Ethique et droit

Dialogue entre  Patrick (en rouge) participant au forum de l'Agora et Sylvain Reboul (en vert)



Patrick:

Dans ce message que vous intitulez "Pour une éthique pragmatique", vous défendez l'idée d'une éthique qui trouve sa source dans l'expérience humaine de soi à soi ,de soi à autrui et de soi au monde, réfutant par là toute éthique (et celle de Kant au premier chef) qui chercherait à déterminer des principes universels sans prendre en considération la nature désirante de
l'homme. Je partage votre conception critique; il me semble en effet nécessaire qu'une théorie éthique se doive de développer une conception réaliste, c'est-à-dire humainement réalisable, et qu'elle doive pour cela prendre en considération la nature humaine et les éléments qui la composent.
Un argument fort en faveur de cette perspective me semble être le besoin qu'a une théorie éthique d'inspirer le désir de s'y conformer; et cette exigence que je pose pour toute théorie éthique implique qu'elle soit humainement réalisable, et que, par suite, elle repose sur une conception réaliste de la nature humaine.
C'est la raison pour laquelle je souhaiterais interroger ce que vous appelez l'éthique pragmatique, car jusqu'à présent, vous ne l'avez exposé que par la négation de toute éthique non-pragmatique, et ce faisant j'espère vous offrir l'occasion de préciser votre pensée.

Vous écrivez : " en éthique individuelle il convient de rechercher non l'absolu, mais le convenable, c'est à dire le meilleur compromis régulateur possible entre le l'universellement souhaitable dans tel ou tel contexte de désir et le réellement possible "

Je m'interroge tout d'abord sur votre concept d' 'universellement souhaitable. En présupposant que vous visiez une méthode de recherche de ce qui est souhaitable qui ne soit pas basée sur une détermination a priori de quelques " souhaits universels " (puisque c'est précisément ce que vous critiquez), je ne peux envisager cette recherche que sous un angle méthodologique empirique et inductif  qui, en principe, pourrait aboutir à une approximation de ce qui est universellement souhaitable. Mais cette méthode de recherche soulève plusieurs questions, qui trouvent leur source dans la problématique du relativisme :
1) un relativisme historique (chaque époque a des valeurs différentes et donc des objets de souhait et de désir différents)
2) un relativisme culturel (chaque culture a une " table " des valeurs différentes et donc des objets de souhait et de désir différents)
3) un relativisme individuel (chaque individu à des valeurs différentes et donc des objets de souhait et de désir différents)

Pourtant, il semble que vous croyiez en un dénominateur commun à l'ensemble de ces valeurs variées et relatives. Est-ce vraiment le cas ? Si oui, comment justifier l'existence d'un tel dénominateur commun ? Et comment le déterminer ?

Vous parlez de contextes de désirs. Mais en réduisant la possibilité d'une attitude éthique au désir individuel de s'y employer, ne risquez-vous pas encore une fois de laisser l'éthique s'immerger dans les flots du relativisme ? Je partage votre croyance dans le besoin de rendre l'éthique plus proche de la nature désirante de l'homme, mais je me retiens de la réduire à ce désir.

En définissant le compromis à trouver comme étant ce qui se situe entre " l'universellement souhaitable dans tel ou tel contexte de désir et le réellement possible ", vous ne laissez une place à la dimension cognitive que dans  l'ordre de l'étude des moyens possibles pour réaliser la fin souhaitée et désirée (cf. Hume). Mais, pourtant, nous pouvons juger de la valeur éthique d'une fin désirée ou  souhaitée, et peut-être le devons-nous ? A nouveau, laisser la question des fins au " bon vouloir" de nos désirs et de nos souhaits me semble faire pencher une théorie éthique vers le relativisme.

Selon votre postulat méthodologique, l'objet de recherche d'une éthique pragmatique (le convenable) n'est pas déterminable (à supposer qu'on y parvienne) une fois pour toutes, car sa détermination dépend principalement des " contextes de désir " dans lesquelles il pourrait se révéler. En ce sens, l'objet de l'éthique individuelle et les moyens de le réaliser ne semblent pas
pouvoir être codifiables, ne semblent pas insérables dans l'expression d'un principe. Pourtant, vous attribuez à l'objet de la recherche éthique un rôle régulateur (" le meilleur compromis régulateur possible ") qui ne me semble pouvoir être conféré que par un principe de conduite.

Bien à vous

Patrick



Sylvain Reboul:

De l'universalité du droit démocratique et de la diversité des éthiques du bonheur

Chaque formation sociale définit ses normes régulatrices en fonction de principes axiomatiques qui en tant que tels ne sont ni vrais, ni faux, ni justes, ni injustes; ils ne sont appréciables, validables et donc critiquables que par les effets de cohérence ou d'incohérence qu'ils produisent dans telle ou telle la formation sociale et culturelle déterminée. Ces effets peuvent générer, dans telles ou telles conditions, de la violence ou de la régulation, de l'autonomie ou de la domination, de la solidarité et de la compétition constructive ou destructive et c'est par ces effets réels et les pratiques qu'ils autorisent et non par leurs
valeurs intrinsèques qu'ils doivent être jugés.

Il est clair que dans ces conditions on ne peut comparer, ni hiérarchiser des principes régulateurs et les valeurs de formations sociales et culturelles différentes, incompatibles entre elles. La seule supériorité des valeurs laïques et démocratiques et des règles égalitaires qu'elles promeuvent, c'est qu'elles autorisent dans notre culture une adaptation permanente du droit à l'évolution rapide des techniques et aux formes de vie relationnelles plus autonomes et plus ouvertes donc plus universelles qu'elles rendent possibles et nécessaires. En cela le modèle démocratique est le seul qui aujourd'hui dans un monde ouvert et pluriel peut être universalisable sans contradictions autodestructrices (voir aussi la question des armes nucléaire et autres, de la pollution  qui concernent la survie de l'humanité tout entière). Cette supériorité n'est pas métaphysique mais historique. Là question est donc pour nous de savoir si nous voulons changer de type de société ou non: avancer dans la construction de la
démocratie mondiale pour la rendre plus libérale et raisonnable ou reculer vers de formes pré démocratique de régulation inadaptées au monde moderne et donc nécessairement hyper violentes. Ce sont les conditions de la modernité qui, à mon sens, imposent comme seul choix rationnel, pour réguler les relations intra et inter étatiques, un droit universel (international)
de type techno-démocratique, laïque, c'est à dire non religieux (non-transcendant et pragmatique) ; lequel commence déjà à se mettre en place dans ses fondations juridiques mais reste à construire et à mettre en oeuvre dans des institutions disposant de l'autorité et de la légitimité nécessaires.

Enfin c’est à chacun dans ce cadre libéral de construire une, voire des éthiques régulatrices du bonheur toujours négociables selon les jeux sociaux et stratégiques dans lesquels il investit son désir d’être : jeux économiques, jeux sportifs, jeux politiques, jeux amoureux, jeux familiaux etc, souvent plus ou moins combinés et dont les valeurs, règles et enjeux diffèrent
profondément, voire s’opposent.. Ces éthiques sont pragmatiques en cela qu’elles peuvent faire intervenir la théorie des jeux en vue d’une optimisation des intérêts en jeux et au vue de l’expérience du succès et de l’échec ; en cela, elles sont donc rationalisables. Mais les choix stratégiques relèvent du sujet dans la saisie du plaisir qu’il prend ou non à jouer ses différents
jeux et à y construire sa recherche du bonheur,or cela ne peut faire l’objet d’une science quelconque.



Patrick:

Etant globalement d'accord avec ce que vous écrivez, je souhaiterais approfondir la question spécifique des manières par lesquelles il nous est possible de juger les codes moraux d'une culture différente.

Vous écrivez que nous pouvons juger les normes régulatrices d'une société à la lumière des effets réels et des pratiques que ces normes autorisent dans telle ou telle formation sociale et culturelle; ceci me semble être une manière intéressante de se décentrer pour pouvoir juger les codes moraux d'une culture différente de la nôtre sansle poids englobant des préjugés et des valeurs normatives induites par notre propre culture.

Toutefois, je me demande si le fait de juger un code moral auquel nous ne participons pas à la lumière de ces seuls effets ne réduit pas notre jugement à l' appréhension d'une caractéristique qui est insuffisante pour déterminer lavéritable portée morale de ce code moral.

    Je vais me servir d'un exemple concret pour illustrer cela: les premiers explorateurs européens qui débarquèrent
    dans la baie de Hudson rencontrèrent des tribus qui considéraient comme une obligation le fait de tuer leurs parents
    avant qu'ils ne deviennent vieux et incapables de se prendre en charge eux-mêmes. A la lumière des seuls effets de
    cette coutume, nous serions probablement enclins à la juger criminelle. Mais peut-être "tuer un parent âgé"
    signifiait pour ces tribus permettre à un parent d'accéder à une contrée heureuse réservée aux victimes de mort
    violente (à la condition que cette mort ne soit occasionné que par un proche parent de la victime).

    Cette croyance tribale selon laquelle seuls les parents âgés victimes de mort violente peuvent accéder à une
    contrée heureuse est inattaquable; elle est un de ces axiomes dont vous dites qu'ils ne sont ni vrais ni faux.

    Ainsi, juger cette norme à la lumière des effets qu'elle engendre semble mener à un jugement négatif qui nous
    pousse à extraire cette norme du cadre de la moralité. Mais la juger à la lumière des croyances qui la portent et des
    intentions qui la président semble induire une différence dans la nature du jugement que nous portons sur elle, et la
    réintroduire dans le cadre de la moralité (et non pas simplement "notre" moralité, car il est fort probable que "tuer
    une personne", toutes choses considérées étant égales, est une norme inacceptable dans n'importe quelle culture).

    Evidemment, cette manière de voir entraîne une quantité de difficultés dont nous pourrons peut-être nous entretenir.

   



Sylvain Reboul:

    Il faut faire une distinction, en effet, entre le sens et la valeur d'une pratique dans sa culture et celle qu'on lui
    attribue de l'extérieur. La croyance dont vous parlez, laquelle justifie religieusement l'euthanasie des veillards par
    leur proches, est comme toute croyance indiscutable, dès lors qu'elle est considérée comme sacrée. Mais c'est
    justement ce caractère sacré qui pose problème dans un monde où les frontières culturelles (religieuses et non
    religieuses) s'estompent et où chacun peut juger en référence à d'autres cultures de la valeur des valeurs et des
    normes de celle dont il est issu. Dans un contexte pluraliste, la seule attitude convenable (au sens d'Aristote:à la
    fois souhaitable et réaliste pour réduire le risque de violence et bien vivre ensemble) est l'attitude qui remet en
    question le sacré au nom de l'autonomie des individus et de leur droit à vivre dans la dignité, quel que soit leur
    âge.

    C'est dire que pour des raisons historiques, il n'est pas raisonnable de vouloir que se maintiennent des pratiques de
    discriminations (ex: entre les vieux et les jeunes, les hommes et les femmes, les maitres et les esclaves etc..)qui,
    dans le monde pluraliste d'aujourdhui où plus personne ne peut, ni ne doit être enfermé dans sa culture, ne peuvent
    être interprétés, y compris par les acteurs eux-mêmes (au moins potentiellement) que comme des actes de violence,
    rationnellement injustifiables.

    C'est pourquoi le culturalisme est erronné: il prétend bloquer l'évolution du monde et des individus en usant de
    catégories dépassées par l'universalisation des normes de vie exigée par l'ouverture universelle des frontières
    économiques, idéologiques et politiques et l'évolution des techniques qui concernent aujourd'hui en mal (les armes
    atomiques et bactériologiques) et en mieux( la médecine) l'espèce humaine toute entière. L'évolution technologique,
    La mondialisation des échanges marchands et la mobilité planétaire des individus est incompatible avec le
    maintien du sacré, sauf à accepter l'extrême violence que ce maintien, en dehors du contexte de séparation des
    cultures -aujourd'hui impossible-, ne manquerait pas d'entrainer.

    On peut toujours réver d'un retour en arrière où d'un arrêt de la mondialisation des échanges; mais ce rève a toute
    les chances de tourner au pire: l'autodestruction par la guerre et la terreur technologiques de l'espèce. Le
    développement du libéralisme critique (anti-dogmatique), culturel, politique (démocratie pluraliste) et pragmatique
    me semble, dans le monde actuel et futur, la seule chance de notre survie.



    Patrick

    1) Ce que met en jeu le pouvoir d'homogénéisation d'une mondialisation des échanges marchands est l'identité
    collective d'un peuple donné, identité qui se base sur un systèmes de croyances et de modes de vie propre à ce
    peuple et dans lequel le sacré peut être un élément constitutif.

    2) Ce que défend la démocratie laïque est le droit qu'a tout individu de se construire une identité personnelle sur la
    base d'un système de croyances et de modes de vie auquel il peut consentir librement (avec les limites que l'on
    connaît).

    3) Il existe sur cette planète certaines cultures dans lesquelles l'identité personnelle (qui dans ces cultures serait un
    concept probablement incompréhensible) n'est atteignable QUE par l'identité collective.

    La conjonction de 1,2 et 3 mène à:

    4) Une démocratie laïque planétaire doit défendre le droit qu'a tout peuple ou toute culture de vivre en accord avec
    les croyances et les modes de vie (dont le sacré peut être un élément constitutif) qui constituent son identité
    collective.

    Non?



  Sylvain Reboul:
 
    Il n'y a pas d'équivalence philosophique possible entre une culture qui pratique la violence, en la justifiant au nom
    de valeurs irrationnelles non universalisables, et une culture qui se fonde sur le refus, ou l'évitement de la violence,
    dans le cadre d'un droit universel, pour régir les rapports humains.

    Dans un monde ouvert et pluraliste une culture de la violence ne peut prétendre s'imposer que par la violence sur
    les siens et sur les autres (voir le nazisme); il est faux de penser qu'un individu, aujourd'hui, ne peut construire son
    identité qu'en se soumettant à des valeurs collectives traditionnelles, car ces valeurs sont partout en crise (et c'est
    tant mieux pour l'autonomie personnelle): les luttes des femmes et des hommes (voir des enfants), partout dans le
    monde, contre l'esclavage qui leur est imposé en témoignent.

    Nous avons donc le droit ( et même le devoir) de soutenir, par exemple,les luttes des femmes contre l'excision,
    celles contre le système des castes en Inde etc.. et d'approuver la prise en compte, partout dans le monde, des
    droits des individus à vivre dans la dignité et la reconnaissance de leur autonomie personnelle.
    Entre les talibans et nous, il n'y a ni dialogue,ni tolérance possible; et cela tient à leur culture qui exclut le dialogue
    par principe: On ne dialogue pas avec le sacré: on s'y soumet sans condition!; ce qui est vrai, c'est que nous ne
    pouvons nous substituer aux afghans pour les libérer malgré eux. Et que notre soutien ne doit pas autoriser un
    quelconque domination.

    Or la culture de la liberté de penser (la philosophie) n'est pas, en tant que telle, dominatrice: sa lutte contre
    l'obscurantisme est un bien pour tous les hommes, puisqu'elle n'exclut personne de la jouissance de son égal droit
    au bonheur. La philosophie n'est pas une idéologie parmi d'autres: elle est une pratique de libération critique
    vis-à-vis des dogmes de toute nature (penser par soi-même) qui réduisent notre désir d'être, c'est à dire notre
    autonomie et notre puissance d'agir. En cela elle n'est pas plus occidentale qu'orientale; sauf à confondre la
    géographie avec l'histoire.
 
    Je ne pense pas, contrairement à certains sur ce forum, que l'on puisse et que l'on doive exiger des hommes d'être
    des héros et des saints en prétendant leur faire renoncer à leur égoïsme pour se sacrifier aux autres, sans y trouver
    de satisfaction morale personnelle; car je ne prétends en être capable moi-même; et, de plus, je vois pas aux nom
    de quoi je renoncerais au bonheur personnel (contentement intérieur) pour le bien (bonheur) d'autrui, car un tel
    renoncement serait logiquement non réversible et donc non universalisable, à moins d'en faire la condition de mon
    propre bonheur. Toute religion, d'ailleurs promet le bonheur et le salut, au moins dans le ciel, pour inviter les
    fidèles à l'altruisme. Toute morale joue sur la culpabilité et l'évitement la souffrance morale (humiliation et
    indignité) et de la recherche de la dignité personnelle, voire de la rédemption, pour être efficace.
    Ne pas être désiré par l'autre dans l'amour est une humiliation qui rend l'amour impossible (à moins de la
    confondre avec la passion romantique qui valorise l'échec au nom de la "belle" souffrance: ce qui est désirable
    dans l'échec et la souffrance romantique c'est la posture artiste du poète et l’œuvre qu'il en fait) et cette humiliation
    signifie que le désir du désir de l'autre est toujours désir d'être désiré pour s'aimer soi-même (y trouver le sens de
    son être). Ceci dit l'amour a ses règles qui ne sont pas celles du commerce; l'amour n'est pas la prostitution; la
    réciprocité est qualitative, durable et l'égoïsme y est altruiste en cela que l'échange se donne la forme de la gratuité
    apparente du don réciproque; mais il reste toujours, à terme, conditionné par un retour, à moins de désirer souffrir
    (masochisme romantique).

    L'action morale n'est jamais désintéressée, car elle met toujours en jeu la relation consciente positive de soi à soi
    (estime de soi, dignité, respect etc...): pouvoir garder la face ou se regarder dans la glace, comme on dit, est
    toujours de l'ordre du bonheur et du désir comme amour de soi qui n'implique pas nécessairement le mépris des
    autres. C'est au contraire celui qui se méprise et ne s'aime pas qui hait et méprise les autres. Si l'on veut s'élever
    moralement, cette élévation est indissociable de l'idée que l'on se fait de sa valeur et de la jouissance que l'on
    éprouve d'en être capable. L'idée de bonne conscience et de mauvaise conscience morale implique donc
    l'expérience du bonheur et du malheur comme expression positive et négative de l'amour de soi.

    Mais la morale n'est pas le droit: qu'on le veuille ou non, notre société est laïque, individualiste, libérale et
    pluraliste sur le plan moral (voir les questions de l'avortement, des manipulations de l'embryon humain, et du
    clonage thérapeutique). Le droit doit pacifier les relations entre des individus et des groupes QUI NE S'AIMENT
    PAS et ne ressentent pas l'obligation de s'aimer car ils ont des intérêts différents, voire contradictoires (contrat,
    compromis etc..). Exiger une même morale de l'amour universel (conception transcendante univoque du Bien) pour
    tous; c'est vouloir retrouver la communauté (Die Gemeinschafft) contre la société (Die Gesellschafft), c'est vouloir
    restaurer le rêve d'une théocratie mondiale contre la démocratie ; celle-ci n'a besoin de rien d'autre que les droits
    de l'homme et les procédures démocratiques du débats politiques, auxquelles il convient de former, en effet, les
    citoyens dans un cadre public (l’école de la république) ; pour le reste la liberté de culte et de morale personnelle
    suffit (dans les limites du droit : personne n’oblige une femme à avorter contre sa conscience, mais personne ne
    doit obliger une femme à renoncer a se faire avorter, dès lors qu'elle en a le droit !).

    Les seules sociétés communautaires possibles, aujourd’hui, dans le monde ouvert et pluralistes qui est le nôtre,
    sont les sectes !



 

     Patrick:

    "je vois pas aux nom de quoi je renoncerais au bonheur personnel (contentement intérieur) pour le bien (bonheur)
    d'autrui"

    Alors, laissez-moi retourner la question. Au nom de quoi (AU-DELA du désir égoïste) renoncez-vous au bonheur
    d'autrui pour votre propre bonheur personnel?

    



    Sylvain Reboul

    Parce que je ne suis pas pervers, ainsi que l'immense majorité d'entre nous; quant aux pervers, s'ils ont du plaisir,
    ils ne peuvent jamais être heureux; à moins de justifier leur plaisir pervers dans celui, tout aussi pervers, d'autrui
    (sado-masochisme); et encore, il faudrait qu'ils soient capables de sortir de leur implacable rituel pour rencontrer
    un minimum de réciprocité, ce qui exigerait qu'ils se dégagent de leur perversion pornographique pour accéder au
    jeu érotique; ce qui veut dire qu'ils soient guéris de leur perversion!
    Voyez une autre de mes réponses sur le sujet sur ce forum et sur mon site le texte "amour et sexualité".

    Ne confondez pas amour érotique et pornographie et ne confondez pas bonheur et plaisir: il n'y a pas de pervers
    heureux: . Et n'interprétez pas ma position au travers de ces confusions que je tente justement de dissiper; si vous
    tenez à ces confusions (qui ont une trop longue histoire religieuse et qui ont servi de justification à la répression de
    la sexualité et du corps et au mépris du désir d'être heureux ici-bas), pour justifier votre moralisme, c'est votre
    problème, mais pas le mien! La condamnation sans nuance de l'égoïsme est aussi une condamnation de la liberté
    individuelle: on peut faire un usage altruiste de l'égoïsme: qui aime faire l'amour sait cela!

    La perversion est une maladie mentale, elle se soigne non par la morale mais par la psychiatrie. 


    Patrick:

    "L'action morale n'est jamais désintéressée, car elle met toujours en jeu la relation consciente positive de soi à soi
    (estime de soi, dignité, respect etc...)"

    Que l'action morale s'accompagne du respect et de l'estime de soi, je ne le conteste pas. De même, je ne conteste
    pas qu'il est probablement nécessaire d'avoir du respect et de l'estime pour soi pour pouvoir agir moralement.
    Mais la véritable question est de savoir si la raison ou la motivation qui me pousse à l'action morale est
    simplement réductible à ce respect et à cet estime, cad à un intérêt centré sur soi.

    Qu'il existe des sentiments altruistes comme la bienveillance, la compassion, la sympathie, la générosité, l'amitié
    ou l'amour semblent indiquer le contraire. Vous réduisez ces sentiments à des intérêts ultimement centrés sur soi, et
    ce faisant, je pense que vous perdez de vue la véritable nature de ces sentiments (comme l'indique votre message
    ultérieur). Lorsque l'on donne des sous à une personne nécessiteuse dans la rue, on peut être motivé par deux
    facteurs: soit on lui donne des sous pour pouvoir nous regarder dans la glace, soit on lui donne des sous par
    compassion pour sa situation malheureuse. La première motivation n'est pas, à mon sens, morale (même si elle l'est
    de façade), la seconde est morale. Cette différence n'est pas mince, elle est fondamentale. Lorsque vous prenez la
    peine d'écouter une personne qui est malheureuse, vous pouvez soit être motivé par l'intérêt personnel que vous
    avez à l'écouter (intérêt qui consistera à pouvoir vous regarder dans la glace le soir venu) et la considérer comme
    un moyen de parvenir à vos fins, soit être motivé par une véritable compassion pour le malheur de cette personne
    qui vous fera considérer cette personne comme étant une fin en soi. La QUALITE de votre disposition à l'écouter
    sera tout-à-fait différente d'un cas à l'autre, et la personne qui vous parle le ressentira certainement. Quant à
    l'amour, il semble bien qu'il ne vous ait jamais été donné la possibilité de vivre sa merveilleuse pureté, toute
    empreinte du désir de faire du bien à l'autre, de manière inconditionnelle.

    Enfin, je vous réitère mes questions: comment expliquez-vous le sacrifice d'un soldat pour sauver ses camarades,
    ou le sacrifice d'une mère pour sauver son enfant?



    Sylvain Reboul :

    Même Kant doutait de la possibilité d'agir par devoir pour n'en faire qu'un idéal régulateur transcendantal (et non
    pas transcendant) de la raison. Le liberté de renoncer au désir n'était chez lui qu'un postulat de la moralité, telle
    qu'il la définissait par l'impératif catégorique (qui me paraît une fiction inutile et dangereuse), et non un fait; mais il
    ajoutait que le bonheur était un devoir indirect en vue de la moralité, car, dans le malheur, l'homme ne peut que très
    difficilement être moral; ce qui à mon sens relativise notre capacité à agir réellement sans désir de bonheur. Que le
    bonheur soit un moyen de la moralité, soit; mais il ne peut l'être que s'il est aussi sa fin sous la forme du devoir de
    se respecter soi-même dit Kant (qui précise que c'est la raison qui, dans ce cas, agit sur la sensibilité et non
    l'inverse ; ce qui, on l'avouera, est bien aventureux, car cela suppose une autonomie absolue de la raison par
    rapport à la sensibilité, laquelle raison s'imposerait en dehors de tout contexte éducatif et social de punitions et de
    récompenses et de toute expérience vécue mettant en jeu le désir de chacun; nous ne sommes pas des mécaniques
    raisonnables, mais des hommes de chair et de sang; (l'idée d'impératif catégorique me fait frémir!)

    La morale du devoir de Kant, franchement, vous croyez à son efficacité pour changer les hommes d'aujourd'hui? Du
    reste Kant disait que la croyance en Dieu était un postulat de la moralité pour que les hommes ne soient pas
    désespérés dans la pratique ici-bas du sacrifice moral de leur égoïsme. N'est-ce pas faire rentrer l'égoïsme par la
    fenêtre alors qu'on l'a chassé par la porte? N'est-ce pas avouer que sans religion et l'espérance eschatologique
    post-mortem (imaginaire) qu'elle procure(même "dans les limites de la simple raison") il n'y a pas de morale
    possible du sacrifice du désir dont, je le répète, l'égoïsme peut être bien orienté!

    Ce pourquoi je ne suis ni idéaliste ni Kantien mais plutôt spinoziste.
    voir sur mon site le texte "Critique de la raison morale"



 Patrick: 
 

    Le concept de 'compassion', comme d'autres concepts du même genre, comme 'générosité', 'bienveillance', etc... me
    semblent justement posséder l'avantage d'avoir une certaine "épaisseur", d'avoir un contenu de sens et de
    représentation qui est facilement accessible par la plupart d'entre nous, et c'est pour cette raison que j'apprécie leur
    utilisation.
    Mais peut-être suis-je là leurrer par ma propre appréhension de ces concepts; c'est ce que vous semblez
    m'indiquer, en tout cas.

    Quant au 'moi' substantiel, c'est précisément pour saper ses fondements et donc les fondements de la théorie égoïste
    que j'ai inauguré le thème de l'identité personnelle. Mais je réalise maintenant que ma tentative qui se base sur une
    théorie philosophique anglo-saxonne est en train d'ouvrir une myriade de difficultés qui me pousse à m'empresser
    d'en dévoiler le contenu. 



     Sylvain Reboul:

    La compassion n'est pas une souffrance morale et il n'est nul besoin d'aller chercher dans une transcendance
    quelconque l'explication du simple fait que je puisse m'ouvrir au désir malheureux d'un autre afin de nous entendre
    et nous comprendre en vue d'un mieux être respectif: la reconnaissance et l'estime de soi mutuelle, composante
    essentielle du bonheur en tant qu'amour généreux de soi; encore une fois, l'égoïsme a deux expressions possibles:
    l'amour exclusif de soi ou l'amour altruiste de soi; c'est la différence que fait Rousseau, dans le "Discours sur
    l'inégalité" entre l'amour de soi accompagné de la pitié naturelle qu'il considére comme indissociables et l'amour
    propre, comme amour de soi dégradé par l'inégalité sociale.

    Il suffit de s'entendre sur les mots!

    Ceci dit, je pense qu'un égoïste exclusif (haineux et envieux) se trompe, s'il croit trouver le bonheur. Et que la
    meilleure stratégie du bonheur réside dans une générosité et une bienveillance réciproque (donc conditionnelle).
    Est égoïste celui qui reste bloqué dans son malheur car il l'entretient sans s'en rendre compte, par un défaut de la
    connaissance de son désir (de ce qui lui est vraiment utile dit Spinoza), produit par des situations d'impuissance
    vitale ou de domination humiliante dont il ne connait pas les causes (cercle vicieux).



       L'illusion moraliste
       Critique de la raison morale suivi de "Raison et désir"
       Puissance du désir et réciprocité
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