L’inceste, le droit libéral et la morale.
 

L’inceste semble être un interdit universel fondateur de la sociabilité et aujourd’hui l’inceste pédophile apparaît comme un des crimes majeurs de notre société libérale ; les droits de l’enfant sont considérés comme l’expression privilégiée des droits de l’homme : dès lors que l’enfant est en position de faiblesse, il doit être particulièrement protégés contre les désirs érotiques des adultes auxquels il ne pourrait pas répondre dans le cadre d’un rapport des forces égalitaire et son développement vers l’autonomie s’en trouverait radicalement compromis.
Mais si l’inceste pédophile est indiscutablement une violence incompatible avec un droit libéral, qu’en est-il de l’inceste entre deux adultes consentants ?

En droit libéral, aucune relation privée non-violente entre adultes ne peut être considérée comme un délit dès lors qu’elle ne constitue pas un trouble de l’ordre public. Or une relation amoureuse ne peut être considérée comme telle que si elle s’affirme publiquement ; ce qui a justifié l’interdiction du mariage entre parents directs ; mais aussi celle du PACS entre frères et soeurs. De plus la reconnaissance de l’inceste pourrait autoriser la procréation incestueuse ; ce qui peut être jugé comme une violence sociale, voire psychologique potentielle, sur l’enfant et comme un trouble de l’ordre public, lequel reste fondé sur des rapports de filiation qui rend obligatoire l’altérité de l’origine familiale.

C’est pourquoi le tabou moral de l’inceste reste fort même si l’on en reste à des relations privées sans incidence publique. Or ce tabou, à cette condition, ne peut plus entraîner une sanction en droit ; il ne pourrait alors s’exercer qu’en violant d’une manière illégale le droit au bonheur et à la protection de sa vie privée de tout individu adulte. C’est dire que toute pression ou condamnation psycho-sociale informelle contre l’inceste pourrait être admise comme une violence contraire au droit de l’homme. En droit libéral, ce qui n’est pas interdit, doit être autorisé ; si l’inceste comme relation amoureuse privée entre deux adultes consentants n’est pas un délit, on ne peut, ni ne doit se référer à une prétendue loi morale religieuse ou anthropologique universelle pour s’y opposer légalement. La morale qui ne s’accorde pas avec le droit libéral n’a aucun droit d’action, sauf à remettre en question la libéralité du droit au nom d’un droit supérieur considéré comme sacré ou fondé sur une prétendue science normative de la société (ce que ne peut être aucune science, qui plus est humaine, sans mystification idéologique scientiste anti-scientifique) incompatibles avec un démocratie laïque et donc pluraliste. Le tabou moral de l’inceste ne peut valoir que pour soi et non pour les autres, sauf à s’efforcer de convaincre ceux qui s’y livrent qu’ils sont malheureux par l’effet de l’inceste et non par la condamnation morale dont ils sont l’objet ; mais de toute manière, c’est à eux seuls de savoir ce qu’il en est de leur bonheur et de leur souffrance et non à la morale prétendument sacrée ou scientifique dont on se réclame. Si la religion ne peut plus servir de fondement à la société démocratique (ou alors que faire des athées ?) qu’en est il des sciences humaines ?

L’ethnologie et la psychanalyse partagent le même défaut épistémologique : elle sont anti-historiques. Or un examen historique de l’interdit de l’inceste montre facilement que sa définition a varié à la mesure du tabou qui est censé l’accompagner : les francs (et plus généralement les germains) pratiquaient allègrement le mariage endogamique : Charlemagne a refusé de donner ses filles et/ou ses nièces en mariage pour conserver dans sa famille son domaine impérial (ce qui d’ailleurs n’a pas empêché ses fils de se faire la guerre pour se partager l’héritage) ; il a fallu d’ailleurs que l’église catholique interdise l’inceste jusqu’au 7ème degrés pour obliger les francs, christianisés de la manière que l’on sait, à renoncer à l’endogamie. L’inceste pédophile a toujours été largement pratiqué dans certaines de nos campagnes (et l’est encore); il était même parfois considéré comme un droit patriarcal au même titre que le droit de cuissage ! (et Molière ?). Dans certain cas il était même obligatoire pour préserver la pureté d’un lignage jugé supérieur (pharaons d’Égypte).

Donc le tabou de l’inceste est tout aussi historique que la condamnation de l’homosexualité et, aujourd’hui, alors que la sexualité peut être découplé physiologiquement, sinon psychologiquement de la procréation, l’autorisation de l’inceste n’aurait d’autre danger social que d'ouvrir la porte à la prétention abusive à la procréation et à la pédophilie incestueuse. Ce qui nous oblige à distinguer en droit l’un de l’autre : l’inceste non-violent de l’inceste violent, directement ou dans ses conséquences, ce que fait le droit positif , en toute logique.

Sylvain Reboul, le 11/02/00 



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