Faut-il assigner des limites à
l'évolution
des sciences et des techniques?
Quand on parle de limite on entend deux choses différentes: soit un arrêt infranchissable, soit une rêgle d'usage qui autorise à certaines conditions , lesquelles peuvent évoluer. Or une rêgle n'est pas forcément une limite, au sens de barrage étanche élevé contre toute évolution; nous savons que ce genre de barrage ne résiste pas longtemps, en démocratie, devant les exigences du désir de ne pas mourrir, de ne pas être malade, de ne pas souffrir, d'être soigné ETC.... À moins de justifier religieusement la souffrance et de promettre le salut après la mort comme une certitude indubitable, les hommes mettront tout en oeuvre pour l'éviter l'une et l'autre par tous les moyens que la médecine leur offrira.
Une rêgle doit orienter l'évolution
en fonction des enjeux, des avantages et des risques et ceux-ci
évoluent
en fonction des progrès des technique et des conditions
socio-politiques:
l'eugénisme individuel sous un régime
démocratique,
ne présente pas les mêmes risques pour les droits de
l'homme
que l'eugénisme collectif sous un régime totalitaire. Une
application généralisée du clonage reproductif ne
présente pas les mêmes risques qu'un usage limitée
à la procréation médicale assistée en cas
d'échec
de toutes les autres méthodes. Les manipulations
génétiques
de l'embryon humain ne présentent pas les mêmes risques
dans
le cas de maladies génétiques gravement handicapantes
(plus
de 3000 connues aujourd'hui et la majorité "d'orphelines") que
la
mise en oeuvre d'un changement prétendument positif des
individus
et de l'espèce humaine toute entière etc...
Les rêgles, en démocratie, ont donc pour fonction de faire
une usage circontancié du principe de précaution qui ne
signifie
ni risque zéro, ni tabou ou interdiction métaphysique
absolue
et définitive, mais décision prudencielle qui s'efforce
d'évaluer
les risques directs et indirects et de transformer cette
précaution
en prévention (ex: moratoire tant que les risques ne sont pas
suffisament
connus); sinon nous changeons de société (libérale
et pluraliste) et de régime politique (démocratique).
Ainsi, si le CCNE (comité consultatif national d'éthique) est une structure qu'on peut qualifier de partiellement technocratique car composée d'une majorité relative d'experts, il convient de rappeller que:
1) D'une part il s'en faut de beaucoup qu'elle soit idéologiquement et éthiquement homogène (même en ce qui concerne les scientifiques); elle a le mérite de formuler les termes d'un débat très ouvert sur les positions contradictoires en présence dans un cadre de références scientifiques mais aussi éthiques et juridiques (respect des droits de l'homme) relativement rigoureux.
2) d'autre part, elle a une fonction essentiellement consultative; pour les décisions légales générales seul le parlement est compétent, lequel met plus ou moins en jeu la fonction de représentation démocratique et le contrôle des citoyens.
De plus je vois pas au nom de quelle morale commune, décidée par je ne sais qui, ou de religion communautair monolytique, l'on pourrait s'opposer démocratiquement à des interventions thérapeutiques qui vise à réduire la souffrance pathologique des individus: on l'a bien vu en ce qui concerne l'avortement et on le voit en ce qui concerne les thérapies géniques: les associations en font leur objectif et excercent leur rôle d'incitateur a la solidarité et à la poursuite, via leur financement, des recherches; elles interviennent ouvertement sur la scène publique, comme toute organisation démocratique et donc participe au débat public et je ne vois pas en quoi elles devraient être interdites de le faire.
Enfin en ce qui concerne les groupes
pharmaceutiques,
si leur objectif de profit passe par l'efficacité
thérapeutique
(sous contrôle) des médicaments qu'ils mettent sur la
marché,
ils doivent de fait tenir compte, aussi, dans leur stratégie,
des
désirs des patients et de leurs demandes, y compris
non-solvables,
comme on vient de la voir à propos de SIDA en Afrique; ainsi que
de l'obligation à satisfaire un besoin de santé publique
qui est en train de se mettre en place en terme de droit international.
Quant à dire qu'ils suscitent le désir d'être
soigné
contre je ne sais quelle morale soi-disant supérieure me
paraît
pous le moins exagéré: le désir de moins souffrir
précède la demande de soins; même si l'offre le
conditionne
en retour.
Le désir infini est une dimension essentielle de notre commune
humanité; nous le savons depuis les grecs; et en l'absence de
religion
suffisament crédible aujourd'hui nous promettant le salut infini
(éternel) post-mortem, cette dimension ne peut se satisfaire que
dans l'action et la consommation infinies; c'est à dire le jeu
infini
du désir de désirs.
En conclusion, concevoir une régulation sous la seule forme de l'interdit et, QUI PLUS EST, PAR LE RECOUR AU SACRE, c'est ne pas comprendre la dimension infinie du désir humain (y compris de transgression) et la nature libérale et pluraliste de nos sociétés ouvertes en voie de globalisation. La démocratie est fille du pluralisme éthique et toute régulation doit autoriser sous certaines conditions; lesquelles sont à redéfinir sans cesse dans le cadre d'un débat public sanctionné par la voie démocratique.