L'éthique, Spinoza et nous.
"Une éthique scientifique est-elle possible?"

Double échange entre MonsieurMarc Lasserre (rouge) et Sylvain Reboul (vert)



 

MARC LASSERRE a écrit :

"Une science de l'éthique est-elle possible ?" du 19/09/2000
Bonjour monsieur Reboul. Je m'appelle Marc Lasserre. Je suis cadre de la fonction publique et je suis passionné de philosophie (éthique et politique). Après avoir lu votre texte sur la science de l'éthique je me  permets de vous envoyer quelques réflexions personnelles en espérant qu'elles vous interesseront.

De l'auto persuasion du bonheur
Dans la quête difficile du bonheur certains se disent heureux malgré les apparences et s'accomodent de cette illusion pour éviter de constater leur mal-être. Ainsi, le fumeur qui dit que le tabac le rend heureux ne trompe que lui- même. Nous savons tous que le tabac est nocif pour la santé et qu'il peut devenir ces derniers temps source de conflit avec l'entourage. On
peut donc dire que fumer n'est pas à priori une activité engendrant le bonheur surtout dans sa composante sanitaire.
Alors pourquoi le tabac rendrait-il heureux notre fumeur si ce n'est le fait que cet acte lui procure un plaisir dont il a besoin pour mieux vivre son quotidien, pour adoucir les difficultés de la vie, comme un alcoolique ou un drogué ? Cela n'est pas le bonheur et les personnes qui usent de plaisirs morbides le savent bien au fond d'eux-mêmes. 


S.R: Il faut à mon sens distinguer les plaisirs passifs ( tristes) et les plaisirs actifs (joyeux ou heureux) par lesquels le sujet éprouve le sentiment d'un accroissement durable de le valeur de son être, de son autonomie c'est à dire de sa puissance d'agir (Spinoza). Le bonheur est la satisfaction qui  trouve sa source dans la conscience de l'accroissement de nos capacités d'être et d'agir. Il n'y a pas de drogués heureux, sauf, dans l'illusion, à l'instant du "flash". Il existe même des souffrances
heureuses dès lors qu'elles procurent le sentiment du mérite personnel! 


M.L: Une science de l'éthique serait-elle ennemie des libertés ?
Chacun peut s'élever contre le fait de prédéfinir des objectifs pour l'Homme voulant être heureux. Comme vous le dites justement nous nous déterminons en connaissance de causes entre plusieurs manières de satisfaire notre désir vis à vis des autres ou de nous-mêmes. Cette décision nous appartiendra toujours mais cela n'empêche pas qu'il puisse y avoir des règles de conduite reconnues objectivement pour approcher au plus près du bonheur.
Beaucoup d'idéologies s'y sont essayé avec plus ou moins de bonheur ! C'est le cas de le dire, mais souvent ces idéologies cachaient quelques desseins sous-jacents.

Solutions techniques : réalisme ou utopie ?
Peut-on définir rationnellement ce qui est bon ou mauvais pour atteindre le bonheur ? En d'autres termes, peut-on établir une science - qui  n'est pas forcément éthique puiqu'elle ne vise pas un comportement moral, mais une satisfaction personnelle - qui puisse établir des normes comportementales pour atteindre ce but ?
La réponse semble être positive dans la mesure où les êtres humains ont un référentiel commun évident qui fait que nos besoins essentiels sont universels.  Cependant le milieu dans lequel vit l'individu est un élément  primordial dans cette réflexion. En effet, les contraintes liées à la culture, aux traditions ou même au groupe familial doivent être prises en compte pour adapter notre comportement. Il reste alors à définir les objectifs. Faut-il rechercher l'affection de nos proches ? La reconnaissance sociale ? L'amour d'un être aimé ? …
Nous pourrions ainsi établir une liste excluant les désirs ou les actes qui nous éloignent du bonheur. A la science de les définir avec discernement car pris individuellement nous ne sommes pas toujours capables d' appréhender l'opportunité de nos actes. 


S.R: Exact: il est existe des connaissances objectives (et donc scientifiques) des conditions du bien vivre; mais elles sont partielles, générales et hétérogènes, voire contradictoires: la définition d'une stratégie personnelle et d'un compromis optimal dans des situations concrètes relève des individus, et d'eux seuls, car, en dernier ressort, ils sont les seuls juges des effets subjectifs, plus ou moins heureux à long terme, de leur stratégie 


 M.L: Notre libre-arbitre n'est pas fiable pour connaître la voie du bonheur.

Aujourd'hui à la lumière de l'analyse des comportements psychologiques humains – notamment grâce à la psychanalyse - nous pouvons comprendre la diversité de nos réactions comportementales.
Ainsi, l'esprit humain, tout au long de son existence, se crée des boucliers pour se défendre contre les agressions psychiques. Ces boucliers, efficaces pendant une certaine période, peuvent être ancrés parfois de manière indélébile dans nos cerveaux. Ils risquent alors d'engendrer  des réactions inadaptées à des situations futures entraînant par-là même un comportement déviationniste de celui que nous pourrions reconnaître comme théoriquement préférable.
Sans entrer plus profondément dans ce concept on peut entrevoir la raison qui pousse les gens vers des comportements visiblement inadaptés à la recherche du bien-être. 


S.R: Notre libre-arbitre est plus ou moins fiable, c'est à dire notre autonomie (non notre indépendance) est plus ou moins grande selon la connaissance que nous avons ou pas de ce qui détermine favorablement la mise en oeuvre de notre désir d'être et d'agir appliqué aux objets qui lui convienne réellement le mieux (évaluation expérimentale) dans telle ou telle situation
complexe. Connaissance de ce qui nous affecte et non croyance illusoire en un prétendu libre-arbitre indéterminé. Cette connaissance relève d'un désir de connaître, lui-même expression conpensatrice adéquate du sentiment de déception impuissante (voire dépressive) que nous éprouvons lorsque notre désir d'être s'est fourvoyé en illusion passionnelle; et il commence toujours par là: la passion est naturelle, la connaissance de notre désir et  des conditions favorables et défavorables qui l'affecte est un travail sur soi, ce travail implique des techniques qui peuvent (et doivent) faire
usage de savoirs scientifiques. 


M.L: Beaucoup de questions viennent alors à l'esprit :
Comment peut-on faire sauter ces verrous, obstacles à la libération des esprits "mal-heureux" ? 


S.R: S'il ne sont pas conscients de la nécessité de se libérer des illusions passionnelles qui sont  la source de leur impuissance, rien à faire! 


M.L: Les "bons" comportements sont-ils transposables dans tous les milieux, dans toutes les cultures ? 


S.R: Seule une attitude  rationnelle et critique peut produire de bons effets éthiques durables dans notre culture pluraliste et libérale, autant dire que, dans les cultures traditionnelles, les bons comportements sont marqués par le poids des mythologies et religions mais les effets supposés positifs sont différés dans l'au delà et/ou dans la reconnaissance positive d'un
sacrifice nécessaire et valorisant, autant dire que cela ne peut plus fonctionner chez nous, ni aujourd'hui, ni demain ou alors il conviendrait de faire table rase de notre culture et de son histoire (à quel prix?)! 


M.L: Pour la première question une solution existe et semble assez efficace si l'on regarde les résultats obtenus ces dernières années. J'étudie la deuxième pour essayer de voir si, comme dans un régime alimentaire adapté à la santé d'un individu, le bonheur doit se décliner sous plusieurs variantes. 



Reprise du débat

S.R : Il faut à mon sens distinguer les plaisirs passifs ( tristes) et lesplaisirs actifs (joyeux ou heureux) par lesquels le sujet éprouve le sentiment d'un accroissement durable de le valeur de son être, de sonautonomie c'est à dire de sa puissance d'agir (Spinoza). Le bonheur est la satisfaction qui trouve sa source dans la conscience de l'accroissement de nos capacités d'être et d'agir. Il n'y a pas de drogués heureux, sauf, dans l'illusion, à l'instant du "flash". Il existe même des souffrances heureuses dès lors qu'elles procurent le sentiment du mérite personnel!


M.L : Spinoza effectivement qualifie d'"active" la joie acquise par le travail dynamique de la raison. Mais cette raison par elle-même n'est pas assez puissante selon le philosophe qui place l'énergie, nécessaire au mouvement de libération, dans le désir, désir de joie, essence même de l'homme.



S.R : S'il ne sont pas conscients de la nécessité de se libérer des illusions passionnelles qui sont la source de leur impuissance, rien à faire!

M.L : En effet l'individu, perdu dans ses illusions, ne voit pas les chaînes qui l'empêchent de se réaliser pleinement. Seule, souvent, une opposition brutale entre la raison et l'action négative qu'il vient d'exécuter, peut initialiser la prise de conscience d'un conflit intérieur. Alors devient possible la communication avec les autres.
Le recours à des méthodes psychothérapiques devient courant dans les civilisations occidentales. Le sujet concerné ne rejette donc plus systématiquement comme par le passé une aide qui lui serait proposée pour combattre son mal-être.



 Ethique et philosophie, échange avec Monsieur Pascal Doyelle

        Critique de la raison morale suivi de "Raison et désir"
        Puissance du désir et réciprocité
        Morale et éthique
        Une éthique scientifique est-elle possible?(nouveau)
        L'origine du mal(heur) suivi de "Violence et éducation"
        Ethique et sexualité
        Le tabou de l'inceste, le droit et la moralité (nouveau)
        Spinoza et la liberté (nouveau)
        Autonomie et Liberté
            Ethique et philosophie
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