Gouvernance et libéralisme

 Point de vue sur la notion de "Gouvernance" par Michel Mercadié,Vice-Président de la FEANTSA

Le concept de"gouvernance", qui apparaît dans les textes de certains projets de constitution de l’Europe unie inspirés de la conception libérale anglo-saxonne de l’état, semble vouloir limiter le rôle de celui-ci à le seule définition et au respect des règles et des procédures formelles des relations entre les acteurs de la société civile afin de leur laisser le soin de contracter librement entre eux des modalités concrètes et du contenu de leur accord . Pour cette conception du rôle de l’état, la politique serait essentiellement l'art de réguler les relations entre les différentes parties prenantes de la société civile afin qu'elles déterminent elles mêmes les conditions de leurs échanges et de leurs rapports en vue de la satisfaction de leurs  intérêts mutuels; l'état renoncerait à décider centralement, à la place des acteurs sociaux, de l'intérêt général et/ou commun. En cela il s'agit bien d'une conception libérale de l'art de gouverner. Avec ses risques et ses avantages.
Le risque le plus fondamental c'est de voir s'affirmer les rapports de force, les disparités et les inégalités sociales, économiques et culturelles, dès lors que l'état renoncerait à peser en faveur des intérêts des plus faibles dans un but de justice sociale afin de rétablir une réelle et non pas seulement formelle égalité transactionnelle entre les acteurs sociaux. exemple l'état devrait s'abstenir de décider des revenus sociaux minimums garantis; comme il ne devrait pas intervenir dans les accords sur les salaires et les conditions de travail (les 35 h); voire la définition des contenus de l'enseignement pour laisser aux individus concernés plus ou moins organisés la plus large marge de manœuvre possible. Or on voit bien en quoi les corporatismes contradictoires s'affirmeraient et en quoi les plus puissants seraient avantagés sans le contrepoids de l'état animé du souci de la cohésion sociale et de la cohérence des objectifs concrets poursuivis.
Mais l'avantage essentiel serait de faire largement participer les acteurs sociaux à la définition du bien commun, confondu avec l'intérêt mutuel contractualisé, en fonction de la perception qu'ils en ont à leur différents niveaux et intérêts, pour qu'ils  négocient eux-mêmes les compromis les plus favorables (ou les moins défavorables) afin de les responsabiliser. L'état ne serait plus un Dieu-Providence tout puissant, juste en soi et/ou nécessairement rationnel (Hegel), dispensant le bonheur collectif (le salut) des hommes, à la condition qu'ils se soumettent à son autorité transcendante bienveillante. Il deviendrait une institution plus technique, donc plus administrative, que politique : l’état régulateur des procédure d’arbitrage des conflits sociaux et non pas l'état incarnant, de par sa seule supériorité constitutive, le bien commun qu'il serait censé pouvoir définir en fonction d'une idée préconçue de la justice en soi.
Comment traiter cette apparente contradiction entre le souci du bien commun et celui de la liberté responsable des acteurs sociaux? Entre une conception libérale et contractuelle du vivre ensemble et une conception autoritaire et centralisée présumée plus égalitaire et plus universelle quant au contenu des prises de décisions ?
Il me semble que le problème de la régulation en doit pas être envisagé dans un cadre seulement formel, mais doit concerner la correction des inégalités réelles (ex la parité) et que l'état doit donner à tous des moyens sinon identiques du moins équivalents de faire valoir leur point de vue dans les prises de décisions en se réservant par la voie législative et réglementaire le rôle d'assurer la cohérence finale des accords conclu, l’égalité des chances et des droits réels pour tous les acteurs de négocier (ex: loi cadre), et la hiérarchisation des priorités plus ou moins spontanément opposées, tel est le rôle de l'état libéral, non contre l'égalité, mais en vue d'une égale participation de tous à la vie civile et à la définition de leurs rapports ; cette égalité est, en effet, seule libérale, si tant est que la liberté est universelle ou n'est pas.
Faire jouer aux acteurs sociaux pleinement leur rôle pour traiter des conditions de leur accord suppose que l'état démocratique interviennent par la voie législative et réglementaire, pour assurer à tous le droit réel de négocier (et éventuellement l'impose à qui s'y refuse). Mais, autant que faire ce peut, il ne doit pas faire une politique sociale au dessus d'eux. La politique sociale démocratique est l'affaire des mouvements sociaux et des forces sociales qui les animent que, en leur absence, l'état est impuissant à définir et encore moins à imposer. La gouvernance, à mon sens,  c'est cela: faire jouer à plein les mouvements et les acteurs sociaux responsabilisés dans un cadre légal autant que possible politiquement égalitaire en droit et en fait, qui autorise, voire exige une négociation permanente pour définir les conditions concrètes de leur accord mutuel (contrat social ; ex: cogestion paritaire).
Le terme de gouvernance implique donc, à mon sens, une évolution profonde la démocratie dans le sens de la remise en cause du modèle républicain centraliste à la française, dont nous savons qu’il est souvent une fiction théorique qui présente le risque de déresponsabiliser les acteurs sociaux, au profit de la définition libérale et contractuelle de l’intérêt général, exigeant la plus large participation conflictuelle de tous à la négociation sociétale dans un cadre permettant la mise en œuvre discutée des compromis entre les intérêts collectifs nécessairement divergents, quitte à l’état central d’assurer les arbitrages sur le fond, par la voie législative, en cas de désaccords irréductibles persistants.



Point de vue sur la notion de "Gouvernance" par Michel Mercadié,Vice-Président de la FEANTSA

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