" La nature t’attend dans son silence austère ", dans ce vers
d’Alfred de Vigny tout est suggéré: La distance entre les
hommes et la nature, le recours, la solitude réparatrice que le
poète imagine qu’elle peut lui offrir ; face à la
déception
que les relations humaines provoquent nécessairement, la nature
comme la mort peut, sans parole et dans la réduction du
désir,
sinon consoler, au moins détendre. S’abandonner au silence de la
nature c’est s’évader hors de la condition humaine, de la mort
et
de la souffrance amoureuse qui semblent en sceller le destin.
Mais le vers du poète, aussi séduisant soit-il et peut
être pour cette raison, est à la fois éclairant et
trompeur; La nature est, en effet, aussi silencieuse que le ciel est
vide;
dieu ou la nature n’ont rien à dire d’autre que ce que, dans
l’illusion,
nous espérons qu’ils nous disent : " nous te protégerons
contre toi-même et les autres si tu t’abandonnes aux fantasmes
que
tu projettes sur nous comme s’ils étaient des
réalités
salvatrices "; Mais n’est-ce pas alors abdiquer toute
responsabilité
et renoncer au seul bonheur possible : se reconnaître et
être
reconnu dans ce que l’on fait de notre réalité humaine
marquée
par le désir, la conscience de soi et de la mort dans son
rapport
au monde humain ; de ce rapport, la nature n’en est qu’un support et
une
condition mais à qui l’on fait toujours plus ou moins jouer un
rôle
symbolique (culturel) méconnu comme tel?
La thèse que je voudrais défendre ici, après Spinoza, est que la bonne ou mauvaise nature est un mythe au mieux poétique et au pire illusoire quand sont confondus l’imaginaire et la réalité ; mais elle devient une automystification destructrice de l’humaine condition et des conditions du bonheur humain si l’on prend ce mythe au sérieux en faisant de la nature une fondement positif ou négatif de l’éthique par lequel nous serait révélé le véritable sens de la vie et du bonheur.
Pour ce faire je développerai une argumentation en trois
temps
:
1. Qu’en est-il de la valeur (du point de vue du bonheur) des relations
des hommes à ce qu’ils appellent " la nature " et des
idées
qu’il s’en font ?
2. Qu’en est-il des de la valeur (du point de vue du bonheur) des
relations
des hommes avec ce qu’il pensent être " leur nature " et des
idées
qu’ils s’en font ?
3. Qu’en est il de la valeur (du point de vue du bonheur) des relations
entre la nature, la culture et l’histoire humaine et des idées
que
les hommes s’en font ?
L’enjeu de ces questions est d’évaluer d’une manière
rigoureuse
et critique, dans leurs fondements et leurs conséquences
existentielles,
les idéologies qui participent au mouvement écologique.
L’homme semble occuper dans la nature une position paradoxale : il
est
un être vivant parmi les autres animaux et obéit à
ce titre aux lois de la nature inerte et vivante : il en subit les
contraintes
et doit en remplir les exigences ; mais d’autre part il prétend
dominer la nature pour la soumettre à sa volonté
consciente
dont les finalités sont idéologiques et culturelles et
non
plus seulement biologiques ; ce paradoxe apparent masque une
difficulté
plus profonde : l’idée de nature présuppose que l’homme
conscient
de lui-même soit de ce fait nécessairement conduit
à
s’opposer à son environnement non-humain, en tout cas à
s’en
distinguer pour s’affirmer comme valeur supérieure : le nature
s’oppose
à l’artifice produit par la culture qui semble exprimer ce par
quoi
l’homme est plus qu’un animal livré à la nature de son
instinct
; par son intelligence langagière relationnelle et inventive il
produit son être et son histoire d’une manière autonome
par
rapport aux seules lois biologiques naturelles. Le " progrès "
historique
témoignerait de la dimension surnaturelle (libre) de l’homme.
L’animal
évolue, l’homme seul a une histoire parce qu’il la fait. Or pour
un grand nombre de courants de pensée, cette histoire trouverait
sa source dans la nature elle-même de l’homme ou dans
l’idée
que les hommes s’en font : outre que les hommes sont aussi des
êtres
biologiques appartenant aussi, par leur corps et leur cerveau, à
l’animalité supposée naturelle , toute les cultures
croient
plus ou moins se justifier (et par là tendent à se
pérenniser)
au nom de la nature (la leur et/ou le nature dans sa totalité),
de la création divine ou des deux. Ne disons-nous pas,
aujourd’hui,
que l’homme a des droits naturels et que l’économie de
marché
semble être la plus naturelle ? Ne justifions pas telle ou telle
mesure de protection de notre environnement et des espèces
animales
ou végétales existantes au nom d’un équilibre
naturel
qu’il faudrait impérativement respecter pour cette raison?
Tout se passe comme si la distinction de l’homme et de la nature
était
elle-même problématique et comme si la
supériorité
du premier sur la seconde était réversible. Tout se passe
comme si, ne pouvant s’arracher tout à fait à la nature,
les hommes pour se justifier de la subir se mettait à la
sacraliser
et à lui vouer un culte.
Si l’on considère l’évolution des
représentations
que l’homme s’est fait de ses relations avec son environnement, cette
ambivalence
s’y exprime par le fait que l’idée d’une nature permettant de
distinguer
l’humain de non humain et le naturel de l’artificiel et du surnaturel
n’est
qu’une production récente de la culture scientifique et
technique
moderne, précédée, nous y reviendrons, par la
pensée
rationnelle et philosophique antique. Il est pour cette raison
intéressant
de tenter, au moins grossièrement, de transcrire cette
évolution
dont le principe est l’émergence progressive de la pensée
rationnelle et critique abstraite à partir (et contre) de la
pensée
symbolique concrète et religieuse traditionnelle.
1. La vision
religieuse
enchantée du monde
La pensée traditionnelle est métaphorique et acritique
: elle explique les événements, les êtres et les
choses
par le recourt à des récits mythiques ou
légendaires
imaginaires (mais reçus comme des description de la
réalité),
transmis de génération en génération
essentiellement
par la voie orale ou le dessin. Elle n’a pas le souci de la
cohérence
formelle et de la vérité empirique; ses
interprétations
doivent satisfaire deux exigences : frapper l’imagination pour assurer
la croyance sur fond de désirs conscients et inconscients et
assurer
la cohésion du groupe se reconnaissant dans des explications
engageant
des pratiques communes indiscutables et sacralisées. La
pensée
traditionnelle a donc pour fonction de fasciner les individus pour les
unifier dans le partage de représentations symboliques du monde
qui les dispense de penser par eux-mêmes , leur permet de
comprendre
ce qui leur arrive dans la perspective de leurs désirs
individuels
et collectifs, les délivre de leur angoisse face à
l’inconnu,
à la souffrance, à la violence et à la mort. Elle
s’efforce de tout expliquer et refuse l’idée de hasard ou
d’aléa
pour insérer l’intervention de chacun dans une trame de
relations
nécessaires finalisée entre les événements.
Cette trame est tissée par un jeu complexe d’interventions
d’êtres,
de forces surhumains ou des ancêtres immortalisés .et au
sens
moderne surnaturels qui provoquent les événements au
grès
de leurs passions, désirs et volonté. Au sens moderne la
nature n’existe pas, car rien ne permet d’opposer le naturel au
surnaturel,
l’humain au non-humain ; tout est fondu dans un tout symbolique
où
chaque chose et être peut et doit trouver sa place et son destin.
C’est dire que la nature, ce qui est donné aux hommes, leur
lieu de naissance, leur milieu de vie est à la fois
psychologique,
social et religieux ; il n’a rien d’objectif mais est pétri de
représentations
et de significations subjectives (mettant en jeu les affections et les
désirs des hommes) collectives et individuelles. Les forces
divines
ou sacralisées animent ce milieu de vie et donnent aux
événements
leur sens pour les hommes : la foudre, la maladie sont des punitions
des
dieux ; une naissance réussie, un désir satisfait sont
des
récompenses etc.. Chaque chose appelle un usage à la fois
réel (physique) et magique (symbolique) car la distinction entre
les deux n’existe pas ; pas plus que, dans la pensée,
celle
entre l’objectivité et la subjectivité. Ainsi cette
représentation
du monde est à la fois humanisée et divinisée.
Divinisée
car elle commande la vie de chacun et du groupe par l’effet d’une
puissance
imaginaire (interprétée comme réelle)
incommensurable
; humanisée car elle met en scène des
interprétations
sensibles attribuées aux dieux immédiatement
compréhensibles
aux hommes ; et pour cause : elle ne sont que des projections de sa
propre
sensibilité collectivement et symboliquement codées par
les
mythes et les légendes traditionnelles. De plus rien n’est
arbitraire
dès lors que l’on distingue entre les événements
réguliers
et les événements exceptionnels, entre les lois divines
nécessaires
à le vie sociale et à sa reproduction et les punitions et
récompenses indispensables à l’obéissance des
individus
qui doivent s’y soumettre sans condition.
Dans ces conditions, la tradition est considérée comme
garante de la reproduction de l’ordre général du monde ;
elle incarne le passé qui a fait définitivement ses
preuves,
d’autant plus qu’elle a été léguée
aux
humains par les dieux ancestraux protecteurs de la communauté .
Ainsi les hommes se soumettent-ils a la représentation d’un
monde
socialisé qui leur impose un mode de vie indéfiniment
reproductible
garantissant psychologiquement et symboliquement la
pérennité
de la communauté. La technique ou les moyens d’agir sur
l’environnement
ou sur soi sont alors nécessairement figés et
ritualisés
car ils ne sont considérés comme efficaces que par la
puissance
religieuse qu’ils recèlent et que la tradition légitime.
L’efficacité des techniques rituelles et magiques est
réelle
; elle produit un effet placebo qui, permet aux hommes de se
défendre
contre les maladies et de prendre confiance en eux dans leurs rapports
avec le monde extérieur. Mais innover pour un individu signifie
désobéir aux dieux protecteurs et faire peser une menace
de mort sur soi et sur l’ensemble du groupe. L’évolution des
techniques
est alors très lente et exige une justification collective
religieuse
l’intégrant dans la tradition sans rupture brutale.
Une telle position n’est pas absurde et si elle semble heurter la pensée rationnelle moderne, il serait facile de montrer en quoi et comment elle survit dans la plupart des événements récents mettant en cause les dangers du progrès, nous y reviendrons. Elle est, en effet, tout à la fois, compréhensible sur le plan psychologique et logique au regard des problèmes qu’elle cherche à résoudre ; en cela elle n’est pas dépourvu de rationalité pratique. Elle confère aux hommes un sentiment de sécurité et l’espoir d’être préservée de forces inconnues sinon inconnaissables disposant de leur avenir ; forces qui peuvent à tout instant les écraser et contre lesquelles ils ne peuvent lutter par leurs propres moyens seulement. Mais surtout elle s’appuie sur une calcul rationnel fort : La passé seul est preuve suffisante pour le présent et l’avenir ; ne rien changer aux pratiques collectives est la meilleure façon de préserver la maintien de l’état des choses qui a permis le survie de la communauté. La position conservatrice est garante de l’ordre collectif indispensable à une vie sociale pacifiée, sinon harmonieuse. Toute vie collective repose sur des conventions théoriquement arbitraires mais pratiquement validées par le fait de l’imitation des autres et du passé (ce que l’on appelle la transmission culturelle). La nouveauté, au contraire, fait basculer dans l’inconnu, c’est à dire dans un rapport au monde dont les conséquences sont imprévisibles et donc potentiellement catastrophiques ; en outre elle détruit le jeu des conventions en affaiblissant l’autorité des traditions et ouvre la voie à la violence sociale en modifiant les rapports réels et symboliques de forces entre les individus et les groupes partiels au sein d’une communauté ; Le progrès technique révolutionne en permanence la société jusqu’à mettre en péril ses conditions imaginaires de possibilité ; le sentiment d’identité collective fondateur de toute communauté exige une permanence des codes symboliques et techniques de reconnaissance ; c’est pourquoi les sociétés traditionnelles refuse l’histoire et qu’elles mettent idéologiquement tout en oeuvre pour résister au changement. La difficulté est donc de comprendre pourquoi la pensée traditionnelle n’est plus, chez nous et aujourd’hui, idéologiquement dominante et pourquoi une autre relation entre les hommes et leur environnements s’est progressivement développée, caractéristique de la pensée et des sociétés modernes. Celles-ci revendiquent, en effet, le changement technique, social, politique et idéologique, en tant que progrès historique, comme le fondement de leur légitimité ; ce faisant elles acceptent en permanence de se mettre en cause, de redéfinir les rapports que les hommes entretiennent entre eux et leur environnement désormais désacralisé, tout à la fois naturalisé et artificialisé, ce qui tend à rendre l’ordre social problématique. La société ouverte contre la société close, pour reprendre la distinction de Bergson ne signifie-t-elle pas la société anomique contre la société organique selon l’expression de Durckeim ? Mais une société anomique est-elle viable ? Rompre le lien traditionnel et religieux entre les hommes et leur environnement, n’est-ce pas, du même coup, rompre le lien social ?
Il ne peut s’agir ici de faire l’histoire de ce changement radical, mais néanmoins progressif, qui a marqué le passage de la société traditionnelle à la société moderne ; nous n’en avons pas les compétences, et nous n’en voyons pas la nécessité pour notre propos ; Remarquons seulement que les causes empiriques de ce changement sont comme toujours dans l’histoire à la fois plurielles, autonomes et interdépendantes. Mais il convient à la réflexion philosophique de rappeler à grands traits les conditions rationnelles, théoriques et pratiques, qui l’ont rendu sinon nécessaire, du moins possible et qui font qu’il peut être aujourd’hui rationnellement pensé comme irréversible.
Quatre conditions me semblent pouvoir être avancées :
1. La première concerne l’impossibilité pour une
culture
de maintenir son mode de pensée traditionnel si elle subit des
influences
extérieures dominantes irrésistibles relevant d’autres
traditions.
C’est ce que l’on peut appeler le choc des cultures provoquant des
réarrangement
idéologiques multiples et contradictoires qui sapent le principe
même de la tradition : l’imitation conventionnelle
indiscutées
de valeurs et de comportements valorisés et valorisants
univoques
reconnus comme " allant de soi " .
2. La seconde est la mise en place d’une société
marchande
ouverte sur l’extérieur voire sans frontière politiques
et
culturelles figées qui tend à universaliser sur le mode
rationnel
du profit calculable l’ensemble des échanges humains de biens
économiques
et de services sous le principe de la réciprocité de
valeurs
marchandes quantifiables grâce à l’invention de la monnaie
comme équivalent général de toute valeur
échangeable.
L’intérêt particulier et son corollaire, la liberté
privée du propriétaire, et des acteurs de
l’échange
s’imposent comme valeur légitimes aux dépens des formes
traditionnelles
religieuses, voire politique de solidarité holistique (faisant
primer
le groupe sur l’individu).
3. La troisième, et pour la philosophie la plus décisive,
est l’invention du raisonnement logico/formel abstrait,
démonstratif
et critique qui permet de soumettre tout discours à
l’épreuve
de la non-contradiction conceptuelle, propositionnelle et
expérimentale
par delà les différences culturelles et symboliques
concrètes
et de rechercher une manière commune (car universelle en droit)
de penser et de dialoguer. Cette dernière prend deux figures :
la
figure philosophique, et la figure de la technoscience qui
entretiennent
entre elles et à l’intérieur d’elles-mêmes des
rapports
de connivences et de conflits critiques qui leur permet de se
féconder
mutuellement et de gagner en efficacité et en puissance
critique.
Face à cette nouvelle forme de pensée et par l’effet
même
de son efficacité théorique et technique dans le domaine
de la connaissance comme dans le domaine pratique, éthique et
politique,
la pensée religieuse se trouve sur la défensive au point
de ne plus prétendre, chez nous, à la domination sociale
et politique. La conception de la vérité, comme
vérité
hypothétique, nécessairement incertaine, partielle et
évolutive
voire plurielle , fait litière de toute prétention
à
l’absolu et à la certitude, y compris dans la philosophie dont
la
branche métaphysique longtemps dominante prétendait
fonder
en raison la vérité absolue et la pratique du bien
commun.
4. La quatrième, corrélatif, tient au renversement
du fondement du pouvoir politique : celui-ci n’est plus transcendant et
indiscutable car il relève de l’opinion majoritaire dans un
monde
idéologiquement pluriel et mouvant : c’est l’invention de la
démocratie
représentative pluraliste.
Pour toutes ces raisons, les rapports entre les hommes ainsi qu’avec
leur environnement dépend, de l’évolution des
savoirs
et des techniques scientifiques, de considérations
éthiques
et philosophiques toujours discutables et donc de décisions
individuelles
et collectives révisables.
Mais et c’est pourquoi il n’apparaît ni possible ni souhaitable
de prétendre revenir en arrière et de vouloir que le mode
de pensée traditionnel puisse redevenir socialement dominant
ainsi,
nous y reviendrons, que tous les substituts idéologiques qui, au
nom de l’écologie, nous inviteraient à renoncer
à
la raison instrumentale et au libre usage de la nature que les hommes
ont
mis des millénaires à conquérir. Les techniques
scientifiques
et les exigences rationnelles objectivement prouvées
d’efficacité
qu’elles impliquent pour satisfaire, sans limites
préétablies,
les désirs et le désir de bonheur des hommes dans
l’affirmation
de leur volonté d’être, par delà les limites de
leurs
pouvoirs et de leurs volitions pluralistes et
hétérogènes
actuels, sur leur environnement sont irréversibles. Elles ne le
seraient hypothétiquement que par le recours :
· Soit à une conversion religieuse
généralisée
et convergente dans l’espace et le temps des individus et des
sociétés
par la médiation et l’action irrésistible
d’influence
d’un législateur divin absolument fascinant. Ce que Rousseau
dans
" Le contrat social "., comme on s’est empressé de l’oublier,
avait
très bien compris ; mais il pensait, il est vrai, que pour que
la
volonté soit libre, il suffisait qu’elle soit
générale,
tout en admettant contradictoirement que l’autonomie individuelle de la
volonté subjective restait indispensable à son expression
authentique ; inconséquence que, non sans raison, Hegel lui
reproche.
· Soit, dans le pire des cas, par une entreprise de domination
totalitaire sur les pratiques et les esprits qui ferait oublier toute
trace
de culture rationnelle, critique, philosophique et scientifique pour
instaurer,
par la terreur illimitée, une mystique fusionnelle et violente
des
hommes entre eux et des hommes avec un environnement
prétendument
sacré ou qui, pour le moins, abolirait la conception de la
légitimité
démocratique du pouvoir politique et la morale libérale
de
la régulation des désirs humains. Ce que Hans Jonas,
après
Heiddegger, semble reconnaître sinon revendiquer dans son ouvrage
" Le principe de responsabilité ".
Il est nécessaire de reconnaître alors, que toute les
tentatives aujourd’hui de " resacraliser " religieusement,
symboliquement
ou " affectivement " le lien social et l’existence des hommes dans
leurs
relation à soi et à leur environnement ne peut se
terminer
que dans l’échec impuissant et/ou la violence idéologique
(fanatisme) politique et physique autodestructrice ,
c’est-à-dire
le sectarisme, la guerre sainte et/ou la révolution
meurtrière
indéfinie et cela à l’heure ou les armes les plus
modernes
menacent l’existence de l’espèce humaine toute entière.
Dans ces conditions, la conception rationaliste et libérale
des
relations des l’hommes à leur environnement tout à la
fois
humain et naturel est à la fois la plus réaliste et la
plus
souhaitable ; c’est-à-dire la plus responsable. La seule
question
philosophique qui vaille est de la mieux comprendre pour l’approfondir
et en tirer des analyses et des pratiques contrôlables
correctrices
des dangers écologiques dans le respect des libertés
démocratiques.
2) Vers la
désenchantement
du monde : la rationalisation philosophique de la nature.
La raison n’est pas une faculté : elle n’est ni innée
ni universelle dans les faits; elle est une forme de pensée qui
s’est historiquement développée et se développe
encore
sous la contrainte de la nécessité sélective
d’ajuster
les interprétations symboliques du monde et de soi à une
double exigence : celle d’une plus grande compréhension
prévisionnelle
des évènements, non-humains, humains ou mixtes
(artificiels)
et celle de la production et de la mise en oeuvre d’un langage commun
permettant
l’intercompréhension universelle des humains. Ce sont ces deux
impératifs
qui définissent l’exigence de vérité dans le
domaine
de la connaissance et celle de justesse dans le domaine pratique. Cette
forme de pensée utilise pour cela les critères de la
logique
formelle (non-contradiction, identité) et de l’expérience
plus ou moins reproductible et instrumentalisée. Ces
critères
sont susceptibles de remaniements dans leur définition et leur
usage
; mais, dans tout les cas ; ils ont provoqués une double
distance
critique dans la pensée : celle de la de la pensée
vis-à-vis
d’elle-même et celle de la pensée vis-à-vis de son
environnement extérieur ; Ils ont rendu possible le
développement
du dialogue argumenté, hypothétique et contradictoire que
la philosophie nomme la dialectique conceptuelle, c’est à dire
la
confrontation des idées générales explicitement
définies
selon ces mêmes critères afin de mieux comprendre le monde
et les hommes pour mieux vivre (la sagesse).
Ainsi la pensée philosophique s’affirme progressivement contre
la pensée religieuse traditionnelle, sinon toujours dans son
contenu,
au moins toujours dans sa forme rationalisée, critique et
argumentée.
Elle se veut universelle en droit ou, au moins, tend à se donner
cette forme. Cette forme impose de distinguer, l’universel ou, tout au
moins l’universalisable, du particulier et la
réalité
de l’imaginaire donc l’illusion de la vérité. Soyons
clairs
sur ce point : l’imagination ou production de représentations
non
réelle susceptibles de résister ou non à
l’épreuve
de l’expérience et de conduire avec justesse ou non notre action
n’est pas illusoire, elle ne l’est que lorsqu’elle prétend
rendre
compte d’une réalité sans preuve rationnelle suffisante
ou
qu’elle prétend être universellement favorable aux
désir
de bonheur des hommes sans pouvoir le démonter d’une
manière
suffisante. Ainsi une morale rationalisée n’est pas illusoire
sauf
si elle prétend être démontée comme
nécessaire,
ce qui n’est le cas d’aucune morale possible (même celle de
Kant),
car toute morale repose en dernier ressort sur un sentiment variable
dans
son contenu expérimental que se soit celui du bonheur ou celui
de
la dignité, si cette distinction a un sens. Si tant est
que
la connaissance objective de la nature (le non-humain) soit
idéalement
possible; il n’y a pas de morale objective, même la plus
rationalisée,
pensable, car toute morale est nécessairement subjective.
La compétence rationnelle induit donc une mise à distance
permanente de l’homme par rapport aux contenus de sa pensée et
la
nécessité de les remettre en question (le doute) pour
s’assurer
de leur valeur théorique et pratique. Cette mise à
distance
provoque à son tour l’impossibilité pour les hommes de se
confondre dans un grand tout où la nature, les hommes et les
dieux
ne feraient qu’un et pourraient communiquer par le seul jeu symbolique
du langage métaphorique qui associe en permanence des
références
extérieures et des significations imaginaires provoqués
par
les désirs (illusion fusionnelle mystique). L’homme, comme sujet
ou âme rationnels, se saisit alors comme capable de penser le
non-humain
par lui-même et de le dominer par son action. Cette position
nouvelle
de l’homme vis-à-vis de son environnement est au fondement de
l’idée
de nature (ce qui n’est pas produit par l’homme) et de son opposition
avec
celle d’artifice (ce qui est le résultat de l’action autonome,
culturelle,
de l’homme). L’existence et l’action plus ou moins arbitraire des dieux
deviennent alors problématiques et sont l’objet d’une
interrogation
et/ou d’une mise à l’écart sinueuse et progressive au
profit
d’une mise en cohérence dialectique et progressive
d’énoncés
conceptuels et expérimentaux de plus en plus rationalisés
et formalisés pour expliquer (et agir sur) les
phénomènes
et les événement (" il faut sauver les
phénomènes
", Platon) ainsi que pour poser les règles de la vie bonne
personnelle
et collective (la sagesse philosophique et la justice raisonnable). Le
langage symbolique et métaphorique est de plus en plus reconnu
comme
l’expression plus ou moins consciente de la seule subjectivité
humaine
sans aucune valeur de connaissance objective jusqu’à, chez
Platon,
la volonté (totalitaire) de chasser la poésie et les arts
d’illusion hors de la cité ; c’est à dire la
subjectivité
individuelle et/ou particulière hors du champs de la
connaissance
universellement vraie et de la politique objectivement juste. La
poésie
n’est plus en général confondue avec la science ; le
mythe
devient lui-même poésie à la disposition de
l’imaginaire
humain ; l’art n’est plus ni religieux ni sacré.
Pour les philosophes de l’antiquité grecque, sur fond de
crise
du mythe, de la religion et de la tradition, la nature devient
progressivement
l’objet de notre connaissance humaine et rationnelle ; et c’est cette
connaissance
même qui la définit comme " nature " distinguée du
surnaturel et de l’humain ; il s’agit pour le philosophe de comprendre
" la nature " d’une manière rigoureuse et universalisable pour y
reconnaître la place et la fonction de l’homme et poser les
conditions
de l’efficacité de l’action. Pour ce faire deux attitudes
philosophiques
(de pensée et de vie) sont possibles : celle d’Aristote et celle
d’Epicure les définissent fort bien. La première
s’efforce
de montrer que la nature est organisée en une totalité
logiquement
hiérarchisée de parties et de fonctions dont chacune
dispose
du principe interne de son mouvement finalisé en vue de
l’équilibre
harmonieux de l’ensemble ; la seconde est celle des philosophes
matérialistes
qui cherchent au travers de la contingence apparente et réelle
des
phénomènes de notre expérience des
régularités
plus ou moins générales et durables, exploitables en vue
de l’action utile à la vie heureuse.
:
2-1) L’attitude aristotélicienne et la nature finalisée.
Pour Aristote le finalisme global de l’univers rend possible et
garantit
son équilibre harmonieux malgré les désordres
constatés
sur le monde terrestre (dus au désordre inhérent à
la matière " pure "): la régularité
mathématique
du monde céleste rend compte des cycles des saisons et de la vie
ici-bas, même si, sur la terre, la régularité
globale
n’autorise aucun prévision particulière calculable. La
finalité
de chaque élément sous le détermination de la
cause
finale qui leur est inhérente contribue à la
perpétuation
de l’ordre général du monde ; toutes les autres causes,
matérielle
(de quoi la chose est-elle faite ?), mécanique (d’où
vient-elle
?), formelle (qu’est-ce qui la distingue des autres choses ?) sont
subordonnées
à cette cause finale (en vue de quoi existe-t-elle ?). Cette
hiérarchie
des quatre causes par ordre d’importance décroissant : finale,
formelle,
mécanique et matérielle de tout phénomène
naturel
permet aux hommes de comprendre la nature, avant toute intervention de
leur part, comme un cosmos ordonné rationnellement ; Elle permet
surtout d’affirmer que ce qui existe et perdure n’est pas sans raison
pour
qui sait (le philosophe) logiquement observer les
phénomènes
selon les concepts ou catégories universelles de la raison : fin
et moyen ; cause et effet, principe et conséquences etc..
Observer,
classer et ordonner les phénomènes de l’expérience
selon les catégories de la raison universelle et en
déduire
logiquement des conséquences, tel est le travail du
savant-philosophe.
Il doit s’efforcer d’éviter les contradictions tant dans son
discours
que dans l’idée du monde que ce discours rend possible ; en
vérité,
discours rationnel et nature pour ce qui est de l’essence des choses ne
font qu’un (le logos) comme l’avait compris Platon : La nature
connaissable
est rationnelle en son essence et le discours rationnel du philosophe
doit
être est nécessairement la seule vérité de
la
nature à laquelle les hommes puissent prétendre ; si la
vérité
est la conformité de ce qu’on dit et de ce qui est ; il convient
néanmoins de signaler que, pour Aristote, cette
vérité
échappe au philosophe et à ses concepts
généraux
en ce qui concerne les choses particulières et l’être en
tant
qu’être ; les premières sont trop particulières,
pour
que l’on puisse les connaître par le moyen de termes
nécessairement
généraux et le second échappe à toute
définition
conceptuelle possible puisque il faudrait le définir par rapport
à d’autres définitions conceptuelles mais que toutes les
autres l’implique déjà pour être définies
(cercle
vicieux). La connaissance philosophique vraie ne concerne que les
genres
et les espèces ; ce qui revient à dire que les hommes ne
peuvent connaître qu’en subsumant le particulier sous le
général,
l’accident sous l’essence. Un reste, un irrationnel subsiste,
inconnaissable
: le hasard, l’imprévisible, l’accident inexplicable, sans cause
formelle ni finale. Cette contingence irréductible qui
caractérise
la nature dans le monde terrestre, à la différence du
monde
céleste, existe réellement et est responsable de la
corruption,
du désordre et des monstruosités que l’on constate
ici-bas.
Si la nature est essentiellement cosmos, un certain " chaosmos " est
tout
aussi naturel ; ainsi la nature est bien un mixte d’ordre et de
désordre,
de nécessité et de contingence, de rationalité et
d’irrationalité. Dans la singularité des choses et des
circonstances
aléatoires qui les font apparaître et disparaître
d’une
manière imprévisible les hommes éprouve les
limites
de leur savoir et du pouvoir de leur raison. Si l’intervention
arbitraire
des dieux (ou de Dieu) n’expliquent rien, car elle peut tout expliquer,
alors les hommes doivent raisonnablement renoncer à la
vérité
et au savoir absolus; La vérité absolue de la nature est
nécessairement impossible parce qu’irrationnelle, seul un savoir
progressif empirique et rationnel est possible ; telle est la
conclusion
ultime du philosophe . Toute autre position aboutirait à la
confusion
entre l’illusion d’un savoir sans preuves ni critères
universalisables
et la vérité ; confusion qui fait l’illusion même.
Mais cette limite de la connaissance fondée sur cette
indétermination
relative du cours des événements singuliers rendent
possible
et nécessaire l’action des hommes, raisonnables par essence, en
vue de réduire les effets destructeurs du désordre dans
la
nature ; il revient aux hommes de transformer la nature pour la
parfaire,
en la rendant plus conforme à son essence rationnelle : la
connaissance,
si elle vaut pour elle-même, peut et doit se prolonger en action
par laquelle l’artifice (l’art) imite la nature pour l’améliorer
dans la perspective des finalités naturelles plus ou moins
menacées
par la corruption et la désordre des événements
aléatoires
; ainsi la nature est norme pour la culture et l’art humains
vis-à-vis
de ce qui, en elle, s’oppose à la norme : la " pure
matière
", qui n’existe jamais en tant que telle mais qui menace toutes les
formes
qui l’informent et qu’elle est susceptible de dégrader.
L’agriculture
à la fois naturelle dans ses lois et ses finalités et
artificielle
dans l’intervention active des hommes qu’elle met en oeuvre pour
réduire
le hasard entraînant la famine, permet de mieux assurer la fin
naturelle
des plantes et des animaux naturels : nourrir les animaux et les
hommes.
Il devient alors possible de définir des règles
naturelles,
fondatrices d’un droit raisonnable conventionnel, susceptibles de
promouvoir
des rapports entre les hommes et entre les hommes et la nature plus
efficaces
et plus harmonieux ; chez Aristote la nature et la culture ne se
distingue
que pour mieux coopérer en vue du souverain bien naturel de la
nature
(pérenniser son ordre) et des hommes (le bonheur du sage). Une
telle
conception inclut l’homme, placé, en tant qu’animal raisonnable,
au sommet de la hiérarchie des êtres terrestres, dans la
nature
; en cela, celui-ci peut et doit, dans le cadre d’une cité
harmonieusement
naturelle et raisonnable de citoyens libres sinon égaux,
réaliser
par l’effet de sa raison autonome, ses propres fins naturelles
spirituelles
définissant le plus grand bonheur humain possible que sont la
philosophie
et l’amitié, dès lors que sont satisfaits ses besoins
corporels
naturels et nécessaires par le moyens d’une économie
essentiellement
naturelle faisant de l’autosuffisance frugale (accompagné du
troc)
son idéal.
Mais cette conception raisonnable de l’existence de l’homme vivant
réconcilié
dans sa nature avec la nature s’affirme sur la base d’un conflit
réprimé
sinon dénié: le conflit entre la nature raisonnable et
idéale
de l’homme et sa nature empirique passionnelle, ou mieux, pulsionnelle.
Celle-ci, en effet, pousse les hommes à désirer toujours
davantage, et pour satisfaire leur boulimie de plaisirs, de pouvoir et
de richesse, à produire et inventer de nouvelles sources de
jouissance
au delà de la satisfaction de leurs besoins naturels et
nécessaires
; si bien que la recherche du superflu et du luxe s’exprime par une
frénésie
de consommation de biens de prestige qui les entraîne à
asservir
la nature à des fins déraisonnables et anti-naturelles de
plaisir (exemple de la gourmandise). La nature de l’homme (et
peut-être
la nature en général) le porte à transgresser la
nature,
à la violer, selon la juste remarque de Sade. En l’absence
d’interdits
religieux et/ou de répression politique , la nature
anti-naturelle
des hommes les porte dans leur majorité (hormis les philosophes)
à renoncer à la vie philosophique qui subordonne le
désir
à la raison au profit de la vie, que Platon appelait tyrannique,
qui soumet l’intelligence à l’aiguillon du désir sensible
infini, et, par là, l’âme au corps.
Or, l’infini du désir d’être et de puissance est une
constante
de la nature humaine car les hommes sont, par nature et culture,
conscients
d’eux-mêmes et de la mort. Ils cherchent alors, par compensation,
à se transcender soit dans l’affirmation de la promesse
religieuse
de l’immortalité salvatrice personnelle ou non, individuelle ou
collective, soit par le déploiement de leur capacité
propre
à dépasser leur finitude présente ; ainsi ils ne
peuvent
emprunter que deux modes de satisfaction de leur désir
d’être
: soit la croyance religieuse en un dieu infini salvateur exigeant plus
ou moins la renoncement ici-bas à la recherche de l’infinie
puissance
propre, soit l’inscription de leur valeur (sentiment de la
dignité)
dans l’action et la maîtrise indéfinie sur le monde
naturel
(les techno/sciences), sur soi (la sagesse philosophique et
l’expression
esthétique) et les autres (le pouvoir social/économique,
culturel/symbolique et politique/militaire) ou dans des compromis plus
ou moins cohérents entre ces différentes pratiques.
Placer
son idéal de bonheur (de contentement de soi) soit dans un
ailleurs
religieux ou philosophique soit dans l’affirmation empirique,
individuelle
et/ou collective, de soi sur terre ; telle est l’opposition radicale
entre
la culture religieuse traditionnelle et la culture moderne ; elle est
irréversible,
à moins de vouloir provoquer une révolution culturelle
qui
ne pourrait qu’engendrer un désastre pire que ceux que le
totalitarisme
moderne a inspiré. Il faut donc s’y résoudre : On ne peut
refuser l’individualisme athée et libéral moderne sans
caresser
le rêve d’une révolution totalitaire (j’appelle
totalitaire
une idéologie qui ne reconnaît de valeur à
l’individu
que par sa conformité aux valeurs du groupe et sa soumission
inconditionnelle
à ses exigences) aux conséquences auto destructrice pour
l’humanité toute entière.
Ainsi la position d’Aristote est contradictoire avec elle-même
et avec l’essence historique de notre culture:
· Avec elle-même : Elle pose la liberté raisonnable
contre la liberté désirante, oubliant que l’une n’existe
que par l’autre. La créativité et l’initiative des hommes
relève, non de la raison, mais du désir ; et celui-ci,
même
raisonné, ne s’exprime que dans la transgression des normes ou
des
limites considérées comme naturelles. Affirmer la
liberté
humaine pour aussitôt la soumettre en elle-même à
une
prétendue nature finalisée est absurde. La liberté
ne connaît que des contraintes naturelles extérieures
qu’elle
cherche aussitôt, dès lors qu’elle les reconnaît,
à
contourner ou à exploiter selon les normes et les fins qu’elle
se
donne à elle-même. La nature ne fait pas norme, c’est la
norme,
en tant que produite par l’initiative créatrice des humains, qui
donne sens aux contraintes naturelles, en tant que conditions
objectives
de l’action dont cette initiative définit les fins. Il n’y a
donc
pas de morale rationnelle naturelle possible, à moins d’inscrire
la nature dans le contexte d’un commandement divin et nous retournons
alors
à la conception religieuse traditionnelle dont la philosophie
prétend
sortir; toute prétention à soumettre la liberté
(comme
autonomie) à la nature est l’effet auto-mystifié de cette
autonomie elle-même.
· Avec l’essence historique de notre culture : celle conception
de la nature et des rapport que les hommes doivent entretenir avec elle
suppose, en effet, que la société tende vers un mode de
vie
équilibré, optimal et invariant, plus ou moins
autarcique,
qui exclut la possibilité même de l’expression
irréligieuse
moderne de la créativité productrice illimitée des
désirs humains individualisés soumettant la nature et les
hommes aux exigences de la production et des échanges marchands
et financiers potentiellement cosmopolitiques ; C’est ce que Heiddegger
avait à la fois compris et violemment refusé ;
l’ambivalence
qu’il éprouvait, faite de fascination et
déréliction
religieuse (religion devenue philosophiquement inavouable),
vis-à-vis
de la puissance devenue dominante de la techno-science individualiste,
n’est probablement pas étrangère à sa
dérive
politique totalitaire ainsi qu’à celle des penseurs se
réclamant
(à tort ou à raison) de Marx qui ont refusé
l’individualisme
moderne ; que ce soit au nom de l’être, de la communauté,
de la classe, de la nation ou de la race ; tous les
anti-individualismes,
dans les conditions de la culture moderne, sont par essence sectaires
et
potentiellement terroristes .
Mais se débarrasser d’une vision transcendante et finaliste
du
monde ne va pas de soi ; un effort de critique philosophique est
indispensable,
car, face aux incertitudes et aux menaces consubstantielles du monde
moderne
et à l’impuissance des individus à se représenter
l’avenir, la tentation est grande de recourir aux vieilles recettes
mystiques,
téléologiques et religieuses, plus ou moins
philosophiquement
maquillées en conceptions rationnelles, pour redonner un sens
à
l’existence humaine qui ménage un vague espoir d’être
sauvé,
sinon par un dieu quelconque, du moins par une morale
prétendument
universelle des droits de l’homme ou du bonheur que l’on voudrait
constituer
en recette de la politique mondiale. Penser une relation à la
nature
dépourvue de toute vision religieuse ou morale
préétablie
pour contrôler et exploiter au mieux ou au moindre mal, les
effets
ambivalents sur leur environnement du désir irrésistible
des hommes modernes d’affirmer leur être et leur puissance dans
le
monde naturel et humain, indissociable de leur désir
d’être
heureux, , nous semble être l’attitude à la fois la plus
rationnelle
et la plus raisonnable ; elle exige, pour être cohérent
avec
notre critique de la position aristotélicienne, que l’on fasse
le
détour par les seuls penseurs qui, dès
l’antiquité,
récusent les illusions idéalistes et religieuses
théo
ou téléologiques et réfléchissent sans
préjugés
sur " la nature des choses " et des hommes : les philosophes
matérialistes,
Epicure et Lucrèce.
2-2) La position épicurienne et la nature des choses.
Les philosophes de l’antiquité ont eu l’immense mérite de dégager l’idée de nature de tout contexte religieux de compréhension pour en faire l’objet d’une investigation rationnelle. Aristote tente de penser la nature par elle-même, mais, d’une manière inconséquente, se refuse à la dépouiller de son caractère normatif au nom d’une rationalité qui a tendance à soumettre ce qui est à ce qui doit être, la nature corrompue (matérielle) à la nature idéale (formelle) et, sur le plan de la pensée, ainsi que pour Platon, les jugements de connaissance au jugements prescriptifs (c’est pourquoi, pour lui, la connaissance est par elle-même une sagesse, une pratique du bonheur). Les philosophes matérialistes vont plus loin : s’il n’y a pas de finalité surnaturelle, il n’y aucune finalité globale dans et de la nature ; sans théologie aucune téléologie de la nature n’est rationnellement possible, ce que, en un sens contraire au leur, les philosophes chrétiens inspirés d’Aristote, avait compris pour justifier le dogme de la création divine. Les matérialistes affirment au contraire, quant à eux, que la nature, dès lors qu’elle n’est plus ce qu’elle doit être en vue de finalités préétablies, est ce qu’elle est : sourde, aveugle et dépourvue de toute intention bénéfique ou maléfique. Comment alors rendre compte de l’ordre apparent des choses naturelles, et comment penser les relations de l’homme avec elles ?
Si nous ne pouvons entrer dans les détails de la vision
mi-poétique
mi-rationnelle que Lucrèce se fait de la nature, nous devons et
pouvons nous proposer d’en dégager les propositions essentielles
qui en constituent le noyau philosophique pour en montrer la
consistance
et la pertinence au regard de ces questions .
· Le hasard prime sur l’ordre ; les choses de la nature et donc
la nature en sa totalité sont le résultat d’une
combinaison
aléatoires d’atomes insécables et immortels
différenciés
rendue possible par une déclinaison (le clinamen) de ces atomes,
qui, sans elle, auraient été condamnés à
tomber
nécessairement sans se rencontrer. la nécessité de
la pesanteur constitue le chaos, le désordre créé
par la déclinaison produit le hasard qui va donner jour aux
êtres
et aux choses de la nature ; ainsi l’existence des corps et des
êtres
nait, non de la nécessité, mais de ce qui la trouble :
des
rencontres aléatoires d’atomes qu’aucune intention ou projet,
voire
raison explicite, ne destinaient à s’associer. Cet ordre relatif
des choses s’auto-entretient dans des conditions temporairement
favorables,
sans intervention surnaturelle, par le seul fait des
propriétés
structurelles et fonctionnelles des atomes de leurs combinaisons
atomiques
et des combinaisons de ces combinaisons (effets systémiques).
Les
corps sont fragiles et mortels par l’effet de l’usure temporelle,
résultat
du bombardement et des chocs provoqués par les autres corps et
atomes.
Le système de la nature est donc lui-même mortel et peut
donc
se et être transformé par l’action des corps les uns sur
les
autres, action involontaire pour ce qui concerne les corps inertes ou
volontaire
pour ce qui concerne les êtres vivants. La matière (les
atomes
éternels différenciés) est au fondement de
l’existence
des choses, de leur réalité concrète et sensible
et
des sensations que l’on en a ; les formes régulières, la
perception et la pensée elle-même ne sont que des
propriétés
structurelles émergentes de la combinaisons (originellement
aléatoire
et par la suite auto-entretenue) de ces différents atomes
matériels.
· Les seules finalités naturelles sont celles des
êtres
vivants et pensants ; elles sont toujours spécifiques et
particulières,
plus ou moins concurrentes et/ou associées ; il n’y a aucune
finalité
globale de la nature, intentionnelle ou non, qui y assure la
pérennité
d’un équilibre stable. Ces finalités sont celles de la
survie
ou résistance temporaire à la mort et de la reproduction
biologique, marquées par les sensations (matériellement
produites)
du plaisir et de la douleur.
· La matière vivante est sensible et, dans les conditions
atomiques, systémiques et relationnelles de la vie individuelle
et sociale humaines, pensante. Les pensées sont des
synthèses
de sensations stabilisées en vue d’élaborer des
stratégies
plus ou moins efficaces de survie et/ou de réduction de la
douleur,
en vue du plaisir..
· La mort est naturelle, il est possible de la connaître
car elle n’est rien d’autre que la dissociation irréversible des
atomes du corps, de l’âme et de la pensée d’un être
vivant individuel: elle n’est rien ; elle n’est donc ni un
mystère,
ni une cause de crainte. Les hommes doivent l’accepter comme un simple
phénomènes naturel qui ne peut être douloureux.
L’angoisse
de la mort vient de l’idée fausse, inculquée par la
religion,
que la mort pourrait être une autre vie inconnue soumise à
l’arbitraire des dieux. Les illusions, et l’illusion religieuse au
premier
chef, ne sont que des stratégies inconséquentes, qui loin
de réduire la douleur, l’aggravent sous l’empire des passions
qui
naissent de la peur de la mort ; ainsi l’attitude religieuse est cause
et effet d’un cercle vicieux expression d’une stratégie
inefficace
: pour échapper à la crainte de la mort, les hommes se
persuadent
qu’elle est une autre vie, mais du même coup entretiennent cette
peur en l’aggravant par la crainte du jugement divin.
· Le mouvement prime sur la stabilité : Le vide et
l’interaction
entre les atomes fait que tout ce qui existe est le résultat de
processus de transformation mettant en jeu des causalités
multiples
dont la rencontre est aléatoire lorsqu’il s’agit de la nature
inerte,
et plus ou moins réglée par l’instinct et la raison (eux
mêmes matériellement conditionnés par le jeux
auto-organisé
des atomes) lorsqu’il s’agit de phénomènes vivants.
Cette position entraîne deux conséquences apparemment
contradictoires
:
1. La première concerne la connaissance rationnelle, les
relations
entre la pensée et la réalité et la
définition
de la vérité: la position matérialiste vise
à
mettre la réalité (la nature) à distance de la
pensée
et des idées que les hommes s’en font, ce par quoi la
réalité
se définit comme objet de pensée extérieur
à
elle et lui résistant nécessairement. S’ouvre alors la
possibilité
d’une connaissance et d’une pratique toujours relative et discutable.
La
pensée ne peut ni connaître la réalité
ultime
que sont les atomes et le hasard, ni prévoir à priori les
événements du monde et les effets des combinaisons
atomiques;
elle doit donc se contenter de ne connaître par l’observation et
l’expérience que les phénomènes réguliers
qui
lui permettent de d’anticiper avec un succès toujours relatif ce
qui peut être. Cette conception de la vérité
nécessairement
incertaine expérimentale et hypothétique liquide
l’idée
fantasmatique de la vérité absolue, certaine et
définitive
de la métaphysique, héritage, dans la pensée
philosophique
du fantasme religieux de la vérité divine. La
vérité
absolue est l’illusion majeure de la pensée : elle
entraîne
toutes les illusions dogmatiques qui sont les obstacles majeur de la
production
progressive des connaissances ; elle prend sa source dans le faux
besoin
de l’homme d’être assuré contre la mort sinon du corps, du
moins de l’âme, par l’illusion de l’immortalité. Pour la
vision
religieuse, l’homme ne peut croire en son immortalité que si la
vérité divine qui la fonde est elle-même immortelle
donc éternelle et absolue et que si l’âme immortelle et
promise
au salut dispose d’une supériorité ontologique sur la
matière
mortelle en tant qu’elle est considérée comme le
réceptacle
de cette vérité divine (révélation). Pour
les
philosophe matérialistes, au contraire, la pensée
matérielle
agit matériellement sur les corps matériels et vis-versa
; la spécificité structurelle et fonctionnelle des atomes
fonde la différence entre la pensée et le corps et leur
autonomie
relative sans pour autant interdire leur interdépendance
(problème
jamais résolu par les philosophes idéalistes/dualistes).
La nature est une et plurielle ; une par la matière, le hasard,
le vide et la mouvement qui engendre une multiplicité de corps
et
d’événements possibles, et multiple par la
diversité
des atomes de leurs mouvements, de leurs combinaisons et de leurs
propriétés.
c’est ainsi et c’est pourquoi la connaissance n’est pas contemplation
passive
de l’être par la pensée mais interaction
matérielle,
travail expérimental progressivement réglé (la
raison)
des atomes et des corps les uns sur les autres en vue du plaisir
indissociablement
spirituel et matériel (le gai savoir). Ainsi le
matérialisme
s’affirme comme la seule forme conséquente de l’athéisme.
La pensée, considérée comme une action physique
des
corps pensants ne doit, selon le matérialisme, s’autoriser que
de
son propre travail sur la nature pour produire des
vérités
utiles à la vie humaine ; toute autre action magique ferait
nécessairement
intervenir un principe divin et serait sans effet sur la nature
extérieure
et l’effet physique de l’illusion sur nous-mêmes, en tant qu’elle
est résultat et cause de mouvements mal ajustés des
atomes
de l’âme et de l’esprit, serait nécessairement à
long
terme peu efficace et donc dommageables au bonheur. A ces conditions le
rapport de l’homme à la nature et à sa propre nature est
débarrassé de toute superstition qui le soumettrait
à
un ordre ou à des pouvoirs sacrés plus ou moins
éternels
et en soi respectables et/ou qui le conduirait à croire qu’il
peut
échapper à la nature et à la mort, c’est à
dire à sa condition d’être naturel vivant parmi, avec,
voire
contre d’autres êtres naturels. La nature est suffisamment
autodéterminée
pour nous préserver, par un effort de sagesse, du délire
de la toute puissance sur elle et sur nous, qu’elle soit humaine ou
divine,
lequel ne peut conduire qu’à l’aggravation de la souffrance, et
suffisamment aléatoire pour rendre possible l’action visant
à
transformer notre environnement naturel en un sens favorable au
développement
de notre désir de vivre dans le recherche du plaisir et la
réduction
de la douleur. La réussite de cette action n’est pas plus
certaine
que son échec ; mais une action purement matérielle,
technique,
qui ne concerne que les rapports entre les atomes et leur combinaisons
a quelque chances d’aboutir, alors que les pratiques symboliques,
magiques
et cultuelles de la religion condamnent nécessairement à
la souffrance . Celle-ci agit sur les hommes et les pensées
humaines
dans un sens politique négatif : elle permet de les asservir
à
des pratiques dominatrices de pouvoir en suscitant des craintes et un
respect
irrationnels, asservissement dont ils doivent se libérer pour
prétendre
au relatif et véritable bonheur ici-bas.
2. Mais la seconde conséquence de cette mise à distance
de notre vision de la nature vis-à-vis de toute connotation
religieuse
est esthétique : la nature peut être non seulement objet
de
connaissance et de pratique technique mais aussi d’amour, non pour
elle-même
mais pour le sentiment de beauté esthétique que nous en
éprouvons.
Les hommes peuvent et doivent alors aimer la nature pour ce qu’elle est
: une source inépuisable d’expérience
émotionnelles
et sensuelles ; par leur sensibilité les hommes participe aux
mouvements
des êtres et des choses ; participation dont la richesse des
significations
plaisantes qu’elle met en œuvre ne peut être
évoqués
et provoqués que par l’art et la poésie. Cette jouissance
pleinement retrouvée n’a rien de religieux : elle est
l’expression
du fait que la nature, rendue par le philosophe et poète
matérialiste
à la richesse de ses possibles, est dégagée de
toute
normes morales transcendantes ; elle est à la libre disposition
du désir humain et de sa puissance créatrice ;
l’imagination.
La nature n’est pas au dessus de l’homme ; elle l’inspire au plus
profond
de sa propre nature sensible en provoquant les mouvements des atomes de
l’âme qui produisent la joie ; et les hommes,
délivrés
de la crainte de la mort, conquièrent enfin le droit naturel
d’en
tirer tous les plaisirs que l’alliance de son désir et de sa
raison
lui inspire.
Ces deux conséquences ne sont paradoxales qu’en apparence :
la
séparation entre une conception objective et technique de la
nature
et une vision amoureuse et poétique leur permet de se
compléter
et de se répondre au profit des individus humains par
l’accroissement
de la jouissance d’être et de la puissance d’agir auxquelles
elles
contribuent toutes deux ; le bonheur des individus implique
nécessairement
leur refus de se soumettre à une vision de la nature qui
asservit
les hommes à un délire collectif
intériorisé
en vue d’assurer leur domination sociale et personnelle. Il n’y a pas
contradiction
entre ces deux approches dès lors que la nature n’est pas
envisagé
sous le même rapport et qu’elles concourent toutes deux, parfois
d’une manière faussement concurrente, au plus grand bonheur
possible
sur terre : jouir sans fausse peur de la nature et de nous-mêmes
; ce qui, au fond, revient au même.
Or cette distinction, quant au rapport vis-à-vis de la nature,
entre la poésie d’un coté et les sciences de l’autre, ne
sera accomplie que par la science moderne ; chez les philosophes
matérialistes
elles est encore enveloppée par une vision qualitative de la
nature
dans laquelle la vision symbolique et le discours rationnel
expérimental
s’entremêlent. La physique des matérialistes n’est ni
quantitative
ni prédictive, son pouvoir technique direct est nul ; sa
finalité
est éthique : poser les conditions philosophiques de la
libération
de la pensée humaine vis-à-vis de la tentation
religieuse,
y compris dans la philosophie, pour accéder à la
véritable
sagesse. Mais cette éthique, après bien des
détours
dus au difficile combat pour s’arracher au contrôle
idéologique
et politique que les églises chrétiennes ont
imposés
au savoir pour les motifs que l’on sait, rendra possible les sciences
expérimentales
et objectives c’est à dire quantitatives de la nature, qui dans
leur pratique s’affirment, que leurs producteurs le veuillent ou non,
matérialistes
; c’est ce que nous devons maintenant nous efforcer de montrer en nous
posant la question de savoir ce qui caractérise les rapports que
les sciences établissent entre les hommes, leur pensée
(de)
et leur pratique (sur) et la nature et donc la philosophie implicite
sinon
explicite de ces rapports.
3) la nature
désenchantée
: Les sciences expérimentales comme maîtrise de la nature.
Descartes, confronté à la contradiction (au moins
apparente)
entre la vérité religieuse et la vérité de
la science mathématique et expérimentale naissante de son
temps à laquelle il contribua, a cherché à fonder
la vérité de la science physique naissante et à
légitimer
son autonomie vis-à-vis de la religion ; pour ce faire, il s’est
efforcer de démontrer que la nature connaissable avec les seules
ressources de la raison ne pouvait l’être que si on la supposait
constituée de figures géométriques, de rapports
mathématiques
et de mouvements purement mécaniques définis par des
relations
de cause à effet sans intervention de la cause finale, ni de
Dieu
(si ce n’est pour " expliquer " la création continuée de
la nature ainsi mécaniquement déterminée).
Mais cette intention, louable dans la conjoncture idéologique
de l'époque, n’est en rien nécessaire au
développement
du savoir scientifique, il lui est même contraire comme nous le
verrons
par la suite; d’autre part cette tentative a échouée :
aucune
démonstration de l’existence de Dieu n’est possible (voir la
critique
kantienne logiquement indiscutable de l’argument ontologique), or cette
démonstration est indispensable pour fonder en raison la
vérité
de la science en tant que certitude absolue, c’est-à-dire
l’adéquation
totale de la pensée rationnelle et mathématique avec la
réalité
de la nature ; mais la vérité scientifique n'a pas
nécessairement
besoin de fondement, qu'il soit religieux ou philosophique, car elle ne
prétend justement pas à l'absolu; il lui suffit de
confronter
ses hypothèses à l'expérience objective,
universellement
reproductible dont les données quantitatives peuvent être
appréhendées avec des instruments fiables et dans des
conditions
bien maîtrisées, pour accepter ou récuser tel ou
tel
de ses énoncés. Dans ses conditions la validité de
ceux-ci est avant tout opératoire: elle est relative aux
résultats
mesurés et aux présupposés théoriques
utilisés
plus ou moins puissants dans leur capacité à anticiper
les
résultats de l'expérience et à en rendre compte
d'une
manière cohérente. Soyons clair, cette relativité
n'est pas subjective, elle s'objective sous l'effet d'une double mise
à
l'épreuve: celle de la cohérence
mathématico-logique
et opératoire, toujours partielle, de ses propositions qui
définissent
la nature et les conditions des expériences à mettre en
oeuvre
et celle de l'expérimentation dont les conditions et les
résultats
doivent pouvoir être mesurés et reproduits par quiconque.
Une théorie scientifique n'est donc valide que dans le champ
déterminé
de l'expérience objective qu'elle s'emploie à constituer.
La valeur des énoncés scientifiques n'a nul besoin de
garantie
première, elle ne se prouve jamais en amont mais elle
s'éprouve
toujours en aval, en marchant, dans la fécondité de ses
résultats;
cette démarche peut même contraindre les sciences à
modifier leurs présupposés rationnels les plus
généraux:
la notion de cause et la relation de cause à effet , le principe
du déterminisme et de la réversibilité des lois,
l'idée
d'espace et de temps etc...
Dans ces conditions, l'exigence d'un fondement métaphysique,
risque de devenir un obstacle au développement des sciences, en
prétendant leur imposer, a priori, des contraintes normatives
stérilisantes.
C'est pourquoi Newton à raison d'affirmer qu'en physique on ne
doit
pas faire d'hypothèses, c'est à dire de propositions qui
échappe à l'expérimentation directe ou indirecte.
Ainsi comprise, la démarche scientifique produit globalement
la conviction que la nature est à la disposition des hommes ; de
leur raison comme de leurs désirs et de leur capacité, en
droit infinie, à expérimenter sur elle pour la
connaître
et la transformer à volonté. Les limites de leur pouvoir
sur elle ne sont que momentanées, non que celui-ci soit un jour
sans limite, mais que toutes limite sera un jour dépassée
par un progrès scientifique et technique supposé possible
et, parce que répondant à des besoins humains,
souhaitable.
En dehors d’une vision théologique et/ou
téléologique
de la nature (y compris leur nature biologique) tout est permis au
hommes
dès lors qu’ils sont seuls à décider du bien et du
mal et de la valeur des fins qu’ils poursuivent ; ou plutôt que
cette
décision ne met en jeu que l’idée qu’il se font
d’eux-mêmes
dans le rapport avec leur environnement, pour eux-mêmes et du
point
de vue de leur seuls désirs....