Manipulations génétiques sur l’homme et éthique.

Version réduite:"Manipulations génétiques de l'embryon humain et droits de l'homme" parue dans le Journal  Libération  du 26/02/2000 en page "Rebonds"

Recherches génétiqueset brevets



Réponses à des questions posées par des lecteurs

Article publié dans "Libération" du 02/07/04 dans la rubrique "Rebonds": "Bioéthique et laïcité" à propos de la loi de 2004. Avec mes remerciements.


 

Introduction:

Le refus, au départ apparemment unanime, des manipulations du génome et du clonage humains est en train de se réduire comme une peau de chagrin sous la pression conjuguée de chercheurs en thérapie génique et de l’industrie. Les premiers voient dans les thérapies géniques et le clonage non-reproductif un procédé efficace pour traiter en amont les maladies génétiques les plus handicapantes et les greffes d’organes sans risque de rejet et les seconds une source potentiellement énorme de profit. Quant au clonage reproductif certains n’hésitent plus à le présenter comme un mode de reproduction médicalement assistée, au même titre que la fécondation « in vitro » ou l’implantation d’un embryon. Il convient devant cette évolution de nous interroger sur la rationalité des motifs éthiques et/ou moraux de la condamnation sans appel qui a suivi le clonage de la brebis Dolly, au motif que l’on ne doit pas traiter le génome humain comme le génome animal, face aux motifs présentés comme médicalement et économiquement rationnels de ses adversaires ; D’autant que le débat, comme pour l’avortement, met en jeu des conviction religieuses et des impératifs de moralité absolus dans leur application (d’où le sans appel) qui n’ont rien à faire avec des arguments recevables dans une démocratie laïque, c’est à dire pragmatique. Si nous avions affaire au débat entre une morale de conviction et une éthique de responsabilité pour reprendre la distinction chère à Max Weber ; il conviendrait alors de réévaluer cette interdiction à la lumière des possibles progrès de la médecine pour réduire les souffrances des hommes et accroître leur autonomie, c’est à dire leur joie de vivre. N’est-ce pas là, en effet, les seuls critères qui puissent valoir pour un débat rationnel ?

Les arguments des adversaires laïcs des manipulations génétiques de l'embryon humain.

Remarquons que les adversaires des manipulations et du clonage ne sont pas toujours d’accord entre eux et que leur opposition est pour les uns circonstancielle et provisoire: la maîtrise des techniques n’est pas suffisante et l’évolution des valeurs éthiques symboliques et sociales ne permet pas de les intégrer sans risque de mauvais usages ou de chaos (principe de précaution) et pour les autres absolue et définitive : cela met en danger la valeur sans prix de l’homme (Kant) et en cause radicalement les droits de l’homme: Aux premiers on peut toujours répondre que le progrès lui-même fera évoluer l'efficacité de ces techniques et que les sociétés, comme d'habitude, s'adaptent et adaptent leur éthique et leur symboles aux situations de pouvoir et de maîtrise nouvelles que produisent les sciences. Examinons plutôt les arguments des seconds:

En dehors de tout  recours à la foi dans un absolu fondateur divin et ou transcendant, pour les adversaires laïcs des manipulations sur les embryons humains, les dangers d'atteinte au pratimoine génétique de l'espèce est tel qu'une seule décision s'impose: leur interdiction générales absolue. Selon eux elles mettraient  nécessairement en cause la liberté des personnes à naître et leur dignité  car elle met en jeu le fait qu’un embryon humain est une "personne potentielle" (selon l'expression du Comité national de bio-éthique) à qui ont doit reconnaître le droit de vivre sans violer son intégrité; or un tel droit serait bafoué si l’on prétendait manipuler l’embryon pour la science, manipulation qui serait nécessairement suivie de son élimination ou pour tout autre motif thérapeutique et ou correctif.

Mais ce respect absolu de la vie qu’impliquerait la notion de « personne potentielle » n’a guère de sens car cette notion est elle même ambiguë ; elle peut aussi bien signifier qu’elle est une personne déjà vivante et donc respectable, soit une personne future dont la naissance à la vie implique d’autres conditions : désir des parents, environnement favorable etc. et que sans elles, elle n’est qu’un amas de cellules sans conscience, ni humanité ; ce qui autoriserait qu’on la considère comme un objet d’expérimentation scientifique en vue d’améliorer la vie des plus ou moins bien vivants. Cette notion est donc un compromis boiteux et ambivalent entre ceux qui admettent l’avortement et ceux, qui sont parfois les mêmes, qui craignent que les manipulations de l’embryon ne débouchent sur l’eugénisme. Elle tente de protéger l’embryon de toute manipulation scientifique tout en ne revenant pas sur la libéralisation de l’avortement ; mais, ce faisant, loin d’éclairer le débat, elle le rend plus confus encore, car, dans sa prétention à le faire avancer, elle l’escamote derrière une notion auberge espagnole sans effet déterminant sur la définition des droits et des interdits. Là encore cette notion ne peut être claire que pour ceux qui sont déjà convaincus que la vie est sacrée dès la conception (et avant dans les modalités divines et/ou naturelles de celle-ci), ce qui rejoint notre critique précédente de tout fondement religieux d’un droit laïc.
Plus rationnelle semble être la crainte que les manipulations sur l’embryon ne conduisent au mépris des droits de l’homme et à l’eugénisme. Examinons l’argument en trois points:
1) Les manipulations viseraient à réduire les aléas au profit d’une détermination artificielle du programme génétique constitutif de l’identité de la personne, fondement de la reconnaissance de ses droits inaliénables Dès lors que cette programmation serait l’expression du désir des parents ou plus grave, de l’état, désir transcendant l’autonomie future de l’enfant, elle impliquerait obligatoirement l’appropriation et l’instrumentalisation de celui-ci en vue de fins extérieures : l’enfant serait dès l’origine prédéfini comme moyen et non comme fin, voire comme esclave futur.
2) L’enfant lui-même conscient de cette manipulation ne pourrait concevoir son identité que comme l’effet d’une fabrication et non comme celle d’une auto-création. Il pourrait croire qu’il n’est que la réalisation incarnée d’un projet parental et/ou étatique auquel il « doit » s’identifier et auquel il « doit » se conformer pour avoir le droit d’exister et être positivement reconnu.
3) Pour résumer, le hasard des combinaisons génétiques serait la condition rationnelle et transcendantale (fondatrice) de possibilité de l’identité personnelle et autonome des enfants, futurs adultes-citoyens et sujets de droits. Les manipulations génétiques de l’espèce humaine seraient dans leur principe contraires au libéralisme individualiste et donc contraire aux idéaux dont se réclame et par lesquels se justifie la société moderne ; en cela il serait irrationnel de les y autorisait pour quelque prétexte que ce soit ; la justification thérapeutique en effet - corriger des maladies génétiques caractérisées - est toujours frappée d’imprécision ; car la décision entre le normal et le pathologique est floue et sujette à débat d’une part et d’autre part ne relève pas d’un choix de l’individu à naître (et pour cause) mais de ceux qui prétendent programmer génétiquement son existence. Si décision thérapeutique il devait y avoir, encore conviendrait-il d’y associer l’enfant et futur adulte conscient concerné, ce qui est évidemment absurde.

Critiques des arguments favorables à l'interdiction totale

La faiblesse de cette argumentation tient à plusieurs affirmations contraires aux faits, voire à son aspect formellement contradictoire. L’identité d’un individu ne se réduit pas à son programme génétique ; au contraire tout biologiste sérieux reconnaît que ce programme produit des effets très différenciés en interaction avec l’environnement cellulaire, biologique, culturel, symbolique et social de l’individu vivant et humain. Ainsi l’identité d’un individu se construit dans son histoire propre, ses aléas, les influences qu’il subit et les stratégies imprévisibles, sous conditions et contraintes sociales et symboliques, qu’il déploie. La programmation génétique de l’humain est un mythe illusoire ; et que certains scientifiques y succombent pour des motifs de confort de la pensée et de défense de leur territoire ne doit pas nous conduire à craindre qu’ils y parviennent comme ils le prétendent parfois pour obtenir des capitaux nécessaires à la poursuite de leurs travaux : quelles que soient les appréhensions, tout expert a, en effet, intérêt de faire croire, et peut-être de croire lui-même, qu’il est au bord de découvertes qui résoudraient tous les problèmes et rendrait sa science toute puissante. L’autonomie potentielle des individus est beaucoup plus limitée ou développé par le conditionnement culturel et social que par le hasard génétique. C’est bien là le problème de fond : quelles sont conditions sociales et culturelles, libérales ou traditionnelles les plus favorables à l’autonomie et au développement régulé des droits de l’homme ? Une évolution libérale des relations sociales et culturelles entre les hommes et les femmes et entre les parents et les enfants sous l’emprise d’obligation et d’interdits, de droits et de devoirs, rationnellement justifiés et justifiables, mais toujours discutables, est plus bénéfique à l’autonomie des individus et à la construction de leur identité que le maintien d’un ordre moral et symbolique traditionnel élevé à l’absolu sur fond de hasard, de non savoir et de non pouvoir génétiques.
Il est , de ce point de vue, inconséquent pour les adversaires du réductionnisme biologique de dénoncer la visée instrumentale des parents ou des adultes qui prétendraient intervenir dans l’identité génétique de leurs enfants, alors qu’elle devrait être justement sans effets réels pour eux, et de ne pas dénoncer le conditionnement culturel et symbolique transmis par l’éducation traditionnelle, surtout religieuse, autrement efficace, selon eux, pour marquer réellement l’identité et l’appartenance collective du futur adulte qu’est l’enfant.
Quant à le relation vécue de l’enfant avec cette volonté identificatrice et fabricatrice des parents et adultes, on ne voit pas en quoi elle serait plus dommageable pour la construction autonome de son autonomie que celle qu’induit l’éducation traditionnelle elle-même. Il conviendrait, du point de vue même des antiréductionnistes, de préciser ce que doit être une éducation de l’autonomie ou libérale, plutôt que de se répandre en lamentations sur le prétendu caractère liberticide des manipulations génétiques. Gageons que les enfants conscients et victimes de ces manipulations fabricatrices sauront se dégager de cette intention possessive supposée, s’ils ont été éduqués à l’autonomie.
Il est, dans ces conditions, logiquement paradoxal de défendre les droits de l’homme contre la croyance dans le déterminisme biologique génétique tout en accordant à celle-ci une vérité et un pouvoir que cette défense essentiellement politique devrait par principe exclure. Il est contradictoire de se réclamer à la fois de la liberté et du déterminisme génétique et que des philosophes ne s’aperçoivent pas du sophisme de l’argument en dit long sur les croyances et les motifs religieux, naturalistes, traditionnels et irrationnels profonds qui commandent leur refus de toute manipulation du génome humain.

Des conditions d'un bon usage des manipulations sur l'embryon humain

Est-ce à-dire que les manipulations du génome et de l’embryon humain ne présentent aucun danger ? Evidemment non et cela est vrai de toute artificialisation des rapports des hommes avec leur corps et leur environnement naturel et social. Mais le respect de la nature naturée (l’ensemble des phénomènes naturels) est contraire au développement de l’espèce humaine et de l’humanisation du monde ; il convient, à ce sujet, avec Spinoza, de la distinguer de la nature naturante (les grands principes et lois productrices des phénomènes naturels et des équilibres indispensables au développement de la vie humaine), dont la connaissance et l’obéissance vis-à-vie d'elle est indispensable si l’on veut réussir et être efficace dans ses actions. Le progrès des conditions de la vie humaine présupposent la transformation positive de son environnement , par le biais du savoir et des techniques plus rationnels et aussi et surtout, dans certains cas, la réduction des aléas génétiques et autres dont souffrent  les individus: N'oublions pas, qu’aujourd’hui, plus de 3000 maladies génétiques très handicapantes dont un seul défaut génétique est responsable, sont reconnues.
Mais l’on ne peut écarter la mise en œuvre de pratiques qui mettraient en cause le génome humain dans sa structure universelle et produiraient des mutations spécifiques qui feraient exploser l’unité de l’espèce dans le but eugénique de créer le prétendu surhomme aux dépens des hommes « ordinaires » avec lesquels il ne pourrait plus se reproduire. Ces pratiques risqueraient de remettre en cause, en effet, les droits de l’homme sur un point central : non pas l’identité personnelle des individus, mais l’égalité des droits, des devoirs et des chances, fondements de toute société libérale, ainsi que l’ouverture de chacun à toute relation contractuelle égalitaire possible avec les autres. Ainsi toute manipulation divisant l’espèce humaine en races, voire en espèces distinctes est antilibérale par principe et doit, pour cette unique raison, être interdite. Mais cette interdiction doit être traitée au cas par cas et non pas par une mesure aveugle d’interdiction générale de toute manipulation génétique : ce serait réduire un danger potentiel en s’interdisant de lutter contre les maladies dont souffrent ici et maintenant les individus. La réduction des souffrances, le recul de la mort et l’accroissement de l’autonomie universelle des hommes et des conditions de leur joie créatrice de vivre sont les seuls critères rationnels qui doivent être invoqués pour réguler les applications de la génétique à l’homme.

La science biologique a indiscutablement besoin de pratiquer des expérimentations sur l’embryon humain pour faire progresser nos connaissances dans le but de lutter contre la souffrance, la dégradation déshumanisante de la qualité de la vie et des rapports humains qu’elle engendre, et la mort. Prétendre interdire cette pratique au nom d’une conviction religieuse et/ou naturaliste absolue n’aurait d’autre conséquence, dans nos sociétés libérales diversifiées et ouvertes que de provoquer une transgression généralisée et sauvage (et marchande en la rendant plus rentable encore) de cette interdiction. Seule la liberté, ses limites et ses règles démocratiquement élaborées à l’échelon mondial, peuvent nous permettre de combattre efficacement les dangers de la liberté sauvage. Tout interdit moral intégriste est irresponsable et donc irrationnel ; il favorise nécessairement le danger qu’il prétend écarter en le rendant plus désirable encore et cela au nom de la science et de la médecine devenus aveugles, par l’effet de cet inconditionnel moral même, à l’interrogation sur les conséquences réelles de leurs pratiques. Rappelons,  pour ceux qui s'en réclament pour demander l'interdiction générale, que Kant n’a jamais fait de l’impératif moral catégorique du respect de l’homme une règle juridique de droit, ni confondu la morale et la politique, mais, bien que probablement irréalisable dans son absoluité même, lui a conféré le statut d’idéal régulateur nécessaire à l’orientation de nos choix. Contrairement à certains petits maîtres qui se réclament de lui pour justifier un arrêt définitif des expérimentations et des manipulations génétiques sur l’embryon humain et tentent de faire un usage anti-libéral de la position kantienne, il convient d'exiger, au nom de la dignité humaine, de demander un développement raisonnable de ces pratiques en vue du mieux vivre universel.

Conclusion

Ces manipulations se font et se feront et très probablement aussi le clonage thérapeutique et reproductif humain, comme formes thérapeutiques de culture de tissus et d’organes et de reproduction médicalement assistée parmi d’autres; il appartiendra au débat et à la décision démocratiques de définir rigoureusement les conditions de prescription de ces pratiques; il convient alors de savoir dans quelles conditions de droit international, lesquelles ne peuvent jamais être l’expression de convictions absolues catastrophistes mais de bon sens rationnel et responsable pour définir le convenable, elles doivent être, au cas par cas, en conformité avec les présupposés du libéralisme politique, pratiquées et contrôlées. Transformer la raison critique, nécessairement ouverte à l’étude des effets biologiques et sociaux concrets des positions et des pratiques, des droits et des interdits, sur la souffrance des hommes, en son contraire, une puissance dogmatique, c’est faire de la philosophie un ersatz de la religion en un monde pluraliste et ouvert où le mode de penser religieux divise nécessairement plus les hommes qu’elle ne peut les réunir.

Sylvain Reboul, le 13/12/99 



Version réduite

Manipulations génétiques sur l'embryon humain et droits de l'homme
 

Le refus, au départ apparemment unanime, des manipulations du génome et du clonage humains est en train de se réduire comme une peau de chagrin sous la pression conjuguée de chercheurs en thérapie génétique et de l’industrie bio-technologique. Or les adversaires de toute intervention sur le génome humain maintiennent que, pour éviter le danger d’eugénisme généralisé, il convient d’interdire par la loi toute expérimentation et toute production d’embryon en vue de faire progresser les connaissances au profit de l’éradication de certaines maladies génétiques
Mais remarquons qu’ils ne sont pas toujours d’accord entre eux et que leur opposition est pour les uns circonstancielle et provisoire: la maîtrise des techniques n’est pas suffisante et l’évolution des valeurs éthiques symboliques et sociales ne permet pas de les intégrer sans risque de mauvais usages ou de chaos (principe de précaution) et pour les autres absolue et définitive : cela mettrait en danger la valeur sans prix de l’homme (Kant) et en cause radicalement les droits de l’homme: Aux premiers on peut toujours répondre que le progrès lui-même fera évoluer l’efficacité de ces techniques et que les sociétés, comme d'habitude, s'adaptent et adaptent leur éthique et leur symboles aux situations de pouvoir et de maîtrise nouvelles que produisent les sciences. Donc il est absurde d’attendre une évolution symbolique qui ne viendra que lorsque la technique aura fait la preuve de son efficacité.
Examinons plutôt les arguments des seconds: Pour les adversaires inconditionnels des manipulations sur les embryons humains, les dangers d'atteinte au pratimoine génétique de l'espèce sont tels qu'une seule décision s'impose: leur interdiction légale totale. Selon eux elles mettraient nécessairement en cause la liberté; des personnes et leur dignité, car elle violerait l’idée qu’un embryon humain est une "personne potentielle" (selon l'expression du Comité national de Bioéthique)

Mais ce respect absolu de la vie qu’implique la notion de « personne potentielle » peut aussi bien signifier, soit qu’elle est une personne vivante et donc respectable, soit une personne future dont la naissance et la vie digne et humaine impliquent d’autres conditions (désir des parents, environnement favorable etc) et que sans elles, l’embryon n’est qu’un amas de cellules sans conscience, ni humanité . Cette notion est donc un compromis boiteux et ambivalent entre ceux qui admettent l’avortement et ceux, qui sont parfois les mêmes, qui craignent que les manipulations de l’embryon ne débouchent sur l’eugénisme généralisé.

La faiblesse de cette argumentation tient à plusieurs affirmations contraires aux faits, voire à son aspect formellement contradictoire. L’identité d’un individu ne se réduit pas à son prétendu programme génétique ; au contraire tout biologiste sérieux reconnaît que ce prétendu programme produit des effets très différents selon ses interactions avec l’environnement cellulaire, biologique, culturel, symbolique et social de l’individu vivant et humain. Ainsi l’identité d’un individu se construit dans son histoire propre, ses aléas, les influences qu’il subit et les stratégies imprévisibles qu’ils déploie dans des conditions biologiques et culturelles données La programmation génétique de l’humain est un mythe illusoire ; et que certains scientifiques y succombent ne doit pas nous conduire à craindre qu’ils y parviennent: L’autonomie potentielle des individus est beaucoup plus limitée ou développée ;par le conditionnement culturel et social que par une prétendue programmation génétique. Le conditionnement culturel et symbolique transmis par l’éducation traditionnelle, surtout religieuse est autrement efficace. Gageons que les enfants conscients et victimes de ces manipulations fabricatrices éventuelles sauront se dégager de cette intention possessive supposée s’ils ont éduqués à l’autonomie dans une société pluraliste libérale.
Il est, dans ces conditions, logiquement paradoxal de défendre les droits de l’homme contre la croyance dans le déterminisme biologique tout en accordant à celle-ci une efficacité et un pouvoir que cette défense devrait par principe exclure. Il est contradictoire de se réclamer à la fois de la liberté et du déterminisme génétique et que l’on ne s’aperçoive pas du sophisme de l’argument en dit long sur les croyances et les motifs religieux, naturalistes, traditionnels et irrationnels profonds qui commandent leur refus de toute manipulation du génome humain.

Est-ce à dire que les manipulations du génome et de l’embryon humain ne présentent aucun danger ? Évidemment non et cela est vrai de toute artificialisation des rapports des hommes avec leur corps et leur environnement naturel et social. Mais le respect de la nature; (l’ensemble des phénomènes naturels) est contraire au développement de l’espèce humaine et de l’humanisation du monde ; ce qu’il y a lieu de respecter ce sont les grandes lois et équilibres de la vie, en vue de leur utilisation à notre avantage spécifique.

N'oublions pas qu’aujourd’hui plus de 3000 maladies génétiques handicapantes sont reconnues et que les expérimentions sur le génome humain peuvent être les moyens efficaces pour les connaître et les éradiquer. Un handicap grave et une non intervention, pour le corriger ou l’éliminer lorsque l’individu humain n’existe pas encore en acte, est plus attentatoire à la dignité de l’homme que le respect aveugle et irresponsable de son génome déficient. Du point de vue des droits de l’homme, on ne doit écarter que la mise en œuvre de pratiques qui mettraient en cause le génome humain dans sa structure universelle et produiraient des mutations spécifiques qui feraient exploser l’unité de l’espèce dans un but eugénique généralisé et collectif. Ces pratiques risqueraient de remettre en cause, en effet, les droits de l’homme sur un point central : non pas l’identité; personnelle des individus, mais l’égalité des droits, des devoirs et des chances, fondements de toute société libérale, ainsi que l’ouverture de chacun à toute relation contractuelle égalitaire possible avec les autres. Mais cette interdiction doit être traitée au cas par cas et non pas par une mesure aveugle d’interdiction générale de toute manipulation génétique : ce serait réduire un danger potentiel imaginaire tout en s’interdisant de lutter contre les maladies dont souffrent ici et maintenant les individus. La réduction des souffrances, le recul de la mort et l’accroissement de l’autonomie universelle des hommes et des conditions de leur joie de vivre sont les seuls critères rationnels qui doivent être invoqués pour réguler les applications de la génétique à l’homme.
 Sylvain Reboul, le 20/01/2000



Recherches génétiques et brevets.
 

Il y a une certaine hypocrisie morale et de la ruse politique de la part des gouvernements à refuser tous brevet concernant la connaissance du génome humain à des entreprises privées qui ont contribué à son développement.

De deux choses l’une en effet : ou bien cette connaissance relève exclusivement du domaine public et il fallait alors se donner les moyens publics de se passer des fonds privés et interdire toute recherche privée sur ce thème(!). Mais si on reconnaît qu’on a besoin de fonds privés pour la produire et si l’on estime qu’elle relève du domaine public, il convient alors de nationaliser cette connaissance, c’est à dire d’exproprier avec une juste compensation la propriété que ces entreprises privées ont sur elle par le seul fait qu’elles ont inverti dans les recherches qui l’ont produite. Voudrait-on opérer cette « expropriation » gratuitement ?
Si oui, il faut le dire, mais le risque est grand que cette expropriation soit annulée en justice  (à juste titre); sinon, deux manières de financer cette « expropriation » sont possibles :
1)  Que les états eux-mêmes payent ces brevets au nom de la santé publique.
2)  Que les caisses d’assurances maladie remboursent le prix de ces brevets aux malades.

Le débat politique doit porter sur le choix entre les deux membres de cette alternative et non sur un choix absurde entre recherche publique et recherche privée, deux sources du financement de la recherche dont la concurrence est susceptible de créer une dynamique dont tous pourront bénéficier. Là comme souvent on masque les vrais problèmes en exploitant un souci éthique légitime pour refuser de financer suffisamment la recherche publique et pour convaincre, voire contraindre, la recherche privée de travailler pour la gloire. Là, comme souvent, il s’agit d’un problème non de production mais de distribution : tous, quelques soient leurs ressources,  ont-ils droit à bénéficier des résultats de ces recherches, quelques soient leurs sources privées et/ou publiques?
S.Reboul, le 26/08/00


Réponses à des questions posées par des lecteurs:
 

    Que la question de la sélection génétique artificielle pose des problèmes éthiques et politiques découle justement
    du fait que nous sommes en train d'acquérir un pouvoir et une liberté, donc une responsabilité nouvelle vis-vis de
    nos semblables (99,99% des gènes nous sont communs). Mais ces problèmes ne peuvent surement pas être traités
    en refusant un tel pouvoir, c'est à dire en renonçant universellement à en faire usage. La question est d'en faire un
    usage positif pour l'universel humain; or cet universel concerne l'autonomie des individus en tant qu'ils ont
    conscience d'eux-mêmes et l'égalité dans la revendication du droit au bonheur et à la dignité pour tous. Toutes
    autres références morales (ou religieuses) ne peuvent prétendre valoir comme droit universalisable dans le monde
    pluraliste et ouvert qui est le nôtre.

    Ce minimum requis est entièrement suffisant pour négocier les bases d'un accord régulateur international
    raisonnable; libre à ceux qui, pour des motifs idéologico-politiques particuliers, ne peuvent admettre ces
    fondements démocratiques du droit libéral de les rejeter; mais libres aux individus de désobéir à un tel refus et de
    le remettre en cause; libre à nous de les soutenir dans cette lutte pour leur autonomie et la démocratie!

    Quelles propositions?

    Thérapies géniques: Pas de problème éthique si elle vise à réduire la souffrance des individus tout en accroissant
    leur autonomie; mais refus si elle relève d'une décision institutionnelle impérative.

    Clonages thérapeutiques: Oui et pour les mêmes raisons et dans les mêmes limites; l'embryon non différencié (
    cellules totipotentes) n'est pas une personne et d'autre part, dès lors que le droit libéral admet l'avortement pour
    convenance personnelle, ce qui est le cas en fait, il ne deviendra une personne (consciente d'elle-même) que par
    l'effet d'un "projet parental", . L'embryon humain n'est, alors, logiquement une "personne potentielle" qu'à cette
    condition. Ainsi Les embryons "surnuméraires" peuvent être utlisés, voire créés, dans le but de produire des tissus
    compatibles greffables en réduisant le risque de rejet.

    Diagnostique préimplantatoire ou prénatal: Aucun problème, à moins de revenir sur le droit à l'avortement
    thérapeutique; à condition que cette sélection soit thérapeutique et vise à éradiquer des maladies génétiques
    gravement handicapantes à définir démocratiquement par la loi; et qu'il ne soit pas rendu obligatoire!

    Modification du génome: oui dans un but thérapeutique aux conditions ci-dessus auquelles j'ajouterais la
    préservation du patrimoine génétique universel et diversifié de l'humanité dont j'exclus les défauts et maladies
    génétiques.

    Clonage reproductif: d'un point de vue rationnel, je ne pense pas que l'identité génétique d'un individu constitue
    son identité personnelle (exemple des "vrais" jumaux). Mais je pense qu'aujourd'hui, symboliquement, cette
    confusion règne dans les esprit, y compris, paradoxalement, chez ceux qui croient à le transcendance spirituelle de
    l'homme. D'où le danger de prédéfinir symboliquement l'individu à naitre en vue de finalités qui lui seraient
    étrangères. Donc non, dans les conditions actuelles de confusion symbolique ; plus tard, on verra.
 

    Condition des conditions: rendre les informations génétiques personnelles secrètes et interdire leur usage
    institutionnel (politique, professionnel ou commercial).
                                                        ______________________________________
 
    Je parle de maladies génétiques gravement handicapantes, et je dis qu'elles doivent être définies par la loi, comme
    c'est déjà le cas pour l'avortement thérapeutique; je ne vois aucun avantage à certaines maladie qui condamne à
    l'extrème dépendance et à une vie humainement indigne d'être vécue. Leur éradication me semble bénéfique pour
    les enfants et leurs parents (voir arrêt récent de la cour de cassation en réunion plénière).

    Ainsi, pour moi toute vie humaine au sens biologique n'est pas humaine au sens éthique (c'est pourquoi, je ne suis
    pas réductioniste), et d'autre part je laisse la décision aux parents qui auront à s'occuper de l'enfant handicapé: je
    m'interdis le droit de les obliger à le faire ou de l'abandonner à des institutions quelconques. Je ne voudrais pas
    pour ma part vivre avec un handicap qui m'interdirait toute autonomie mentale (conscience réfléchie de soi et
    pouvoir de réguler son désir).. Pour moi et pour mon entourage. Et je ne le souhaite à personne

    Si la nature était bonne, l'espèce humaine n'aurait pas eu besoin de la culture, des sciences, des techniques, des
    prêtres et de la médecine pour survivre.
    La sélection artificielle ne ferait, d'ailleurs, dans les cas les plus flagrants, que se substituer à une sélection
    naturelle défaillante du fait des progrès de la médecine elle-même! Nos atouts naturels n'étaient pas tels qu'ils
    pouvaient nous suffire! Nous sommes, dès l'origine de notre espèce, condamnés à l'artifice et la nature "semble"
    nous avoir sélectionnés pour pouvoir nous produire et nous reproduire, grace à la culture et à la société,
    artificiellement. En cela on peut dire, de notre seul point de vue très subjectif, qu'elle est bonne pour nous!
 
                                                        __________________________________
 
    Il me semble, qu'en ce qui concerne l'embryon, la question du choix des parents se pose et doit être tranchée: peuvent-ils
    décider de garder ou d'éliminer un embryon, voire un foetus, gravement handicapé? L'embryon est-il une personne
    humaine potentielle (loi de 94) du fait du désir des parents (projet parental), ou l'est-il en tant qu'embryon humain?

    1) Si l'on opte pour la première réponse, cela signifie, en effet, un droit des parents de sélectionner leur enfants
    futurs sur des critères, non seulement médicalement clairement établis, mais aussi politiquement déterminés par une
    loi qui devrait être l'objet d'un débat démocratique au cas par cas. La liberté des parents serait juridiquement
    encadrée, mais la décision finale leur appartiendrait; les références à Hitler me semble alors non-pertinentes.

    2) Si l'on opte pour la seconde réponse; cela ne peut être que dans le cadre d'une vision absolutiste du respect de la
    vie et partant irrationnelle: la raison est mesure, distinction, mise en relation et évaluation des avantages et des
    inconvénients; elle ne peut saisir l'absolu. Quant à soutenir que l'embryon est une personne humaine, en particulier
    dans les deux premières semaines où les cellules ne sont pas différenciées, c'est oublier ce qui fait la personne: sa
    capacité de répondre d'elle même, la conscience de soi. L'individu "acéphale" est-il une personne humaine? Les
    maladies gravement handicapantes font-elles partie du patrimaine sacré de l'humanité?

    À mon sens, refuser la première attitude au profit de la seconde c'est refuser le droit aux parents de choisir
    l'avortement thérapeutique, droit qui leur a été déjà démocratiquement accordé. Comment les adversaires de ce
    droit vont-ils faire pour convaincre du caractère sacré de l'embryon (personne potentielle) par rapport à le liberté
    des personnes en actes que sont les parents, alors qu'une majorité de la population ne partage pas leur croyance
    dans le sacré et que nous vivons dans une société laïque? En l'absence d'arguments rationnels suffisants, leur
    tentative me parait bien de nature à les conduire à se battre contre des moulins à vents et à ne pas participer au seul
    débat qui vaille: quelles sont les maladies génétiques qui devraient entrer dans le cadre de la loi autorisant
    élimination et/ou manipulations?


Article du 02/07/04 paru dans "Libération" dans la rubrique "Rebonds"

La nouvelle loi de bioéthique peut susciter l'hilarité par son coté absurde ou la colère devant l'hypocrisie qu'elle manifeste; Mais il faut
aller plus loin pour tenter de comprendre comment on a pu en en arriver là.

Si nous en comprenons la teneur, elle interdit les recherches fondamentales ou appliquées sur l'embryon humain et le clonage
thérapeutique tout en suspendant cette interdiction pendant 5 ans dans des cas à finalité thérapeutique avérés, quitte à revoir dans 5 ans
cette interdiction de principe, si ces finalités thérapeutiques (dont la possibilité du clonage thérapeutique officiellement interdit) s'avérait
un succès. Ce texte, qu’on n’ose appeler une loi, tant celle-ci semble se suspendre elle-même, peut satisfaire momentanément les chercheurs ; bien qu’il sépare arbitrairement recherches fondamentales et recherches thérapeutiques, il lève, en effet, l’interdiction totale de la loi de 94. Mais il reste d’une indiscutable absurdité logique, ce qui rendra certainement problématique, sinon impossible, son application, sinon en autorisant au coup par coup ces recherches tout en faisant croire hypocritement qu’elles restent globalement interdites et/ou qu’elles peuvent l’être à tout moment, afin de soumettre les chercheurs à la menace, en forme d’épée de Damoclès, d’une sanction toujours possible. Comment expliquer cette décision législative pour le moins paradoxale ?

Il semble que la position d'interdiction totale des églises quant aux recherches sur l'embryon humain dans un but indissociablement de
connaissance et de thérapie (y compris le clonage dit thérapeutique) se soit imposée comme ayant une valeur supérieure à l’avis des citoyens aux yeux des parlementaires qui l'ont votée, alors que nous sommes dans une démocratie qui se veut laïque.
La position militante (lobbying) et l'attitude de refus métaphysique et absolu -donc systématique- des églises, au nom de valeurs métaphysiques chrétiennes, de toute recherche sur l'embryon humain et du clonage thérapeutique ont joué en cette affaire un rôle décisif ; or cela paraît contraire au développement des connaissances scientifiques et du progrès médical dont tous les hommes pourraient, à terme, bénéficier; de même, le refus de l'avortement et de la contraception chimique ou physique par l'église catholique est contraire à l'autonomie des femmes, quant au refus du préservatif, il est, dans le contexte du sida, objectivement criminel. Mais, en ces cas, nos représentants ont eu raison de ne pas suivre ces interdits religieux.

Là, par contre, l'aspect paradoxal de cette loi signifie une chose: Une position religieuse est, en tant religieuse, nécessairement
antidémocratique . Son autorité prétendue et sa légitimité viennent d’en haut (Dieu) et non d’en bas (les individus citoyens). On ne peut et on ne doit donc pas mêler, sans risquer ce genre de paradoxe, une pratique démocratique de la politique et une vision transcendante (absolue) des valeurs: elles s’opposent terme à terme. Il est bon de le rappeler dans un pays qui se dit et se veut le seul laïque de la planète.
Si le gouvernement et les parlementaires de notre pays, au nom de la laïcité, ont eu raison de refuser de mettre dieu et la référence
chrétienne dans le future constitution européenne ; il ont tort, pour le même motif, de faire d’une interdiction de nature religieuse de
connaissance et de thérapie un dogme suspendu au dessus de la tête des citoyens et des chercheurs.

Sylvain Reboul



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