A propos de "l'arrêt Perruche": du droit à la qualité de la vie.

Intervention à l'émission "Dispute" de France Culture le 07/12/01, suivie d'un texte plus explicatif.

Droit à la vie et droit à la qualité de la vie.

En ce qui concerne l'arrêt Perruche, je voudrais intervenir pour défendre la position de la Cour de Cassation et rectifier ce qui me parait erroné dans l'interprétation négative que beaucoup en font.
Sur la forme, la cour, pour justifier son arrêt, a, dans ses attendus, admis deux choses: le droit à l'avortement thérapeutique de la mère et le droit à l'enfant à réparation du fait de l'erreur de diagnostic du ou des médecins qui avaient l'obligation d'informer la mère sur le risque de handicap de son enfant, dès lors qu'il était détectable et qu'il ne l'a pas été par l'erreur médicale commise. Considérant que seul le handicap justifie réparation au regard de l'intérêt à long terme de l'enfant, elle a exigé que celle-ci lui soit intégralement versée.
Sur le fond, je voudrais faire justice à l'argument d'eugénisme employé par les adversaires de cet arrêt:
D'une part, l'eugénisme individuel, fondé sur la libre décision de la mère et ou des parents de mettre au monde un enfant handicapé ou non est logiquement impliqué par le droit à l'avortement thérapeutique qui lui a été reconnu. Refuser cet eugénisme c'est refuser ce droit et par delà, a fortiori,  le droit à l'avortement "de convenance" (sous l'appellation de détresse, dont elle seule juge, de la mère). Cette remise en question de droits acquis s'affirme au profit d'un impératif d'autorité: "tu dois mettre au monde un enfant handicapé, désiré ou non, et en supporter toutes les conséquences au nom de ta fonction sacrée au service de la vie sinon de la société" Et l'on en revient alors à la situation antérieure à la libération de l'avortement gratuit et à cette conquête de la lutte des femmes pour leur autonomie corporelle.
D'autre part, il convient, à mon sens, de distinguer cet eugénisme individuel introduit par ce droit acquis à l'avortement thérapeutique de l'eugénisme d'état qui organise centralement la sélection selon un plan racial et idéologique homogène, d'essence totalitaire.
La décision de la cour me parait donc relever plus du droit à la qualité de la vie, c'est à dire aux soins,  pour l'enfant qu'il n'est pas question d'éliminer après sa naissance, et de la mère quant à son droit de choisir, que de la remise  en cause du droit à la vie dont nous savons qu'elle  ne peut, au nom même des valeurs humanistes mises en avant par les adversaires de cet arrêt, se confondre avec un quelconque destin biologique.


Dans la controverse à propos de l'arrété "Perruche", la question est de savoir quel est l'objet de la décision pour en
comprendre la logique, en l'état du droit existant et des intérêt objectifs de l'enfant handicapé dont il convient de prendre en
compte le droit aux soins.

On peut résumer la démarche cognitive de la Cour de Cassation de la manière suivante:

    1) Toute femme a droit à l'avortement thérapeutique.

    2) Les médecins ont commis une faute professionnelle en ne pouvant ou ne voulant pas détecter le handicap du futur
    enfant, alors qu'ils en avaient les mloyens, ce qui est le droit de la mère de savoir dans le cas considéré.

    3) Cette faute professionnelle aboutit à une naissance d'un enfant à la charge de sa famille, alors que celle-ci
    n'aurait pas voulu de cette charge.

    4) il y a donc préjudice et ce préjudice doit être réparé

    5) soit cette réparation, en l'état actuel du droit, est versée à la famille qui peut en faire usage aux dépens de
    l'enfant, soit elle est versée à l'enfant sous tutelle pour être assuré que cette compensation sera utilisée au mieux de
    ses intérêts.

    Le problème, bien défini par la cour  est qu'il ne faut pas confondre les intérêts des parents et celui de
leur enfant: le dédommagement va à ce dernier, car les parents, dans le meilleur des cas, ne sont pas immortels et l'enfant
peut leur survivre et dans le pire, peuvent s'approprier le dédommagement, anx dépens des intérêts de l'enfant: c'est le sens
même du "droit de tutelle dans l'intérêt de l'enfant" et sous contrôle judiciaire.
La décision, en l'état du droit actuel et dans l'intérêt de l'enfant, est donc parfaitement logique. Elle ne remet pas en cause le
droit à la vie mais elle y adjoint  un droit à la qualité de la vie pour les parents  (droit à l'avortement thérapeutique) et de
l'enfant handicapé (droit aux soins et à réparation).

Chez ceux qui conteste cette décison, il y a, me semble-t-il, confusion entre le droit à la vie et le droit à être dédommagé
pour un préjudice subi  du fait de son handicap dont personne n'ose dire que ce soit une bonne chose pour l'enfant; sauf
certains intégristes religieux et moralisateurs qui parle inconsidérément d'un droit à la différence confondu avec le droit au
handicap et pourquoi pas à la maladie, et qui prétendent plus ou moins hypocritement que le vie comme don de Dieu est de
qualité égale pour tous: qui souhaite pour son enfant de naître handicapé? C'est  cette  confusion  qui est très clairement
dénoncée par la cour de cassation dans les attendus de sa décision; elle est du reste paradoxale venant de gens qui se
réclament d'une position humaniste, laquelle  pose, comme un axiome fondateur nécessaire de l'éthique, la distinction entre
la vie biologique de l'individu, sa valeur éthique en terme de droit à réparation de son handicap pour laquelle la
responsabilité du médecin reste, en l'occurence, engagée et établie: il n'est pas question d'exiger qu'un handicapé meurt mais
de faire respecter ses droits aux soins et à réparation, comme toute personne victime d'un mauvais diagnostic et donc d'une
faute professionnelle; c'est le handicap seul qui est l'objet de la décision; compte tenu du l'existence du droit à l'avortement
thérapeutique reconnu à la mère.
Sinon, soit on revient sur le droit à l'avortement thérapeutique, soit l'état prend à sa charge l'entretien de l'enfant; mais quid
de la responsabilité du médecins qui doit réparation pour la faute professionnelle commise, dès lors qu'elle est établie?

De fait,  contester cette décision c'est, au fond,  vouloir revenir sur ce droit et donc sur le droit des femmes et des parents à
décider d'avoir ou non un enfant handicapé, dès lors que l'on dispose des moyens de détecter le handicap. Qui peut prétendre
décider à leur place et au nom de quel autorité transcendante (surhumaine)  à laquelle tous, croyants ou non dans le caractère
sacrée de la vie indépendament de sa qualité (en terme d'autonomie et de souffrance),  devraient se soumettre?
Par conséquent, "l'eugénisme individuel" est déjà logiquement inscrit dans le droit à l'avortement, voire à la contraception,
c'est à dire le droit à ne pas avoir des enfants non-désirés, handicapés ou non; et cela n'a rien à voir avec un eugénisme
d'état, d'essence totalitaire; mais avec l'extension, inscrite dans notre droit sous l'effet des luttes des femmes, des libertés
fondamentales des individus, hommes et femmes.

La question de fond (éthique) est bien de savoir s'il faut revenir sur le droit à l'avortement thérapeutique et, a fortiori, de
"convenance" ou non. Et ce problème a déjà été démocratiquement tranché en droit; libre à ceux qui ne sont pas d'accord de
demander que l'on abolisse ce droit par la voie parlementaire en l'affirmant clairement devant les électeurs et les électrices,
au lieu de faire un faux procès à la cour de cassation



L'arrêt Perruche a été prononcé, en l'état du droit existant dont la responsabiloité relève du législateur (parlement)
    et non de la cour de cassation, dans l'intérêt de l'enfant, faute de mieux sur le plan légal.

    Si maintenant le parlement prend ses responsabilités et change la loi au profit de l'enfant qui a droit aux soins (et
    donc au maximunm de qualité de vie possible) sans que cela soit interprété comme une "réparation pour le
    préjudice d'être né" ce qui n'était en rien le sens de l'arrêt Perruche, tant mieux; mais encore faut-il que l'état
    débloque les fonds nécessaires pour la prise en charge de tous les handicapés, quelque soit l'origine de leur
    handicap.

    Mais la responsabilité du médecin, lequel a commis une faute professionnelle jugées telle par les juges sur
    proposition et expertise de ses pairs, doit rester sanctionnable et justifier d'une réparation des parents qui n'ont pu
    faire valoir leur droit acquis à demander un avortement thérapeutique.

    Si ces deux conditions ne sont pas adoptées, il n'est pas certain que la nouvelle loi condamne l'arrêt Perruche, qui
    peut continuer à faire juris-prudence; dès lors que la probléme en droit resterait pendant; ne pas réclamer une
    réparation pour être né est une chose, mais en réclamer une pour manque d'information ayant compromis l'exercice
    du droit pour les parents à être informé de la situation et/ou souvent ded celui du droit l'enfant d'être traité le plus
    tôt possible, avant la naissance, lorsque cela est possible, en est une autre.


         Commentaire du jugement de la cour européenne des droits de l'homme retoquant la loi anti-arrêt Perruche.

L'arrêt de la cour constitutionnelle dit arrêt Perruche visait:

1) À sanctionner une faute professionnelle de médecins, sous la forme d'un diagnostic "possiblement" volontairement erroné, lequel interdisait aux parents de faire valoir leur droit à l'avortement thérapeutique.

2) À compenser les frais à vie entraînés par le handicap en faveur de l'enfant et non des parents, dès lors qu'il y a en effet un préjudice à être né handicapé (et non pas à être né tout court) du fait de cette faute médicale.

Bien entendu les médecins et leurs assureurs ont voulu se prémunir contre cette responsabilité civile et ont tout fait pour faire voter une loi dite anti-Perruche avec, qui plus est, un effet rétroactif (!), pour échapper aux conséquences légitimes d'une telle faute et  réserver éventuellement aux médecins le droit de refuser, à la place des parents et sous couvert d'erreur de diagnostic, l'avortement thrapeutique d'un futur enfant lourdement handicapé .

L'arrêt Perruche et le jugement de la cour européenne des droits de l'homme sont donc sur le fond légitimes: les responsables d'une telle décision doivent être les payeurs, dans l'intérêt même de l'enfant né, dès lors que l'état refuse en réalité, sinon en parole, de prende en charge tout ou partie des frais entraînés par une telle décision. Il y a donc, me semble-t-il, dans les attendus de ce jugement une double condamnation de la France :

1) Une loi ne peut avoir d'effet rétroactif; c'est un principe du droit français et du droit européen,

2) Un état doit se sentir engagé à appliquer une loi qui lui fait obligation de prende en charge les frais d'un handicap.

La prétendue moralité de cette loi anti-Perruche n'est donc qu'un argument rhétorique particulièrement hypocrite pour faire des parents les seuls responsables d'une décision qu'on leur a, de fait, interdit de prendre en conscience et dédouaner du même coup les médecins qui ont commis cette faute et l'état qui refuse de mettre en application ses propres lois en ce qu'elles ont de favorables à l'enfant , mais l'applique contre lui et ses parents en ce qu'elle a de négatif et qui plus est avec effet rétroactif.

Un tel usage du moralisme contre le droit et l'éthique de la responsabilité est particulièrement insupportable. Il est nécessaire d'y faire échec par le droit ce que vient de faire excellement la cour européenne des droits de l'homme.
Le 19/10/05.


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