Le problème de la causalité du cerveau sur le pensée ou de la causalité inverse est le type même du faux problème ; il l’est encore plus que celui de l’œuf et de la poule car l’œuf se met à exister hors de la poule, jusqu’à donner, si tout se passe normalement, un poussin extérieur et autonome tandis que la conscience ou faculté de se représenter réflexivement le monde et soi-même est entièrement dépendante de l’activité du cerveau : la question de l’origine de la pensée (au singulier) n’a aucun sens ici, si tant est qu'elle en ait un ailleurs, car nous avons affaire à un processus interne en boucle de rétroaction soumis à des conditions, au départ externes -sociales, culturelles, symboliques et psycho-relationnelles- plus ou moins favorables, intériorisées par et dans l’activité neurologique elle-même (rétroaction intériorisée du cerveau et de l’environnement expérimental et symbolique). On peut toujours couper la boucle là où on le veut, c’est à dire là où on croit pouvoir agir avec le plus d’efficacité et surtout là où l’on se croit et où on s’efforce de faire croire qu’on est le plus compétent pour traiter des troubles mentaux.
Nous savons expérimentalement d’une manière objective que tout phénomène psychique, normal ou pathologique, est à l’intersection du biologique, du relationnel et du symbolique, ce qui implique l’expérience affective et le dialogue avec les autres et soi-même, que rend possible le langage, comme condition de fonctionnement du cerveau, seul producteur des phénomènes psychiques humains plus ou moins conscients. Toutes les déterminations de la pensée ne sont effectives que dans et par leur inscription neuronale et corporelle et seule l’incarnation neurologique est pensante.
Le conflit des facultés entre la neurologie et la psychiatrie cache, derrière l’opposition philosophique entre transcendantalistes et immanentistes, la vieille querelle que l’histoire, à mon sens, a déjà tranchée du point de vue de l’autonomie du sujet humain : celle de savoir si la médecine scientifique et rationnelle, dans la mesure où l’avancée des connaissances actuelle et future le lui permet vaut mieux que la religion pour traiter des troubles du corps et de l’esprit. Les conflits des facultés sont, comme toujours, l’expression théorisée de conflits de pouvoirs et ici, il s’agit du pouvoir sur la santé, la vie, la souffrance et la mort, bref, sur les malades actuels et en puissance, c’est à dire nous tous.
Entre psychothérapie et thérapie chimioneurologique faut-il choisir? La réponse est non car le psychique et le neurologique sont plus que les deux faces d'une même médaille: chacune exprime l'autre et chacune s'exprime dans l'autre; le dosage est affaire d'efficacité pragmatique au cas par cas: si le dialogue positif et auto-reconstructeur est très perturbé la thérapie chimioneurologique est indispensable; s'il est possible et efficient alors la psychothérapie peut suffire, tout en sachant qu'elle agit tout autant sur la chimie du cerveau, mais d'une manière probablement plus "douce".
Sylvain Reboul, le 10/12/99