Liberté et autonomie

AUTONOMIE, INDEPENDANCE ET LIBERTE
 
 

Il convient de distinguer l'autonomie de l'indépendance dont la confusion est au centre de toutes les illusions sur la liberté.
 

- 1) L'indépendance signifie que le sujet peut tout faire sans se soucier des autres, il ne subit aucune contrainte sociale et politique: Il ne risque rien.des autres. Deux cas sont possibles:

- soit il est indéfiniment isolé, mais alors toute vie humaine, c'est à dire relationnelle et sensée, est impossible.

- soit il dispose sur les autres d'un pouvoir absolu; c'est le cas théorique du maître vis-à-vis de son esclave. L'indépendance du maître est proportionnelle à la domination/dépendance qu'il fait subir à son esclave: le maître ne peut être absolument indépendant que si l'esclave est totalement dépendant. Or cela est pratiquement impossible, car cela signifierait que celui-ci ne soit pas un homme, même pas un animal: il a des fins propres, ne serait que biologiques, et ne peut, sans vouloir mourir, y renoncer; or ces fins en tant que propres ne peuvent être totalement dominées. De plus l'esclave ne peut pas ne pas être conscient de son esclavage et rien ne peut garantir au maître qu'il ne révolte pas contre la domination; domination dont l'esclave ne peut pas ne pas souffrir, à un moment ou à un autre, dans la visée de ses propres fins. L'esclave, quoique veuille et fasse le maître, n'est pas une machine: il est sensible , conscient et donne, à lui-même et à ses actes, un sens et une valeur.
Dans ces conditions le maître, pour le rester, doit terroriser en permanence son esclave ou le persuader qu'il est toujours le maître; ce qui lui impose de jouer un rôle dominateur incessant et d'en accepter les contraintes; ce qui est pratiquement impossible à moins de ne jamais être fatigué et endormi ou de ne jamais être malade ou de ne pas vieillir et mourir; l'indépendance du maître n'est alors qu'une illusion; sa dépendance est réellement plus grave que celle de son esclave, car celui-ci peut au moins se révolter contre elle, alors que le maître, victime de l'illusion de la toute puissance, ne le peut, puisqu'il n'en est même pas conscient .

Etre libre n'est donc pas être indépendant mais être, autant que faire ce peut, autonome dans l'interdépendance. Qu'est-ce que l'autonomie?
 

-2) L'autonomie est la capacité pour le sujet à se donner ou à accepter de plein grès des lois et des normes de la pensée et de l'action et à construire sous leur détermination plus ou moins cohérente, d'une façon plus ou moins délibérée et réfléchie, , une stratégie et une tactique vitales et sociales propres.
Ces lois et normes pour fonctionner et faire fonctionner l'organisation de cette interdépendance entre les acteurs, doivent faire l'objet d'un accord tacite (traditionnel/conventionnel) ou explicite (contractuel/démocratique) entre les acteurs/sujets de l'organisation; en cela elle ne peuvent pas être le résultat d'une décision arbitraire/singulière de chaque sujet pris isolément. Elles doivent valoir, aux yeux de chacun, comme générales, voire universelles, selon des principes d'équivalence fondateurs de l'idée de bien commun, objet d'une volonté générale. Mais cette idée (idéal théorique) de bien commun peut être l'enjeu d'un désaccord implicite (compromis confus) ou explicite (conflit ouvert ou compromis temporairement admis); en cela le jeu politique entre les acteurs reste toujours ouvert et menace la cohésion existante de l'organisation en vue d'une cohérence, si elle est possible, de rang supérieur, selon des règles formelles de réciprocité plus libérales (mais pas moins contraignantes).

On peut distinguer plusieurs degrés de l'autonomie par ordre décroissant:
- L´autonomie idéologique qui définit la marge de manoeuvre et la capacité de réflexion des individus dans leur propention à justifier, à critiquer et à corriger les orientations de leurs pensées et de leurs actions en fonction de principes rationnels (non-contradiction et expérience objectivable). Elle est dépendante de la culture générale et de son expression concentrée, problématisée et conceptualisée : La critique philosophique et inversement proportionnelle à son contraire : la pensée fondée sur des convictions dogmatiques et unilatérales sacralisées, qu´elles soient religieuses, morales ou pseudo scientifiques (positivisme réducteur technocratique). De telles convictions, en effet, interdisent de percevoir la pluralité et la complexité du réel et des désirs humains dans la définition des pratiques, de leurs règles du jeu collectives et des idéaux ambivalents et/ou opposés qui les orientent. Elles condamnent à l´échec et à l´impuissance, donc au malheur, c´est à dire au mépris et à la haine de soi et par conséquent des autres ici-bas. L´autonomie idéologique est la source de l´autonomie stratégique de telle sorte que sans elle celle-ci n´est que tactique. Elle décide des moyens mais pas des fins et, dans le domaine des rapports humains, elle est inapte à comprendre les enjeux et les attitudes des acteurs et donc à diriger sans dominer . C´est pourquoi nous avons tant de dirigeants arogants parce que philosophiquememt incultes mais persuadés de l´autosuffisance de leus savoirs-faire techniques labelisés par des diplomes spécialisés. Ce que Lénine appelait les crétins diplomés ; Ils sont aujourd´hui proliférants, aus postes de responsabilité dès lors que la gestion financiére et ses objectifs de rentabilité à court terme, formalisés en procédures et ratios prétendument universels, domine toutes les activités économiques :

- L'autonomie stratégique qui concerne la délibération réfléchie et la prise de décision consciente et explicite sur les normes et objectifs généraux de l'organisation et de chacun dans l'organisation. Elle suppose le dialogue public et la réflexion critique; bref, la démocratie pluraliste et l'art de la politique (exercice du pouvoir formel et d'influence) ainsi que la philosophie (en tant que réflexion rationnelle et critique sur la valeur des valeurs et des fondements théoriques de nos jugements).

- L'autonomie tactique qui concerne la décision, et l'action quant aux meilleurs moyens de mettre en oeuvre les décisions stratégiques dans les domaines et situations d'application particuliers. Elles font l'objet d'un débat impliquant le savoir et le savoir-faire technique existant de chacun. Elles permettent une marge de manoeuvre, un pouvoir formel ou d'influence spécifique et spécifiés plus ou moins large, selon l'initiative et les compétences de chacun.

- L'autonomie opérative qui concerne l'application et l'adaptation des procédures déterminées mais aussi du savoir-être relationnel singulier au cas par cas.

- L'autonomie exécutive qui désigne le fait pour les acteurs de mettre "volontairement" en oeuvre des consignes impératives dans des situations précisément définies sans dérogations possibles. C'est le plus bas degrés et le plus paradoxal de l'autonomie: elle consiste, pour le sujet a se donner comme seule loi d'obéir aux ordres de son supérieur hiérarchique. Cette obéissance est reconnue (à tort ou à raison) comme nécessaire au bien-vivre ou au moins mal-vivre de l'organisation et du sujet ( ordre, efficacité, sécurité, salaire, appartenance etc.)
 

L'hétéronomie ou la dépendance absolue c'est l'esclavage où l'esclave est pur objet de droit, propriété de son maître et n'a pas le droit de faire valoir quelque fin propre que ce soit.
L'esclavage est un cas limite certainement impossible (sinon juridiquement, du moins réellement) dans toute organisation humaine. De même que l'autonomie totale qui tendrait à l'indépendance absolue, elle même impossible et non souhaitable.
Nous sommes donc "condamnés" à jouer de notre autonomie dans un procès d'élargissement plus ou moins possible de son degrés.
La liberté n'est rien d'autre que cette activité de penser et d'agir visant à conquérir plus d'autonomie dans l'interdépendance réciproque.

Sylvain Reboul, le 19/06/96.



Remarque complémentaire:

La liberté n'est pas l'indépendance ni le libre-arbitre inconditionnels; ceux-ci ne peuvent conduire qu'à l'illusion paranoïaque du pouvoir absolu sur soi et/ou sur les autres et/ou à la mort. Elle est autonomie relative; c'est à dire capacité d'inscrire une stratégie consciente et raisonnée du désir propre dans un système de contraintes plus ou moins conflictuelles, lequel système, parce que traversé par des conflits, peut être plus ou moins transformé par une action individuelle et collective. Les règles éthiques collective que l'on se donne (ou que l'on accepte) pour  la mise en oeuvre de cette stratégie sont les conditions de cette autonomie.

C'est dire que l'autonomie suppose la mesure du possible et la mise à distance raisonnée de l'analyse de la réalité (reconnaissance objective des possibles) par rapport à la tentation magique du désir tout puissant, qui, par l'illusion qu'elle provoque déréalise tout projet d'action et le condamne à l'échec; celui-ci conduit le sujet à la désillusion dépressive et/ou violente. La souffrance est l'effet du sentiment d'impuissance que génère l'illusion dégénérée en désillusion. Tous les paradoxes de la liberté proviennent de la confusion entre une valeur métaphysique, d'ailleurs discutable, la liberté absolue et la réalité : notre initiative est toujours conditionnée et conditionnelle et notre pouvoir sur nous-mêmes et le monde limité. Pour réduire ce paradoxe qui génère le sentiment dépressif de la culpabilité sans limite (le péché) et accroite notre autonomie réelle, il convient de refuser le tentation de croire et de vouloir l'indépendance absolue par le développement de la connaissance des contraintes de la réalité et de ce qui (au pluriel) nous conditionne (cf. Spinoza).

S.Reboul, le 30/09/99.



Libéralisme et autonomie

La liberté sans limite est liberticide car nécessairement violente, dominatrice et destructrice des droits universels fondamentaux. Exemple simple: nul ne peut avoir la liberté de prendre l’autoroute à contre sens sans nier sa liberté et celle des autres et on peut étendre cet exemple au code de la route en son entier, aux lois des contrats et du commerce, voire de la concurrence.

La seule liberté absolue que nous puissions avoir c’est celle de tuer (c’est pourquoi, entre autre raison, la violence extrème est accompagnée du sentiment jouissif d’une absolue liberté) et/ou de nous tuer (et encore le suicide non pathologique, par choix, est pour le moins problématique); seule la mort est absolue, sans limite et sans condition.

La vie est relation au monde est aux autres et une vie libre ne peut pas être une vie indépendante sans se condamner à la mort immédiate mais seulement interdépendante et de ce fait autonome dans la mesure où chacun peut faire valoir ses droits dans le jeu social de l’interdépendance dans des conditions relationnelles régulatrices (lois, contrat, règlements, conventions) qui garantissent la possibilité de cette autonomie stratégique relative pour tous sans contradiction  en vue du bien-vivre.

Les libéraux sont universalistes et cette universalité s’exprime dans l’égalité des droits et des chances, ce qui implique nécessairement un pouvoir politique régulateur libéral mais juste.


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