1) Nous vivons dans une société laïque et pluraliste dans laquelle l'écrasante majorité des jeunes est sans conviction religieuse cohérente organisée; ceux là même qui ont reçu une éducation religieuse ne retiennent, s'ils en retiennent quelque chose, que de très vagues références morales qui se confondent avec la morale laïque et démocratique ambiante; la dogmatique théologique minimale du christianisme ne leur même jamais été enseignée: les aumôniers, sans doute pas manque de conviction personnelle, s'en sont abstenu. Reste le réalisme scientifique et technique dont 'efficacité est pour eux évidente, au contraire des considération métaphysique sur le sens de la vie. L'idéologie du droit au bonheur personnel est hégémonique,; confondue avec le droit au plaisir, elle fonde le seule idée de devoir éthique qui reste: « Eviter, quand on le peut, de faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'ils nous fassent. »
2) Sauf à désirer l'apocalypse, il est impossible de croire sérieusement (rationnellement) à un possible retour en arrière qui signifierait une guerre et une dictature politico-religieuse liberticide et sanguinaire mondialisée. Les talibans sont cohérents dans leur folie : si l'on veut une société religieuse unie sur une morale commune transcendante et sacrée indiscutable, on ne peut que l'imposer par la terreur et contre le droit au plaisir individuel et donc à la sexualité libre. Contre donc l'égalité des hommes et des femmes; ce qui autorise d'ailleurs les intégristes islamiste en Algérie à pratiquer le viol (mariage provisoire imposé) en récompense de leur soumission à dieu et de leur sacrifice à sa cause dans la guerre sainte.
3) La gestion du principe de plaisir, dans son rapport au principe de réalité, devient donc le seul projet éthique possible; il n'est donc pas étonnant, et encore moins scandaleux, sinon du point de vue d'une morale religieuse en voie d'extinction dans un monde qui ne peut plus la reconnaître comme valant pour tous, que l'érotisme individuel, qui a toujours été le grand ennemi des morales traditionnelles (plus encore que la violence) est dominant dans notre sociétés, dans les échanges commerciaux, dans l'art, dans les rapport intersubjectifs, et que le droit au bonheur érotisé pour tous s'impose nécessairement le seul fondement possible du bien-vivre ensemble.
4) Dans ses conditions la souffrance et le sacrifice de soi ne peut et ne doit plus être considérée comme une valeur éthique commune; au nom de quoi, en effet, pourrait-elle valoir pour tous? Du salut post-mortem auquel ne croit plus vraiment qu'une infime minorité? Seule une éthique comme calcul du plaisir et de la distinction qualitative des plaisirs, dans l'évitement de la souffrance, à l'exception d'une souffrance volontaire que l'on s'impose à soi-même en vue d'un plus grand plaisir, peut être envisagée.
5) Il ne peut y avoir de régulation éthique libérale que dans la distinction entre les plaisir immédiats et les satisfactions à moyen et long terme, entre les désirs actifs et les désirs passifs, entre les plaisirs décevants (dégradant, dévalorisant) et les plaisirs joyeux (valorisants et toniques): cette distinction détermine les règles de réciprocité contractuelle comme fondement de nos échanges.
6) Notre société pluraliste et plus ou moins laïque moderne, en tant que telle, ne se reconnaît plus dans un quelconque fondement religieux; l'art, le commerce et tout les rapports humains peuvent donc ouvertement s'érotiser sans autre limites et normes régulatrices que celles du droit libéral (voire la contraception, l'avortement, la procréation artificielle, et bientôt le clonage thérapeutique, les thérapie transgéniques et l'euthanasie). Que ceux qui regrettent les temps religieux, le temps des tabous, s'en émeuvent n'y changera rien: au mieux pourront-t-ils cultiver cette nostalgie pour en faire un commerce lucratif comme on le voit dans toutes les formes de tourisme exotique. Nous vivons une époque ou les hommes sont face à eux-même, sans (pro)thèses métaphysiques et religieuses universellement admises pour les protéger de la puissance de leur « hybris »; en l’absence d’ordres du ciel et/ou de la nature, il ne leur restent plus qu'à apprendre à gérer leur désir de puissance et de jouissance infini pour produire les meilleures conditions possibles du bonheur ici-bas.
Conclusion: Une éthique libérale est donc une éthique minimale du droit au bonheur pour tous et rien d'autre; certains peuvent trouver cela insuffisant, mais ils ne peuvent rien proposer d'autre sur le plan philosophique qui puisse convaincre les non-croyants dans la vie éternelle: même la plupart de ceux qui y croient encore vaguement, par tradition familiale ou par besoin de consolation, n'en fait pas une priorité. L'érotisation généralisée des rapports humains est en train d'investir l’ensemble des sociétés humaines en voie de mondialisation sous des formes plus ou moins contestables (en terme de droit au bonheur pour tous et de réciprocité des échanges), c'est pourquoi il convient de changer de discours et de type d'éducation. Choisir une éthique héroïque du devoir par devoir est devenu aujourd'hui impossible, donc déraisonnable. Seule une éthique minimale du désir érotique dans son rapport au désir de puissance est aujourd’hui possible et souhaitable.
La pornographie entre tradition
et
modernité
La question de l'expression du désir comme désir de
lien et donc du désir du désir des autres oscille
entre
deux modèles (idéaux-types au sens de Max Weber)
possibles,
parfois liés dans telle ou telle configuration
hiérarchique
complexe, mais toujours concurrents: le modèle religieux
communauraire identitaire et le modèle interindividuel
contractuel. Ces deux modèles
d'expression du désir de désir et de reconnaissance de
soi
par la médiation (qui ne veut pas forcément dire
identification
mais aussi distinction) des autres sont modélisés et
hiérarchisés
par le type de société dominant: traditionnel
répétitif et religieux invoquant l'origine sacrée
du goupe ou libéral
évolutif athée sans référence collective
indiscutable
et instituée à une volonté divine transcendante
unifiante.
Le premier modèle tend à exclure la différence: il privilégie l'expression homosexuelle de la reconnaissance de soi en séparant et en différenciant la communauté des hommes par rapport à celle des femmes, ou celle des castes sociales, en entités essentialistes étanches et invariantes distribuant d'une manière incontestable (sacrée) les rôles et les positions hiérarchiques. Le second au contraire est universaliste et égalitaire; il tente d'inclure le désir dans un jeu ouvert, toujours problématique et discutable (négociable), voire multiple, des différences sexuelles et sociales, dès lors que l'égalité des droits et des chances est posée comme un principe d'organisation fondamental des relations sociales aux dépens d'un lien social institué par un référent imaginaire collectif religieux traditionnel. Dans ce contexte la forme privilégiée de la relation vivante est l'amour ou l'amitié consentis, en tout cas volontaires, c'est à dire contractuels et non pas autoritaires hiérarchiques. Ce modèle fait de la relation dans la différence telle qu'elle est posée par les individus eux même, y compris dans un cadre homosexuel, l'idéal type valorisé et valorisant de le relation de désir satisfaisante c'est à dire conforme au droit individuel au bonheur comme reconnaissance positive de soi.
Si l'amour intersubjectif devient la référence
idéale
du bonheur (et non pas forcément sa réalité
toujours décevante, car toujours compromise), il faut distinguer
érotisme
et pornographie pour en définir la relation complexe.
L'érotisme est le jeu du désir dans la recherche ouverte
et
dialogique du désir de l'autre, alors que la pornographie fait
de
l'autre un objet du fantasme du désir traditionnellement
codé
en général de l'homme type sur une femme type (machisme).
la
pornographie est donc la projection dans un contexte libéral du
fantasme
généré dans un contexte traditionnel de
distribution
des rôles. La puritanisme (à dominante homosexuelle
virile)
génère de la pornographie dès lors que se trouve
affaiblis ou hors jeu les modes idéologiques de contrôle
de la sexualité
traditionnels. D'où son ambivalence: d'un côté
apparement
libérateur du désir sexuel individuel mais
réellement
prisonnier de la tradition devenue instable ou contestable. La
pornographie
est un défi libertin de la tradition encore soumis à elle.
Nous vivons dans une société qui a perdu toute référence religieuse transcendante indiscutable au salut post-mortem, laquelle permettait de conditionner (canaliser) l’expression du désir d’être et la puissance d’agir, notre société est donc incapable de nous convaincre à l’abnégation ici-bas en vue du paradis dans l’au-delà; ce que la société antérieure théocratique faisait à l’égard des plus pauvres pour les faire se résigner à la frustration, voire à la misére. L’infini du "désir de désir", ne pouvant plus se projeter dans un infini transcendant et post-mortem moralement régulateur (Dieu) collectif et consensuel est donc "condamné" à s’exprimer dans l’accroissement indéfini de la valorisation représentée de soi dans ce que nous faisons, avons ou apparaissons aux yeux des autres, comme condition de la reconnaissance de soi, dans le cadre d’une égalité théorique nouvelle, en droit et de droit, à la dignité. C’est pourquoi, nous ne pouvez décider pour les autres ce qui peut faire leur bonheur et faire de la morale un régulateur social impératif, sinon à désirer comme réalisable une société à la fois moderne (libérale) et religieuse (communautariste ou amicale); ce qui est contradictoire sauf un miracle divin qui convertirait moralement et librement tous les individus à votre conception de ce que vous appellez le besoin d’être.
Nous ne pouvons (devons) donc pas faire de notre éthique personnelle de vie un fondement sociétal; seul un droit libéral objectif fondé sur le droit de chacun à rechercher son bonheur sans nuire au même droit chez les autres est possible. Ce qui ne veut pas dire que nous devrions renoncer à le rechercher pour nous-même avec qui nous voulons et qui le désire, mais cela ne concerne plus la sphère de la société, mais celle de notre vie privée, qu’il faut, autant que faire se peut, distinguer, privilégier et rendre la plus autonome possible par rapport à la sphère publique.
S. Reboul, le 27/12/05