Pour Spinoza les hommes se croient libres au sens du libre-arbitre de Descartes et/ou chrétien (pouvoir de choix indéterminé et donc arbitraire, c’est à dire irrationnel) non seulement parce qu’ils ignorent les causes (conditions) qui affectent leurs appétits et leurs désirs (conscients) mais parce qu’ils s’en ventent : il critique le narcissisme de l’homme qui, afin de sauver son âme et son corps de la finitude, se croit un empire dans un empire, pour s’élever à la hauteur de l’image illusoire de leur dieu transcendant la nature. Or l’âme est l’idée, la plupart du temps confuse et ignorante, du corps. La liberté de l’âme pour Spinoza est un mot vide de sens, sauf à exprimer une espérance creuse et impuissante : celle de ce croire responsable du péché (tristesse) et voué au salut par la soumission volontaire à un Dieu totalement irrationnel. Notre seule réelle liberté c’est la libre nécessité désirante des appétits du corps et des désirs de l’âme qui les expriment ; elle passe par la connaissance de notre désir (conatus) et de ce qui l’affecte positivement et négativement dans la nature pour en accroître l’efficacité (ce qui nous est vraiment utile) ; c’est à dire de notre essence agissante comme partie prenante de la nature naturée et naturante dont la société elle-même fait partie, et par là, elle est puissance d’agir et joie. Elle ne choisit pas, si ce n’est entre la tristesse et la joie et ce choix n’en est pas un, car il est naturel ; la question est alors de savoir pourquoi nous souffrons et pourquoi nous ne pouvons pas être heureux comme notre essence corporelle et psychique nous détermine à l’être ?
La réponse est : parce que nous nous croyons libres (surnaturels) et que cette croyance, à la fois procède de l’ignorance et nous maintient dans l’ignorance des causes naturelles qui nous affectent négativement et donc dans la crainte de la nature et le tremblement du jugement du dieu pour être sauvés malgré nous, pauvres pécheurs ayant choisi le mal et donc étant responsables de nous-mêmes comme mauvais (voir Nietzsche); pourquoi cette passion contraire à notre désir de joie? parce que nous sommes impuissants en tant que mode fini à soumettre la nature à nos passions confuses et que nous ignorons les déterminations naturelles et sociales qui les rendent telles, passions qui à leur tour génèrent l’illusion du libre-arbitre qui, à son tour, entretient le désir de ne pas connaître. C’est à briser ce cercle vicieux que prétend Spinoza : en affirmant que la seule liberté possible, être actif et joyeux, suppose la prise de conscience lucide des déterminations et des passions qu’elles génèrent qui nous empêchent de l’être. Cette liberté n’est pas pouvoir absolu sur la nature infinie mais un pouvoir toujours relatif sur le monde en tant que nous le connaissons et sur nous-mêmes, corps et esprit finis que nous pouvons connaître tout aussi rationnellement, pour aller et agir aussi loin que nous le pouvons dans notre conatus (désir de vivre) et dans l’amour éternel et intellectuel de Dieu qui n’est autre que la nature. La liberté, pour Spinoza, n'est pas un état ou une condition métaphysique transcendant la nature, elle n'est qu'en acte: elle est mouvement de libération, aussi naturel que le mouvement de la chute des corps dont il convient de savoir ce qui lui fait obstacle pour qu'il produise ses effets bénéfiques (joyeux).
Pour être vraiment libre et heureux,.
il
faut nous libérer de l’illusion du libre-arbitre pour chercher
et
trouver ce qui nous détermine afin d'accroître notre
puissance
d'agir qui est notre seule essence et, par là, combattre et
vaincre
la passion du surnaturel. .Le
rôle
de la philosophie c’est de surmonter, par la connaissance rationnelle,
la
tentation religieuse (projection illusoire et triste de nos passions).
Ce
programme reste d'actualité aujourd'hui face au moralisme
catastrophiste à la mode.
Car, Dans le cadre de la position spinoziste
en
l'étendant aux dites sciences humaines, il semble
logiquement
impossible de concilier le déterminisme sur le plan
scientifique
et la croyance morale à la responsabilté et à
l'absolue
liberté métaphysique de choix sur le plan moral.
On pourrait argumenter en disant qu'il ne faut pas confondre le plan
empirique
et la plan moral métaphysique transcendant, mais alors il ne
faudrait
pas que l'on fasse reproche aux sciences humaines d'abolir la croyance
dans
le liberté et de mettre en cause le sentiment de
responsabilité
car ce n'est là pas leur problème. Sur le fond, si l'on
voulait séparer les deux plans, il faudrait de toute
manière, comme
Kant, fonder l'idée de responsabilité sur une croyance au
libre-arbitre
métaphysique elle-même arbitraire car non fondée ou
justifiable
sur le plan de la connaissance. La seule issue pour échapper
à
cet arbitraire serait de considérer que cette croyance
méptaphysique,
même non fondée en vérité, serait une
fiction
et, si l'on croit qu'elle est vraie, une illusion socialement utile
pour
responsabiliser les individus et les dissuader de commettre des crimes
et
des délits. Le fantasme de la liberté serait alors une
croyance
sociale déterminant les comportement humains dans un sens
socialement
normatif et cela d'une manière consentie. En cela cette
fiction/illusion
serait sinon auto-réalisatrice du moins auto-entretenue par
l'impression
de choix et de responsabilité psychologoquement gratifiante
qu'elle
détermine... encore faudrait-il que cette gratification soit
vécue
comme socialement possible par ceux que l'on voudrait, par ce
procédé,
responsabiliser (pb de l'exclusion).