Le mécanisme est la position qui
affirme
que dans la nature, dont l’homme fait partie, rien n’existe sans un ou
des enchaînements déterminés selon des lois
régulières
et générales de causes et d’effets. Une cause c’est une
cause
efficiente qui précède ou est contemporaine de ses effets
sans qu’elle ait besoin nécessairement d’une finalité
pour
les produire. La finalité est le but et/ou la fonction d’un
processus
plus ou moins complexe de causes à effets. Cette finalité
peut-être externe ou interne
1) Externe
: lorsqu’elle est l’expression des
désirs
de l’homme comme dans un processus technique ou celui-ci agit de
l’extérieur
en manipulant les causes (conditions initiales, et association de
causalités
différentes) en vue de produire des effets favorables à
leur
satisfaction
2) Interne :
lorsque le but et/ou la fonction est
programmé(e)
par les mécanismes inhérents au processus et
découlant
de ses structures, sans intervention extérieure.
Il est tentant de penser que les finalités
particulières que l’on constate dans les organismes vivants
(autoréparation,
autoreproduction), voire que les grands équilibres naturels qui
se reproduisent entre les organismes et leur milieu sont
programmés
par une méta-finalité extérieure à la
nature,
pour tout dire divine et surnaturelle, organisatrice de la nature toute
entière, selon un modèle anthropomorphique de type
technique
( les causes deviennent des moyens en vue d’effets qui deviennent des
fins,
voir la position d’Aristote).
Or cette tentation est scientifiquement stérile car elle fait obstacle à la compréhension des processus qui permettent la prévision rigoureuse et l’intervention technique de l’homme sur les processus naturels, comme l’avait déjà remarqué Descartes. Expliquer des processus par leurs finalités supposées et qui plus est futures, c’est inverser la démarche qui consiste à comprendre l’inconnu (ce qui va advenir, l’expérience future) par le connu ((expérience présente et passée) ; or expliquer le connu par l’inconnu ne nous fait guère avancer et ne nous permet de calculer aucune prévision, voire de résoudre aucune équation prévisionnelle. Les finalités sont qualitative et pour l’essentiel renvoient à notre interprétation subjective du monde dont nous voudrions qu’il ait un sens favorable à nos désirs. Aucune expérience n’est possible qui ferait intervenir au préalable une finalité, interne ou externe, hors celle de l’expérimentateur dans le seul but d’évaluer une théorie prévisionnelle quelconque. Cette dernière ne peut expérimentalement mettre en jeu que des processus mécaniques et mesurer leurs effets pour les confronter aux prévisions en vue de cette évaluation. Qui plus est, lorsque cette finalité est attribuée à Dieu et/ou à un principe métaphysique, qui par définition transcende l’expérience, nous sommes dans un cadre dans lequel Kant a montré (après Newton et Hume) que nous ne pouvons pas décider si une hypothèse et son contraire sont valides, car aucune hypothèse métaphysique n’est, ni directement, ni indirectement (dans ses conséquences) expérimentables et que nous n’avons par d’autre critère que l’expérience pour décider de la valeur objective (extérieure à nous) d’une hypothèse sur la nature (y compris la nôtre). Enfin parler de création et/ou de finalité externe métaphysique , c’est s’interdire d’agir moralement, sinon techniquement, sur la nature et pour reprendre le beau mot de Descartes de s’en rendre comme maître et possesseur : invoquer un principe d’ordre supérieur à l’homme et à la nature c’est obliger (et persuader) l’homme à s’y soumettre sans condition comme devant un ordre (aux deux sens du mot) sacralisé. Kant n’avait pas tort d’affirmer dans « La critique du jugement » que l’idée de finalité externe n’était qu’un jugement réfléchissant et non déterminant et qui pouvait tout au plus valoir d’idée régulatrice (c’est à dire éthique) pour l’homme ; mais à, ce titre toujours discutable et probablement suspecte pour qui veut affirmer l’impératif cartésien rappelé ci-dessus.
Qu’en est-il dans ses conditions des
finalités
internes du vivant et de la régularisation auto-entretenue des
grands
équilibres écologiques ? Il faut supposer soit qu’ils
sont
programmés par des structures complexes de causalités en
boucles de rétroactions des effets sur les causes qui n’exigent
aucun programmateur surnaturel, mais qui sont le produit de hasard
physico-chimique
faisant émerger et modifiant des structures
sélectionnées
par les conditions du milieu, soit qu’ils sont programmés plus
ou
moins consciemment par les hommes et/ou des organisme vivants en vue de
mettre en œuvre leur fins particulières propres. Ceux-ci sont
pour
ce faire soit programmés par leurs structures propres transmises
héréditairement, soit capables, sur fond de ses
structures
et de l’expérience (sociale et symbolique) d’autoprogrammation
et
donc d’automodification et de sélection de ses structures (par
exemple
neuronales, voire techniques dans le cas de manipulation
génétique
des génomes) collective et/ou individuelle.
Si l’on écarte toute finalité
«
externe » métaphysique, quel est le rapport entre le
mécanisme
et le finalisme « interne » naturel ? Le seul qui soit
scientifiquement
et techniquement fécond : le mécanisme produit
spontanément
de la finalité et/ou de la fonction qui, à son tour
produit
des régulations et de l’ordre dans le jeu du mécanisme.
Le
hasard donc produit des structures ordonnées qui
résistent
au hasard. Cette capacité pour la contingence de produire des
structures
qui ont des propriétés non aléatoires,
auto-réparatrices
et auto-reproductrices, voire auto-transformables (plasticité
neuronales)
et auto-programmables comme cela semble le cas pour le cerveau humain,
les biologistes l’appelle « l’émergence ». Le
biologie
et plus généralement les sciences ne prétendent
pas
expliquer « l’émergence » car elle est une
notion
purement descriptive, qui ne se réfère pas à une
simple
hypothèse explicative mais à un fait qui se constate
empiriquement
; on peut tout au plus s’interroger et faire des expériences sur
la question de savoir dans quelles conditions objectives et
mécaniques
peut apparaître ce fait. on peut, pour des raisons
métaphysique,
éthiques et/ou esthétiques, regretter cette
prétendue
insuffisance de l’explication scientifique, mais c’est à ce prix
que les sciences ne versent pas dans le métaphysique. Dans la
connaissance,
sinon dans la pratique, la raison doit reconnaître les limites de
son pouvoir, car, sinon, comme le pensait Kant, elles produisent
à
coup sur de l’illusion (prendre les projection des désirs pour
la
réalité).
Il est alors possible de classer les sciences
expérimentales selon leur rapport ou non aux différents
types
de finalité interne que les processus mécaniques mettent
en oeuvre.
1) Il y a les sciences des
mécanismes
dépourvus de finalité programmée :
Les sciences physiques et chimiques; qu'elles
mettent en jeu des phénomènes à
prévisibilité
certaine ou statistique, linéaire ou chaotique, ne change
rien à leur nature.
2) Les sciences qui mettent en jeu des
processus ordonnés stables et auto-régulés
naturels
et/ou artificiels : les sciences des
systèmes
mécaniques où les effets rétroagissent en boucles
de rétroaction stables sur les causes sans programmation.
(par exemple les systèmes informationnels automatiques).
3) Les
sciences
qui mettent en jeu des systèmes et des structures fonctionnelles
programmées qui ont la propriété de se
réguler
(ex : l’homéostasie), de s’auto-réparer et de se
reproduire
dans des conditions d’un milieu qu’ils peuvent partiellement
transformer
en vue de ces mêmes finalités (voir la production de
l’oxygène
atmosphérique): les
sciences
du vivant ou sciences biologiques.
4) Les sciences qui s’intéressent
aux comportement et aux processus humains qui mettent en jeu les
propriétés
du cerveau humain capable d’auto-programmation par la mise en œuvre
d’un
langage symbolique collectif (la question de savoir si ses structures
fondamentales
syntaxiques, voire sémantiques, sont innées ou acquises
reste
ouverte) qui fait émerger la culture, son développement
historique,
les valeurs qu’il produit et la conscience réflexive de soi :
l’anthropologie ou sciences humaines.
Elles ne peuvent être purement explicatives
(ne faire intervenir que des conditions objectives) mais elles doivent
être aussi compréhensives car les comportements humains
mettent
en jeu des valeurs, des motivations et des désirs, donc
des
finalités subjectives plus ou moins conscientes qui
émergent
des propriétés du cerveau humain dans ses relations
affectives et cognitives avec sont environnement naturel/culturel,
social
et symbolique.
Cette classification maintient, contre tout réductionnisme, l’autonomie relative des différentes sciences sans faire intervenir de principe métaphysique transcendant la nature et l'expérience.
Sylvain Reboul, le 28/02/2000
La métaphysique de l’intelligent-design n’est pas déterministe, mais finaliste; c’est en cela qu’elle s’oppose au darwinisme et qu’elle ne peut pas être scientifique: aucune finalité inexistante ne peut expliquer par des relations testables en quoi ce qui n’existe pas encore (la fin) pourrait commander ce qui existe déjà (les moyens ou déterminations transformées en moyens).
S’il existe des finalités testables c’est dans le domaine des mécanismes déterministes biologiques en forme de boucle de rétro-action et de programmes physico-chimiques dont les modes d’action peuvent être objectivement observés et/ou virtuellement simulés. La métaphysique de l’intelligent-design elle prétend expliquer ce qui se passe par un soi-disant projet intelligent ni observable, ni simulable, pur objet de foi. On peut du reste l’attribuer à n’importe quel "auteur" ou principe transcendant ou immanent; c’est un terme dépourvu de signification déterminable.
En cela le présenter comme une contre hypothèse à la théorie de l’évolution c’est refuser la démarche rationnelle et expérimentale scientifique au profit d’un fidéisme religieux que l’on croyait disparu dans les oubliettes de l’histoire de l’enseignement.
Que cette position soit une machine de guerre contre
les sciences, c’est très exactement l’argument du juge et je
l’en félicite.
S. Reboul, le 22/12/05
L’hypothèse d’une loi interne de l’évolution n’est significative que si on oublie tous les échecs, les impasses qui ont marqué l’évolution et que l’on ne sélectionne que ce qui va dans le sens d’une prétendue finalité ordonnatrice dont personne ne peut dire ce qu’elle peut être et qu’aucune expérience ne peut tester puisque justement elle se situe par définition hors du domaine de l’expérience possible: Une proposition métaphysique ne peut être à volonté présentée comme une hypothèse scientifique sauf à la vider de tout caractère finaliste transcendant l’expérience, ce qui en ferait une hypothèse testable et nécessairement mécaniste
Ceci dit la théorie de l’évolution est ouverte, elle est elle-même en voie d’évolution, alors qu’une position métaphysique est nécessairement fermée sur elle-même: ex: évolution brusque d’équilibres ponctués, sélection sexuelle, gènes architectes, sélection culturelle (pour les humains) etc.. Elle est déjà testable sur des organismes simples à reproduction rapide et même mathématiquement simulable sur ordinateur...Elle est donc aujourd’hui devenue prédictible, contrairement à ce prétendait en son temps Popper: un ordre peut naître du désordre, on peut le vérifier expérimentalement et c’est cette pro-position qui est insupportable aux créationnistes, dont la position ne peut, en aucun cas, faire partie du débat scientifique, car elle hors tout critère possible de scientificité.
Le finalisme transcendant ne peut être scientifique et le finalisme immanent ne peut être scientifiquement que le résultat d'un mécanisme complexe. Ainsi la vision finaliste transcendante ne peut être que religieuse et ne peut valoir sur un plan éthique que pour qui désespère face à la mort inéluctable dans un univers dont tous les progrès de la connaissance scientifique confirment que venant du chaos, il y retourne.
S. Reboul, le 30/12/05
Le finalisme religieux contre la théorie de l'évolution:
critique de la position de Anne Dambricourt Malassé, paléontologue
Anne Dambricourt Malassé dans une interview récente pose des affirmations pour le moins vagues, logiquement imprudentes et souvent ambiguës:
1) Laisser entendre que le principe de finalité est "admis", voire reconnu en mécanique quantique, c’est aller (trop) vite en besogne: la mécanique quantique soulève le problème, sans encore l’avoir tout à fait résolu, du statut de la temporalité dans un champs de phénomènes qui n’est justement pas celui des processus biologiques. On ne voit donc pas comment l’auteure peut passer logiquement de la temporalité ou de son absence éventuelle sous une forme linéaire en mécanique quantique à la temporalité en paléontologie.
2) Cela d’autant plus qu’elle présente l’évolution comme un progrès linéaire quasi nécessaire; ce qui n’est qu’une représentation rétroactive, simplificatrice et pour tout dire réductrice des choses, ce qui n’est pas prouvé car les monstres non viables sont en effet eliminés avant l’âge de la reproduction: l’évolution apparaît aujourd’hui comme disparate multi-caractères, parfois régressive (en treme de complexité) et sa logique est loin d’être aussi pure qu’elle ne l’affirme. Les chimpanzés que je sache n’ont pas précédé les homos. Elle oublie dans son exposé les découvertes majeures que sont:
la
sélection sexuelle qui produit une pression sélective en effet orientée
et, en ce qui concerne le genre homo la sélection sexo-culturelle elle
même finalisée par cette même culture (les valeurs sociétales)
l’existence
de gènes architectes qui en mutant peuvent provoquer des modifications
de caractéristiques différentes, fonctionnellement cohérentes ou non
(et dans ce dernier cas elles sont éliminées par la sélection naturelle
+ sexuelle+ culturelle et la culture commence probablement avec les
singes anthropoïdes préhomos comme on le voit chez les primates
actuels), sans faire intervenir une logique univoque et encore moins un
programme génétique préétabli ou préorienté.
3) Enfin elle dit se refuser à toute récupération religieuse de sa thèse (finalisme biologique phylogénétique interne) mais elle n’hésite pas à flirter, c’est le moins que l’on puisse, dire avec le sens chrétien de la vie.
Citation: "Le vrai débat.. consiste à savoir si, oui ou non, la théorie de l’évolution détruit les fondements de la foi judéo-chrétienne fondée au moins sur l’attente. Personnellement, je réponds également non, mais sur des considérations autres, lesquelles, précisément, ne sont pas assez connues aux États-Unis. Je pense en particulier, donc, à la synthèse scientifique de Teilhard et à la place qu’il accorde à la gratuité de l’amour, à la liberté de donner sa confiance à l’amour comme transcendance du sens: se savoir né, parce qu’aimé. (" Tu es, Seigneur, notre Père, notre Rédempteur: tel est ton nom depuis toujours... Ah! si tu déchirais les cieux, si tu descendais.. " Isaïe 63, 16b, 19a. In " Teilhard aujourd’hui ". N°16 - décembre 2005)."
Là, je regrette, on est en plein préjugé religieux, ou en pleine profession de foi (ce qui pour moi est la même chose) et je ne vois pas ce qui l’autorise à passer d’une finalité interne (programme génétique de l’évolution), scientifiquement discutable, à une finalité externe transcendante qui est scientifiquement inadmissible, car scientifiquement ni vérifiable, ni réfutable, hors champs donc de la pratique et du discours scientifiques en cela qu’elle ne permet aucune observation nouvelle, ni aucune expérimentation en expérience réelle ou simulée..
Conclusion: Elle donne l’impression de dénier sa foi (nouvelle?) pour mieux la faire passer en douce au prétexte qu’elle est une scientifique qui aurait découvert le sens préétabli de l’évolution. Bien qu’elle affirme être utilisée malgré elle, ceux qui se réclament de sa position en faveur de l’ID ne se sont pas trompés: elle appartient bien à leur courant qui voudrait réconcilier la vérité scientifique avec la prétendue vérité religieuse.
L'illusion métaphysique
L'illusion naturaliste
Vérité et vraisemblance
Universalité et historicité du savoir
Kant et la production des connaissances scientifiques (nouveau)
Psychiatrie et neurologie (nouveau)
Langage, conscience et politique
À propos du dialogue entre J.P.Changeux et P.Ricoeur: Le cerveau
et la pensée (nouveau)
Vérité et vraisemblance
1) "Heidegger, les sciences et les techniques" (avec
Jacques Bonniot et Sylvain Thibeau, ingénieur)
2) "Débat sur les manipulations de l'embryon humain et
l'éthique"
entre Jacques Bonniot et Sylvain Reboul autour
d'un texte de Sloterdijk: "Règles
pour
le parc humain" publié par le
journal
"Le monde des débats" du mois d'octobre 99.
Jacques Bonniot est professeur de philosophie et écrivain,
chargé
de cours à l'E.N.A. (nouveau)
3) "La conscience et les neurosciences" avec Raphael Féraud,
Docteur-chercheur
et S.Reboul (nouveau)
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