Quand on parle de l'universalité du savoir, Il convient de distinguer l'universalité des concepts philosophique ou visions mythiques qui sont des présupposés des démarches productrices ou inhibitrices des savoirs et des pratiques techniques et symboliques sur le monde, sur les autres et sur soi, de l'universalité de la validité des connaissances produites.
- La première est celle des grandes conceptions
neuro-cognitives
(et linguistiques) du monde et de l'existence humaine qui sont toujours
structurées sur le mode d'alternatives binaires qui font qu'un
terme
implique logiquement son contraire et/ou son contradictoire:
mythos/logos,
éternité/temporalité,
unité/pluralité,
universel/particulier, causalité
aléatoire/finalité autonomie/dépendance,
appartenance
collective/distinction individuelle etc... La hiérarchie entre
ces
termes, leur valorisation et le choix qu'elle détermine
(haut/bas,
bon/mauvais, vrai/faux) n'est pas logiquement décidable; elle
est
le fait du conditionnement culturel, politique et social qui, dans des
conditions, techniques, socio-culturelles et politiques données
et par lerecour à la violence symbolique, voire à la
répression
tout court, privilégie, tel ou tel membre de l'alternative dans
son rapport à l'autre..Mais jamais un terme de l'alternative
n'en
recouvre ou ne refoule totalement l'autre; autrement dit ce combat
entre
les contraires est universel (et là dessus Hegel
avait raison); il perdure sous des formes mythiques ou philosophiques
différentes dans toutes les cultures; c'est pourquoi il n'y a
pas
grand sens à parler de la conception grecque de la sagesse par
exemple
car il y en a au moins deux
qui s'affrontent plus ou moins, dans les conditions diverses et
mouvantes
de la grèce antique. Les cultures ne se distingent les unes les
autres que dans leur manières symbolico-rationnelles de combiner
et de hiérarchiserles contraires mais chacune d'entre elles
provoque
son contraire, même si l'un ou l'autre des contraires
apparaît
dominer à tel ou tel moment, souvent par l'effet d'une
hiérarchisation
ultérieure (illusion rétrospective) afin de
légitimer
une hiérarchie présente (voir christianisme et
pensée
grecque). Il n'existe pas de culture monolitique sauf par effet
d'illusion
et de violence. Il convient donc de ne jamais confondre une culture
avec
les traits dominants qu'elle met en jeu sur fond du conflit permanent
dominant/dominé.
- La seconde universalité est celle des énoncés
scientifiques; elle relève de procédures rationnelles et
critiques expérimentales; elle est donc un résultat dont
les conditions de production sont historiques et la validité
universelle
limitée à un champs de l'expérience objective
reproductible; elle détruit l'erreur et déchire
l'illusion:
un terme l'emporte définitivement sur l'autre: les sciences
progressent
en rectifiant les erreurs de fait et d'interprétation. Personne
de sensé ne pourrait affirmer, aujourd'hui, que la terre est
plate
et immobile ou que le monde a été crée en 7
jours,ce
qui serait refuser en bloc l'exigence scientifique de
vérité.
Dans ces conditions, la finalité externe aux processus doit
être
distinguée
de la finalité interne des phénomènes vivants; la
proposition d'Aristote, que le monde, comme totalité des
phénomènes,
est un organisme soumis à un finalité transcendante
globale de survie est métaphysique c'est à dire qu'elle
n'est
ni vraie ni fausse; elle est hors du champs de la connaissance pour la
simple raison qu'elle échappe par nature à
l'épreuve
expérimentale.
Si chaque vivant tente d'imposer ses propres fins à son
environnement,
celui-ci n'a pas pour fin de se plier aux besoins des vivants,
fussent-ils
des hommes. Cette prétendue finalité globale de la
temporalité
de la nature et/ou de l'histoire humaine (voir Kant), n'est qu'une
projection
rassurante du désir humain à ne pas disparaitre dans un
environnement
éventuellement hostile ou sous l'effet de la violence
autodestructrice.
Par contre la finalité interne aux processus vivants est le
résultat immanent d'une causalité en boucle de conditions
inter- et rétro-actives. Cette finalité a
émergée
dans des conditions aléatoires et s'est stabilisée d'une
manière dynamique (évolution biologique par mutations
accidentelles)
sous l'effet des conditions aléatoires du milieu, elles
même
partiellement liées à l'activité des vivants. La
finalité
immanente des organismes vivants est donc à la fois le produit
émergent
et une des causes du déterminisme statistique, pluraliste et
interdépendant,
de la réalité phénomènale physico-chimique,
en elle-même aveugle. Seule cette conception est testable: elle
peut
être affinée, corrigée dans ses descriptions, elle
ne peut pas être réfutée scientifiquement (au
profit
du créationime par exemple). Elle est donc
valide tout à la fois comme condition de possibilité
du savoir et comme résultat toujours remanié des
decouvertes
scientiques qu'elle rend possible. Elle est tout à la fois
jugement
réfléchissant, idéal régulateur du savoir
scientifique et jugement déterminant expérimentable (voir
Kant: "Critique du jugement"). Entre la conception
préscientifique
de la connaissance et la conception scientifique, il n'y a pas de
symétrie
possible: la seconde
l'emporte définitivement sur l'autre en terme de validité
objective: cette alternative est la seule philosophiquent
décidable
selon le critère de la fécondité: la
première
est stérile (sur le terrain de la connaissance objective), la
seconde
est à l'origine d'une évolution historique
irréversible
de la pensée humaine.
Mais sous des formes moins testables (à l'époque) car
jugement réfléchissant et jugement déterminant ne
coincidaient pas encore, cette opposition préexistait
déjà
avant cette rupture, dans la pensée grecque par exemple
(matérialisme
et empirisme antique). Parler de finalité du temps en
général
n'a donc aucun valeur de vérité, tout au plus
métaphorique
et psycho-symbolique; et encore!: elle génére
l'illusion
dès lors qu'elle se présente comme une
vérité,
opposable aux sciences. Seuls des processus déterminés
peuvent
avoir des temporalités finalisées (ex: chronobiologie).
Les
phénomènes humains aussi, à la différence
que
les hommes peuvent plus ou moins contrôler les boucles de
rétroactions
ou d'interactions causales qu'ils subissent et sur lesquelles ils
s'efforcent
d'agir, par la production historique et consciente et la mise en oeuvre
de croyances collectives ritualisées (dont celle de
finalité
métaphysique transcendante), d'institutions conventionnelles de
pouvoir régulatrices, de savoirs scientifiques et de pratiques
technique
expérimentales etc...
Pour conclure je ferais l'hypothèse suivante:
l'athéisme
(anti-finalisme) est aussi permanent que le théisme (finalisme
métaphysique)
mais la modernité l'a rendu quasi obligatoire sur le plan
politique
et scientifique, tout au moins
quant à la question des fondements, afin de rendre possible
le développement des connaissances et la démocratie
pluraliste.
Pour autant, une régulation athée et libérale
du désir, tant dans la vie personnelle que politique, reste
à
penser philosophiquement...
S.Reboul, le 10/9/99
1) Un terme implique psychologiquement (structure cognitive) son contraire : en effet, pour faire usage du principe de non-contradiction il faut penser ensemble les deux contraires avant de choisir entre eux par un acte de réflexion (et un effort contre la pensée spontanée confuse et irrationnelle); nous savons d’autre part que la pensée spontanée symbolico-poétique, voire mythique a tendance à superposer les deux contraires, voire à les fusionner (double nature du Christ ?) pour la raison qu’elle exprime nos désirs et que ceux-ci sont toujours ambivalents et contradictoire (le beurre et l’argent du beurre ! l’homme et dieu, le mort vivant etc..). Nul besoin donc d’un tiers (exclu) pour passer de l’un à l’autre des contraires puisqu’ils coexistent dans la pensée première avant l’usage du principe logique et rend cet usage possible sous la contrainte de l’expérience.
2) Sur le plan du savoir, je considère que la métaphysique n’est pas une science. Je reprends à mon compte les thèses de Hume et de Kant : Si elle prétend être une science alors elle est sans objet ni référent expérimentables et elle est donc irréfutable et invérifiable, ni vraie, ni fausse : elle ne peut être qu’une illusion transcendantale de l’esprit qui prend pour réel son propre contenu conceptuel en attribuant une réalité objective à ses catégories formelles. L’inconditionné métaphysique correspond peut-être a un besoin de la raison, surement à un désir d'absolu et d'immortalité, il est peut-être intellectuellement possible, mais cela ne suffit pas pour qu’il soit réel ; or il n’y a de vérité que dans le rapport au réel, c'est à dire à l’expérience, sinon rien ne permet de la distinguer de l’illusion. Ainsi la métaphysique est objet de savoir anthropologique et non savoir.
3) Des propositions métaphysiques peuvent être
vécues
comme des fondements fiables de l’éthique et de la politique
(Dieu
existe et ses commandements sont bons , l’homme est libre etc..); mais
d’une part cela n’est pas logiquement nécessaire : on peut aussi
proposer des conception régulatrices pragmatiques, formalisables
et logiquement suffisantes (voir théories des jeux) pour
réduire
la violence et favoriser la coopération; et d’autre part,
dès
lors qu’elle ne sont pas des vérités démontrables,
elles ne sont que des croyances et leur fiabilité ne repose que
sur l’accord général (conventions , coutumes etc..) or
cette
communauté de croyance devient de plus en plus
problématique
voire impossible dans un monde ouvert et pluriel (l’avortement ou les
manipulations
génétiques sont-elles des crimes ? au nom de quelle
métaphysique
indiscutable peut-on trouver un consensus universel sur ces questions
vives
?).
Par conséquent, je pense que, nous devons mesurer les effets
positifs et négatifs des croyances métaphysiques sur les
comportements individuels et collectifs et sur les relations qu’elles
génèrent
entre les hommes et entre les hommes et leur environnement de la seule
manière rationnelle possible : par l’évaluation
expérimentale
de leurs conséquences. Pour ma part j’ai tendance à me
méfier
d’une croyance qui se prend pour une vérité absolue
transcendantale
et plus encore transcendante (en cela elle ne peut être qu' une
illusion,
c'est à dire une confusion entre une projection du désir
et la réalité); quand elle prétend fonder et
ordonner
l’éthique et/ou la politique, elle rigidifie les attitudes au
risque
d’affirmer un principe malgré son échec ; elle substitue
la logique aveugle de la conviction à celle de la
responsabilité.
Si les croyances métaphysiques sont parfois utiles, elles sont
souvent
stériles et toujours dangereuses.
Je préfère les croyances éthiques
considérées
en tant que fictions régulatrices rationnelles soumises à
un examen expérimental anthropologique pragmatique.
4) Une croyance qui n’est pas ritualisée est sans effets sociaux et politiques : peut-on concevoir une religion communautaire sans église et culte ? Toute croyance éthique et politique est donc forcément l'objet d'un rituel collectif qui a pour fonction de la rendre indiscutable et ses effets comportementaux, automatiques. Si déconstruire cette sacralisation est la finalité d'une philosophie critique, celle-ci est donc libératrice des individus et transformatrice des jeux sociaux. Toute tentative philosophique conservatrice devra se justifier par le recours à la métaphysique et la visée d'un absolu extra philoqsophique: toute métaphysique débouche nécessairement sur une pensée religieuse, ancienne ou nouvelle, ritualisable. Par un paradoxe apparent la philosiophie peut être mise au service de la religion: celle-ci tente de se défendre en retournant les armes de la critique contre ce qui la menace le plus: la pensée rationnelle. Comme quoi le combat contre l'illusion religieuse est aussi un combat interne à la philosophie.
1) Une limite peut-être circonstancielle,
c'est
à dire liée à un contexte spatio-temporel et
institutionnel
du savoir
déterminé: il n'y a pas de
théorie
générale explicative des phénomènes
définitive,
chacune est validée par
l'ensemble des pratiques objectivement efficaces
qu'elle rend possible dans tel ou tel contexte expérimental
instrumentalisé et technique. Mais il est
clair que la prise de conscience de cette limite , en tant que
résultat
de son
impuissance à réduire certaine
difficultés
ou contradictions entre théorie et expériences peut
être
la condition de la
refonte théorique, toujours possible en
droit,
qui dépassera la limite concernée. Mais cela signifie
qu'il
n'y aura
aucune théorie sans limite et donc que
l'évolution
de la connaissance est en tant que telle infinie. Les limitation
circontancielles sont dons la condition d'un savoir
critique non dogmatique donc illimité dans ses ambitions.
2) Une limite peut être
considérée
comme absolue, c'est à dire signaler que nos savoirs rationnels
et expérimentaux
ne peuvent, par définition, pas
répondre
aux grandes questions de la métaphysique: l'existence de Dieu,
le
liberté
humaine, le sens de la vie et de la mort, voire
à la question de la vérité ou non des valeurs
morales.
Car notre
faculté de savoir (notre raison dirait Kant)
ne dispose sur ces questions d'aucun critère fiable pour
distinguer
le
vrai du faux: ni la logique, ni l'expérience
ne peuvent valoir dans ces domaines. Dans ces conditions deux attitudes
sont possibles: soit l'on renonce à penser
que ces domaines relèvent de la vérité et du
savoir
et l'on en fait des
croyances plus ou moins subjectivement efficaces
pour donner un sens à sa vie et une valeur sacrée
(repères
figés)
à des valeurs personnelles et/ou collectives;
soit on défend l'idée d'une connaissance
suprarationnelle,
intuitive,
capable de connaitre l'absolu fondateur de toute
valeur et vérité; mais il s'agit d'un acte de foi, d'une
révélation
transcendante, que l'on est dans
l'impossibilité
de la justifier objectivement à qui ne partage pas ses
croyances.
Mais la pensée humaine (et je n'en connais
pas d'autre, à moins de prétendre penser à la
place
de Dieu) peut-elle
accéder à l'Absolu sans craindre de
tomber dans l'illusion dogmatique qui refuse de reconnaître que
le
savoir est
relatif et donc évolutif? Une connaissance
intuitive se réclamant de l'absolu ne risque-t-elle pas de faire
obstacle à
toute pensée et à tout savoir
critiques?
Donc ne risque-t-elle pas de substituer à la réflexion
philosophique
une
idéologie "théologique", argumentant
à partir de dogmes indiscutables?