise l’autonomie
et la puissance propre des individus pour réduire le risque
permanent
de violence qu’elles génèrent. L’idée d’un droit
libéral
, garantissant l’autonomie et les droits des individus,
considérés
comme des valeurs supérieurs à l’état
lui-même,
apparaît donc d’abord comme un paradoxe destructeur de tout
espèce
d’ordre public.
Toutefois, un droit qui contraindrait au mépris de l’aspiration
au bonheur de chacun et condamnerait au malheur et à la
soumission
forcée (ce qui revient au même) l’immense majorité
des individus sans compensation valorisée et valorisante, ne
serait
plus perçu comme un droit mais comme une violence
illégitime
(injustifiable), un faux droit, un droit injuste car destructeur de
toute
autonomie individuelle ; il susciterait la révolte violente et
relancerait
le risque de guerre civile qu’il prétendait écarter. Si
la
justification - au nom de la paix civile en tant que condition de
l’autonomie
de chacun - du droit tombe, le droit se défait aussitôt en
violence tyrannique générant la violence anarchique. La
question
est donc de savoir quel type de droit est le plus propre à
préserver
la paix civile tout en garantissant les droit individuels constituant
le
droit au bonheur et l’autonomie de chacun. (ce qui revient au
même
car nul ne peut être heureux s’il ne peut inscrire dans la
réalité
sociale un projet personnel de vie, même et surtout s’il est
partagé
par d’autres, dans lequel il puisse être reconnu et se
reconnaître).
Deux types de droit ont été historiquement essayés
: un droit hiérarchique et inégalitaire et un droit
égalitaire
et universel ; quelles sont leurs conditions de possibilité,
leurs
ressources et leurs limites ?
.
Pour les philosophes empiristes qui considèrent que
l’expérience
seule peut nous révéler ou nous conduire à
imaginer
ce qui est et doit être, la violence humaine est naturelle en
deux
sens indissociables :
1) En l’absence de droit conventionnel bien défini et
d’état suffisamment fort pour le faire respecter (état de
nature) les hommes ne peuvent faire autrement que de se faire la guerre
; il en va de leur survie immédiate : sans la protection de la
loi
et d’une force publique il faut bien qu’ils tuent ou menacent de le
faire
pour ne pas être tués. Chacun est en situation de
légitime,
car nécessaire, défense contre tous les autres. Il n’a
d’autre
choix que de guerroyer pour exister. Vivre c’est se battre pour
survivre.
La preuve en est que l’affaiblissement de l’état et la perte des
valeurs communes fondatrices de la légitimité des
règles
de droit entraînent inéluctablement la guerre civile.
2) Cette guerre perpétuelle (que l’on constate aussi entre
les états dans la mesure où il n’y ni droit, ni
état
international) n’est pas accidentelle ou circonstancielle ; elle est la
conséquence de la nature du désir humain. Celui-ci est en
effet déterminé pas deux passions spécifiquement
humaines
liées entre elles : la passion de la possession et la passion
vaniteuse.
Chaque individu désire spontanément soumettre tout ce qui
l’entoure à son désir: ; mais le désir humain, au
contraire du besoin animal, n’a pas de borne instinctuelle (ce qui ne
veut
pas dire qu’il n’est pas biologiquement déterminé
à
être ce qu’il est): il recherche le plaisir comme fin en soi sans
mesure ni borne préétablies (sexualité,
nourriture,
espace vital...). En cela chacun rencontre nécessairement le
désir
de l’autre, dans le monde, comme rival au sien car il l’empêche
d’y
développer le sien à l’infini ; lequel infini en est
l’être
et la puissance spécifique. (Être, existence et puissance
ne font qu’un). Tous possèdent la même territoire a priori
infini mais chacun le veut pour soi (ou sa famille ou tribu) et
désire
la mort de l’autre (ou de la famille ou tribu
étrangères).
Ainsi, dans l’état de nature règne un droit universel
(égalitaire)
de tuer l’autre. De plus le désir de l’autre rend toute chose
désirable
: chacun désire ce qu’il n’a pas et que l’autre a ou peut avoir.
Le désir de chacun est imitation de désir de l’autre et
s’excite
de cette confrontation violente ; mimétisme et rivalité
sont
indissociables de la dimension infinie du désir humain, car
elles
l’entretiennent. La violence elle-même devient objet de
désir
car la destruction ou l’élimination de l’autre comme rival
devient
source d’une jouissance autonome, en tant qu’expression de la toute
puissance
infinie du désir et du sujet du désir (qui ne font,
dès
lors, plus qu’un) se prenant comme objet. En effet, ce qui
définit
l’autre dimension du désir humain c’est sa «
réflexivité
» ; cette réflexivité est la conséquence de
la conscience de soi qui constitue le mode essentiel (naturel) de la
conscience
humaine. En cela, le désir humain est nécessairement
vaniteux.
Le conscience de soi pousse chacun à se donner, ou à se
construire,
une image de soi valorisée et valorisant ( aux yeux des autres
et
aux siens). La vanité est le désir de chacun
d’apparaître
aux autres comme supérieur (individuellement ou collectivement)
afin de jouir de la reconnaissance de cette supériorité.
Un individu, en effet ne peut se juger positivement qu’en se comparant
à d’autres selon, au départ (état de nature
hypothétique,
mais souvent expérimenté dans des conditions historiques
de crise du droit et de l’état), la seule valeur vitale,
immédiatement
reconnaissable par tous, la force violente et dominatrice. Chacun ne
peut
s’affirmer qu’en s’affrontant dans une lutte à mort
perpétuelle
pour l’élimination de l’autre ou sa domination.
Cette double rivalité naturelle institue une double rareté irréductible (possession de biens extérieurs, les autres compris, et image de soi). Contrairement à la position de Sartre, ce n’est pas la rareté qui crée la rivalité mais la rivalité du désir qui crée la rareté comme condition permanente de l’existence de l’homme en tant que sujet/objet du désir. En cela, la violence humaine est irréductible sans violence opposée organisée en vue de la paix civile et il faut supposer les hommes méchants (sur fond d’expérience universelle) pour comprendre en quoi des règles de droit et la contrainte qu’elles exercent, sous la menace de la sanction de mort ou d’exclusion du groupe (ce qui revient souvent au même), sont nécessaires dans toute société humaines. L’idée de droit implique l’idée que de violence spontanée est inscrite dans la nature du désir humain et de son expression autonome.
Or cette guerre permanente de tous contre tous qui menace tout
ensemble
humain est logiquement contradictoire : en effet il fait de la guerre
la
seule voie de la survie alors qu’elle est la première cause de
la
mort : celle que chaque homme peut infliger à quiconque
dès
lors que l’égalité naturelle est d’abord celle que
confère
le même pouvoir de meurtre ; il n’y a pas en effet de fort qui ne
puisse être tué par un plus faible car chacun est tour
à
tour, aux grès des circonstances (sommeil, maladie, vieillesse)
fort et faible. Les hommes sont bien naturellement égaux entre
eux
: dans leurs désirs et leur puissance meurtrière.
L’égalité
ne peut qu’entretenir cette guerre jusqu’à l’autodestruction
réciproque
des individus. Pour sortir de cette situation à terme invivable,
une seule solution logique apparaît : éliminer
l’égalité
dans l’usage privé de la force et l’instabilité
universellement
meurtrière des rapports de force qu’elle engendre en instaurant,
sur un fondement conventionnel, un droit et un état
inégalitaire
auquel tous seront contraints et convaincus de se soumettre sans
conditions.
Si l’homme est un loup pour l’homme et s’il ne peut vivre qu’en
société,
alors l’espèce humaine ne peut devoir sa survie que par
l’artifice
de l’inégalité politique légalisée, c’est
à
dire artificiellement instituée. Encore convient-il que cette
institution
:
1) Soit établie sur un fond de conditions qui permettent
seules d’obtenir la paix civile, c’est à dire
l’acceptabilité
de cette soumission au nom de la survie et de l’autonomie d’action et
de
l’intention privée minimale qui la rend possible.
2) Qu’elle fasse une place, aussi petite soit elle, au
désir
d’être et d’apparaître, au désir de reconnaissance.
L’autorité du droit et de l’état repose toujours sur une
base minimale de légitimité traditionnelle en vue du
droit
de vivre et du droit au bonheur de chacun, ne serait-ce qu’un bonheur
post-mortem
; d’où pour ceux d’en bas, les plus démunis en terme de
pouvoir
social, la nécessité de recourir à une religion
d’état
leur promettant le salut contre leur résignation et leur
présentant
l’obéissance au souverain et à la loi comme un devoir
sacré
auquel il faut se soumettre aveuglément pour le mériter.
Les conditions de la paix civile sont des axiomes qui seuls peuvent
rationnellement mettre fin au danger de la guerre naturelle
généré
par la libre expression des désirs spontanés : elles
valent
comme principes fondamentaux du droit dont les principaux sont :
1) L’obligation de rechercher la paix qui implique la
renonciation
à faire un usage personnel de la violence privée pour
résoudre
les conflits de désirs et d’intérêts particuliers,
à condition que les autres fassent de même.(Droit à
la sûreté)
2) La renonciation réciproque de chacun à son droit
naturel sur toute chose pour se voir garanti dans la possession de ce
qu’il
a ou peut obtenir légalement sans violence. (Droit de
propriété).
3) Le refus réciproque de violer ses promesses. (Droit
contractuel)
4) La réciprocité dans la bienveillance et la
gratitude
(Droit commercial selon une stratégie donnant/donnant).
Mais ces principes resteraient lettre morte sans une autorité souveraine disposant du pouvoir et du droit absolu de les faire respecter par la force ; personne en effet ne pourrait faire confiance à personne si un arbitre supérieur, doté d’un pouvoir transcendant, ne pouvait sanctionner un manquement à la règle de la réciprocité positive qui est la condition formelle de la mise en œuvre de ces principes de paix civile, sans un état suffisamment fort pour garantir à chacun qu’il ne sera pas la victime de l’autre ; mais dans le cadre de cette réciprocité conditionnelle, l’équilibre n’existe pas spontanément : Je peux, en effet, être certain de respecter mes engagements mais je ne peux personnellement pas être assuré, sans risque d’être trompé et trahi, que les autres ne trahiront pas la leur ; or si je dois traiter avec eux pour vivre pacifiquement mes désirs ; leur défection, sans le certitude du risque objectif qu’ils prennent à trahir leur promesse, peut toujours leur apparaître plus profitable que la bienveillance; mais ce risque n’existe, en l’absence de violence privée, que par la sanction et la puissance pacifiante de l’état. Ainsi l’état hiérarchique (autorité souveraine supérieure), le droit (civil et pénal) sont les seules conditions de ma confiance objective dans les autres. Il n’y a de société civile stable possible que par le droit et la souveraineté absolue de l’état.
Or en quoi l’autorité de l’état peut-elle être
absolue
et d’où procède l’autorité inconditionnelle de
l’état
et des règles de droit qu’il édicte et impose?
L’autorité du souverain ne peut être qu’absolue pour 3
raisons :
1) Elle ne peut être ni partagée ni limitée
par un quelconque contre-pouvoir sans voir s’affaiblir son
autorité
et sans voir réapparaître en conséquence des
contradictions
au cœur même du dispositif hiérarchique de l’état ;
ce qui provoquerait immédiatement le risque de guerre civile
contre
lequel l’état a été institué.
2) La volonté générale du peuple n’existe
pas : la société est nécessairement divisée
entre des intérêts individuels ou collectifs
contradictoires
; c’est l’état et l’autorité souveraine absolue qui
transforme
la multitude des individus poursuivant les intérêts
privés
en peuple dont l’unité procède de l’unité du
pouvoir
auquel ils sont soumettent de grès ou de force en vue de
garantir
les droits de chacun ; et cette prétendue volonté du
peuple
n’est que l’expression de la volonté particulière du
monarque
en tant qu’elle seule peut s’imposer à tous pour
préserver
l’ordre commun.
3) Les individus abdiquent par convention de toute volonté
politique dès lors qu’il se soumettent et/ou sont soumis
à
l’autorité d’un seul ; et c’est la condition pour qu’il
jouissent
des bienfaits de la paix civile et de la liberté de faire usage
de leurs biens afin qu’ils poursuivent et en toute tranquillité
leurs intérêts privés, condition de la mise en
oeuvre
de leur droit personnel au bonheur.
Le droit est hiérarchiquement déterminé pour
que
s’impose l’autorité du souverain sans résistance ni
détournement
: le souverain décide et le pouvoir des ses subordonné ne
dépend que de lui car il en est l’émanation
graduée
: l’autorité circule à sens unique du haut vers le bas et
l’information du bas vers le haut de la pyramide hiérarchique
dont
chaque niveau a des droits et des devoirs propres dont l’attribution
relève
de la décision personnelle du souverain absolu. Il n’y a pas de
représentants de la population ayant pouvoir législatif
quelconque
mais que des conseillers du prince et des subordonnés.
Ainsi refuser l’absoluïté de la puissance souveraine, c’est
préparer le retour de la division conduisant à
l’état
de nature comme état de guerre permanent ; c’est refuser
l’état
civil seul garant des libertés individuelles. Celles-ci ont donc
pour condition fondamentale la domination politique de tous par un seul
(monarque ou assemblée) dont le pouvoir illimité ne
connaît
aucune séparation ; même et surtout la religion et
l’église
ne dépendent que de lui pour que cesse cette menace de conflit
toujours
latente entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Le pouvoir
absolu
du prince est donc autant politique et juridique que militaire et
idéologique.
Mais, dira-t-on, le souverain ne peut-il abuser de son pouvoir absolu et instaurer une tyrannie sanglante et terroriste au mépris des libertés privées de ses concitoyens ? S’il le faisait, alors ce serait le retour à l’état de nature et la fin de son autorité : il perdrait rapidement son pouvoir en affaiblissant la société qui est son propre corps (et dont il est la tête) : l’intérêt particulier du souverain s’identifie nécessairement avec l’intérêt général à la paix civile ; ainsi la violence destructrice n’est jamais que le résultat d’un état qui n’en est plus un, d’un état faible et divisé, expression des divisions de la société, en voie d’effondrement. La violence vient non pas du « trop d’état » mais du manque d’état ; elle ne peut venir que de la volonté des particuliers « délivrée » de l’autorité souveraine; le droit et le justice, c’est à dire la maintien de l’ordre et le respect des principes du droit privé, se confondent donc avec l’exercice de la volonté personnelle supérieure et incontestable du souverain. Libéralisme économique et autorité souveraine et absolue de l’état, loin de s’exclure, s’implique nécessairement. Ne faut-il pas, par exemple, la puissance indiscutée de l’état pour garantir la monnaie comme moyen universel de l’échange et le strict respect des règles du droit commercial qui seuls permettent de transformer les rapports de violence (rapine, razzia, escroquerie) en rapport pacifique sur fond de réciprocité libérale, le conflit spontané des intérêts en coopération volontaire mutuellement avantageuse ?
De la volonté générale comme fondement de la politique (Rousseau)
Cette défense de l’absolutisme est impressionnante par sa cohérence théorique apparente et ses référents historiques: la guerre civile est le pire des maux qui peut affecter une société car elle est son mal absolument mortel et l’état, en tant qu’il ne peut et ne doit pas être contesté et donc que son autorité est absolue, s’avère comme le seul moyen d’y mettre fin (ou de la tenir en lisière) en vue de la poursuite du bien-être limité par le droit de propriété et le droit commercial, mais garanti, de chacun. Si l’on veut en percevoir les difficultés, il convient de porter l’examen sur son centre architectonique et névralgique, ce par quoi elle se prétend la plus réaliste et ce par quoi elle manque au réalisme dont elle se réclame : le nature du pouvoir absolu et souverain. On ne peut la mettre en question qu’en s’attaquant à son réalisme expérimental même et non pas en lui opposant l’idéal anarchique et utopique d’une société réconciliée, voire produite, sans pouvoir de contrainte.
Or, si le pouvoir du souverain est absolu, rien ne peut garantir
qu’il
en fasse un bon usage pour lui-même et les autres, à moins
d’être Dieu en personne ; s’il n’est qu’un homme, même
raisonnable,
sa volonté particulière peut être en opposition
avec
celle de ses concitoyens car elle reste sous l’influence de
désirs
passionnels ; il sera toujours tenté, en tout cas de profiter de
son absolu pouvoir pour transformer ses concitoyens en esclaves de ses
passions et cela d’autant plus que son pouvoir est sans limite. La
raison
se développe avec l’expérience de la confrontation avec
les
désirs et les pouvoirs des autres. Seul un pouvoir souverain
mesuré
peut être raisonnable, car il est, dans son intérêt
bien compris, contraint au compromis et au dialogue en vue d’un accord
le plus large possible. Tout pouvoir corrompt (passionne) et le pouvoir
absolu corrompt absolument en rendant tout homme paranoïaque et
tyrannique
(fou) : comme aucun homme ne peut avoir tout pouvoir sur les autres,
à
moins de les supposer dépourvus de désirs propres, ce qui
est absurde du point de vue même de l’expérience
universelle,
quiconque prétendrait au pouvoir absolu serait condamné
au
délire de la persécution car il verrait en chacun un
ennemi
potentiel, ce qu’il deviendrait inéluctablement en effet.
L’amitié
et la confiance suppose l’égalité des pouvoirs ; du reste
Hobbes le dit lui-même : pour négocier il faut être
deux et donc reconnaître à l’autre un certain pouvoir de
nuisance
sur soi et ses intérêts. On ne peut s’entendre vraiment
que
dans une relative égalité des forces : lorsque chacun
peut
menacer l’autre, alors un accord mutuellement acceptable, c’est
à
dire raisonnable, devient possible. Prétendre que le pouvoir
absolu
d’un seul est le seul rempart contre la guerre civile et la condition
des
libertés privées est un paradoxe insoutenable : quiconque
se soumet aux désirs particuliers d’un autre homme disposant du
pouvoir absolu, perd tout droit et toute autonomie et devient son
esclave.
Et par le fait de cette soumission contre-nature (inhumaine), la
révolte
destructrice devient, sinon souhaitable, du moins inévitable. Un
état absolu ne peut être libéral ; ne serait-ce que
parce que le souverain est en état de guerre plus ou moins
permanente
(la situation internationale est telle que, en l’absence de
souveraineté
mondiale, l’état de nature régit les rapports entre
états)
contre les autres princes : pour l’emporter il doit mobiliser,
réquisitionner,
dépouiller et faire tuer ses concitoyens, au mépris de
leur
liberté personnelle et de leurs droits individuels (ne serait-ce
que leur droit à la vie et à la liberté corporelle
minimale que reconnaît Hobbes). Pour accroître son prestige
(passion vaniteuse) sa puissance (passion dominatrice) et ses
territoires
(passion de la possession illimitée), le prince a
intérêt
à la guerre, aux dépens de ses sujets.
Ainsi l’idée même de pouvoir absolu est contradictoire
avec ce que dit Hobbes lui-même de l’origine de la violence : la
nature du désir humain ; la passion illimitée de l’homme,
hors tout droit et hors toute autorité supérieure, ce qui
est justement la situation de prince pour lequel in revendique le
pouvoir
absolu, est nécessairement violente et loin de réduire le
risque de la guerre civile le pouvoir absolu du prince l’aggrave
infiniment!
Les guerres les plus interminables se font toujours au nom d’un pouvoir
supérieur, celui de Dieu ou d’un homme prenant sa place (ce qui
est toujours le cas dans toute religion politique).
Ainsi il n’y d’autorité légitime que limitée et
conditionnelle : celle qui reconnaît être soumise à
un droit universel et qui s’institutionnalise dans état
libéral
dont la mission est d’assurer en la régulant la plus large
autonomie
possible des citoyens. Rousseau prétendait que la loi devait
être
l’expression d’une volonté générale dans laquelle
chacun en se soumettant à la loi de tous n’obéirait
qu’à
lui-même et troquant sa liberté naturelle contre cette
liberté
civile serait aussi libre dans l’état civil qu’à
l’état
naturel. Or selon lui si, cette volonté générale
ne
peut errer, son expression peut être détournée par
les intérêt collectifs particulier, surtout lorsqu’ils
sont
pris en charge par des partis qui prétendent au pouvoir. Il
demandait
donc que la définition du droit soit l’affaire de la
décision
des citoyens, sans représentants ni partis, véritable
souverain
collectif, le prince n’étant que l’exécutant de la loi
dans
les affaires des particuliers.
Or cela suppose que le peuple existe et décide collectivement
de se constituer en peuple (première convention) en
aliénant
tous les droits et biens individuels au profit de la
collectivité
administrée par des magistrats dont l’exercice du pouvoir
exécutif
ne dépend pas des citoyens eux-mêmes, dès lors
qu’ils
ne sont pas responsables de leurs décisions devant le peuple ,
si
ce n'est leur élection à leur poste (ce qui pose bien un
problème logique à Rousseau dont il se tire par un tour
de
passe-passe verbal à sa façon : le magistrat ou prince
pourrait
être élu, car sa fonction est générale mais
ces décisions politiques et juridiques concrètes ne
serait
pas soumises à l’élection car elles s’appliquent à
des cas particuliers). Des représentants concourant à
l’élection
pour gouverner et dont la politique serait soumise à
l’approbation
des citoyens menacerait l’expression de la volonté
générale
et la dégraderait en volonté partisane. Ainsi les
magistrats
dans leur domaine (pouvoir exécutif et judiciaire) pourraient
agir
tous aussi arbitrairement que le prince de Machiavel ou de Hobbes
dès
lors qu'ils feraient l'usage qu'ils veulent de la loi
générale.
La position de Rousseau paraît tout aussi fragile que celle de
Hobbes,
tant sur le plan historique (il ne prétend pas être
historiquement
réaliste) que logique (ce qu’il prétend être)
: elle présuppose que les hommes soient déjà des
citoyens,
animés de l’idée de volonté générale
raisonnable, avant que de vivre en société ; Ils se
formeraient
en peuple uni et se donneraient des lois et des magistrats dont les
décisions,
en application des lois générales, leur
échapperaient
; ne serait-ce que la plus importante de toute du point de vue de
l'égalité
sociale, pour lui fondement de la société juste et
pacifique:
celle qui redistribuerait les biens selon la loi « ni trop, ni
trop
peu » en vue que chacun puisse vivre d’une manière
autonome
de son seul travail et être un citoyen indépendant. Cette
conception de la volonté générale qui ne peut
errer
(mais dont l’expression peut être trompeuse) et qui s’exprimerait
directement pas simple comptage statistique ne retenant que les avis
convergeant,
les avis divergeants s’annulant réciproquement, et dont la
possibilité
ne relève pas de l’état mais du peuple lui-même -
et
là Rousseau avoue les limites de sa position - exigerait, selon
lui, quatre conditions pour être "intellectuellement" possible:
1) Que tous, avant même que de vivre en
société,
se connaissent et se reconnaissent comme membres d’une même
famille
durable, spontanément réunis autour de l’idée
d’intérêt
commun produit pas une vie en commun (ce qui est d’ailleurs
déjà
contradictoire avec l’idée d’état de nature comme
état
asocial): autant dire qu’il doit s’agir d’une tribu
autoconstituée
peu nombreuse, et non d’une société complexe et
développée
dont il dit par ailleurs, qu’étant trop corrompue, elle ne
pourrait
s’amender elle-même (aucune réforme ne serait assez
radicale
et aucune révolution violente ne pourrait établir une
société
juste et égalitaire)
2) Que cette tribu « primitive » de rêve ne
devrait pas dépendre des autres sociétés et
devrait
fonctionner en circuit économique et politique fermé
(autarcie
chère à Aristote).
3) Que, dans tous les cas, seul un législateur divin (ou
christique) pourrait accomplir le miracle de convertir pacifiquement
une
multitude divisée (dans l’état de nature) ou plus large
(issue
d’une société déjà existante et donc
corrompue)
en peuple uni et souverain par l’instauration, sous son autorité
morale, d’une religion civile universelle.
4) Que chaque citoyen participe à la définition
de cette volonté générale d’une manière
strictement
individuelle sans influence réciproque ; donc sans discours
public,
ni espace politique !.
Toutes conditions qui suffisent à considérer que le
modèle
rousseauiste appartient au domaine de l’idéal impossible car
irréalisable
et logiquement absurde ; bref, au champs de la pensée religieuse
suprarationnelle (ce qu’admet Rousseau , du reste). Vouloir appliquer
ce
modèle à la vie politique risque fort d’entraîner
à
une forme de totalitarisme communautariste et moralisateur, ce que
B.Constant
avait bien compris lorsqu’il opposait la liberté des anciens,
aristocratique,
communautaire et politique, et celle des modernes, démocratique,
individualiste et spontanément apolitique.
Marquons les différences et les points communs entre les conceptions de Hobbes et Rousseau: Tous deux veulent résoudre d'une manière définitive la conflit entre la paix civile, la justice et liberté individuelle par des voies contraires: le premier en privilégiant la liberté individuelle privée et l'inégalité économique qu'elle génère sur fond de droit de la propriété des moyens de production et d'échange par la suppression de toute liberté politique (la liberté du propriétaire contre la liberté politique du citoyen), le second en supprimant l'inégalité économique au nom d'une paix civile impliquant l'hypothèse d'une volonté générale générée pas l'égalité économique qui absorberait la liberté individuelle (en substituant le liberté civile collective à la liberté d'action naturelle, tototalement éradiquée). Si l'un veut exclure les citoyens de tout pouvoir politique et refuse toute séparation des pouvoirs et si l'autre veut faire du peuple autoproclamé le souverain dans le domaine législatif, tous deux sont d'accord pour faire du pouvoir exécutif judiciaire un pouvoir unique dont les faits et gestes échappent à tout contrôle démocratique; ce que Kant, lecteur de l'un et de l'autre confirmera en opposant république et démocratie lorsqu'il affirmera que celle-ci ne peut être qu'un despotisme dès lors qu'elle confie au peuple directement ou indirectement les deux pouvoirs (théorie du despotisme éclairé clairement démarquée et transformée de la théorie du philosophe-roi de Platon). Dans tous les cas le vrai pouvoir, celui d'agir concrètement sur la société, est soustrait aux citoyens pour être confié à des magistrats éventuellement élus , mais dont les décisions s'imposent d'en haut en dehors de toute procédure démocratique.
Conclusion: Démocratie et philosophie
De Platon à Marx, en passant par Hobbes et Rousseau, Kant et
Hegel sans parler des dérives du marxisme, au fond, le
problème
de la philosophie classique (et métaphysique) a toujours
été
le suivant: comment résoudre dans la théorie les
contradictions
de la vie en société en proposant des modèles dont
les caractéristiques sont communes: celle d'une ruche
rationnelle
fermée sur elle-même (autarcique) administrée par
un
corps de magistrats au pouvoir soustrait aux conflits des
intérêts
particuliers. Mais cette vision, comme l'a souligné
B.Constant
est liberticide et les tentatives actuelles d'opposer la
démocratie
et la république sont une version recyclée de cette
illusion
obtuse et totalitaire. L'idée de l'état-nation souverain
est partout en crise comme le montre le fractionnement
régionaliste
et le développement des institutions économiques et
politiques
transnationales en un monde en voie de globalisation. L'idée de
non-appartenance ou d'appartenance provisoire et autonome des individus
progresse ainsi que celle de double voire de pluri-nationalité,
le fait des migrations et des hybridations des populations, de la
circulation
sans frontières des marchandises, de l'information, des valeurs
et des savoirs, bref l'ouverture et les changements rapides des
sociétés
font des individus des sujets qui ont tous intérêt
à
l'autonomie.
La propriété privée des moyens de production et
d'échanges, après l'effondrement de la dernière
religion
politique qu'a été le marxisme idéologique et
politique
et des rêves révolutionnaire qu'il entretenait,
s'avère
aujourd'hui indépassable car indispensable, non seulement en
terme
d'efficacité économique, mais surtout à
l'affirmation
du désir d'autonomie des individus, ou tout au moins de la
perception qu'ils en ont en tant que consommateurs de biens et de
services.
Et nul ne peut plus, sans pratiquer le terrorisme, vouloir socialiser,
nationaliser ou étatiser (ce qui revient ici et mantenant au
même)
la sphère de la production et des échanges. Refuser un
monde
idéal de justice économique égalitaire
prédéfini
pour penser les conditions de la gestion politique
démocratique
des contradictions entre la liberté individuelle (et il n'y en a
pas d'autre) telles qu'elles s'expriment dans les
sociétés
ouvertes qui sont les nôtres et l'équité qui veut
dire,
non l'égalité sociale, mais que personne ne soit exclu
par
le jeu des inégalités économiques de l'exercice du
droit au bonheur dans la reconnaîssance et la dignité et
de
l'égalité des chances, telle doit être
l'orientation
réaliste et pragmatique d'une philosophie résolument
libérale,
la seule susceptible de penser le monde contemporain et d'agir sur son
évolution accélérée en un sens qui lie le
désir
d'être par soi-même et la solidarité
nécessaire
à l'affirmation des droits universels.
En ce sens, la démocratie " réelle" est comme tout jeu
social et politique un lieu d'expression des conflits
d'intérêt
et de désirs (y compris les désirs de dignité, de
prestige et de pouvoir) et en cela la position de Hobbes est plus
réaliste
et (donc) libérale que celle de Rousseau qui prétendait
les
évacuer sous la détermination transcendante d'une
prétendue
volonté générale du peuple
présupposée
et prééminente, notion ouvertement métaphysique
(inexpérimentable).
Mais elle aménage, contrairement aux autres jeux politiques, un
espace d'expression pacifique et régulé de ces conflits
en
vue d'obliger les différents intérêts et
désirs
de trouver des compromis provisoires et révisables; de plus
à
la différence des jeux ordinaires, elle a aussi pour enjeu la
définition
des règles de cette régulation. rappellons que le jeu de
la démocratie libérale et réaliste (qui marche
expérimentalement
sans violence ) a pour conditions:
1) La procédure généralisée du vote
majoritaire
(qualifié ou non) pour choisir les dirigeants (pouvoir
exécutif)
et les représentants (pouvoir législatif) des individus
citoyens,
et permettre à ceux-ci de les chasser pacifiquement du pouvoir
s'ils
ont déçu leurs attentes.
2) L'acceptation, sous la menace de sanction, par la minorité
de se soumettre aux décisions de la majorité, à
condition
que celles-ci respectent les règles du jeu démocratique
de
telle sorte que la minorité puisse devenir majoritaire à
son tour (alternance), et que ces décisions garantissent les
droits
libéraux de l'homme et du citoyens (état de droit).
3) Le monopole attribué au pouvoir exécutif de l'usage
légitime de la violence transformée en force de l'ordre.
4) La séparation des pouvoirs: législatif (citoyens et
réprésentants), exécutif (gouvernement) et
judiciaire,
voire idéologique
De par ces conditions, la démocratie réelle et
libérale
ne (doit) présupposé(r) aucune volonté
générale,
si ce n'est celle induite par le désir de la paix civile et le
droit
de propriété de chacun sur soi-même et ses biens
qui
sont au fondement des droits de l'homme et du citoyen; toute les autres
lois et règlements sont l'expression d'une volonté
majoritaire
provisoire qu'il ne faut jamais confondre avec une majorité
générale.
Ce droit de propriété, comme tout droit, dès lors
qu'il met en jeu les intérêts et les désirs
d'autrui,
doit être réglementé afin que les conditions d'une
négociation plus égalitaire soient remplies; en
particulier,
en ce qui concerne les biens de production et d'échange qui ont
nécessairement un fonctionnement social et des enjeux
disputés;
il est par exemple nécessaire d'accorder des droits collectifs
(sociaux)
démocratiques aux salariés dans les entreprises (ex:,
droit
de grève, cogestion capital-travail etc..) pour
rétablir
les conditions d'un compromis social considéré par les
partenaitres/adversaires
comme mutuellement avantageux.
Ainsi, si l'on opte pour le jeu démocratique, qu’on le
veuille
ou non, la politique ne peut plus et ne doit plus surplomber la
liberté
des individus dont l'expression économique centrale est le
droit de propriété, pour lui substituer une
liberté
collective forcément repressive, mais la rendre possible au
bénéfice
mutuel de tous. La politique doit fonctionner au profit de la plus
grande
autonomie possible de chacun dans la mise en œuvre de son droit au
bonheur
personnel . Que cela suppose des conditions politiques (institutions ou
supranationales soumis au contrôle démocratique)
juridiques
(droits universels et libéraux) et sociales (redistribution
et
mise en œuvre des conditions générales de
l’égalité
des chances et de la solidarité nécessaire à
l’exercice
du bien-vivre ensemble), sans aucun doute ; mais cela doit se faire
dans
le jeu politique de la démocratie juridique plus ou moins
manoeuvrée
par des technocrates-spécialites de la chose publique
(démocratie
représentative). La démocratie idéale d'une
société
entièrement autogérée par des individus/citoyens
(pré)conscients
de l'intérêt général, ne vaudrait, comme le
savait Rousseau que pour des Dieux: Elle n'est qu'une fiction
dangereuse
si l'on en fait un argument de vérité politique. La
démocratie réelle et imparfaite est un jeu où
règne
nécessairement, comme le pensait Aristote au contraire de
Platon,
l’opinion pluraliste et conflictuelle, souvent triviale et
démagogique,
parfois plus éclairée; d'où le rôle
incontournable
des médias dans l'animation de la vie publique. Qu’on le veuille
ou non, notre société est devenue individualiste et la
philosophie
n’est pas étrangère à cette évolution
("penser
par soi-même "et pour s'affirmer comme un être autonome, ce
qui ne veut pas dire irresponsable). Son rôle n’est autre que
d’aiguiser
la réflexion des individus-citoyens pour qu’ils prennent
conscience
des contradictions sociales et idéologiques qui animent la vie
publique
et de leurs enjeux . Les philosophes n’ont à être ni des
gourous
politiques, ni des conseillers des princes, ni des faiseurs d’opinion,
mais des éclaireurs critique de la pensée citoyenne.
S.Reboul, le 21/07/00