Il y a deux manières d'envisager la condition humaine:
1) L'une qui la considère comme essentiellement "tragique" et
donc qui disqualifie à l'avance toute tentative d'action
rationnelle
efficace pour éviter le pire (la violence, la souffrance et la
mort)
et promouvoir le meilleur ( l'intérêt mutuel, la joie
partagée
et la coopération)
Le tragique concacre donc l'impuissance de l'homme à combattre
le malheur et fait de cette impuissance une éthique voire une
esthétique
romantique de la vie; cette vision est littérairement
(émotionellement)
payante; mais réellement stérile; de plus elle tend
à
exploiter cette émotion dans un sens mythique et religieux qui
implique
une morale de la soumission à une ou des puissances surhumaines
(transcendantes) disposant de notre destin, en vue d'un salut en une
autre
vie post-mortem.(la terre et le ciel)
2) l'autre qui la considère comme "dramatique" et qui fait de l'action efficace, raisonnée et raisonnable, la seule manière de gérer l'ambivalence originelle du désir d'être (pulsion de vie associative , pulsion de mort dissociative). Elle refuse toute complaisance esthétique qui ferait de la vie un échec insurmontable somptueux et confie aux hommes le soin d'exploiter au mieux les contradictions de la vie, pour accroître leur capacité autonome d'action et leur coopération toujours conflictuelle d'une manière lucide et contractuelle.
Entre les deux, la philosophie a, dans sa forme la plus raisonnable, choisi la seconde et cela pour une bonne raison; c'est la seule qui, non défaitiste, peut permettre une relatif succès dans le traitement des contradictions de la vie, en vue du mieux-vivre ici-bas.
De ce point de vue, il me semble faux d'opposer le don pur et gratuit à la réciprocité des intérêts , en prétendant voir en celui-là le témoignage d'une autre vie transcendante possible, voire nécessaire, dépourvu d'égoisme, car quiconque, y compris notre ami Succube, sait d'expérience que, pour être généreux, il faut 3 conditions:
1) Ne pas se mépriser soi-même en jalousant les autres, donc se reconnaître et s'aimer soi-même suffisament, ne serait-ce qu'en se valorisant au travers de nos actions considérées comme moralement bonnes dans un cadre de valeurs plus ou moins hétérogènes, voire contradictoires données. Nul n'échappe à la conscience valorisée et valorisante de soi constitutive de toute joie possible (le malheur est dans l'humiliation)
2) Etre capable de s'identifier à plus faible que soi; ce qui nous est possible car nous avons tous conscience de notre faiblesse passée (enfance) et nous sommes tous capables de nous imaginer plus faibles (dépendants des autres) dans le futur (maladie et vieillissement). Donner gratuitement (en apparence) c'est donc toujours préparer les conditions d'une entraide dont nous savons qu'elle nous sera, à un moment ou à un autre, indispensable; et , deuxième bénéfice secondaire, c'est toujours se valoriser aux yeux de qui on donne sans contre-partie immédiate et en faire un obligé.
3) La conscience de la durée des relations que nous entrenons avec les autres. Qui croit pouvoir échapper au temps qui relativise les positions de force et vivre dans l'instant; ne donne rien car le don n'aurait alors plus aucun sens relationnel pour lui.
Ainsi le don gratuit n'est qu'une modalité de l'échange (don/contre-don) dans un contexte d'entraide et de reconnaissance réciproque déterminé par la conscience du long terme; contrairement à l'échange marchand, qui vise la satisfaction à très cout terme (paiement comptant) des intérêts mutuels.