L’illusion métaphysique.



Textes "Le corps pensant" et "Métaphysique etconnaissance" (Cliquez sur "corps" et sur "connaissance")
Kant et la métaphysique, débat


Métaphysique et philosophie

Le problème de la métaphysique est qu'elle croit pouvoir  expliquer les comportements humains par des pseudo-concepts dont le sens se perd dans les nuées inaccessibles de la transcendance; elle substitue la foi à la raison en prétendant faire avancer la réflexion par le recours au  mystère, à l'incompréhensible, comme la seule réponse définitive (mais indéfinie) possible aux questions difficiles que soulèvent les contradictions de l'existence humaine. Ce faisant elle fait le lit de l'attitude qui, en fin de compte, consiste à se fier sans conditions à ceux qui, parmi les maîtres à penser, proclament détenir la clé des prétendus mystères de la vie. Elle nourrit tous les dogmatismes qui soumettent la pensée à une loi divine, incompréhensible et donc indiscutable (sacrée)et à ceux qui l'administrent au nom de leur prétendue mission divine(religion collective orthodoxe).

La philosophie n'est pas la science en cela qu'elle ne produit aucun savoir positif universellement démontré; elle ne peut qu'avancer des hypothèses permettant à chacun d'expérimenter des attitudes et des règles de pensée et de vie, sous le contrôle de son désir de bien-vivre et selon des critères rationnels expérimentables par tous, croyants ou non. Elle libère, ce faisant, l'individu de toute asservissement idéologique qui limiterait ses capacités d'initiatives vitales.


Métaphysique et philosophie.

La métaphysique en philosophie est une forme de discours qui prétend rendre compte d’une manière rationnelle (expliquer, interpréter, donner un ou du sens à) de l’expérience objective et subjective universalisable des hommes en posant des propositions dont le contenu et la validité échappent par nature à l’épreuve de l’expérience rationnelle, directe ou indirecte. Ses propositions concernent Dieu et/ou l’Esprit universel, l’âme, la liberté en tant que pouvoir inconditionné d’autodétermination et tout ce qui est susceptible d’en découler quant à la conception que l’on doit se faire du savoir et de l’action, bref du sens de l’existence du monde et de l’homme. Elle admet l’existence d’un monde idéal transcendant (arrière monde) dont le monde phénoménal de l’expérience ne serait qu’une copie imparfaite (Platon) ou une expression sensible qu’il faudrait dépasser pour lui donner sens et cohérence en la confrontant à des idéalités transcendantes fondatrices rationalisées.

Toute métaphysique repose donc sur le « principe de tous les principes » que les idées ou l’Esprit sont premiers par rapport à la réalité des phénomènes expérimentaux et/ou expérimentables, dès lors qu’ils concernent le fondement de toute réalité, c’est à dire l’Etre en soi (ontologie). Toute métaphysique est idéaliste. En cela les thèses ou positions métaphysiques ne sont pas dépendantes, quant à leur validité supposée, de procédures qui les relativiseraient en les soumettant à des vérifications expérimentales déterminées dans des contextes déterminés (telle loi scientifique relative , par exemple, peut valoir dans tel champs de l’expérience et non dans tel autre). Par conséquent si toutes les métaphysiques sont idéalistes, elles sont nécessairement absolutistes, c’est à dire qu’elles érigent les postulats qu’elles posent en absolus indiscutables : Dieu existe réellement, l’homme à une âme immortelle et/ou est promis à la résurrection, l’homme est libre et son libre arbitre l’apparente à l’absolu divin (Descartes) etc..
En cela la pensée métaphysique est contraire à la démarche scientifique : celle-ci pose des hypothèses qu’elle n’admet comme relativement vraies qu’après les avoir validées dans des champs toujours particuliers de l’expérience reproductible. Parler de la métaphysique des sciences (scientisme) est un abus de langage pour tenter de retourner la critique de la métaphysique contre la démarche scientifique. Le refus par les sciences (qu’il ne faut confondre avec celui des scientifiques qui n’en sont pas moins des hommes et qui peuvent être aussi métaphysiciens à leur heure) de la métaphysique n’est pas métaphysique mais en tant que condition de la fécondité des sciences et de leur progression, épistémologique et pragmatique. C’est sa puissance argumentaire objectivement testable qui assure à la démarche scientifique sa pertinence dans son refus de toute métaphysique transcendante.

Or, si seule l’articulation entre la cohérence logique et l’expérience (expérience rationalisée et reproductible) peut rendre possible une méthodologie procédurière de la preuve, la métaphysique n’est, comme l’avait démontré Kant après Hume, qu’une croyance qui, dès lors qu’elle prétend être un savoir valide devient une illusion. L’affirmation : « Dieu existe » n’est pas une illusion si l’on n’en fait qu’une conviction personnelle ou collective subjective ; mais elle l’est lorsqu’elle prétend être universellement et rationnellement valide.
Résumons nous ; la métaphysique est quadruplement illusoire :
1. Ses propositions, alors et bien qu’elles s’affirment valides, ne sont pas testables et donc il devient impossible de distinguer, quant à leur contenu, le vrai du faux,. Elles sont d’ailleurs, comme l’avait très bien vu Kant, des formes sans contenu et donc sans contenu de vérité possible.
2. Sa démarche interdit tout progrès de la connaissance car son essence dogmatique y fait obstacle, à moins de pratiquer une métaphysique négative de l’Absolu (néantisation de l’Absolu) qui le définirait comme l’exigence, hors tout savoir donné, de dépasser tous les dogmes existants.
3. Elle pense que les idées mènent le monde réel, alors que l’idée de réalisme ne peut valoir que dans des procédures qui mettent en jeu l’autonomie du réel, sa résistance à nos convictions.
4. Elle prétend atteindre l’absolu positif par une démarche rationnelle, alors que toute démarche rationnelle est relative ; celle-ci ne peut faire autre chose que de définir et de relier les idées entre elles et les idées à l’expérience relative des hommes. Les fondements inconditionnés, si fondements il y a, lui échappent nécessairement (Pascal). (

Dira-t-on que les propositions métaphysiques ne sont pas des propositions de connaissance mais des propositions pratiques (prescriptives) ? Qu’affirmer que l’homme est libre est un idéal régulateur et non pas une vérité ?
Mais le problème resurgit : sur quoi fonder cette prescription ? Si elle n’était qu’un idéal irréalisable, serait-elle souhaitable ? Faut-il que les hommes se torturent et compromettent leur droit au bonheur réel pour pratiquer l’impossible, même si les conséquences pragmatiques s’avèrent catastrophique ? Tout Absolu, là encore, ne peut valoir dans le domaine éthique que s’il est applicable à l’expérience relative des relations humaines, selon les deux seul critères dont chacun dispose : ceux du malheur et de la joie. Or cela est, par définition et expérience, en droit et en fait , impossible.
Enfin la cohérence des aspirations les plus universelles des hommes, s’il en est, est dans la pratique impossible à assurer : des choix, des priorités et des compromis s’imposent et imposent leur mise en perspective relative.

La métaphysique, dans ces conditions, n’est qu’une ultime variante de l’attitude magique et religieuse recyclée qui consiste à désirer croire que le réel peut se soumettre à nos idées ou à celles que l’on attribut projectivement à Dieu par la seule force de nos convictions, en refusant d’admettre qu’il n’y a de réel que par la résistance que le monde oppose aux interprétations, plus ou moins consolantes, qu’en construit notre imagination désirante.
Sur le plan politique, elle répond au besoin de fonder l’autorité du vrai et du bien sur des absolus prétendument universels, invariants et sacrés (indiscutables), socialement régulateurs et rassurant.
Sur le plan personnel elle fonde l’espoir que l’on peut échapper à la souffrance réelle et à la mort en les niant, contre l’expérience et la raison elles-mêmes, ce qui s’appelle croire aux miracles ; en cela la métaphysique serait, selon Freud, plus qu’une illusion ; elle serait un délire.

Sylvain Reboul, le 07/05/99


Le corps pensant.

La métaphysique est par essence idéaliste ; cet idéalisme est fonctionnel : il s’agit, contre l’expérience la plus courante comme la plus rationnellement élaborée, de sauver l’hypothèse de l’indépendance de la pensée par rapport au corps pour préserver à tout prix (au prix de la rationalité expérimentale) la croyance qui est au cœur de la métaphysique qu’elle soit religieuse ou philosophique, la croyance en l’immortalité, par delà la décomposition du corps indiscutablement mortel. C’est pourquoi cette question des rapports entre la pensée (qu’on l’appelle âme ou esprit) et le corps est, depuis Platon, centrale dans l’histoire de la philosophie. Elle est le noyau dur de l’illusion métaphysique. Toute déconstruction de la métaphysique exige qu’on lui fasse le sort qu’elle mérite : la mise à nu de son irrationalité radicale. Irrationalité que très honnêtement reconnaissaient Pascal comme Bergson* : seules, pour ces deux auteurs, en effet, l’expérience mystique ineffable et/ou la foi religieuse suprarationnelle pouvaient « justifier » l’immortalité et la transcendance de la pensée par rapport au corps.

L’expérience objective (rationalisée et reproductible) et subjective dément tous les jours, en effet, l’affirmation que la pensée soit indépendante du cerveau ; que ce soit l’expérience clinique, ou l’observation de activité neuro-éléctrique et neuro-chimique de celui-ci. Il n’y a pas de pensée désincarnée, ce qu’admettent d’ailleurs certains chrétiens qui font de la résurrection du corps et de l’âme le définition du salut ; au prix, il est vrai, d’une transsubstantiation du corps en corps glorieux, sans désirs corporels, ni souffrance, c’est à dire en corps purement spirituel tout en restant corporel sans avoir ni les attributs (sexuels ?) ni les fonctions, ni les besoins, ni la sensibilité, ni la finitude du corps mortel ; comme dit l’autre (Luther) : « seule la foi sauve ! » Mais soyons clair : la foi, ce n’est pas la tasse de thé de la philosophie. Sauver la croyance en l’immortalité, nous le savons depuis Epicure, c’est commettre une faute contre la raison et l’expérience, sauf à disqualifier la raison (et cette position a le mérite de la cohérence) pour les besoins de cette cause. L’expérience nous apprend d’autre part que le pensée (et le cerveau, comme partie intégrée et intégrante du corps), sont constamment reliés à la sensibilité corporelle ; elle en est l’expression active : De nombreux troubles psycho-neurologiques montrent que sans expérience indissociablement pensée et corporellement vécue du plaisir et de la douleur, de la joie et de la tristesse, la pensée perd toute capacité à poser une intentionnalité, une signification et un jugement sur quoi que ce soit. En cela la pensée n’est pas dans le corps comme un pilote dans son navire ( ce qu’admet, non sans difficulté par rapport à son dualisme, Descartes) car elle participe (en un sens platonicien retourné) au corps en acte (qu’il ne faut précisément pas confondre avec un simple automate mécanique) ;

Cela ne signifie pas que la production de la pensée (représentations et intentionnalité) et que le fonctionnement du cerveau n’impliquent aucune instance extérieure au corps propre ; mais que le langage, la culture symbolique (eux mêmes produit par l’activité historique de cerveaux interconnectés), les relations aux autres humains, sont par la médiation de l’activité cérébrale, des conditions externes intériorisées car biologiquement intériorisable par le programme génétique de l’espèce humaine : Pas plus que l’on ne peut faire courir un cul-de-jatte sur ces deux jambes (Platon), on ne peut apprendre à un acéphale à parler. Le cerveau ne trouve pas seulement en lui ses programme (logiciels flous) de fonctionnement mais aussi à l’extérieur ; mais ceux-ci ne peuvent opérer que dans et par l’activité neurologique du cerveau en tant que partie intégrée et intégrante du corps propre. Quant à la question de savoir comment, c’est aux sciences et non à la philosophie d’y répondre car celle-ci n’en a ni la compétence scientifique, ni les moyens expérimentaux.
« On ne sait pas ce peut le corps », écrivait Spinoza ; nous en savons expérimentalement assez aujourd’hui pour savoir qu’il pense mais pas encore tout à fait assez pour savoir comment. Il est vrai que si l’on admet la position métaphysique de la transcendance de la pensée par rapport au corps, nous n’avons aucun « risque » de le découvrir ! et l’on pourra toujours affirmer, contre toutes les preuves, que la pensée survit au corps ou que le corps peut se transfigurer pour ressusciter comme corps spiritualisé immortel et autre balivernes de la même farine (Spinoza) ; mais alors il faudrait, pour que cette croyance fasse autorité, tout simplement interdire la neuro-biologie, voire le recherche biologique tout court comme certains intégristes conséquents nous y invitent.

*H.Bergson : « Matière et mémoire » et « La pensée et le mouvant » aux PUF
S.  Reboul : « La vérité dans les sciences chez Bergson » dans « Regards sur Bergson » ouvrage collectif en 2 tomes primé par l’Académie Française en 1993, disponible au Lycée Bergson. Angers.

S . Reboul ; le, 12/05/99


 Métaphysique et connaissance

Il convient de faire la distinction suivante entre deux types d’énoncés « métaphysiques » :
- ceux qui affirment une transcendance de l’esprit par rapport à toute démarche scientifique expérimentale et qui expriment un refus que la démarche scientifique puisse rendre compte de la pensée au nom d’une croyance métaéthique;
-  et ceux qui rendent possible et légitime une connaissance scientifique de la pensée en tant qu’ils en sont les présupposés nécessaires ou conditions à priori (transcendantales) de possibilité et qui relèvent en cela de l’épistémologie. Or faute d’avoir fait cette distinction classique entre transcendant et transcendantal (voir Kant), on "donne souvent  l’impression " d’affirmer une position spiritualiste antiscientifique, comme du reste certaines interprétations non-freudiennes de la psychanalyse qui prétendent opposer biologie et psychologie  et qui sont dommageables sur le plan de l’avancée des connaissances ; car cette avancée exige l’articulation réaliste et immanentiste entre ces deux niveaux et modes du savoir ; et donc le refus du dualisme philosophique.

Il n’y a pas de connaissance scientifique des conditions de possibilité de la connaissance scientifique ; il n’y a que des énoncés régulateurs, en cela l’épistémologie « réaliste et moniste » n’est pas la science des sciences ; elle est, si l’on veut, « métaphysique » (transcendantale) mais à la condition de préviser que les  "a priori" de la connaissance qu'elle pose sont des catégories et structures  linguistico-mentales et neuronales qui peuvent être biologiquement innées ou acquises et/ou construites ce dont les sciences devront décider cas par cas (beau programme de recherche!).
Mais il y a des philosophies plus ou moins favorables au développement des connaissances à tel ou tel moment de son histoire ; or le spiritualisme et/ou le dualisme, aujourd’hui, (sinon toujours) sont plutôt des obstacles ou "répresseurs" idéologiques pour cause « d’inquiétude moraliste » plus ou moins justifiée que des "accélérateurs" ou "précurseurs". (voir mes textes sur l’universalité du savoir)


Métahysique, connaissance et morale

Kant définissait La persistance de l'interrogation métaphysique comme un besoin irresistible de la raison de tout comprendre jusqu'à l'inconditionné; mais il est, selon moi, non pas un besoin de la raison, car la raison en tant que telle est sans besoin, ni désir (comme le disait Pascal), mais plutôt de l'ordre du désir de toute puissance et de sécurité face aux limites du savoir et à la peur de l'inconnu qu'elle génère; peur ou mieux angoisse que ce désir tente de com-penser magiquement par le recour à un langage métaphysique rationalisé fondentalement magique des arrière mondes, du principe premier anypothétique, de la substance ou de l'essence etc..

Or ce langage, bien que vécu comme psychologiquement nécessaire, est incapable de produire des connaissances objectives validées par l'expérience; il produit donc, en tant que prétendue connaissance, des illusions qui sont ou peuvent devenir autant d'obstacles épistémologique aux développement et à la production des connaissances scientifiques, bien que parfois il accompagne au moins provisoirement le désir de connaître autrement, comme un échafaudage peut servir à construire un mur qu'il faut ensuite dé-construire.

La légitimité de la métaphysique réside donc dans sa capacité à produire non des connaissances mais des visions du monde et de la vie à finalité éthique universellement compréhensibles au regard de l'expérience subjective humaine en général avec cette limite que cette visée ne relève pas, contrairement à ce quelle prétend, de la vérité mais de la production de propositions prescriptive (normative) de la vie humaine, propositions infiniment discutables au regard de l'expérience désirante de chacun dans la réduction de la souffrance et sa recherche de la joie.
 
La métaphysique est toujours une morale qui se prétend une description de l'être; elle est une morale (devoir être) déguisée en vérité (ce qui est) pour la fixer abusivement en la présentant comme l'expression d'une réalité nécessaire supra-expérimentale.  Nietzsche ne sort pas de la métaphysique car il reste animé d'un projet prophétique qu'il considère, qu'il le veuille ou non, comme une vérité supérieure à l'expérience. Je demande seulement que la métaphysique avoue ce qu'elle est: une morale et rien de plus. Et qu'elle renonce à confondre le bien et le vrai (il n'y a pas de vraie morale). Mais alors son évaluation ne serait plus métaphysique mais psychologique ou politique (est-elle efficace dans quelles conditions et dans quelles limites et pour qui? etc...)

 Sylvain Reboul, le 05/09/04


Kant et la métaphysique (Débat)


Nous savons que Kant refuse de se prononcer sur la nature de l'esprit: il considère que, à son époque, les conditions a priori ou transcendantale de la connaissance dans l'esprit ne l'autorise pas à aller plus loin que de les définir. Aller plus loin serait faire de la métaphysique une connaissance -ce qu'elle ne peut être- et il avait raison, car il ne pouvait pas faire autrement, compte tenu de l'état des savoirs à son époque; mais rien ne nous interdit aujourd'hui, et surtout pas l'exemple de Kant, à la lumière de la théorie de l'évolution et des neuro-sciences d'aller plus loin et de considérer que ces fameuses conditions a priori sont inscrites dans les structures du cerveau qu'elles soient innées (ce que Kant se refuse aussi à affirmer) ou acquises.
Quand les sciences évoluent et que de nouvelles apparaissent la philosophie doit tirer les leçons épistémologiques de cette évolution, comme Kant l'a fait en son temps à la lecture de Newton; la neuro-biologie nous interdit aujourd'hui d'être idéaliste et de croire que l'esprit produit ou précède ou survit au cerveau (ce que Kant du reste n'a jamais affirmer sur le plan de la connaissance mais a cru nécessaire de poser comme postulat sur le plan moral, ce qui me semble en effet discutable)

Objection: "le temps n'est-il pas la forme "REELLE" de notre sensibilité pour Kant?

Non, Il se contente de dire "a priori" ou transcendantale (et non pas transcendante, ce qui n'est pas du tout la même chose) car elle n'est pas phénoménale pour lui et ne peut l'être, compte tenu des connaissances de son temps et de sa conception des conditions de la pratique de production des connaissances scientifiques, selon moi discutable. On peut interpréter cela comme un idéalisme ontologique mais c'est travestir la pensée kantienne , car il refuse de faire de la métaphysique ( ou ontologie) pour la bonne raison que ce ne peut être pour lui une connaissance. par contre sur le plan moral, chez lui, les croyances ontologiques Dieu, l'immortalité de l'âme, la liberté etc..) reprennent leur droit en tant que de postulats (et non pas de vérité) nécessaires de la moralité, mais c'est un autre débat.

À propos de l'espace dans la CPR, III3. :
"Notre examen de l'espace nous en montre donc la réalité (c'est à dire la valeur objective) au point de vue de la perception des objets extérieurs; mais il en montre aussi l'idéalité au point de vue de la raison considérant les choses en elle-même. Nous affirmons donc la réalité empirique de l'espace relativement à toute expérience extérieure possible; mais nous affirmons aussi l'idéalité transcendantale, C'EST À DIRE SA NON-EXISTENCE, dès que nous laissons de coté les conditions de possibilité de toute expérience et que nous l'acceptons comme quelque chose qui sert de fondement aux choses en soi"

À propos du temps, CRP III4et6
" Le temps n'est pas un concept empirique..Il n'est que que la condition subjective ...et la représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes les intuitions (au sens du subjectivité universelle du sujet de la connaissance).Il n'est pas un concept discursif mais une forme pure de l'intuition immédiate...Il n'est que la forme du sens interne, c'est à dire de l'intuition de nous-même et de notre état extérieur, qui détermine le rapport des représentations à notre état intérieur. Il est la condition formelle (et non pas réelle, c'est moi qui précise) a priori de tous les phénomènes en général"... etc...etc..

Donc Kant se garde bien d'affirmer que l'espace et le temps, comme conditions nécessaires transcendantales de l'expérience, seraient des réalités en soi transcendantes vis-à-vis de l'expérience mais il affirme qu'elles sont les conditions formelles nécessaires (ce qui ne veut pas dire réelles, SR) en tant que représentations de l'intuition pure (non-empirique SR) de toute expérience possible. La "réalité" de l'espace ne concerne que notre perception des objets extérieurs mais non pas la forme de l'espace qui n'est qu'idéale (non-existante dit-il).... Ainsi l'interprétation qui semble faire des conditions de l'expérience dans le sujet une réalité objective empirique ou en soi n'est pas conforme à la lettre du texte et j'ajoute qu'elle est en contradiction avec la critique de la métaphysique comme connaissance de la réalité empirique ou en soi que Kant développe dans le chapitre de la CRP intitulé "Dialectique transcendantale, Paralogismes et Antinomies de la raison pure". je persiste donc et je signe.

Ma position personnelle (SR) sur ce thème n'est pas kantienne dès lors que je considère qu'il y a une connaissance empirique et scientifique possible des conditions de possibilité de la connaissance et de son progrès dans le cerveau et la culture (neuro-sciences, sciences cognitives, histoire des sciences), connaissance empirique qui n'existait pas à l'époque de Kant. Selon moi ce qui est transcendantal (et non pas transcendant) peut être l'objet aujourd'hui d'une investigation non plus seulement philosophique mais scientifique et que la philosophie se doit, comme Kant l'avait fait à propos de la physique, d'en tirer la leçon épistémologique.

 J'ai beau chercher dans l'édition allemande de la CRP je ne trouve ni le mot wirklich (Die Wirklichkeit), ni le mot real (die Réalität) à propos des conditions a priori de la connaissance sur la nature de laquelle ("purement" spirituelle ou neuro-cognitive), Kant ne se prononce pas et pour cause: ce serait verser dans la métaphysique comme connaissance ontologique (chose en soi) qu'il veut réduire comme une illusion de l'esprit! Autant on peut faire de Kant un spiritualiste rationaliste dans le domaine moral et encore à titre de croyance moralement nécessaire et Kant y insiste, bien qu'on ne puisse pas savoir ce que peut réellement la volonté humaine mais uniquement déterminer ce qu'elle doit s'efforcer de faire pour bien faire, autant on ne peut en faire un spiritualiste métaphysique et encore moins un dualiste sur le plan de la connaissance; il distingue toujours la forme de la connaissance et la contenu de réalité en appliquant ce dernier terme aux seuls phénomènes empiriques, à l'exclusion des choses en soi "transcendantes" inconnaissables dont on peut seulement supposer qu'elles existent mais sans pouvoir savoir ( et non pas penser) quoi que ce soit à leur sujet. il me semble comme beaucoup que vous refusiez la dimension critique et anti-métaphysique de la pensée de Kant. Voir aussi sa critique de Descartes et du "je pense donc je suis comme réalité substantielle " dans le CRP

Ma position personnelle: Sur la question de l'espace et du temps je pense, moi, à la lumière de la théorie de l’évolution, que ce sont des conditions a priori de l'expérience humaine sélectionnées par l'évolution qui nous suffisent dans l'expérience quotidienne et donc ont une réalité pragmatiquement valide (coupe pertinente dans le réel adaptée à nos actions habituelles); mais pas dans d'autres champs de l'expérience (physique relativiste ou physique quantique) où et il faut les recomposer (plasticité des conditions adaptative des a priori).

Kant, selon moi, n'est pas un dualiste ontologique, car il refuse de se prononcer sur ce problème métaphysique qui est, pour lui, indécidable en terme de connaissance vraie ou fausse et dans "les paralogismes de la raison CRP) il fait reproche à Descartes de l'avoir fait en glissant du "je pense" activité à l'affirmation: je (ne) suis (qu')une substance pensante; laquelle doit être non seulement épistémologiquement distinguée mais ontologiquement opposée à la substance étendue dont les attribus semblent contraires (divisiblité/indivisibilité etc...)
Texte de Kant, CRP, « les paralogismes de la raison »:
"Dire que je distingue ma propre existence comme celle d'un être pensant, des choses autres qui sont hors de moi (et dont mon corps fait partie), c'est encore là une proposition analytique, car les autres choses sont celles que je distingue de moi. Mais cette conscience de moi-même est-elle possible sans les choses hors de moi par les quelles des représentations me sont données et par conséquent puis-je exister simplement comme être pensant sans être homme? C'est ce que je ne sais point du tout par là. L'analyse de la conscience de moi-même dans la pensée en général ne me fait pas faire le moindre pas dans la connaissance de moi-même comme objet (corps et esprit. C'EST À TORT QUE L'ON PREND LE DEVELOPPEMENT LOGIQUE DE LA PENSEE EN GENERAL POUR UNE DETERMINATION METAPHYSIQUE DE L'OBJET...

Si donc nous nous en tenons à la pensée, il nous manque la condition nécessaire pour appliquer au moi comme être pensant la concept de la substance, c'est à dire d'un sujet qui existe en soi et la simplicité de la substance qui y est liée s'évanouit avec la réalité objective ded ce concept, pour se transformer en une unite PUREMENT LOGIQUE ET QUALITATIVE de la conscience de soi dans la pensée en général, que le sujet soit composé ou non..."

On ne peut pas être plus clair et tout commentaire ne ferait qu'obscurcir cette magistrale réfutation du dualisme substantiel.

Maintenant sur le plan de la connaissance, les choses en soi, pour Kant, , doivent être supposées par la pensée existantes en tant que condition nécessaire de manifestation d'un contenu de l'expérience (et il n'y a de connaissance valide d'un objet que par la médiation del’expérience) dont la pensée humaine se saisit en leur imposant formes et concepts, mais la pensée humaine comme tout autre chose en soi reste inconnaissable quant à sa nature (pensante et/ou corporelle ou autre) on ne peut saisir que son activité dans la connaissance expérimentale. Il y a donc bien un dualisme épistémologique chez Kant entre les phénomènes et les choses en soi, dualisme qui, comme le remarque Hegel, aboutit à affirmer que l'on peut connaître ce qui n'existe pas en soi (pas vraiment dit Hegel) mais pour nous (les phénomènes) et que ce qui existe en soi vraiment dit Hegel, y compris soi-même comme sujet-substantiel, est nécessairement inconnaissable. On peut le penser et y croire comme libre pour des motifs (éthiques ou moraux) mais on ne peut pas le savoir.

Quant à ma position pragmatiste-matérialiste complexe elle consiste à admettre que il y a toujours un écart irréductible entre le réel (matière) et la pensée humaine mais que cet écart, du fait de la possibilité biologique culturellement adaptative de la pensée et du cerveau humains (sinon nous serions morts, compte tenu de nos maigres performances purement biologiques), permet de produire des interprétations plus ou moins réalistes qui marchent pratiquement et donc peuvent nous éclairer suffisamment et progressivement sur la réalité en tant que dimension appropriée et efficace de tels ou tels domaines de faits, considérés comme des expressions objectivées du réel. Cet écart et cette adaptabilité évolutive de la pensée trouve sa source dans l'activité neurologique qui en (la pensée) est la condition nécessaire (et pas forcément suffisante, voir le langage et la culture symbolique acquis) et que les sciences doivent explorer selon des critères objectifs et avec des performances équivalents, si cela est possible, à ceux de tous les autres domaines de faits. Ce programme est encore loin d'être mis en acte mais les commencements sont prometteurs.

Mais, me direz-vous: si un tel programme échoue à rendre compte d'une manière expérimentalement et pragmatiquement (et non pas métaphysiquement, ce dont les sciences n'ont rien à faire et moi non plus) satisfaisante des rapports entre le cerveau et pensée? Cela pourrait signifier deux choses: soit que cet échec procède d'une théorie inappropriée qu'il faudrait "refondre", soit que notre pensée est incapable et cela définitivement de se penser elle-même. Dans les deux cas, nous savons, depuis Kant et en cela sa position critique est irréductible, que la métaphysique est incapable de compenser ou de surmonter un tel échec. Savoir qu'on ne sait pas et que l'on ne peut ou pourra jamais tout savoir est toujours une bonne chose pour qui désire être (et vivre) en philosophe.

 Objection :"Il me semble évident par exemple que si vous avez des problèmes de conscience ( morale ) il est vain de s' adresser aux science cognitives , que si vous avez des désirs de création esthétique il est vain de s' adresser à la science expérimentale"

Tout à fait mais ce n'était pas le sujet; il s'agissait de la connaissance et non d'éthique, de morale, d'esthétique ou de politique: ne pas confondre le vrai, le beau, le bien et le juste: Les trois derniers types de valeurs ne sont pas objectivables (contrairement à ce que pensait Platon) et la subjectivité esthétique ne se confond pas avec la subjectivité éthique (personnelle) et celles-ci non plus avec le normes du droit etc...Ce qui bon n'est pas forcément vrai et ce qui est beau et esthétiquement émouvant n'est pas forcément moral. L'illusion idéologique procède de cette confusion entre les types de normes et de finalités. Nous devons aussi à Kant cette distinction et cet éclatement des valeurs et des normes constitutives de la modernité. Ex: s'il est subjectivement bon de croire que Dieu existe, cela ne prouve pas que cette croyance soit vraie et qu'elles puisse et doive être proposée, voire imposées, aux non-croyants pour les convertir, au même titre par exemple que les pratiques et les énoncés scientifiques. je dirais même que l'idée laïque exige que soit développée le réflexion critique sur les valeurs et les normes dans un cadre pluraliste, leurs distinction nécessaire et les critères d'évaluation (subjectifs et objectifs) possibles, en les distinguant, qu'elles impliquent.

Ceci n'empêche pas de rechercher, dans le domaines éthique ou politique, voire esthétique ce qui peut rapprocher les subjectivités et renforcer pragmatiquement la coopération et la compréhension mutuelle, par delà les interprétations dogmatiques divergentes, selon certains critères collectifs simples minima: tolérance (sauf l'intolérance), égalité des droits et des chances, liberté fondamentales, relations contractualisées etc.. en vue de réduire leur expression violente et auto-destructrice et d'accroître la solidarité. Bref de viser les conditions d'une régulation libérale des conflits de désirs et d'intérêts en vue de réduire la violence et d'accroître l'autonomie de chacun. Il s'agit d'un choix subjectif me direz-vous; tout à fait, mais qui, sans prendre le risque de l'extrême violence politique et/ou religieuse, pourrait avoir raison de le contester? Il s'agit de choisir le plus raisonnable. La violence terroriste, même si elle peut être subjectivement gratifiante, n'est jamais raisonnable du point de vue de l'accord toujours problématique entre les subjectivités et les intérêts et cela d'autant moins que ce choix prétend se fonder sur une vérité transcendante absolue s'imposant à tous. Confondre le vrai et le bien c'est toujours entretenir le risque de la violence fanatisme.
Mais, si un comportement éthique n'est pas une question de vérité objective, mais de finalité subjective, cela ne veut pas dire qu'il ne soit pas susceptible d'être objet d'étude objective en ce qu'il est toujours conditionné; un "choix" éthique fait toujours référence à nos désirs, fantasmes, et valeurs et au jugement des autres sur nous, or ceux-ci ne tombent pas du ciel ils sont partiellement au moins, toujours explicables (ce qui ne les justifient en rien) par des conditions neuro-cognitives, culturelles et sociales , historiques et personnelles acquises et peut-être innées. Il vaut mieux connaître ces déterminations tout au moins quand nous en souffrons et désirons faire souffrir, pour être devenir capable de réorienter nos désirs en un sens plus favorable. Nous pouvons alors contrôler plus efficacement notre subjectivité en agissant sur les conditions objectives qui l'affecte et nous libérer des symptômes négatifs et destructeurs dont elle souffre et qui font souffrir nos proches. La connaissance objective est donc la condition nécessaire (et non pas suffisante) d'exercer un pouvoir sur notre subjectivité. Encore faut-il désirer sortir de la passion pour la transformer en désir actif. Et ce désir est à construire par l'éducation et l'auto-éducation …
Sylvain Reboul, le 04/05/04


Métaphysique et rationalité

La rationalité est critique et auto-critique ou n’est pas. Une vérité prétendument absolue échappe par nature à la raison qui ne peut que relier et calculer dans un cadre de conditions déterminées (expériences; hypothèses théoriques toujours contestables); la raison est donc nécessairement relative (mise en relation) .

Nous savons cela depuis Pascal (misère de la philosophie) et surtout depuis Kant, même s’il croit, à tort, que les hypothèses sont des principes transcendentaux universels et surtout éternels; alors que, comme l’a dit Bachelard, la raison est une allure...

Le raison est nécessairement sceptique, à condition d’ajouter avec Hume que ce scepticisme est relatif à l’expérience et non absolu; ce qui la ferait verser dans l’irrationnel. L’irrationnel peut prendre la forme de la rationalité, mais il abandonne alors la puissance critique de cette dernière et se met à produire des énoncés métaphysiques nécessairement dogmatiques qui explicitement ou non se réfère à des intuitions mystiques de l’absolu proprement indicibles qui débordent la raison et la neutralisent.

La métaphysique ou l’apparence de la raison contre le travail critique de la raison.
Le 24/05/06




Philosophie et croyance
Critique de la raison morale
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