La conscience entre subjectivité et  objectivité.

Dialogue avec Monsieur Luc Dagens, physicien, directeur de recherche au CEA à la retraite.



         Retour à la page d'accueil
        L'illusion métaphysique
        Kant et la production des connaissances scientifiques
        Mécanisme, finalité et classification des sciences expérimentales
        Vérité et vraisemblance
         "La conscience et les neurosciences" avec Raphael Féraud, Docteur-chercheur et S.Reboul
         "Conscience, subjectivité, idéalisme et matérialisme", Echange avec Monsieur Pascal Doyelle(nouveau)
         Retour à la page d'accueil


S. Reboul:
La question de la nature de la conscience et de sa connaissance ne peut, et nous le savons depuis Kant, qu'être une question scientifique: toute hypothèse transcendante, sur le plan du savoir universalisable et expérimental (donc rationnel), est nécessairement improductive, voire fait obstacle au développement des connaissances objectives.



Luc Dagens:
D'accord. La science se doit de donner la connaissance rationnelle aussi complète que possible des lois régissant les phénomènes, y compris ceux impliquant des processus mentaux (intentionnels, finalisés). Mais on sait
déjà qu'une connaissance rationnelle complète des processus physiques est impossible (selon la Mécanique Quantique). La plupart des phénomènes sub-macrosccopiques sont irrationnels en droit, ce qui veut dire qu'aucune théorie mathématique (accessible à l'esprit humain) ne peut rendre compte de ces processus. La question de savoir si on peut concevoir une théorie unitaire du monde physique et mental, moniste ou pluraliste, qui rende compte rationnellement de l'émergence de la conscience, en termes d'entités élémentaires (dont celles de la physique) et de leurs interactions, est
certes une question scientifique. Mais est-ce une question que la science est apte à résoudre ? Je tiens cela pour peu plausible, compte tenu de l'irationalité avérée de la MQ. En fait, il n'y a aucune raison a priori qui nous garantisse qu'une connaissance rationnelle (= accessible à l'esprit humain) des processus impliquant des faits de conscience sera
possible un jour. Il ne faut pas se leurrer sur les progrès réalisés en matière de « physique
de l'esprit » : ces progrès ne sortent pas du cadre dualiste au niveau de l'expérimentation même, et échoue dans la recherche d'une représentation symbolique (mathématique) des faits élémentaires de conscience et de leur
interaction fine avec la matière, sans lesquelles une approche scientifique reste impossible. Le coeur de la difficulté peut être cernée : la seule méthode permettant l'appréhension empirique d'un fait de conscience est l'
introspection, qui est manifestement un instrument beaucoup trop grossier, trop imprécis et trop peu reproductible, pour pouvoir donner les informations empiriques détaillées sans lesquelles aucun progrès ne serait
possible. Où en serait la physique sans le microscope, le télescope, et toute l'instrumentation qui a révélé le monde des atomes ?

S.Reboul:
La meilleure synthèse scientifique des recherches en cours se trouve dans l'ouvrage de Stephen Pinklern qui dirige le centre de recherche des neurosciences cognitives au MIT: "Comment fonctionne l'esprit" chez Odile Jacob (mars 2000). L'auteur y développe une conception expérimentale et expérimentée (au deux sens du mot) stimulante du fonctionnement de l'esprit, à l'articulation, particulièrement féconde et fécondante, des sciences cognitives (computationnelle), de la biologie (génétique et sélection naturelle) et de l'informatique. Par un paradoxe qui n'est qu'apparent, sa
position renforce, transforme et enrichit celle de Kant, à savoir qu'il n'y a rien dans le fonctionnement de l'esprit qui ne fasse intervenir des conditions "transcendantales" a priori (computationnelles) et ce qui, pour autant, interdit d'en faire des conditions "transcendantes" existantes.



Luc Dagens:
La remarque entre le transcendantal et le computationnel est intéressante et bien venue. Le transcendantal étant l'ensemble des règles et méthodes qui régissent ce que devrait faire l'esprit, le cerveau pourrait être vu (dans
une perspective psychologisante) comme la machine qui implémente ces règles et procède à leur exécution/ fonctionnement.
Mais l'essentiel manque, car la connaissance des processus computationnels n'est pas la connaissance de ce qui est spécifiquement mental : les processus élémentaires impliqués dans la sensibilité, l' intentionalité, la liberté (volonté) restent inconnus et hors du champ de la recherche. Il y a du vrai dans l'analogie entre ordinateur et esprit, mais
cette analogie cesse exactement au point intéressant, celui où la conscience intervient. Aucune approche matérialiste de la conscience ne passe le « test du robot » (ou du zombi) : les théories cognitivistes ont le défaut de valoir autant pour un robot dépourvu de conscience que pour homme, et manquent donc ce qui est proprement non electrochimique dans
l'activité du cerveau-esprit.

S.Reboul
Cette distinction capitale (entre transcendant et transcendantal) nous permet de comprendre en quoi la position de
Kant n'est pas métaphysique mais scientifiquement expérimentale: Tout autorise à penser, aujourd'hui que ces transcendantaux dont Kant ne pouvait précisément définir l'origine et le mode de fonctionnement (processeur et
algorithmes en cause) dans le domaine du traitement des informations recouvrent, la perception, le langage et son usage, voire la vie éthique et sociale.


Luc Dagens:
Je voudrais faire une remarque à propos du système des catégories kantiennes, en relation avec le dualisme qui chez Kant prend la forme d'une opposition entre un monde phénoménal (sensible et déterministe) et un monde nouménal (suprasensible et où la liberté est possible).
On sait bien que la table des catégories est artificielle, avec ses fausses symétries qui résultent plus de l'esprit de système de Kant que d'une nécessité philosophique. De plus, ce système pourrait être incomplet. En effet, Kant l'a déduit de la table des jugements, c'est à dire de la structure logique des types de jugements (comme l'a fait Aristote). Mais
Kant, qui inclut la catégorie de cause, a exclu arbitrairement (pourquoi ?) celle de cause finale (réintroduite ensuite comme Idée de la raison). Or la catégorie de cause finale (d'intention, de but, de liberté) est une des plus
importantes dans l'usage quotidien du langage, et fonctionne manifestement comme une règle a priori : les phénomènes impliquant des actions humaines ou animales sont synthétisés selon les principes de la causalité finale, et pas
seulement selon ceux de la causalité déterministe. Le schéma catégoriel « X a fait A en vue de B » est universel et a priori, et correspond à une catégorie transcendantale que Kant n'a pas retenue.

Pourquoi Kant a-t-il accordé le statut de catégorie pure à la causalité matérielle et non à la causalité finale (qui a été le principe explicatif dominant pour les "sciences" archaïques : en ces temps là, tout avait une âme, et tous les phénomènes naturels, les astres, les ruisseaux, etc., étaient expliqués en termes d'intention, de but, de causes finales) ?
La raison en serait un accident de l'histoire : le triomphe de la physique newtonienne, qui a servi de paradigme pour choisir les catégories que Kant a jugées dignes de figurer dans sa table. Est-ce là un exemple de la
mauvaise utilisation des « béquilles de la science » ?
Bien entendu, le système newtonien (tout comme la physique moderne) ne peut être identifié à la Science, car tout ce qui implique l'esprit (psychologie, sociologie, histoire, etc.) échappe à ses méthodes et demande d'autres
concepts originels irréductibles à la physique newtonienne. Kant a-t-il cédé à l'esprit du temps, qui voyait le triomphe universel des méthodes de la physique ? Je ne sais, mais les conséquences ont été immenses. La liberté
(cause par liberté) a déserté le domaine des phénomènes pour se perdre dans celui dans le monde nébuleux des noumènes...

Si on admet que la catégorie de cause finale doit être ajoutée aux a priori transcendantaux, on arrive à l'idée curieuse que le dualisme matière esprit (= cause efficace - cause finale) serait pour nous un a priori (qui rendrait compte de notre façon différente de parler des être vivants et des êtres matériels), ce qui expliquerait l'impossibilité de sortir en pratique du schéma dualiste, tant au niveau du langage quotidien que de la pratique scientifique.

Une dernière remarque. Il ne faudrait pas déduire de cet apriorisme supposé du dualisme des causes que la nature elle-même est «véritablement» dualiste.
On sait depuis Cantor (pour l'infini), Einstein (pour l'espace-temps) et Bohr (pour le déterminisme) que les catégories transcendantales, qui sont nécéssaires pour objectiver les phénomènes accessibles à l'intuition, sont en fait inapplicables aux représentations (non directement intuitives) que les techniques modernes rendent accessibles à l'entendement. Les contraintes transcendantales ont été inventées (par l'évolution ?) pour être appliquées aux faits de la vie quotidienne, mais la raison humaine a su transcender ces contraintes, et rendre possible l'impossible : la
connaissance objective d'un monde situé au-delà des « phénomènes », monde que l'on ne peut pas percevoir, et qui a pu être dévoilé grâce aux méthodes technico-théoriques de la science moderne. (On est tenté de dire, dans une perspective psychologisante, que ces méthodes fonctionnent comme des « plug-in » ajoutés au corps et à l'esprit, et lui donnent des fonctionnalités nouvelles, obéissant à des catégories de représentation qui lui sont propres. Ceci me paraît être en gros la position de Cassirer dans sa tentative de concilier la philosophie critique avec la science post-newtonienne).
En ce qui concerne la question du dualisme, c'est un fait empirique que rien ne permet de dépasser aujourd'hui de façon convaincante et non subjective cette contrainte transcendantale qui nous force à soumettre à la règle de la représentation duale tout phénomène impliquant des êtres vivants ou même des artefacts.


S.Reboul

Les expériences subjectives de la conscience de l’unité du moi (ou du je), de la finalité intentionnelle, voire de
l’autonomie décisionnelle ne sont pas niables ; mais la question est ailleurs : il s’agit de savoir quel statut on accorde à
ces expériences ; celui d’être des objets de connaissance pour un jugement déterminant, ou celui d’être des idéaux
régulateurs, des jugement réfléchissants qui valent comme principes de repérage de l’esprit pour développer la
connaissance.
En cela Kant avait une raison de principe et non pas une raison conjoncturelle, pour exclure la finalité (pourtant posée
comme première chez Aristote) des concepts a priori de la connaissance de la nature dans son ensemble : elle ne permet
pas d’expliquer les phénomènes car elle prétend expliquer ce que l’on peut connaître (les phénomènes passés et
présents et leur lois de cause à effet) par ce que l’on ne peut pas encore connaître (les phénomènes futurs, leurs
fonctions et finalités). Tout finalisme est destinal et donc explique le passé et le présent par le futur présupposé, le
connu par l’inconnu, voire quant on fait de la finalité l’expression d’une cause métaphysique, par l’inconnaissable.
Dans les phénomènes biologiques nous avons bien affaire à des finalités internes scientifiquement établies dues à des
boules causales rétroactives complexes, mais il s’agit encore d’effets de structures déterministes complexes et
plurielles, de propriétés émergentes de certains mécanismes autorégulés qu’il faut analyser et soumettre à l’expérience
et que l’on ne peut connaître, c’est à dire expliquer et tester d’une manière rationnelle universalisable (non-magique)
que sur fond de mécanisme philosophique enrichi ; le finalisme philosophique ne servant là que de vecteur orientant
l’analyse et la recherche de ces mécanismes déterminants, comme le pensait Kant.
En ce qui concerne la conscience, on peut toujours supposer qu’elle transcende les mécanismes neuro-psychologiques,
symboliques et sociaux qui « l’accompagne » et en sont les « substrats matériels objectifs », les conditions matérielles
de possibilités ; mais cette supposition ne peut être qu’une croyance dont la valeur régulatrice et mérite d’être
interrogée quant à ces effets sur la connaissance. La phénoménologie se contente sagement de définir des stratégies de la
conscience comme relation au monde, mais elle se refuse à les expliquer par une quelconque antériorité ontologique de
la pensée consciente ontologique. (voir Merleau-Ponty). Pourquoi ? Parce que, pour les phénoménologues (comme
Husserl) qui n’ont pas trafiqués Kant (comme l’a fait Heidegger, et ce n’est pas un reproche: tout philosophe a le droit
de le faire, à condition de le reconnaître) savaient très bien que l’hypothèse de l’antériorité ontologique de la pensée sur
le cerveau est rationnellement incompréhensible et donc stérile sur le plan de la connaissance explicative des
phénomènes psychologiques.

On peut, si l’on opte pour le matérialisme philosophique, en ce qui concerne des expérience subjectives de la
consciences (représentations subjectives, prises de décision intentionnelles, etc)
· soit dire que notre cerveau n’est pas équipé pour penser cette articulation entre phénomènes neuro-biologiques et
phénomènes de conscience, qu’il n’a pas les modules cognitifs transcendantaux rationnels requis, car ils n’ont pas été
sélectionné pour cela.
· soit que ces modules restent à construire et qu’on est pour l’instant démunis, mais que l’on pourra peut-être y voir plus
clair en avançant le plus loin possible dans la connaissance scientifique neuro-cognitive du fonctionnement du cerveau.

Dans les deux cas, on pratique un scepticisme raisonnable, un forme de sagesse qui consiste à reconnaître les limites de
notre pouvoir de connaître, ce qui était le rôle de la philosophie critique selon Kant, afin d’éviter l’illusion qui consiste
à prendre ces croyances et ses désirs (mêmes légitimes sur le plan éthique) pour des vérités. De la finalité subjective



Luc Dagens

L'objet de la discussion était le Physicalisme, qui par essence est une doctrine qui présuppose qu'une approche scientifique du pb de l'esprit est possible. C'est la présupposition originelle, et c'est dans le cadre de cette présupposition que le physicalisme doit être critiqué. Mon propos était seulement de mettre en évidence les difficultés internes propre à cette approche du pb de la conscience.
Ma cause n'est pas de démontrer que le Matérialisme est faux, car je tiens une telle démonstration pour impossible. Mon but était de justifier une attitude sceptique sur la possibilité de comprendre selon les normes de la science ce fait pour nous manifeste qu'est l'influence mutuelle du corps et de l'esprit. Sans cette compréhension, nous ne pouvons disposer d'une méthode qui fasse la différence entre un organisme ou machine qui possède un esprit, et une autre dont on pense qu'elle en est dépourvue.
Je rappelle que nous attribuons (à bon droit) une âme à autrui, mais sans pouvoir en donner une justification intellectuelle absolument convainquante. Cette attribution est a priori (instinctive) et l'âme de l'autre est tenu
pour être un fait originel qui ne se déduit pas, que nous n'inférons pas mais que nous est imposée en vertu d'une règle ou d'une loi de la nature.
Mais cette règle n'est applicable à rien d'autre que l'homme (et peut-être aux animaux supérieurs), et ne permet pas de déterminer par exemple si le robot pensant est conscient de ce qu'il calcule, ou bien n'est qu'un automate insensible.

>

Le vocabulaire utilisé (esprit, intentionnalité,..) est conforme à l'usage (de la philosophie de l'esprit [mind] à l'anglo-saxonne) et, je l'espère, correct. L'esprit est analytiquement ce que possède tout organisme (ou robot) capable de sensibilité et de volonté, etc., et qui se manifeste dans toute situation pour laquelle seul un langage intentionnel (au sens de Brentano) est applicable.
En ce qui concerne l'hypothèse physicaliste, je ne dirais pas qu'elle est erronée (comment le savoir ?) mais plutôt qu'elle est scientifiquement vide, si il est vrai, comme je le crois, que les entités mentales à étudier ne peuvent en aucun être directement appréhendées (mesurées) selon les canons des sciences de la matière.
Vous laissez entendre qu'un tel instrument (mesurant le mental) pourrait être découvert. C'est une bonne question. Peut-on montrer a priori qu'une telle découverte est impossible ? Essayons :
Supposons qu'un « mentalmètre » M soit construit. Appliqué au cerveau, M indique un degrés d'émotion A (par ex). Mais cette émotion est corrélée (selon le physicalisme) à un certain type d'état physique (du cerveau) B.
Cela veut dire que M mesure B tout autant que A ; il suffit que M indique B (un type d'état physique) d'où on infère A (en vertu des correlations observées dans le passé). Mais la présence de A n'est pas nécessaire, celle de B suffit. L'inférence de B vers A est justifiée (empiriquement) pour un cerveau humain, mais il est impossible de prouver que l'inférence vaut en général et que le processus physique B est toujours accompagné de l'émotion A, dans un être non humain, par ex un artefact (robot). Autrement dit, l' hypothèse physicaliste a pour conséquence qu'il est impossible de prouver que M mesure réellement autre chose que le type d'état physique, c' est-à-dire que M est autre chose qu'un vulgaire instrument de physique.

Le raisonnement résulte analytiquement de l'hypothèse du physicalisme : le physicalisme supposé vrai, implique logiquement l'impossibilité de prouver l' hypothèse (= implique la non-existence d'une méthode permettant d'établir
la présence d'un esprit dans un organisme non humain). Cela ressemble superficiellement au théorème de Gödel.

>

Mais justement le point de vue du physicaliste est qu'il n'y a pas deux ordres de réalité différents. Ce qu'il affirme est précisément que la pensée « est » un processus physique.

>

Il est tout à fait intéressent de poser le pb dans le cadre du kantisme.
Pour Kant, certains faits sont du ressort de la science, d'autres non. Que l 'homme soit libre (puisse commencer des séries causales) est un fait que l' on peut penser mais pas connaître, ce n'est pas un fait accessible à la science, quel qu'elle soit. Les questions de goût, la beauté etc., concernent des faits nouménaux, inaccessibles par nature à la connaissance scientifique (alors qu'ils doivent l'être pour un physicaliste). Considérons le pb : les animaux ont-ils une âme ? Ici Kant est plus libéral que Descartes. Mais la question n'est considérée qu'en rapport avec la
finalité (in « Critique de la façon de juger »), qui n'est pas une des catégories transcendantales et qui n'est donc pas utilisable pour exprimer une connaissance objective. Autrement dit, l'esprit d'une huître ou d'un singe ou d'un homme n'est pas une chose qui puisse se manifester comme objet d'une expérience. Ce n'est donc pas un objet du tout, et aucune science de l 'esprit animal n'est donc possible selon le système de Kant.
Le système de K semble donc incompatible avec une théorie matérialiste (moniste ou pluraliste) de la conscience, car l'explication de la liberté par exemple ne se situe pas au niveau du phénomène (du connaissable).

>

Je ne crois pas que le Matérialisme soit condamné au réalisme naïf (= « Les phénomènes représentent les choses telles qu'elles sont »). Il est incompatible avec le kantisme (voir plus haut), parce que Kant rejette la
volonté et la finalité dans le monde nouménal et que seul le monde phénoménal est pour lui connaissable.
En fait l'idéalisme critique peut être contesté sur deux aspects (sans sortir du système critique). (i) Kant a une conception trop rigide des catégories transcendantales, conception incompatible avec la science moderne. (ii) Le rôle trop secondaire qu'il attribue aux choses en soi (CES), tellement secondaire que les néo-kantiens ont conclu à l'inutilité de la CES et l'ont éliminé du système, faisant à tort de l'idéalisme critique un idéalisme absolu (dont Kant ne voulait absolument pas).
L'idéalisme critique avait pour but d'expliquer la possibilité d'une connaissance synthétique a priori, mais a eu l'effet paradoxal de rendre à peu prés incompréhensible la possibilité d'une connaissance a posteriori !
Les règles transcendantales et les formes de l'intuition déterminent a priori la forme générale des phénomènes et expériences (l'essence du phénomène en général), mais absolument pas la forme singulière du phénomène perçu (le phénomène réel dans sa singularité), dont la singularité échappe aux exigences de l'entendement et de la raison, et ne peut être expliquée que par la façon dont l'intuition sensible est passivement affectée.
La question est celle du rôle exact des données sensibles dans la constitution du phénomène perçu, dans les cas fréquents où la forme singulière du phénomène ne peut pas être anticipée et semble nous être imposée à notre corps défendant.
Kant dit peu de choses à propos des données sensibles. Le donné est un "divers » accepté passivement dont il ne mentionne pas la structure (divers non structuré ?). Ce divers est soumis au travail de l'esprit qui l'organise
en phénomène (objectivé) singulier, le phénomène perçu. Mais si le donné sensible est tout à fait amorphe (non structuré), comment comprendre que l' on perçoit tel objet singulier A plutôt que tel autre, B ? Ici les néo-kantiens ont raison : si la chose en soi (CES) fournit des données inorganisées, et donc indépendantes de ce qu'est vraiment cette CES, la notion même de CES est inutile et autant s'en passer.
Le dilemme est alors : ou bien (1) le donné sensible est amorphe et alors toute apparition d'un phénomène singulier non anticipé (dont le conditionnement causal est inconnu) est un miracle inexplicable, ou bien (2) le donné sensible est structuré, et cette pré-structuration est l' explication de la possibilité de la connaissance a posteriori des fait
singuliers et des lois spéciales de la nature.
J'appelle « réalisme critique » la doctrine qui diffère du kantisme seulement par l'acceptation du point (2). Deux règles supplémentaires sont nécessaires, une pour l'intuition, l'autre pour l'entendement (ou l' imagination). (i) L'intuition sensible reçoit passivement un donné structuré, et (ii) ce qui est singulier dans le phénomène perçu a une
structure singulière en analogie avec la structure du donné correspondant.
La CES est alors définie comme ce qui rend possible la structuration du donné.
Le réalisme critique reste idéaliste en ce sens que le phénomène est une représentation (produite par l'esprit selon sa nature et ses propres règles), mais est réaliste en ce sens que c'est un monde transcendant qui fixe la structure des données reçues et en conséquence celle des objets perçus. Tout se passe comme si le phénomène était une maquette artificielle reproduisant la structure d'une réalité indépendante.
Identifier le phénomène à une maquette structurale d'une CES transcendante ne conduit à aucune aporie car le phénomène n'est pas identique à la CES. L' objet-phénomène est « analogue » en structure à la CES (qui n'est absolument pas un objet, qui n'est ni dans l'espace ni dans le temps), mais sans du tout lui ressembler (tout comme l'essence d'une maquette ou d'une photo n'a rien à voir avec celle de la chose représentée).
La CES est-elle connaissable ? Non, selon Kant. Une réponse plus nuancée s' impose : la CES (ce qu'elle est vraiment) est inconnaissable en elle-même, mais elle a une structure reflétée dans les objets phénoménaux, et qu'il est
possible d'atteindre via la structure mathématique des théories physiques valides. Dans le langage de Kant, on dirait qu'une connaissance par analogie de la CES est possible



         Retour à la page d'accueil
        L'illusion métaphysique
        Kant et la production des connaissances scientifiques
        Mécanisme, finalité et classification des sciences expérimentales
        Vérité et vraisemblance
         "La conscience et les neurosciences" avec Raphael Féraud, Docteur-chercheur et S.Reboul
         "Conscience, subjectivité, idéalisme et matérialisme", Echange avec Monsieur Pascal Doyelle(nouveau)
         Retour à la page d'accueil