Le concept de"gouvernance", qui apparaît
dans les textes de certains projets de constitution de l’Europe unie
inspirés
de la conception libérale anglo-saxonne de l’état, semble
vouloir limiter le rôle de celui-ci à le seule
définition
et au respect des règles et des procédures formelles des
relations entre les acteurs de la société civile afin de
leur laisser le soin de contracter librement entre eux des
modalités
concrètes et du contenu de leur accord . Pour cette conception
du
rôle de l’état, la politique serait essentiellement l'art
de réguler les relations entre les différentes parties
prenantes
de la société civile afin qu'elles déterminent
elles
mêmes les conditions de leurs échanges et de leurs
rapports
en vue de la satisfaction de leurs intérêts mutuels;
l'état renoncerait à décider centralement,
à
la place des acteurs sociaux, de l'intérêt
général
et/ou commun. En cela il s'agit bien d'une conception libérale
de
l'art de gouverner. Avec ses risques et ses avantages.
Le risque le plus fondamental c'est de voir
s'affirmer
les rapports de force, les disparités et les
inégalités
sociales, économiques et culturelles, dès lors que
l'état
renoncerait à peser en faveur des intérêts des plus
faibles dans un but de justice sociale afin de rétablir une
réelle
et non pas seulement formelle égalité transactionnelle
entre
les acteurs sociaux. exemple l'état devrait s'abstenir de
décider
des revenus sociaux minimums garantis; comme il ne devrait pas
intervenir
dans les accords sur les salaires et les conditions de travail (les 35
h); voire la définition des contenus de l'enseignement pour
laisser
aux individus concernés plus ou moins organisés la plus
large
marge de manœuvre possible. Or on voit bien en quoi les corporatismes
contradictoires
s'affirmeraient et en quoi les plus puissants seraient avantagés
sans le contrepoids de l'état animé du souci de la
cohésion
sociale et de la cohérence des objectifs concrets poursuivis.
Mais l'avantage essentiel serait de faire
largement
participer les acteurs sociaux à la définition du bien
commun,
confondu avec l'intérêt mutuel contractualisé, en
fonction
de la perception qu'ils en ont à leur différents niveaux
et intérêts, pour qu'ils négocient
eux-mêmes
les compromis les plus favorables (ou les moins défavorables)
afin
de les responsabiliser. L'état ne serait plus un Dieu-Providence
tout puissant, juste en soi et/ou nécessairement rationnel
(Hegel),
dispensant le bonheur collectif (le salut) des hommes, à la
condition
qu'ils se soumettent à son autorité transcendante
bienveillante.
Il deviendrait une institution plus technique, donc plus
administrative,
que politique : l’état régulateur des procédure
d’arbitrage
des conflits sociaux et non pas l'état incarnant, de par sa
seule
supériorité constitutive, le bien commun qu'il serait
censé
pouvoir définir en fonction d'une idée
préconçue
de la justice en soi.
Comment traiter cette apparente contradiction
entre le souci du bien commun et celui de la liberté responsable
des acteurs sociaux? Entre une conception libérale et
contractuelle
du vivre ensemble et une conception autoritaire et centralisée
présumée
plus égalitaire et plus universelle quant au contenu des prises
de décisions ?
Il me semble que le problème de la
régulation
en doit pas être envisagé dans un cadre seulement formel,
mais doit concerner la correction des inégalités
réelles
(ex la parité) et que l'état doit donner à tous
des
moyens sinon identiques du moins équivalents de faire valoir
leur
point de vue dans les prises de décisions en se réservant
par la voie législative et réglementaire le rôle
d'assurer
la cohérence finale des accords conclu, l’égalité
des chances et des droits réels pour tous les acteurs de
négocier
(ex: loi cadre), et la hiérarchisation des priorités plus
ou moins spontanément opposées, tel est le rôle de
l'état libéral, non contre l'égalité, mais
en vue d'une égale participation de tous à la vie civile
et à la définition de leurs rapports ; cette
égalité
est, en effet, seule libérale, si tant est que la liberté
est universelle ou n'est pas.
Faire jouer aux acteurs sociaux pleinement leur
rôle pour traiter des conditions de leur accord suppose que
l'état
démocratique interviennent par la voie législative et
réglementaire,
pour assurer à tous le droit réel de négocier (et
éventuellement l'impose à qui s'y refuse). Mais, autant
que
faire ce peut, il ne doit pas faire une politique sociale au dessus
d'eux.
La politique sociale démocratique est l'affaire des mouvements
sociaux
et des forces sociales qui les animent que, en leur absence,
l'état
est impuissant à définir et encore moins à
imposer.
La gouvernance, à mon sens, c'est cela: faire jouer
à
plein les mouvements et les acteurs sociaux responsabilisés dans
un cadre légal autant que possible politiquement
égalitaire
en droit et en fait, qui autorise, voire exige une négociation
permanente
pour définir les conditions concrètes de leur accord
mutuel
(contrat social ; ex: cogestion paritaire).
Le terme de gouvernance implique donc, à
mon sens, une évolution profonde la démocratie dans le
sens
de la remise en cause du modèle républicain centraliste
à
la française, dont nous savons qu’il est souvent une fiction
théorique
qui présente le risque de déresponsabiliser les acteurs
sociaux,
au profit de la définition libérale et contractuelle de
l’intérêt
général, exigeant la plus large participation
conflictuelle
de tous à la négociation sociétale dans un cadre
permettant
la mise en œuvre discutée des compromis entre les
intérêts
collectifs nécessairement divergents, quitte à
l’état
central d’assurer les arbitrages sur le fond, par la voie
législative,
en cas de désaccords irréductibles persistants.