« Gouvernance » : un projet et un concept séduisants, mais inquiétants; un nouveau défi, mais peut-être aussi une nouvelle chance pour l'Europe sociale.
La Commission européenne s'est donné comme objectif de rendre la politique européenne plus transparente et plus démocratique; pour ce faire, elle prépare un livre blanc qui ajustera à cet objectif les principes de subsidiarité et de proportionnalité qui fondent son action. Le Conseil de Nice a conforté cette orientation et aujourd'hui, une « équipe gouvernance » , sur les six grands chantiers que sont: l’élargissement du débat public, la participation de la société civile, la décentralisation, la convergence des politiques nationales, la contribution de l'Union à la gouvernance mondiale et l'intégration à l'échelle du continent européen!
Un tel programme, dont l'objectif principal semble être de rapprocher l'Europe des citoyens, ne peut que séduire. Mais à examiner de façon critique et le concept de gouvernance et le débat en en cours, on voit clairement apparaître les enjeux véritables des trois années qui nous séparent du rendez-vous de Laeken et de la prochaine Conférence intergouvernementale (CIG) à laquelle le Conseil de Nice a donné mission de faire des propositions institutionnelles qui vont, sans doute, faire de l'Union soit un véritable état fédéral soit une vaste fédération d'Etats.
En tout premier lieu, interrogeons-nous sur le mot même de "gouvernance". Si c'est bien un mot d'origine française (depuis le XII le siècle, s'il vous plait!) -c'est un concept totalement étranger la conception française de l'Etat. Il réapparaît en effet dans les années 70, dans le processus de mondialisation; en 1975, il remplace le terme anglophone de « governability » dans un rapport de la Commission Trilatérale. Ce sont ensuite l'es différents rapports de la Banque mondiale sur le développement qui en 92, 94 et 97 nous révèlent son rôle : redéfinir la fonction de l'Etat sur le mode du marché, dans le but d'en faire la base institutionnelle nécessaire à celui-ci. Les analystes confirment cette conception minimaliste de l'Etat : "Gouvernance » est très clairement un produit idéologique qui reflète la doctrine sociopolitique anglo-américaine libérale/pluraliste qui domine actuellement », lit-on dans un article de Mick Moore: "The World Bank on 'Governance and development "'.Dans cette Vision instrumentaliste de l'Etat," la bonne gouvernance' relève de la technique et non de la politique. La mission sociale de l'Etat, je devrais dire " de l'état , n'est plus de rechercher le bien commun; l'équité n'est plus un droit et un objectif politique, mais un- moyen d'améliorer les performances et l'efficacité du secteur privé et de maintenir la confiance des investisseurs!
Mais, direz-vous, l'Union européenne n'est pas la Banque mondiale! Quelles conséquences concrètes pourrait donc avoir ce concept de "gouvernance' sur notre Europe ? Les premiers débats publics organisés par la Commission nous éclairent sur ce point.
A noter d'ailleurs, que si les ONG ont été largement invitées aux grandes "auditions publiques", leur rôle s'est limité à poser des questions PAR ECRIT!
Je suis convaincu que l'enjeu de la
gouvernance
est un nouvel affrontement entre les euro-sceptiques et les
europhiles.
Le premiers, qui ont perdu la bataille de l'Europe sociale (lutte
contre
exclusion- objectif de cohésion sociale) mais qui ont
gagné
celle de la Charte des Droits fondamentaux (simple et incomplète
déclaration, sans instrument juridique, sans statut et de plus
soumise
aux droits et législations nationales), veulent profiter de
l'élargissement
pour réduire le peu de pouvoir qu’ont le Parlement et la
Commission
dans le champ des compétences partagées.
D'où
la proposition d'une deuxième chambre composée de
parlementaires
nationaux, (les parlementaires européens étant sans doute
jugés trop européens!): d'où la proposition d'une
redéfinition et d'une redistribution des compétences et
d'une
application par soustraction des principes de subsidiarité et de
proportionnalité : priorité étant donnée au
local, puis au régional, au national et enfin, pour le solde
à
l'échelon européen.(Pour certains, il ne resterait que
les
politiques extérieures!)
Certes, on améliorerait la
transparence,
l’information et même l'expression des citoyens, grâce aux
moyens de communication les plus modernes. Chacun pourrait donner
son avis, comme dans les nombreuses émissions de radio ou de
télévision-où
les auditeurs ont la parole.. Mais il est clair que cette nouvelle Tour
de Babel ne pourrait en rien influer sur la prise de décision!
Lors
d'une audition publique, j'ai été frappé par cette
formule d'un ministre régional européen: "mon Internet,
c'est
ma poubelle". N'illustre-t-elle pas parfaitement l'illusion de
démocratie
directe et de participation que risque de produire la nouvelle
gouvernance
?
Pourtant, même si les tendances
lourdes
sont celles que je viens d'indiquer, un processus est en cours, un
débat
est ouvert et il appartient à tous ceux qui croient à
l'Union
européenne, à l'Europe sociale et aux objectifs qu'elle
s'est
fixés dans le Traité d'Amsterdam comme au Conseil de
Lisbonne,
de courir, une fois encore, le risque de faire progresser l'Europe dans
la voie de l'égalité et des droits pour tous.
La société civile
organisée
doit unir ses forces pour s'approprier cette nouvelle gouvernance et
tenter
de la mettre au service de son engagement pour une Europe sociale.
Pour cela, elle ne doit pas accepter que l'action de proximité puisse se faire au détriment des ' autres échelons, le national ou l'européen. Les compétences ne doivent pas être distribuées et étanches, mais réellement partagées et communes.
La subsidiarité doit être
dialectique
et non ascendante ou descendante.
Prenons l'exemple du logement. La
Feantsa
ne réclame pas qu'il devienne de compétence
européenne
à l'exclusion de l'échelon national ou local, mais que
tous
les niveaux de responsabilité jouent leur rôle, que ce
soit
en développant des politiques publiques , en favorisant
l'accès
de tous ou en garantissant la qualité des logements.
Sur la question de la transparence et de la
démocrate, la société civile organisée doit
réclamer une place particulière et un statut
participatif.
Elle doit être distinguée de l'ensemble des opinions
individuelles
ou des groupes de pression au service d'intérêt
corporatistes
voire communautaire. Sous la réserve, souvent
rappelée
par Jacques Delors, qui fut à l'origine de sa reconnaissance, de
faire la preuve de sa représentativité quantitative, mais
aussi qualitative, la société civile organisée
doit
avoir les moyens de jouer son rôle dans la consultation
préalable,
dans l’élaboration des politiques, comme dans leur
évaluation,
dans le cadre d'un dialogue civil aussi structuré que l'est le
dialogue
social. Elle doit pour cela bénéficier des moyens
financiers
nécessaires et surtout de procédures de consultation et
d'évaluation.
C'est à ces conditions que pourra réussir le pari d'une Europe plus proche des citoyens, d'une Europe qui pourrait plus efficacement que des manifestations marginales, les protéger des effets négatifs de la mondialisation de l'économie.
POUR UNE SUBSIDIARITE DIALECTIQUE/OUVERTE
Rechercher une meilleure interaction entre
les acteurs politiques aux différents niveaux de décision
européen, national, régional ou local, c'est
forcément
se poser la question de la répartition des compétences
mixtes
ou partagées, du fonctionnement de la subsidiarité et de
celui de la proportionnalité. La réponse qui sera
donnée
à ces trois questions influera sur la capacité des ONG de
participer réellement au processus de consultation, de
décision
et d'évaluation des politiques.
Certains, le plus souvent par peur de l'Europe
et par volonté de repli sur le local, voudraient
redéfinir
et réglementer le partage des compétences grâce
à
une sorte de catalogue précisant le rôle de chaque niveau
de décision. Ils conçoivent naturellement la
subsidiarité
de façon négative, comme un obstacle à l'action
elle
fonctionnerait par soustraction, la réforme consistant
essentiellement
à partir du local pour ne laisser à chaque échelon
"supérieur" que ce que celui-ci ne serait pas à
même
de décider.
La FEANTSA considère cette position
non seulement comme dangereuse voire mortelle pour l'Europe, mais
encore
comme irréaliste. Elle a l'expérience des
problèmes
posés par l'absence de compétence de l'Union en
matière
de logement. En effet, sans base juridique dans les
traités,
il était facile pour les institutions européennes de
refuser
de s'engager. Le réalisme a pourtant fini par l'emporter:
la Commission finance l'Observatoire du sans-abrisme et les programmes
d'action de la FEANTSA! Cela fait 12 ans que les Ministres
européens
du logement se rencontrent dans une réunion annuelle
"informelle"!
Dans leur dernier communiqué commun, ils partagent la même
analyse quant " au rôle décisif des politiques publiques
visant
à développer l'offre de logements accessibles aux
ménages
a faible revenus, à apporter une aide aux ménages qui ne
sont pas à même de faire face à des dépenses
de logement trop élevées et à aider plus
spécifiquement
certaines catégories
de ménages en difficultés...
" 1
De même, ils ont demandé, avec
succès, au Président Prodi le soutien de la Commission
pour
promouvoir l'accès au logement des plus démunis. De
son côté, le Parlement européen a pris position sur
les aspects sociaux du logement, dans un résolution de 97.
Forte de son expérience, la FEAN-RSA
considère le logement comme un bon exemple à la fois de
la
nécessité d'un partage de compétence à tous
les niveaux et comme la démonstration de l'impossibilité
de pratiquer une subsidiarité figée. En effet, la
question
des sans-abri concerne les aspects sociaux du logement, mais aussi les
politiques ayant un impact sur l'offre de logements, la
fiscalité,
le revenu minimum, l'accès à (emploi, à la
santé
etc.
Elle exige un travail et une organisation au niveau local, aussi bien que régional, national et européen.
C'est pourquoi, la FEANTSA
- considérerait comme une utopie funeste le choix d'une redéfinition législative ou réglementaire des compétences « partagées ou limitées »,
-souhaite que la réforme de la gouvernance s'inspire du principe d'adaptabilité, cher à Jean Monnet et qui a montré son efficacité,
-souhaite que l'on cesse d'utiliser de façon abusive et négative le principe de subsidiarité et qu'au contraire on le mette en oeuvre de façon dialectique/ouverte et vivante, afin de rendre les politiques plus efficaces, plutôt que pour les empêcher, sortant si nécessaire du schéma vertical européen-local ou local-européen, pour explorer une subsidiarité horizontale (en réseau) dans laquelle les ONG trouveront toute leur place.
-observe qu'en son sein propre chaque échelon associatif doit jouer son rôle dans un dialogue et une complémentarité souples, aussi bien ascendants, descendants qu'horizontaux,
-demande, par conséquent, que la consultation et la participation des ONG soient reconnues et organisées à tous les échelons de décision.
-considère que le principe de proportionnalité, selon lequel l'action de l'Union, mais aussi celle des autres niveaux territoriaux , ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, devrait équilibrer davantage le principe de subsidiarité. Il suppose cependant le développement d'organismes de contrôle et d'évaluation, autorités indépendantes, dotées de la puissance publique mais distinctes de l'Etat et auxquels la société civile organisée devrait pouvoir apporter son expertise.
La FEANTSA souhaite que la nouvelle gouvernance, plus ouverte à l'expression et à la contribution de la société civile organisée, ne se contente pas d'un rôle d'arbitrage et de régulation, mais qu'elle remplisse pleinement sa fonction de garant et d'acteur de la solidarité, ferment indispensable de toute cohésion sociale.
L'ouverture comme principe, la solidarité comme moyen et la cohésion sociale comme objectif figurent dans les deux premiers articles du Traité d'Amsterdam. Loin de leur tourner le dos, la nouvelle gouvernance doit définir les moyens de leur donner vie.
2/5/01
FEANTSA:
Fédération
Européenne d’Association nationales travaillant avec les
sans-abri