Le capitalisme peut-il mourir ?

Que veut-on dire par capitalisme ?
Si l’on entend que c’est la formation économique et sociale dans laquelle le capital et l’intérêt privé domine et exploite le travail en vue du profit maximal, on exprime une évidence, mais faut-il en rester là ? le capitalisme n’exprime-t-il pas autre chose de plus profond qui s’affirme dans son généralisation irrésistible au delà des frontières culturelles et sociales ?

Il est indiscutable que le capital privé , sauf exception de plus en plus rare, détient le pouvoir formel dans les entreprises et que son but est de faire la maximum de profit au bénéfices des investisseurs, en exploitant au mieux les ressources matérielles et humaines et les désirs des consommateurs. Mais ce pouvoir du capital privé d’une part est fragmenté, de plus en plus disséminé (fonds de pension et autres plans d’épargne) et concurrentiel, et d’autre part, comme tout pouvoir, il suscite des contre-pouvoirs qu’il cherche, contrairement à d’autres formes de pouvoir, à intégrer à sa dynamique propre. Les pouvoirs des techno-scientifiques, des intellectuels, des consommateurs, des institutions des états et des organisations internationales, pour ne rien dire du pouvoir des metteurs en scènes des opinions et des symboles (les médias), des séducteurs professionnels, eux mêmes concurrents entre eux. Ces pouvoirs s’imbriquent et dépendent les uns des autres mais ils sont autonomes en cela  que chacun vise des objectifs propres selon des stratégies et dans des règles du jeu particulières. Ils s’allient et s’affrontent pour faire valoir des fins plus ou moins hétérogènes et divergentes (ex : les consommateurs sont d’abord des individus qui valorisent leurs intérêts personnels à court terme, sans considération d’un intérêt général alors que les institutions collectives se doivent d’imposer des normes écologiques et de sécurité valant pour le long terme ; autre exemple : Linux contre Windows …). Ces relations complexes de pouvoir font que le contrôle exclusif des objectifs poursuivis échappe à telle ou telle catégorie d’acteurs (actionnaires, financiers, techniciens, journalistes, juges, députés, gouvernements, citoyens, consommateurs etc.…) et que l’évolution générale dépend d’une manière imprévisible des jeux de pouvoirs et de leur histoire concrète.
Le capitalisme ne peut s’imposer comme un pouvoir hégémonique d’ensemble, symboliquement stable et ordonné, comme c’était le cas des formations sociales fondées sur des religions traditionnelles qui, en s’attachant les pouvoirs politiques, prétendait commander à tous, croyants ou mécréants (qu’il fallait convertir de gré ou de force) à tout, à la vie publique comme à la vie intime, et partout, à la maison comme dans la rue. La force du capitalisme marchand est de s’adapter en permanence aux nouvelles donnes sociales et symboliques et aux jeux de pouvoirs qu’elles génèrent ; sa faiblesse est de s’efforcer de réduire l’incertitude en tentant de ramener la complexité à la simplicité naïve d’un bilan comptable en oubliant que le pouvoir financier est tributaire de tous les autres ; plus encore : il n’est qu’une forme d’expression, parmi d’autres qui se combinent contradictoirement avec lui, du désir de pouvoir comme pouvoir du désir d’être heureux par et pour soi-même (subjectivation).

En cela le capitalisme n’en finit pas de mourir et de renaître car, en l’absence de transcendance divine et de hiérarchie des valeurs induite par le sacré, il est au cœur du désir humain, celui de se reconnaître et de se réaliser dans ce que l’on produit, ce que l’on échange et ce que l’on consomme, d’homme à homme (gains et pertes ; avantages et inconvénients, donné et reçu etc.), aux travers de relations symboliques aux autres qui impliquent toujours des rapports de pouvoir ambigus et réversibles, en fait le plus souvent inégalitaires, mais, en droit, égalitaires et contractuels. Ce modèle s’impose comme l’universel de la modernité, car il est le seul raisonnable, c’est à dire à la hauteur du désir raisonné des hommes, tout en étant la source de sa dynamique compétitive.
S.Reboul, le 01/11/2000



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