Il convient de faire une distinction, entre la notion de besoin et
celle
de désir, que l'on confond trop souvent:
- J'appelle "besoin" la
tendance qui recherche un moyen déterminé en vue
d'obtenir,
selon des relations déterminées de cause à effet,
une fin particulière et objective déterminée. Le
besoin
s'exprime en analyse fonctionnelle sous la forme de fonction d'usage;
celle-ci
est rationnellement déterminable en terme de normes, de
spécifications
quantitatives, elle autorise la prévision et
l'expérimentation
reproductible concernant les performances, la fiabilité et la
sûreté
d'exploitation du produit ou service.
- J'appelle "désir"
la recherche du bonheur défini comme la satisfaction,
plus ou moins durable, produite par la reconnaissance par le sujet
conscient
de lui-même, de sa valeur personnelle et/ou collective;
être
heureux c'est être content de soi, satisfaire son amour de soi
dans
des relations satisfaisantes, c'est-à-dire valorisées et
valorisantes, aux autres, eux mêmes sujets de désir. Se
désirer
soi-même c'est toujours désirer être
désiré
par les autres pour pouvoir se reconnaître soi-même comme
valeur
selon des critères d'évaluation collectifs
considérés,
à tort ou à raison, comme universels ou universalisables
(les valeurs éthiques et/ou esthétiques).
La satisfaction subjective du besoin n'est que le moyen et/ou la
sanction
de fins objectives et leur est subordonnée. Le besoin vise le
plaisir
"de, par et pour quelque chose"; Pour le désir, par contre, les
fins objectives ne sont que des moyens de la fin subjective qu'est le
bonheur
dans l'amour de soi et lui sont subordonnés. Le désir
vise
la plaisir autovalorisant "pour lui-même". Pour cela et en cela,
le désir a besoin de besoins. Les besoins qui visent "l'avoir"
sont
l'incarnation, toujours remaniée et renouvelée, du
désir
d'être qui les transcende et leur donne sens.
Le désir peut s'exprimer sous quatre formes diversement
enchevêtrées:
l'avoir, l'agir et le paraître et l'amour:
- Le désir d'avoir est le désir de posséder toujours plus que les autres pour se confirmer durablement dans la satisfaction de soi-même, sous le feu de la rivalité mimétique du désir inter-individuel;
- Le désir d'agir est le désir de puissance illimitée sur l'environnement naturel et humain comme preuve, toujours à refaire et à stabiliser, de sa supériorité personnelle et/ou collective.
- Le désir de paraître est le désir de reproduire une image gratifiante de soi en sa conscience ainsi que ses conditions symboliques de possibilité dans la conscience et le désir des autres selon des valeurs partagées et/ou partageables (rivalité mimétique).
- Le désir d'aimer et d'être aimé est le désir, non pas de "posséder" l'autre comme objet, mais comme sujet de désir, et en cela d'en être aimé pour s'aimer soi-même; ce qui ne va pas sans paradoxe et conflits, en tout cas sans inquiétude et exige des signes-témoignages de cette réciprocité, des rêgles de régulation des conflits et des échanges de plaisirs "gratuits"
Dans tous les cas la reconnaissance de soi s'opère par la médiation de la culture et de la technique, bref du social et du symbolique.
On peut voir alors ce qu'il en est du rapport entre le besoin et le
désir: Le désir excède et surdétermine
toujours
le besoin; en tant que tel il ne peut jamais être
"définiment"
satisfait (sauf dans une hypothétique béatitude divine en
une autre vie après la mort), il ne peut l'être que
provisoirement,
à la faveur de signes (objets de transfert, gestes rituels,
expressions
corporelles, paroles, etc...) fragiles et toujours à
réinterpréter
par le sujet. Du point du vue du désir, la qualité d'un
sujet
de désir est inépuisable est d'un objet
indéterminable
car elle pose l'insatisfaction permanente du désir se
désirant
lui-même à l'infini en tant que puissance d'être et
d'agir. Elle est ce mirage perpétuellement en voie de
réalisation/déréalisation
symbolique qui nous assure le goût de vivre, pour le meilleur ou
pour le pire. La qualité n'est déterminable qu'en
traduisant/trahissant
le désir en besoins objectivés, soit en réduisant
la fonction d'estime en fonction d'usage, soit en stabilisant les
fonctions
d'estime par la mise en oeuvre de codes symboliques conventionnels
visant
à valoriser "objectivement" les clients. "Tu es ce que tu
consommes,
exprime-toi en achetant ce que je te vends et je te promets le bonheur
dont tu es digne de payer le prix!" tel est "l'impératif
catégorique"
de l'éthique marchande.
Il faudrait à cet égard distinguer entre les biens
matériels
et les services, nombres de ceux-ci ont tendance à
s'évaluer
en terme de qualité subjectivement codée de la relation,
même lorsqu'ils font référence à une
finalité
d'usage objectivable différée.
Sylvain reboul, le 22/04/99