Recherches
génétiqueset
brevets
Introduction:
Le refus, au départ apparemment unanime, des manipulations du génome et du clonage humains est en train de se réduire comme une peau de chagrin sous la pression conjuguée de chercheurs en thérapie génique et de l’industrie. Les premiers voient dans les thérapies géniques et le clonage non-reproductif un procédé efficace pour traiter en amont les maladies génétiques les plus handicapantes et les greffes d’organes sans risque de rejet et les seconds une source potentiellement énorme de profit. Quant au clonage reproductif certains n’hésitent plus à le présenter comme un mode de reproduction médicalement assistée, au même titre que la fécondation « in vitro » ou l’implantation d’un embryon. Il convient devant cette évolution de nous interroger sur la rationalité des motifs éthiques et/ou moraux de la condamnation sans appel qui a suivi le clonage de la brebis Dolly, au motif que l’on ne doit pas traiter le génome humain comme le génome animal, face aux motifs présentés comme médicalement et économiquement rationnels de ses adversaires ; D’autant que le débat, comme pour l’avortement, met en jeu des conviction religieuses et des impératifs de moralité absolus dans leur application (d’où le sans appel) qui n’ont rien à faire avec des arguments recevables dans une démocratie laïque, c’est à dire pragmatique. Si nous avions affaire au débat entre une morale de conviction et une éthique de responsabilité pour reprendre la distinction chère à Max Weber ; il conviendrait alors de réévaluer cette interdiction à la lumière des possibles progrès de la médecine pour réduire les souffrances des hommes et accroître leur autonomie, c’est à dire leur joie de vivre. N’est-ce pas là, en effet, les seuls critères qui puissent valoir pour un débat rationnel ?
Les arguments des adversaires laïcs des manipulations génétiques de l'embryon humain.
Remarquons que les adversaires des manipulations et du clonage ne sont pas toujours d’accord entre eux et que leur opposition est pour les uns circonstancielle et provisoire: la maîtrise des techniques n’est pas suffisante et l’évolution des valeurs éthiques symboliques et sociales ne permet pas de les intégrer sans risque de mauvais usages ou de chaos (principe de précaution) et pour les autres absolue et définitive : cela met en danger la valeur sans prix de l’homme (Kant) et en cause radicalement les droits de l’homme: Aux premiers on peut toujours répondre que le progrès lui-même fera évoluer l'efficacité de ces techniques et que les sociétés, comme d'habitude, s'adaptent et adaptent leur éthique et leur symboles aux situations de pouvoir et de maîtrise nouvelles que produisent les sciences. Examinons plutôt les arguments des seconds:
En dehors de tout recours à la foi dans un absolu fondateur divin et ou transcendant, pour les adversaires laïcs des manipulations sur les embryons humains, les dangers d'atteinte au pratimoine génétique de l'espèce est tel qu'une seule décision s'impose: leur interdiction générales absolue. Selon eux elles mettraient nécessairement en cause la liberté des personnes à naître et leur dignité car elle met en jeu le fait qu’un embryon humain est une "personne potentielle" (selon l'expression du Comité national de bio-éthique) à qui ont doit reconnaître le droit de vivre sans violer son intégrité; or un tel droit serait bafoué si l’on prétendait manipuler l’embryon pour la science, manipulation qui serait nécessairement suivie de son élimination ou pour tout autre motif thérapeutique et ou correctif.
Mais ce respect absolu de la vie qu’impliquerait la notion de
«
personne potentielle » n’a guère de sens car cette notion
est elle même ambiguë ; elle peut aussi bien signifier
qu’elle
est une personne déjà vivante et donc respectable, soit
une
personne future dont la naissance à la vie implique d’autres
conditions
: désir des parents, environnement favorable etc. et que sans
elles,
elle n’est qu’un amas de cellules sans conscience, ni humanité ;
ce qui autoriserait qu’on la considère comme un objet
d’expérimentation
scientifique en vue d’améliorer la vie des plus ou moins bien
vivants.
Cette notion est donc un compromis boiteux et ambivalent entre ceux qui
admettent l’avortement et ceux, qui sont parfois les mêmes, qui
craignent
que les manipulations de l’embryon ne débouchent sur
l’eugénisme.
Elle tente de protéger l’embryon de toute manipulation
scientifique
tout en ne revenant pas sur la libéralisation de l’avortement ;
mais, ce faisant, loin d’éclairer le débat, elle le rend
plus confus encore, car, dans sa prétention à le faire
avancer,
elle l’escamote derrière une notion auberge espagnole sans effet
déterminant sur la définition des droits et des
interdits.
Là encore cette notion ne peut être claire que pour ceux
qui
sont déjà convaincus que la vie est sacrée
dès
la conception (et avant dans les modalités divines et/ou
naturelles
de celle-ci), ce qui rejoint notre critique précédente de
tout fondement religieux d’un droit laïc.
Plus rationnelle semble être la crainte que les manipulations
sur l’embryon ne conduisent au mépris des droits de l’homme et
à
l’eugénisme. Examinons l’argument en trois points:
1) Les manipulations viseraient à réduire les
aléas
au profit d’une détermination artificielle du programme
génétique
constitutif de l’identité de la personne, fondement de la
reconnaissance
de ses droits inaliénables Dès lors que cette
programmation
serait l’expression du désir des parents ou plus grave, de
l’état,
désir transcendant l’autonomie future de l’enfant, elle
impliquerait
obligatoirement l’appropriation et l’instrumentalisation de celui-ci en
vue de fins extérieures : l’enfant serait dès l’origine
prédéfini
comme moyen et non comme fin, voire comme esclave futur.
2) L’enfant lui-même conscient de cette manipulation ne pourrait
concevoir son identité que comme l’effet d’une fabrication et
non
comme celle d’une auto-création. Il pourrait croire qu’il n’est
que la réalisation incarnée d’un projet parental et/ou
étatique
auquel il « doit » s’identifier et auquel il « doit
»
se conformer pour avoir le droit d’exister et être positivement
reconnu.
3) Pour résumer, le hasard des combinaisons
génétiques
serait la condition rationnelle et transcendantale (fondatrice) de
possibilité
de l’identité personnelle et autonome des enfants, futurs
adultes-citoyens
et sujets de droits. Les manipulations génétiques de
l’espèce
humaine seraient dans leur principe contraires au libéralisme
individualiste
et donc contraire aux idéaux dont se réclame et par
lesquels
se justifie la société moderne ; en cela il serait
irrationnel
de les y autorisait pour quelque prétexte que ce soit ; la
justification
thérapeutique en effet - corriger des maladies
génétiques
caractérisées - est toujours frappée
d’imprécision
; car la décision entre le normal et le pathologique est floue
et
sujette à débat d’une part et d’autre part ne
relève
pas d’un choix de l’individu à naître (et pour cause) mais
de ceux qui prétendent programmer génétiquement
son
existence. Si décision thérapeutique il devait y avoir,
encore
conviendrait-il d’y associer l’enfant et futur adulte conscient
concerné,
ce qui est évidemment absurde.
Critiques des arguments favorables à l'interdiction totale
La faiblesse de cette argumentation tient à plusieurs
affirmations
contraires aux faits, voire à son aspect formellement
contradictoire.
L’identité d’un individu ne se réduit pas à son
programme
génétique ; au contraire tout biologiste sérieux
reconnaît
que ce programme produit des effets très
différenciés
en interaction avec l’environnement cellulaire, biologique, culturel,
symbolique
et social de l’individu vivant et humain. Ainsi l’identité d’un
individu se construit dans son histoire propre, ses aléas, les
influences
qu’il subit et les stratégies imprévisibles, sous
conditions
et contraintes sociales et symboliques, qu’il déploie. La
programmation
génétique de l’humain est un mythe illusoire ; et que
certains
scientifiques y succombent pour des motifs de confort de la
pensée
et de défense de leur territoire ne doit pas nous conduire
à
craindre qu’ils y parviennent comme ils le prétendent parfois
pour
obtenir des capitaux nécessaires à la poursuite de leurs
travaux : quelles que soient les appréhensions, tout expert a,
en
effet, intérêt de faire croire, et peut-être de
croire
lui-même, qu’il est au bord de découvertes qui
résoudraient
tous les problèmes et rendrait sa science toute puissante.
L’autonomie
potentielle des individus est beaucoup plus limitée ou
développé
par le conditionnement culturel et social que par le hasard
génétique.
C’est bien là le problème de fond : quelles sont
conditions
sociales et culturelles, libérales ou traditionnelles les plus
favorables
à l’autonomie et au développement régulé
des
droits de l’homme ? Une évolution libérale des relations
sociales et culturelles entre les hommes et les femmes et entre les
parents
et les enfants sous l’emprise d’obligation et d’interdits, de droits et
de devoirs, rationnellement justifiés et justifiables, mais
toujours
discutables, est plus bénéfique à l’autonomie des
individus et à la construction de leur identité que le
maintien
d’un ordre moral et symbolique traditionnel élevé
à
l’absolu sur fond de hasard, de non savoir et de non pouvoir
génétiques.
Il est , de ce point de vue, inconséquent pour les adversaires
du réductionnisme biologique de dénoncer la visée
instrumentale des parents ou des adultes qui prétendraient
intervenir
dans l’identité génétique de leurs enfants, alors
qu’elle devrait être justement sans effets réels pour eux,
et de ne pas dénoncer le conditionnement culturel et symbolique
transmis par l’éducation traditionnelle, surtout religieuse,
autrement
efficace, selon eux, pour marquer réellement l’identité
et
l’appartenance collective du futur adulte qu’est l’enfant.
Quant à le relation vécue de l’enfant avec cette
volonté
identificatrice et fabricatrice des parents et adultes, on ne voit pas
en quoi elle serait plus dommageable pour la construction autonome de
son
autonomie que celle qu’induit l’éducation traditionnelle
elle-même.
Il conviendrait, du point de vue même des
antiréductionnistes,
de préciser ce que doit être une éducation de
l’autonomie
ou libérale, plutôt que de se répandre en
lamentations
sur le prétendu caractère liberticide des manipulations
génétiques.
Gageons que les enfants conscients et victimes de ces manipulations
fabricatrices
sauront se dégager de cette intention possessive
supposée,
s’ils ont été éduqués à l’autonomie.
Il est, dans ces conditions, logiquement paradoxal de défendre
les droits de l’homme contre la croyance dans le déterminisme
biologique
génétique tout en accordant à celle-ci une
vérité
et un pouvoir que cette défense essentiellement politique
devrait
par principe exclure. Il est contradictoire de se réclamer
à
la fois de la liberté et du déterminisme
génétique
et que des philosophes ne s’aperçoivent pas du sophisme de
l’argument
en dit long sur les croyances et les motifs religieux, naturalistes,
traditionnels
et irrationnels profonds qui commandent leur refus de toute
manipulation
du génome humain.
Des conditions d'un bon usage des manipulations sur l'embryon humain
Est-ce à-dire que les manipulations du génome et de
l’embryon
humain ne présentent aucun danger ? Evidemment non et cela est
vrai
de toute artificialisation des rapports des hommes avec leur corps et
leur
environnement naturel et social. Mais le respect de la nature
naturée
(l’ensemble des phénomènes naturels) est contraire au
développement
de l’espèce humaine et de l’humanisation du monde ; il convient,
à ce sujet, avec Spinoza, de la distinguer de la nature
naturante
(les grands principes et lois productrices des phénomènes
naturels et des équilibres indispensables au
développement
de la vie humaine), dont la connaissance et l’obéissance
vis-à-vie
d'elle est indispensable si l’on veut réussir et être
efficace
dans ses actions. Le progrès des conditions de la vie humaine
présupposent
la transformation positive de son environnement , par le biais du
savoir
et des techniques plus rationnels et aussi et surtout, dans certains
cas,
la réduction des aléas génétiques et autres
dont souffrent les individus: N'oublions pas, qu’aujourd’hui,
plus
de 3000 maladies génétiques très handicapantes
dont
un seul défaut génétique est responsable, sont
reconnues.
Mais l’on ne peut écarter la mise en œuvre de pratiques qui
mettraient en cause le génome humain dans sa structure
universelle
et produiraient des mutations spécifiques qui feraient exploser
l’unité de l’espèce dans le but eugénique de
créer
le prétendu surhomme aux dépens des hommes «
ordinaires
» avec lesquels il ne pourrait plus se reproduire. Ces pratiques
risqueraient de remettre en cause, en effet, les droits de l’homme sur
un point central : non pas l’identité personnelle des individus,
mais l’égalité des droits, des devoirs et des chances,
fondements
de toute société libérale, ainsi que l’ouverture
de
chacun à toute relation contractuelle égalitaire possible
avec les autres. Ainsi toute manipulation divisant l’espèce
humaine
en races, voire en espèces distinctes est antilibérale
par
principe et doit, pour cette unique raison, être interdite. Mais
cette interdiction doit être traitée au cas par cas et non
pas par une mesure aveugle d’interdiction générale de
toute
manipulation génétique : ce serait réduire un
danger
potentiel en s’interdisant de lutter contre les maladies dont souffrent
ici et maintenant les individus. La réduction des souffrances,
le
recul de la mort et l’accroissement de l’autonomie universelle des
hommes
et des conditions de leur joie créatrice de vivre sont les seuls
critères rationnels qui doivent être invoqués pour
réguler les applications de la génétique à
l’homme.
La science biologique a indiscutablement besoin de pratiquer des expérimentations sur l’embryon humain pour faire progresser nos connaissances dans le but de lutter contre la souffrance, la dégradation déshumanisante de la qualité de la vie et des rapports humains qu’elle engendre, et la mort. Prétendre interdire cette pratique au nom d’une conviction religieuse et/ou naturaliste absolue n’aurait d’autre conséquence, dans nos sociétés libérales diversifiées et ouvertes que de provoquer une transgression généralisée et sauvage (et marchande en la rendant plus rentable encore) de cette interdiction. Seule la liberté, ses limites et ses règles démocratiquement élaborées à l’échelon mondial, peuvent nous permettre de combattre efficacement les dangers de la liberté sauvage. Tout interdit moral intégriste est irresponsable et donc irrationnel ; il favorise nécessairement le danger qu’il prétend écarter en le rendant plus désirable encore et cela au nom de la science et de la médecine devenus aveugles, par l’effet de cet inconditionnel moral même, à l’interrogation sur les conséquences réelles de leurs pratiques. Rappelons, pour ceux qui s'en réclament pour demander l'interdiction générale, que Kant n’a jamais fait de l’impératif moral catégorique du respect de l’homme une règle juridique de droit, ni confondu la morale et la politique, mais, bien que probablement irréalisable dans son absoluité même, lui a conféré le statut d’idéal régulateur nécessaire à l’orientation de nos choix. Contrairement à certains petits maîtres qui se réclament de lui pour justifier un arrêt définitif des expérimentations et des manipulations génétiques sur l’embryon humain et tentent de faire un usage anti-libéral de la position kantienne, il convient d'exiger, au nom de la dignité humaine, de demander un développement raisonnable de ces pratiques en vue du mieux vivre universel.
Conclusion
Ces manipulations se font et se feront et très probablement aussi le clonage thérapeutique et reproductif humain, comme formes thérapeutiques de culture de tissus et d’organes et de reproduction médicalement assistée parmi d’autres; il appartiendra au débat et à la décision démocratiques de définir rigoureusement les conditions de prescription de ces pratiques; il convient alors de savoir dans quelles conditions de droit international, lesquelles ne peuvent jamais être l’expression de convictions absolues catastrophistes mais de bon sens rationnel et responsable pour définir le convenable, elles doivent être, au cas par cas, en conformité avec les présupposés du libéralisme politique, pratiquées et contrôlées. Transformer la raison critique, nécessairement ouverte à l’étude des effets biologiques et sociaux concrets des positions et des pratiques, des droits et des interdits, sur la souffrance des hommes, en son contraire, une puissance dogmatique, c’est faire de la philosophie un ersatz de la religion en un monde pluraliste et ouvert où le mode de penser religieux divise nécessairement plus les hommes qu’elle ne peut les réunir.
Sylvain Reboul, le 13/12/99
Manipulations
génétiques
sur l'embryon humain et droits de l'homme
Le refus, au départ apparemment
unanime,
des manipulations du génome et du clonage humains est en train
de
se réduire comme une peau de chagrin sous la pression
conjuguée
de chercheurs en thérapie génétique et de
l’industrie
bio-technologique. Or les adversaires de toute intervention sur le
génome
humain maintiennent que, pour éviter le danger
d’eugénisme
généralisé, il convient d’interdire par la loi
toute
expérimentation et toute production d’embryon en vue de faire
progresser
les connaissances au profit de l’éradication de certaines
maladies
génétiques
Mais remarquons qu’ils ne sont pas toujours
d’accord entre eux et que leur opposition est pour les uns
circonstancielle
et provisoire: la maîtrise des techniques n’est pas suffisante et
l’évolution des valeurs éthiques symboliques et sociales
ne permet pas de les intégrer sans risque de mauvais usages ou
de
chaos (principe de précaution) et pour les autres absolue et
définitive
: cela mettrait en danger la valeur sans prix de l’homme (Kant) et en
cause
radicalement les droits de l’homme: Aux premiers on peut toujours
répondre
que le progrès lui-même fera évoluer
l’efficacité
de ces techniques et que les sociétés, comme d'habitude,
s'adaptent et adaptent leur éthique et leur symboles aux
situations
de pouvoir et de maîtrise nouvelles que produisent les sciences.
Donc il est absurde d’attendre une évolution symbolique qui ne
viendra
que lorsque la technique aura fait la preuve de son efficacité.
Examinons plutôt les arguments des
seconds:
Pour les adversaires inconditionnels des manipulations sur les embryons
humains, les dangers d'atteinte au pratimoine génétique
de
l'espèce sont tels qu'une seule décision s'impose: leur
interdiction
légale totale. Selon eux elles mettraient nécessairement
en cause la liberté; des personnes et leur dignité, car
elle
violerait l’idée qu’un embryon humain est une "personne
potentielle"
(selon l'expression du Comité national de Bioéthique)
Mais ce respect absolu de la vie qu’implique la notion de « personne potentielle » peut aussi bien signifier, soit qu’elle est une personne vivante et donc respectable, soit une personne future dont la naissance et la vie digne et humaine impliquent d’autres conditions (désir des parents, environnement favorable etc) et que sans elles, l’embryon n’est qu’un amas de cellules sans conscience, ni humanité . Cette notion est donc un compromis boiteux et ambivalent entre ceux qui admettent l’avortement et ceux, qui sont parfois les mêmes, qui craignent que les manipulations de l’embryon ne débouchent sur l’eugénisme généralisé.
La faiblesse de cette argumentation tient
à
plusieurs affirmations contraires aux faits, voire à son aspect
formellement contradictoire. L’identité d’un individu ne se
réduit
pas à son prétendu programme génétique ; au
contraire tout biologiste sérieux reconnaît que ce
prétendu
programme produit des effets très différents selon ses
interactions
avec l’environnement cellulaire, biologique, culturel, symbolique et
social
de l’individu vivant et humain. Ainsi l’identité d’un individu
se
construit dans son histoire propre, ses aléas, les influences
qu’il
subit et les stratégies imprévisibles qu’ils
déploie
dans des conditions biologiques et culturelles données La
programmation
génétique de l’humain est un mythe illusoire ; et que
certains
scientifiques y succombent ne doit pas nous conduire à craindre
qu’ils y parviennent: L’autonomie potentielle des individus est
beaucoup
plus limitée ou développée ;par le conditionnement
culturel et social que par une prétendue programmation
génétique.
Le conditionnement culturel et symbolique transmis par
l’éducation
traditionnelle, surtout religieuse est autrement efficace. Gageons que
les enfants conscients et victimes de ces manipulations fabricatrices
éventuelles
sauront se dégager de cette intention possessive supposée
s’ils ont éduqués à l’autonomie dans une
société
pluraliste libérale.
Il est, dans ces conditions, logiquement
paradoxal
de défendre les droits de l’homme contre la croyance dans le
déterminisme
biologique tout en accordant à celle-ci une efficacité et
un pouvoir que cette défense devrait par principe exclure. Il
est
contradictoire de se réclamer à la fois de la
liberté
et du déterminisme génétique et que l’on ne
s’aperçoive
pas du sophisme de l’argument en dit long sur les croyances et les
motifs
religieux, naturalistes, traditionnels et irrationnels profonds qui
commandent
leur refus de toute manipulation du génome humain.
Est-ce à dire que les manipulations du génome et de l’embryon humain ne présentent aucun danger ? Évidemment non et cela est vrai de toute artificialisation des rapports des hommes avec leur corps et leur environnement naturel et social. Mais le respect de la nature; (l’ensemble des phénomènes naturels) est contraire au développement de l’espèce humaine et de l’humanisation du monde ; ce qu’il y a lieu de respecter ce sont les grandes lois et équilibres de la vie, en vue de leur utilisation à notre avantage spécifique.
N'oublions pas qu’aujourd’hui plus de 3000
maladies génétiques handicapantes sont reconnues et que
les
expérimentions sur le génome humain peuvent être
les
moyens efficaces pour les connaître et les éradiquer. Un
handicap
grave et une non intervention, pour le corriger ou l’éliminer
lorsque
l’individu humain n’existe pas encore en acte, est plus attentatoire
à
la dignité de l’homme que le respect aveugle et irresponsable de
son génome déficient. Du point de vue des droits de
l’homme,
on ne doit écarter que la mise en œuvre de pratiques qui
mettraient
en cause le génome humain dans sa structure universelle et
produiraient
des mutations spécifiques qui feraient exploser l’unité
de
l’espèce dans un but eugénique
généralisé
et collectif. Ces pratiques risqueraient de remettre en cause, en
effet,
les droits de l’homme sur un point central : non pas l’identité;
personnelle des individus, mais l’égalité des droits, des
devoirs et des chances, fondements de toute société
libérale,
ainsi que l’ouverture de chacun à toute relation contractuelle
égalitaire
possible avec les autres. Mais cette interdiction doit être
traitée
au cas par cas et non pas par une mesure aveugle d’interdiction
générale
de toute manipulation génétique : ce serait
réduire
un danger potentiel imaginaire tout en s’interdisant de lutter contre
les
maladies dont souffrent ici et maintenant les individus. La
réduction
des souffrances, le recul de la mort et l’accroissement de l’autonomie
universelle des hommes et des conditions de leur joie de vivre sont les
seuls critères rationnels qui doivent être invoqués
pour réguler les applications de la génétique
à
l’homme.
Sylvain Reboul, le 20/01/2000
Il y a une certaine hypocrisie morale et de la ruse politique de la part des gouvernements à refuser tous brevet concernant la connaissance du génome humain à des entreprises privées qui ont contribué à son développement.
De deux choses l’une en effet : ou bien
cette
connaissance relève exclusivement du domaine public et il
fallait
alors se donner les moyens publics de se passer des fonds privés
et interdire toute recherche privée sur ce thème(!). Mais
si on reconnaît qu’on a besoin de fonds privés pour la
produire
et si l’on estime qu’elle relève du domaine public, il convient
alors de nationaliser cette connaissance, c’est à dire
d’exproprier
avec une juste compensation la propriété que ces
entreprises
privées ont sur elle par le seul fait qu’elles ont inverti dans
les recherches qui l’ont produite. Voudrait-on opérer cette
«
expropriation » gratuitement ?
Si oui, il faut le dire, mais le risque est
grand que cette expropriation soit annulée en justice
(à
juste titre); sinon, deux manières de financer cette «
expropriation
» sont possibles :
1) Que les états eux-mêmes
payent ces brevets au nom de la santé publique.
2) Que les caisses d’assurances maladie
remboursent le prix de ces brevets aux malades.
Le débat politique doit porter sur
le
choix entre les deux membres de cette alternative et non sur un choix
absurde
entre
recherche publique et recherche privée, deux sources du
financement
de la recherche dont la concurrence est susceptible de créer une
dynamique dont tous pourront bénéficier. Là comme
souvent on masque les vrais problèmes en exploitant un souci
éthique
légitime pour refuser de financer suffisamment la recherche
publique
et pour convaincre, voire contraindre, la recherche privée de
travailler
pour la gloire. Là, comme souvent, il s’agit d’un
problème
non de production mais de distribution : tous, quelques soient leurs
ressources,
ont-ils droit à bénéficier des résultats de
ces recherches, quelques soient leurs sources privées et/ou
publiques?
S.Reboul, le 26/08/00
Réponses
à des questions posées par des lecteurs:
Que la question de la
sélection
génétique artificielle pose des problèmes
éthiques
et politiques découle justement
du fait que nous sommes en
train d'acquérir un pouvoir et une liberté, donc une
responsabilité
nouvelle vis-vis de
nos semblables (99,99% des
gènes nous sont communs). Mais ces problèmes ne peuvent
surement
pas être traités
en refusant un tel pouvoir,
c'est à dire en renonçant universellement à en
faire
usage. La question est d'en faire un
usage positif pour l'universel
humain; or cet universel concerne l'autonomie des individus en tant
qu'ils
ont
conscience d'eux-mêmes
et l'égalité dans la revendication du droit au bonheur et
à la dignité pour tous. Toutes
autres
références
morales (ou religieuses) ne peuvent prétendre valoir comme droit
universalisable dans le monde
pluraliste et ouvert qui est
le nôtre.
Ce minimum requis est
entièrement
suffisant pour négocier les bases d'un accord régulateur
international
raisonnable; libre à
ceux qui, pour des motifs idéologico-politiques particuliers, ne
peuvent admettre ces
fondements
démocratiques
du droit libéral de les rejeter; mais libres aux individus de
désobéir
à un tel refus et de
le remettre en cause; libre
à nous de les soutenir dans cette lutte pour leur autonomie et
la
démocratie!
Quelles propositions?
Thérapies
géniques: Pas de
problème
éthique si elle vise à réduire la souffrance des
individus
tout en accroissant
leur autonomie; mais refus
si elle relève d'une décision institutionnelle
impérative.
Clonages
thérapeutiques: Oui et pour les
mêmes raisons et dans les mêmes limites; l'embryon non
différencié
(
cellules totipotentes) n'est
pas une personne et d'autre part, dès lors que le droit
libéral
admet l'avortement pour
convenance personnelle, ce
qui est le cas en fait, il ne deviendra une personne (consciente
d'elle-même)
que par
l'effet d'un "projet
parental",
. L'embryon humain n'est, alors, logiquement une "personne potentielle"
qu'à cette
condition. Ainsi Les embryons
"surnuméraires" peuvent être utlisés, voire
créés,
dans le but de produire des tissus
compatibles greffables en
réduisant le risque de rejet.
Diagnostique préimplantatoire ou prénatal:
Aucun problème, à moins de revenir sur le droit à
l'avortement
thérapeutique; à
condition que cette sélection soit thérapeutique et vise
à éradiquer des maladies génétiques
gravement handicapantes
à
définir démocratiquement par la loi; et qu'il ne soit pas
rendu obligatoire!
Modification
du génome: oui dans un but
thérapeutique
aux conditions ci-dessus auquelles j'ajouterais la
préservation du
patrimoine
génétique universel et diversifié de
l'humanité
dont j'exclus les défauts et maladies
génétiques.
Clonage
reproductif: d'un point de vue
rationnel,
je ne pense pas que l'identité génétique d'un
individu
constitue
son identité
personnelle
(exemple des "vrais" jumaux). Mais je pense qu'aujourd'hui,
symboliquement,
cette
confusion règne dans
les esprit, y compris, paradoxalement, chez ceux qui croient à
le
transcendance spirituelle de
l'homme. D'où le danger
de prédéfinir symboliquement l'individu à naitre
en
vue de finalités qui lui seraient
étrangères.
Donc non, dans les conditions actuelles de confusion symbolique ; plus
tard, on verra.
Condition
des conditions: rendre les
informations
génétiques personnelles secrètes et interdire leur
usage
institutionnel (politique,
professionnel ou commercial).
______________________________________
Je parle de maladies
génétiques
gravement handicapantes, et je dis qu'elles doivent être
définies
par la loi, comme
c'est déjà le
cas pour l'avortement thérapeutique; je ne vois aucun avantage
à
certaines maladie qui condamne à
l'extrème
dépendance
et à une vie humainement indigne d'être vécue. Leur
éradication me semble bénéfique pour
les enfants et leurs parents
(voir arrêt récent de la cour de cassation en
réunion
plénière).
Ainsi, pour moi toute vie
humaine
au sens biologique n'est pas humaine au sens éthique (c'est
pourquoi,
je ne suis
pas réductioniste),
et d'autre part je laisse la décision aux parents qui auront
à
s'occuper de l'enfant handicapé: je
m'interdis le droit de les
obliger à le faire ou de l'abandonner à des institutions
quelconques. Je ne voudrais pas
pour ma part vivre avec un
handicap qui m'interdirait toute autonomie mentale (conscience
réfléchie
de soi et
pouvoir de réguler
son désir).. Pour moi et pour mon entourage. Et je ne le
souhaite
à personne
Si la nature était
bonne,
l'espèce humaine n'aurait pas eu besoin de la culture, des
sciences,
des techniques, des
prêtres et de la
médecine
pour survivre.
La sélection
artificielle
ne ferait, d'ailleurs, dans les cas les plus flagrants, que se
substituer
à une sélection
naturelle défaillante
du fait des progrès de la médecine elle-même! Nos
atouts
naturels n'étaient pas tels qu'ils
pouvaient nous suffire! Nous
sommes, dès l'origine de notre espèce, condamnés
à
l'artifice et la nature "semble"
nous avoir
sélectionnés
pour pouvoir nous produire et nous reproduire, grace à la
culture
et à la société,
artificiellement. En cela
on peut dire, de notre seul point de vue très subjectif, qu'elle
est bonne pour nous!
__________________________________
Il me semble, qu'en ce qui
concerne l'embryon, la question du choix des parents se pose et doit
être
tranchée: peuvent-ils
décider de garder ou
d'éliminer un embryon, voire un foetus, gravement
handicapé?
L'embryon est-il une personne
humaine potentielle (loi de
94) du fait du désir des parents (projet parental), ou l'est-il
en tant qu'embryon humain?
1) Si l'on opte pour la
première
réponse, cela signifie, en effet, un droit des parents de
sélectionner
leur enfants
futurs sur des
critères,
non seulement médicalement clairement établis, mais aussi
politiquement déterminés par une
loi qui devrait être
l'objet d'un débat démocratique au cas par cas. La
liberté
des parents serait juridiquement
encadrée, mais la
décision
finale leur appartiendrait; les références à
Hitler
me semble alors non-pertinentes.
2) Si l'on opte pour la
seconde
réponse; cela ne peut être que dans le cadre d'une vision
absolutiste du respect de la
vie et partant irrationnelle:
la raison est mesure, distinction, mise en relation et
évaluation
des avantages et des
inconvénients; elle
ne peut saisir l'absolu. Quant à soutenir que l'embryon est une
personne humaine, en particulier
dans les deux premières
semaines où les cellules ne sont pas
différenciées,
c'est oublier ce qui fait la personne: sa
capacité de
répondre
d'elle même, la conscience de soi. L'individu "acéphale"
est-il
une personne humaine? Les
maladies gravement
handicapantes
font-elles partie du patrimaine sacré de l'humanité?
À mon sens, refuser
la première attitude au profit de la seconde c'est refuser le
droit
aux parents de choisir
l'avortement
thérapeutique,
droit qui leur a été déjà
démocratiquement
accordé. Comment les adversaires de ce
droit vont-ils faire pour
convaincre du caractère sacré de l'embryon (personne
potentielle)
par rapport à le liberté
des personnes en actes que
sont les parents, alors qu'une majorité de la population ne
partage
pas leur croyance
dans le sacré et que
nous vivons dans une société laïque? En l'absence
d'arguments
rationnels suffisants, leur
tentative me parait bien de
nature à les conduire à se battre contre des moulins
à
vents et à ne pas participer au seul
débat qui vaille:
quelles
sont les maladies génétiques qui devraient entrer dans le
cadre de la loi autorisant
élimination et/ou
manipulations?
Article du
02/07/04 paru dans "Libération"
dans la rubrique "Rebonds"
La nouvelle loi de bioéthique
peut susciter l'hilarité par
son coté absurde ou la colère devant l'hypocrisie qu'elle
manifeste; Mais il faut
aller plus loin pour tenter de comprendre comment on a pu en en arriver
là.
Si nous en comprenons la teneur, elle
interdit les recherches fondamentales ou appliquées sur
l'embryon humain et le clonage
thérapeutique tout en suspendant cette interdiction pendant 5
ans dans des cas à finalité thérapeutique
avérés, quitte à revoir dans 5 ans
cette interdiction de principe, si ces finalités
thérapeutiques (dont la possibilité du clonage
thérapeutique officiellement interdit) s'avérait
un succès. Ce texte, qu’on n’ose appeler une loi, tant celle-ci
semble se suspendre elle-même, peut satisfaire
momentanément les chercheurs ; bien qu’il sépare
arbitrairement recherches fondamentales et recherches
thérapeutiques, il lève, en effet, l’interdiction totale
de la loi de 94. Mais il reste d’une indiscutable absurdité
logique, ce qui rendra certainement problématique, sinon
impossible, son application, sinon en autorisant au coup par coup ces
recherches tout en faisant croire hypocritement qu’elles restent
globalement interdites et/ou qu’elles peuvent l’être à
tout moment, afin de soumettre les chercheurs à la menace, en
forme d’épée de Damoclès, d’une sanction toujours
possible. Comment expliquer cette décision législative
pour le moins paradoxale ?
Il semble que la position d'interdiction totale des églises
quant aux recherches sur l'embryon humain dans un but indissociablement
de
connaissance et de thérapie (y compris le clonage dit
thérapeutique) se soit imposée comme ayant une valeur
supérieure à l’avis des citoyens aux yeux des
parlementaires qui l'ont votée, alors que nous sommes dans une
démocratie qui se veut laïque.
La position militante (lobbying) et l'attitude de refus
métaphysique et absolu -donc systématique- des
églises, au nom de valeurs métaphysiques
chrétiennes, de toute recherche sur l'embryon humain et du
clonage thérapeutique ont joué en cette affaire un
rôle décisif ; or cela paraît contraire au
développement des connaissances scientifiques et du
progrès médical dont tous les hommes pourraient, à
terme, bénéficier; de même, le refus de
l'avortement et de la contraception chimique ou physique par
l'église catholique est contraire à l'autonomie des
femmes, quant au refus du préservatif, il est, dans le contexte
du sida, objectivement criminel. Mais, en ces cas, nos
représentants ont eu raison de ne pas suivre ces interdits
religieux.