Il est deux formes de pensée qui tentent difficilement de dialoguer, sinon de s'affronter . L'une qui est très sensible à la différence des cultures et qui s'efforce de rendre compte de la légitimité des cultures traditionnelles par rapport à la culture polémique et libérale qui domine nos sociétés pluralistes, individualistes et pragmatiques modernes et l'autre, dont je représente probablement le point de vue le plus radical, qui ne reconnaît aucune valeur à l'autorité de la pensée traditionnelle et religieuse en tant que telle, au profit d'une démarche critique rationnelle des idées et tout d'abord des idées qui se réclament d'une tradition religieuse originaire fondatrice sacrée et/ou incontestable; l'une qui reste animée d'une vision transcendante du sens de la vie et l'autre qui part de l'expérience réelle des désirs humains dans leur trivialité, leur contradictions et la pluralité de leurs investissements et stratégies pour tenter de voir qu'elles sont les règles de productions des savoirs et des pratiques les plus fécondes et efficaces en vue du bien-vivre (moins de violence, plus d'autonomie et de créativité joyeuse) dans le monde qui est le nôtre. Cette vision est critique en cela qu'elle refuse de considérer que toutes les croyances se valent dans n'importe quelles conditions et surtout parce qu'elle est animée de la volonté de faire bouger les préjugés qui ne sont plus adaptés au monde d'aujourd'hui lui-même issu d'une longue remise en question théorique et pratique du monde de la tradition, et ne permettent plus au jeunes et aux moins jeunes de développer des stratégies efficaces, c'est à dire lucides et ambitieuses, au service de leur désir légitime de se réaliser et de se reconnaître dans la réussite de leurs projets. Ce que signifie le terme d’autonomie.
Ceci
implique plusieurs exigences de pensées radicalement contraires
aux habitudes
mondaines (le savoir vivre conformiste) de la conversation de salon (de
thé) ou
de l'exégèse scrupuleuse des références
héritées du passé ou relevant d'une
réalité culturelle, religieuse, sociale et politique
dépassée chez nous et en
crise partout ailleurs. Crise dont toute pensée philosophique ne
peut que faire
son miel, si elle veut provoquer des remises en cause
éclairantes et
audacieuses afin d'élargir l'espace d'autonomie des individus
acteurs et sujets
de leur vie et non plus soumis à leur fonction et des
rôles sociaux préétablis,
ce qui est son but depuis toujours. Quelles sont les conditions de
possibilité
et les exigences de toute pensée philosophique dans ce qui la
distingue des
formes traditionnelles religieuses et mythologiques ?
1)
La philosophie disait Hegel est fille de la crise et du conflit. Elle
apparaît
lorsqu'aucune référence traditionnelle ou religieuse
incontestable (sacrée) ne
peut plus faire sens, sans danger de conflits violents, pour la plupart
des
hommes à tel ou tel moment de leur histoire ; elle est alors le
fossoyeur des
préjugés obsolètes auxquels s'attachent
subjectivement, dans un réflexe
sécuritaire, comme les naufragés sur le radeau de la
méduse , les institutions
idéologiques traditionnelles et leur (de moins en moins)
fidèles angoissés par
les bouleversements du monde vis-à-vis
desquels ils se sentent de plus en plus impuissants: elle
déblaie et
déconstruit à coup d'arguments rationnels (analyse
conceptualisée) les
contradictions logiques, les impossibilités des anciennes
valeurs pour élargir
le champs des possibles et prendre la mesure des valeurs nouvelles qui
redonnent les moyens de la puissance de compréhension et de
transformation
mieux adaptés aux temps nouveaux.
2)
Elle revendique le droit à ne
respecter
aucun tabou ou conviction sacrés et passe à la moulinette
de la raison critique
tout principe de connaissance et d'action, en amont , les
présupposés
métaphysiques et convictions supra rationnelles, transcendantes
et religieuses, la
morale sociale dominante mal fondées ou fondées sur la
peur du changement, ce
qui revient au même et en aval, dans les conséquences
éventuellement désastreuses
qu'elles génèrent dans le nouveau contexte du monde. Elle
pose les lumières de la raison
contre l'obscurantisme
des mythologies qui entretiennent les attachements psychologiques et
les
dépendances aux anciennes valeurs devenues inapplicables sinon
sous des formes
de plus en plus hypocrites. Oser penser par soi-même est le seul
mot d'ordre
qu'elle reconnaît.
3)
Elle se refuse à identifier les personnes et leur convictions et
s'autorise à
montrer partout en quoi les convictions irrationnelles sont
dangereuses, y
compris pour ceux qui s'y sentent attachés; en cela, elle exerce
nécessairement
une forme de violence libératrice à l'égard, non
des personnes dont la
dignité réside dans leur
autonomie de
penser contre leur propre croyances,
mais des croyances auxquelles elles se sentent (se croient),
souvent à
tort et malgré elles attachées .
4)
Elle argumente non pour conforter, consoler , exposer
d'aimables opinions , comprendre affectivement
l'interlocuteur mais pour soumettre
à
l'épreuve de la logique et de l'expérience les options
possibles et leurs
enjeux dans la réalité que nous vivons ici et maintenant .
5)
Elle est donc par essence provocatrice et fait de la provocation un art de la démystification et du
désenchantement ; en cela le cynisme est inhérent
à la pensée philosophique dès
lors qu'elle refuse l'hypocrisie moralisatrice et passéiste
dominante
Conclusion:
la philosophie se doit d'être choquante, son rôle est de
libérer les esprits,
et ce n'est pas par des appels au savoir vivre mondain que l’on pourra l'amener à renoncer à la lutte
des idées
qu'elle mène sans relâche. Mais il va de soi que nul n'est
forcé d'y
participer; s'il est plutôt
tenté par
la pensée traditionnelle et la nostalgie d'un sens sublime,
forcément sublime,.
Que cela plaise ou non, la pensée philosophique est
anti-traditionaliste, ce
qui, à l'occasion, ne lui interdit nullement de
reconnaître la valeur
rationnelle de telle ou telle tradition non
dans sa vertu traditionnelle, car elle est toujours une menace
pour l'autonomie
de la pensée, mais par ses seuls
effets
pragmatiques dans tel ou tel contexte
historique déterminé.
Le choix de l'éthique philosophique Or la crise est permanente en
démocratie libérale par défaut de croyances suffisament partagées et
par l’instabilité des positions acquises et des relations
intersubjectives qui menace en permanence d’échec le désir de
reconnaissance . Il y a donc un paradoxe
indépassable dans nos sociétés modernes: elles sont désenchantrées (au
sens de M.Weber) et laisse aux seuls individus le soin (au sens quasi
médical) de se donner du sens dans la conscience vécue que ce sens ne
peut être que fictif et que ce soin n’est qu’un effet placebo. Cette
fiction de sens risque de devenir illusion quand elle est prise pour
une vérité; mais le société démystifie en permanence ce risque et
produit de la désillusion. Que faire alors? Rien
d’autre que ceci: gérer le paradoxe en renonçant au mirage de
l’illusion du "sens vrai" et absolu pour jouer des rôles qui nous
permettent de nous estimer dans des domaines mettant en jeu des
compétences, des règles et des valeurs diverses. L’unité du sujet ne
résiderait alors plus que dans la capacité à assumer ces différents
rôles dans le faire (qui inclut l’apparence, le pouvoir, le jouir et le
faire jouir) et dans la puissance d’agir en vue de la reconnaissance et
non plus dans la permanence de l’être. L’essence de
l’homme est le désir disait Spinoza et le désir n’est que puissance
d’action, sauf à rester passion c’est à dire dépendance à ses objets et
illusion mortifère, voire morbide. Privés du regard de Dieu,
socialement et politiquement mort, nous sommes condamnés à nous savoir
mortels et à nous reconstuire sans cesse sous le primat de la
conscience de soi pour soi médiée par celle des autres. La
finitude assumée est alors la seule sagesse qui nous reste. Et si
philosopher c’est désirer devenir plus sage, une fois la conscience de
soi dépouillée des oripeaux religieux, alors la philosophie critique et
active sur soi et le monde devient la seule attitude libératrice
possible. Le 17/03/06
Il y a fondamentalement un choix éthique à
faire entre les fantasmes théocratiques ou téléologiques inspirés par
un imaginaire qui est le plus souvent délirant et a pour fonction de
combler un manque angoissant d’identité dans des situations de crise et
la luicidé philosophante.