Faut-il respecter en autrui le semblable ou l'être différent de moi ? 

Texte original de Christophe Reignaud en rouge, remarques et commentaires de Sylvain Reboul en vert. 

Introduction.
Le manque de respect envers autrui ne peut que susciter l'indignation, c'est-à-dire le sentiment de quelque chose d'inacceptable de la part d'une personne quelle qu'elle soit. Néanmoins, si le respect marque la reconnaissance d'une incontestable valeur d'autrui et d'une valeur inestimable, il nous arrive d'entendre dire que certaines personnes ont droit au respect et d'autres non.  Il arrive assez fréquemment que l'on ne respecte pas celui qui a des convictions politiques par trop opposées aux nôtres, que l'on considère avec condescendance des cultures dites primitives, que l'on méprise un individu pour ses goûts en matière artistique, que l'on trouve ridicule une activité et la personne qui la pratique, alors que d'autres disent que c'est justement les différences de tous ordres qui justifient l'exigence du respect.
Partant, nous pourrons nous demander s'il faut respecter en autrui le semblable ou l'être différent de nous ?  

SR: On confond trop souvent le respect de la personne avec le respect de ses comportements et idées ; or si le premier est une obligation morale l’autre non : des idées et des comportements sont méprisables et doivent être traités par le mépris; ex: racisme, sexisme, fanatisme, veulerie, tromperie , égoïsme exclusif, violence...
Un grand nombre d’apparents paradoxes viennent de cette confusion. La personne ne se réduit pas à ce qu‘elle est ou a été mais elle est aussi ce qu’elle peut et doit être : un raciste peut devenir antiraciste, un lâche, courageux etc..  

Est-ce que le respect ne s'impose pas souvent et immédiatement comme respect du semblable ? N'est-ce pas dans la logique même du respect (on ne peut respecter que quelque chose qui a et qui est pour soi-même une valeur) ? Or est-ce que la reconnaissance du semblable relève d'une évidence sensible ? Ou bien est-ce que le semblable ne peut être déterminé que de façon intelligible ? Est-ce la matière (goût, tendance, opinion, conviction religieuse, appartenance culturelle, race ... ) même de mon existence qui peut donner lieu à une similitude?  Ou bien est-ce qu'autrui ne peut-être rigoureusement semblable à moi que sur un plan formel?  Est-ce que l'on ne constate pas assez fréquemment que la reconnaissance du semblable est d'ordre empirique et renvoie à une identité d'ordre psychologique, idéologique, culturelle, raciale, etc.  En conséquence, est-ce que nous n'avons pas tendance à poser une ressemblance marquée par la particularité?  Autrui est-il mon semblable en fonction de mes particularités ?  

SR: ou de ce qui est, dans mon humanité, universellement souhaitable, sans contradiction logique et conflits violents.  

En conséquence, face à cette tendance importante qui peut être à l'origine du racisme, de l'ethnocentrisme, et de toute autre forme d'intolérance, face à cette tendance qui nous amène à distinguer parmi les autres ceux qui nous sont semblables (nos égaux)... 

 SR Autre confusion fréquente entre différence et inégalité qui procède du narcissisme spontané mal géré.  

 ...et ceux qui sont des barbares ou des êtres inférieurs parce que soit disant moins évolués, ne faut-il pas poser que le respect devrait à l'égard d'autrui se concentrer sur ses différences ? Est-ce que toutes les différences se valent et valent d'être respectées, si l'on songe au fascisme qui méprise et extermine les races inférieures ou aux cultures qui déclarent l'infériorité de la femme ? Puis-je respecter l'être différent de moi sans être contradictoire?  Si je respecte une différence est-elle encore une différence pour moi ? Ou bien si je respecte une différence est-ce encore du respect ? Ne confond-on pas ici respect et tolérance ? Auquel cas la différence d'autrui ne risque-t-elle pas de m'être indifférente ? Le respect ne serait-il qu'une modalité de l'indifférence ? Et enfin, si l'on veut conserver au respect sa cohérence ne doit-on pas dire que dans le respect des différences, nous ne respectons pas la différence pour elle-même mais pour autre chose que la différence donc quelque chose de commun ou de semblable pour moi et autrui : la paix?  Mais peut-être que nous n'arrivons pas à penser de façon non-contradictoire un respect des différences en elles-mêmes, essentiellement parce que nous déterminons ici aussi la différence d'une façon particulière et non pas singulière ? Cette différence-là n'est-elle pas essentiellement une caractérisation (différenciation) d'autrui à partir d'une comparaison de nos particularités qui ne prendraient pas en considération notre singularité?  N'y a-t-il pas une différence d'autrui par rapport à moi irréductible à toute représentation en ce qu'elle touche à notre unicité même ? Auquel cas le respect ne serait-il pas ici à entendre comme une extrême attention à autrui qui refuserait de l'enfermer dans des particularités quelles qu'elles soient ? S'agit-il encore du respect en ce cas ? N'est-ce pas plutôt de la sympathie, ou de l'amour ou encore un sacrifice devant autrui dont le fardeau est tel que l'on doute qu'il puisse s'adresser à tout le monde ? Est-ce que je ne serais pas dans « l'hémorragie » dont parle Lévinas ?
Le respect ne peut-être déterminé par une sympathie sans être particulier ou partiel ? En conséquence, ne faudra-t-il pas envisager que le -respect relève d'un formalisme dans le rapport à autrui qui exclut que l'on fasse des ressemblances ou des différences particulières ainsi que l'abnégation ou l'oblation de soi-même devant sa différence absolue, son fondement même ? De respect, n'y en aurait-il pas que d'un semblable définit universellement ? C'est-à-dire devant la personne morale d'autrui ?  Cela devrait nous amener à sortir d'une opposition entre semblable et différent ; pour voir que le respect de la personne humaine permet la solidarité avec les particularités culturelles ou sociales d'autrui et leur compréhension, ainsi que la rencontre de la différence absolue ouverte sur une démarche spirituelle de dialogue, d'amitié ou d'amour.
 
 
Premier moment.
Il nous faut partir de la divergence radicale qui se fait sentir à l'occasion de réponses immédiates à la question.  Nous remarquons aujourd'hui des attitudes qui orientent pour les unes sur l'idée qu'il n'y a de respect que du semblable, et pour les autres que le respect est principalement respect des différences (immédiatement posées dans la pluralité, il n'y a pas une différence mais des différences).  Nous commencerons par examiner la première perspective dans la mesure où la seconde se présente comme un dépassement (dans un sens fort peu hégélien) du respect déterminé comme respect du semblable.  La dimension du semblable en autrui est assez communément associée à une conception réactionnaire de la valeur puisqu'elle serait responsable de mépriser et de nier les différences (même lorsqu'elle se réclamait de valeurs universelles comme lors de la constitution des grands Empires coloniaux.  Ces deux perspectives instituent, chacune à leur manière, une opposition irréductible et statique entre semblable et différent ; la première secrète une logique soit d'exclusion (sociale ou politique par exemple), soit d'assimilation (colonialisme), soit d'extermination (purification ethnique), la deuxième un relativisme désastreux.  Cela n'est-il pas l'indice d'une « pensée ambiante » traversée par des divergences axiologiques ou plutôt un antagonisme idéologique (vision du monde) qui en l'occurrence est celui de la tradition et de la modernité ou même post-modernité.
Déterminer si la ressemblance est plus respectable que les différences ou vice-versa, nous impose de considérer brièvement la nature du respect. Que respectons nous ? Nous pouvons répondre d'emblée ce qui a de la valeur pour nous. Nous respectons une personne, une autorité, des supérieurs, nous respectons également une règle, une loi ou un principe, mais aussi nous pouvons respecter des locaux publics, l'environnement, la nature, ou encore la vie, etc.  En cela nous ne dirons pas avec Kant, que « le respect s'applique uniquement aux personnes, jamais aux choses ». Par l'usage du terme respect nous sommes confrontés à une pluralité d'objets respectables : des personnes dans le cadre d'une égalité ou dans celui d'une hiérarchie mais aussi des choses culturelles ou naturelles.-. Malgré cette multiplicité problématique (si l'on songe à la caractérisation kantienne du respect), il n'en reste pas moins que dans tous les cas le respect relève d'une attitude morale qui consiste à faire attention ou à prendre en considération dans la détermination de nos actions;, autre chose que nous ou plutôt que, nos désirs.  Très communément mais aussi très philosophiquement avec Hobbes, dans la perspective où le respect permet de faire place à autre chose que nous-mêmes (amour-propre), le mobile de la limitation de nos
désirs est situé dans l'affect ordinaire et naturel de la crainte, affect produit par quelqu'un ou quelque chose de plus puissant que nous, enveloppant toujours le risque d'une menace pour notre liberté voire pour notre vie.  

SR: et le sentiment de notre puissance d’agir et de notre valeur donc notre bonheur (Spinoza)  

  Nous serions ainsi contraints de respecter mais avec la disparition de la contrainte (extérieure) disparaît aussi le respect.  Il nous faudrait dire non que nous respectons mais que nous sommes tenus de respecter ou mieux que nous sommes tenus en respect.  Nous faisons disparaître toute dimension morale du respect ainsi que la perspective d'obligation du « faut-il ». Il nous est désormais difficilement compréhensible que nous puissions nous obliger alors que rien ne nous y contraint, à respecter quelqu'un ou quelque chose pour lesquels nous n'avons aucun goût ou même inclination mais tout simplement parce que nous avons le sentiment que nous le devons.  Mais le respect n'est pas intimidation pure et simple ce qui ne lui conférerait au mieux qu'une valeur sociale et politique ( de maintien de l'ordre) mais certainement pas morale,...  


SR Cette distinction entre droit contraignant et moralité mériterait d’être problématisée et fondée: on peut parfaitement soutenir que la seconde est l’intériorisation de l’autre et que la contrainte transformée en obligation intérieure est encore plus marquée que dans le droit extérieurement contraignant par la menace de perdre toute valeur aux yeux des autres et à ses propres yeux et si on lui désobéit ; il conviendrait de ne pas négliger l’éducation morale, dans ce qu’elle a de nécessairement violent, à l’origine du sentiment du devoir moral et du respect ainsi et par elle transformé en obligation « intérieure ». À moins de supposer une origine transcendantale de la moralité démentie par la nécessité d’éduquer les enfants à la moralité pour les rendre moraux en joignant la parole plus ou moins rationalisée à la violence originaire, sinon fondatrice, de tout processus de socialisation  


...dans la mesure où nous n'aurons aucun mal à concevoir que cette limitation de nos désirs obtenue par la crainte, ne fait que refouler le rêve de l'existence de Gygès.  



SR: Socrate remarquait déjà que cette position, reprise par Glaucon dans « la République » - La justice n’est qu’une manière de se protéger contre l’injustice des autres et la sienne dans la mesure où l’on ne peut être injuste impunément- était quasi inattaquable sur le plan réaliste ; Platon savait pertinemment que pour rendre les hommes meilleurs, dès lors qu’ils ne sont pas philosophes (et qui peut l’être sans éducation ?) il faut les y contraindre par la force , le mensonge et la ruse, exercés y compris par les philosophes-rois qu’il appelle de ses voeux pour diriger la cité idéale  

C'est passer à côté de la complexité de cet affect que de voir en lui qu'un sentiment de crainte ou d'humiliation, Kant met en évidence le sentiment d'une élévation fondement d'un sentiment de noblesse ou de dignité.  

SR: Mais ce sentiment de dignité peut être, à l’expérience, suspecté de n’être qu’un avatar déguisé de l’amour de soi produit par l’éducation et du reste Kant en était parfaitement conscient puisqu’il reconnaissait ne pouvoir dans les faits réfuter La Rochefoucault qui voyait dans l’amour de soi et l’égoïsme l’origine de tout nos comportements y compris moraux. La honte inculquée par ses éducateurs à l’enfant suffit à la rendre moral car elle contredit le sentiment de sa propre valeur et donc son désir d’être heureux (content de soi) ; là encore parler d’un sentiment de respect sans définir son contenu empirique et son origine psycho-sociale est une démarche pour le moins irrationnelle comme le disait Spinoza. Mais n’est-ce pas là contribuer à l’efficacité de l’obligation morale qui doit tout, à mon sens, à cette illusion métaphysique que nous sommes et devons être au-dessus de notre réalité empirique pour être bons et valorisé. Autrement dit, faut-il croire à notre transcendance quasi-divine ou purement rationnelle pour être moral en refoulant la vérité de nos comportements, y compris d’apparence moraux : notre égoïsme plus ou moins altruiste fondamental ? Mais n’est-ce pas alors faire de l’hypocrisie le ressort caché de la moralité et avec quels effets contradictoires (sentiment du péché, haine de soi et des autres qui ne seraient jamais suffisamment moraux et ne pourraient pas l’être, haine du désir et de la vie, masochisme sacrificiel, sadisme moralisateur etc..cf :Nietzsche et Freud). De plus peut-on rationnellement croire qu’une telle illusion est aujourd’hui efficace en une société pluraliste et athée (ou laïque) qui a fait du « droit au bonheur » le fondement de la liberté individuelle et du droit universel et du bien-vivre ensemble? Cette illusion ne pourrait être efficace pour moraliser les individus que dans une société qui peut encore croire massivement au salut post-mortem comme le étant but principal de la vie sur terre, donc une société religieuse ; du reste Descartes comme Kant le savaient puisqu’ils faisaient de la croyance en Dieu, l’un le fondement soi-disant démontrable de la vérité et la condition nécessaire, sinon suffisante, de la moralité empirique et l’autre un des postulats (avec la liberté, ce qui d’ailleurs pose un problème de compatibilité) de la moralité rationnelle transcendantale.


Ainsi, respecter c'est estimer ce que l'on respecte mais aussi c'est s'estimer soi-même ce qui est très différent de s'aimer soi-même (l'amour de soi ou l'amour propre)..  

SR Que l’estime de soi, dans son fond, soit très différente de l’amour de soi et de l’amour propre reste à démontrer empiriquement ! Là encore il peut y avoir un effet d’illusion : la différence peut n’être que de modalité c’est à dire provenir de conditions culturelles et psycho-sociales qui s’exercent sur un même désir premier, en effet universel: le désir de s’aimer en se valorisant soi-même, par la moralité ou autrement selon les circonstances et l’éducation reçue. Que ce désir soit lié à la conscience de soi, constitutive de la condition humaine, sociale et langagière, induite par nos rapports avec les autres par la médiation du langage et des rapports de pouvoirs et les valeurs que celui-ci transmet spontanément est au moins un hypothèse anthropologiquement testable à la différence de toute autre hypothèse métaphysique donc moins rationnelle car irréfutable au sens de Popper (est rationnel ce qui peut et accepte de se mettre à l’épreuve de la contradiction logique et avec l’expérience universalisable)



..Or cette estime de soi ou ce sentiment de sa propre dignité n'est possible que parce que nous sentons qu'elle est l'effet de notre propre volonté. Respecter c'est donc vouloir de soi-même faire place ou droit à autre chose ou quelqu'un d'autre que soi ou que ses désirs. Ce ne peut être que par la mobilisation à vouloir me limiter de moi-même que le respect trouve sa véritable dimension morale.  Le respect en sa rigueur oriente sur un plan moral dont la dimension la plus fondamentale est l'autonomie...  

SR Encore faut-il admettre que ce sentiment de choix volontaire est autre chose qu’une illusion due à la méconnaissance des causes et des affections internes et externes qui déterminent nos comportements. Et considérer que cette faculté de libre-arbitre est rationnelle, ce que conteste avec de bons arguments aussi bien Spinoza que Leibniz :et Hume une cause inexplicable ou auto-causée est irrationnelle car nulle cause ne peut expliquer l’inexplicable, voire l’incompréhensible :comment comprendre que cette faculté de libre-arbitre puisse se décider arbitrairement entre deux contraires -obéir à la raison ou au désir- sans qu’elle soit déterminée par rien d’autre que par elle-même à le faire, ce qu’admettait du reste Descartes, qui faisait, de la décision du mal contre le bien un choix sans autre raison que celle d’affirmer par là la puissance du libre-arbitre lui-même c’est à dire la puissance de choisir sans cause déterminante. Ce qui revient à montrer que Dieu et la liberté sont une seule et même idée métaphysique rationnellement incompréhensible et non seulement inconnaissable : celle d’une cause sans cause ou d’une puissance de décider sans raison qui pourrait arbitrairement se décider pour ou contre la raison. Où l’on rejoint le mythe en effet irrationnel du péché originel sensé justifié la souffrance d’Adam chassé du paradis pour avoir désobéi à Dieu sans autre motif que l’orgueil choisi contre l’innocence, alors même qu’il était innocent, bien que tenté par Eve (comprenne qui pourra !)
On peut résumer l'histoire du libre-arbitre de la manière suivante:
Acte1 Adam a péché librement en désobéissant à Dieu car Dieu l’a créé libre par amour, du même coup :
1)  Il est coupable et punissable (la souffrance, le travail, la mort ...)
2)  Il a transmis sa faute à tous les hommes, y compris aux enfants
3)  Dieu n’est pas responsable du mal et le mal subi par l’homme (même les nouveaux nés) est la condition de la Rédemption, à condition que les hommes aient la foi et obéissent à Dieu.

Acte2 Descartes, par l’expérience du doute volontaire radical, éprouve en lui l’infini de sa liberté que seule le fait à l’image et à la ressemblance de Dieu : Cette expérience subjective universalisable prouve qu’il est libre c’est à dire surnaturel, voire divin, donc promis à la vie éternelle (au moins son âme, Descartes ne parle jamais de la résurrection du corps et pour cause : celui-ci est pour lui une simple machine)

Acte3 Spinoza et Leibniz démontrent :
1)  que cette expérience du libre-arbitre ne prouve rien ; elle est subjective et fait l’impasse sur les causes qui nous font penser et agir, y compris qui nous font croire que l’on doute par choix. Que sans désir (raisonnable et raisonné ou non, c’est une autre question) il n’y a pas de détermination possible de la pensée et de l’action, bref pas de vie est possible. Les hommes se croient libres par méconnaissance rationnelle des causes qui les déterminent et par narcissisme (« que tous se vantent de posséder.. »)
2)  que l’idée du libre-arbitre est irrationnelle en cela qu’elle transcende le principe de causalité et tout principe explicatif, voire simplement toute description rationnelle et conceptuelle claire et distincte possible.

Acte4 Kant déplace la question de l’existence du libre-arbitre pour n’en faire qu’un postulat non démontrable et non connaissable de la moralité rationnelle. Mais ce faisant il ne se demande pas si ce postulat lui-même est rationnel et s’il n’exige pas la foi religieuse pour être admis ce qui a pour conséquence de faire reposer la possibilité de la morale rationnelle sur une croyance (c’est son propre terme) suprarationnelle dont l’universalité ne peut être ni de fait, ni de droit (à moins d’une conversion universelle au christianisme par la grâce de Dieu), car la raison ne nous impose pas plus la moralité Kantienne qu’elle ne nous impose sa condition de possibilité : le libre-arbitre absolu. ( voir Bergson : « Les deux sources de la morale et de la religion » et sur mon site le texte : « La critique de la raison morale »)

Acte5 La liberté devient expression plus ou moins raisonnée et régulée des désirs individuels, en l’absence de toute nécessité morale transcendante et/ou transcendantale et de toute perspective sociale crédible de salut post-mortem. Nous entrons dans la liberté des modernes comme l’appelait B.Constant : liberté individualiste, égoïste, ce qui ne veut pas dire non-altruiste : le bonheur de chacun a des conditions sociales, politiques, juridiques régulatrices et intersubjectives de réciprocité et de respect des désirs raisonnés d’autrui. Mais il n’y a plus d’absolu fondateur (tout absolu est irrationnel et déraisonnable car fanatique et/ou impuissant) ni de respect sans limite mais règle de coexistence pacifique ou d’entente négociée dans la forme de la réciprocité selon des modalités conventionnelles variables en affaire ou en amour par exemple ; leur seule valeur est d’être efficace et juste (non-violente et égalitaire), ce qui va de pair pour une bonne gestion des désirs réciproques des individus. La morale sacrificielle du devoir, qu’elle se prétende rationnelle ou non (et non venons de voir que ce qu’on peut en penser), est aujourd’hui stérile voire rationnellement dangereuse par le fanatisme moral qu’elle induit, en l’absence, dans notre société pluraliste et individualiste, de sens religieux hégémonique possible et souhaitable.  



Cette prise en considération d'autre chose que nos désirs, impulsions, inclinations, penchants ou goûts, par le sentiment de ce qui est respectable produit pratiquement une auto-limitation (volonté) de notre ego en l'arrachant à l'égoïsme.  

SR: Ce n’est qu’une croyance de l’aveu même de Kant. Ce sentiment vient-il de Dieu, tombe-t-il du ciel de la raison ? L’expérience nous autorise, voire nous oblige si l’on veut rester rationnel, à en douter ! 

Il apparaît ainsi que le respect est un sentiment qu'il y a des personnes ou des choses qui ont autant ou peut-être plus de valeur que nos désirs si bien que que nous devons vouloir limiter ceux-ci pour faire place ou droit à ceux-là (si qui a pour conséquence que notre existence n'est plus incompatible avec la leur) - En limitant nos désirs nous élargissons le champ de la valeur qui ne se limite plus désormais à mon individualité (désirante).
On ne limite jamais son désir par devoir mais par respect et recherche du désir d’autrui : ne pas oublier que le désir humain est désir du désir de l’autre pour pouvoir se désirer et s’aimer soi-même. L’égoïsme n’est pas forcément anti-altruiste, si ce n’est dans ses formes pathologiques dégradées par la violence subie. (voir sur mon site : « L’origine du mal(heur) » 
C'est la raison pour laquelle le respect est un sentiment complexe en ce que la frustration du désir( pour le dire d'une manière non-kantienne) donne lieu à une sublimation de la valeur (toujours pour le dire d'une façon non-kantienne) ou si l'on veut l'intérêt individuel fait place à un intérêt pour ce qui est autre que mon individualité.  

SR: Et pour cause : le désir et/ou l’intérêt individuel exige un minimum de réciprocité ! Tout intérêt est relation à l’autre de pouvoir et/ou d’amour, d’égalité ou de domination, même dans le don (voir Mauss) dans le but du bonheur personnel, y compris dans le relation morale transcendante à dieu et aux autres. Les saints cherchent aussi leur bonheur mais ailleurs et autrement que les autres...  


Mais il faut bien que cette autre valeur qui s'impose et que je m'impose soit aussi une valeur pour moi sans quoi nous ne comprendrions pas comment nous pourrions faire place à autre chose que nous, en nous restreignant de nous-mêmes.  



SR: Là encore tu t’appuies sur une vision fausse de l’intérêt et du désir qui, selon toi, exclurait les autres ; or l’expérience la plus banale des relations humaines, y compris à travers les objets de consommation et des messages qu’ils transmettent, dément cette vision simpliste et fortement religieuse du désir et de l’érotisme en général confondu avec la pornographie.  

  La valeur que nous respectons est donc bien notre valeur ou même la valeur (en soi) qui me fait découvrir en moi un intérêt pour ce qui dépasse l'individuel, pour ce qui est une valeur pour moi et pour autre chose ou pour quelqu'un d'autre que moi et donc pas seulement pour moi, c'est-à-dire une valeur et un intérêt communs.  La valeur que nous respectons est fondatrice d'une communauté donc d'une ressemblance, et ce que nous respectons c'est la participation à cette valeur identique constitutive de notre identité même.  Ainsi, si nous avons commencé par dire que nous ne respectons que ce qui a de la valeur pour nous, il faut plutôt dire que nous respectons que ce qui est digne de valeur.  Il paraît donc légitime de penser que le respect est respect du semblable en autrui, dans la mesure où je me détermine à vouloir limiter mes désirs en fonction d'une valeur qui n'est pas simplement individuelle mais commune à moi et à autrui.  



SR: Tous les hommes sont fondamentalement semblables dans leurs motivations, ce qui change c’est les stratégies, les modalités et les règles du jeu dans des conditions techniques, sociales et culturelles données. Les valeurs fondamentales sont partout les mêmes, leur combinaisons, leurs poids respectifs et leurs formes d’expression symboliques varient. Aujourd’hui la valeur première est celle d’autonomie individuelle dans la poursuite du droit au bonheur. De la contraception au PACS, il est inutile de multiplier les exemples. Mais cela est pour moi souhaitable dans la mesure ou toute tentation de retour en arrière ne peut déboucher que sur un totalitarisme puritain et/ou politique donc sur une violence physique et/ou morale liberticide.  

Il semble pour l'instant acquis que le respect présuppose la reconnaissance du semblable mais la difficulté désormais est de savoir quel est le fondement ou le critère de sa détermination.  En outre, il ne faut pas sous-estimer le fait que le respect parce qu'il nous amène à nous limiter (auto-limiter) n'est pas quelque chose à quoi l'on consent facilement, c'est-à-dire sans effort ou par une sorte d'inclination.  La difficulté pratique du respect (faire qu'il soit le mobile d'un respect du semblable qui nous oblige à nous limiter, donc à un certain sacrifice) peut faire soupçonner le caractère problématique du respect du semblable lorsqu'il est entendu comme dans l'une des deux réponses immédiates à la question.  Il y a ceux que l'on respecte et ceux que l'on méprise, ceux que l'on reconnaît pour ses semblables et ceuxsont perçus comme des êtres inférieurs ou vils.  Pensons au régime hindouiste des castes et au mépris pour les intouchables, au mépris des Grecs de l'époque classique pour les Barbares, au mépris des W.A.S.P pour les Noirs aux Etats -Unis, au mépris de l'aristocratie Ancien régime pour le Tiers Etat, au mépris de ceux qui gagnent beaucoup pour ceux qui gagnent peu. 



SR: La logique libérale et individualiste n’est rationnellement viable que dans le respect de règles de réciprocité et elle impose pragmatiquement que l’on distingue la personne de ce qu’elle fait, car chacun est aujourd’hui appelé à respecter des règles du jeu différentes selon les activités sociales et/ou intersubjectives et donc nul ne peut ni ne doit prétendre enfermer un individu dans un rôle (bien ou mal joué) unique. La vie moderne est un théâtre dans lequel chacun est acteur de rôles multiples possibles. C’est la condition de l’autonomie des individus, plus grande qu’elle ne l’était dans les sociétés traditionnelles qui imposaient des rôles prédéterminés invariants dont les règles et les valeurs dominantes étaient figées par la morale du devoir.  

Face à l'exigence considérable du respect, face à la volonté qu'il requiert, nous pourrions plutôt parler ici d'une facilité voire d'un réflexe ou d'une impulsion à respecter le semblable. Cette inclination au respect du semblable qui relève plus d'un désir que d'une véritable volonté, de la satisfaction d'une impulsion plus que la réalisation d'un impératif présuppose une inégalité entre les hommes ou si l'on préfère, elle présuppose que l'égalité et la ressemblance sont particulîères ( la particularité est à entendre ici comme catégorie de la quantité intermédiaire entre l'universalité et la singularité).  L'identité qui fonde la reconnaissance du semblable est celle d'une communauté . quelle qu'elle soit qui est prise dans une logique exclusive à l'égard d'autres communautés. Ainsi, nous rencontrerons le semblable en autrui sur la base d'une identité définie socialement, culturellement, idéologiquement, etc.  Dans le cadre de cette identité déterminée par la PARTICULARITE sociale (classe), culturelle (ethnie, nation -au sens romantique-...), idéologique, etc., autrui est mon semblable lorsqu'il a la même religion, la même origine ou la même couleur de peau que moi... Le respect du semblable dans cette perspective fait donc des différences entre les hommes ; il n'amène pas à respecter autrui, mais dans autrui le semblable. Autrui n'est pas posé du point de vue de l'universalité comme semblable, et la ressemblance avec certains fait apparaître des différences avec d'autres en ce qui concerne la dignité.  Nous sommes donc ici en présence d'une conception purement discriminatoire du respect.

A côté du caractère problématique d'une identité ou d'une ressemblance définie d'un point de vue particulier, il faut relever l'impossibilité de considérer les différences comme telles dans cette perspective ou bien peut-être même le désir de ne pas voir la différence en tant que différence. Autrui n'est pas simplement considéré comme différent mais comme un être inférieur sur le plan humain. Nous serons inévitablement confrontés au rejet, au mépris ou à la haine de l'autre.  Ce mépris prend notamment les formes ordinaires dans le rapport à l'autre du racisme et de l'intolérance.  LéviStrauss en a analysé le mécanisme psychologique dans le cadre de l'ethnocentrisme'.  La différence est posée comme infériorité par une tendance psychologique à la peur de l'autre (différent).  La perception des différences (ici culturelles) renvoie inconsciemment à la contingence des valeurs et des croyances culturelles ou encore à ce que Castoriadis appelle l'institution imaginaire de la société et par voie de conséquence à la liberté, définie comme indétermination humaine (cf. aussi la perfectibilité) ce qui ne peut manquer de produire de l'angoisse face au caractère relatif de son identité et son refoulement violent exprimé dans la dégradation de l'autre.
Est attaché à ce respect, déterminé du point de vue de la particularité, une idée particulière de l'humanité.  C'est dire que la ressemblance ou l'identité est relative et
1 «L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles- morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.[ ... 1 On sait, en effet, que la notion d'humanité englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée.  Là-même où elle semble avoir atteint son plus haut développement, il n'est nullement certain - l'histoire récente le prouve - qu'elle soit à l'abri des équivoques ou des régressions.  Mais, pour de vastes fractions de l'espèce humaine et pendant des dizaines de millénaires, cette notion paraît totalement absente.  L'humanité cesse aux
frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village. » Race et histoire 3.
.  Le semblable est alors exclusif du différent, le même de l'autre, si bien que si autrui est comme moi il ne peut être autre, et le fait d'être autre exclut la possibilité d'être comme moi.  En ce sens, le respect n'a que la dimension d'un principe de cohésion sociale (fondé sur la distinction d'un semblable ami et d'un différent ennemi engendrant le plus souvent l'exclusion de ce dernier) ou de cohésion d une communauté quelle qu'elle soit, mais certainement pas la dimension d'un principe moral.  Cette idée que la valeur est ici déterminée particulièrement et donc d'une façon relative, pourrait être envisagée comme hétéronomie et donc comme détermination matérielle de la valeur ( qui oriente sur des figurations mythologiques, religieuses, historiques, idéologiques, etc. et non sur sa détermination formelle donc infigurable) ce qui ne signifie rien d'autre que le respect du semblable n'est que le respect d'un semblable de fait et non de droit.  Nous sommes bien en présence d'une idée d'humanité qui n'est pas déterminée par la raison dans le plan de l'intelligibilité mais dans le plan de la fiction.  En cela, cette valeur fonde une hétéronomie incompatible avec l'idée d'humanité (idée morale d'humanité fondée sur la raison pratique cf. Troisième formule de l'impératif catégorique).

Il semble évident que l'on ne peut laisser le respect d'autrui être relatif et contingent dans la mesure où cela est incompatible avec l'idée de dignité humaine. Sur le plan de la relation à autrui, cela se révèle doublement dangereux en ce qu'en premier lieu l'être perçu comme différent est exposé à la violence ou à toute forme de négation de sa personne.  Mais aussi, il faut voir qu'à l'intérieur même du plan particulier qui définit la ressemblance (ethnie, race, idéologie, religion ... ), nous risquons de connaître une logique communautaire de négation de l'individu, c'est-à-dire de la différence individuelle (sous la forme de l'intégrisme, ou de la chasse aux sorcières, ou de la suspicion totalitariste) dont la conséquence est que le semblable ne peut être que celui qui est conforme (le conformisme), lui interdisant l'autonomie dans sa conduite et sa pensée.

Enfin si nous avons si longuement insisté sur cette conception du respect du semblable, alors même que de grands courants spirituels comme le Judaïsme, le Confucianisme, le Christianisme, l'islamisme, etc., invitent à poser le semblable dans le plan de l'universalité, c'est parce qu'il nous a paru que celle-là relève de l'archaïsme, or l'archaïque ici, n'est pas le révolu mais ce avec quoi nous n'en avons jamais fini comme le dit Freud.  L'archaïque est ordinairement considéré comme le commencement dépassé ou ce qui est loin derrière nous et renvoie surtout au domaine de l'évolution technique (en cela l'araire est un outil archaïque) mais il est en tant que source ou qu'origine, non plus dans le domaine technique mais dans le cadre de notre psychisme, quelque chose qui est de l'ordre du fondamental, d'un principe toujours actif qui ne passe pas et qui explique que nous voyons par exemple perpétuellement apparaître à toutes les époques de l'histoire de l'humanité cela même que nous déclarons sauvage ou barbare.  L’archaïque est ce que justement nous refoulons et en tant que nous le refoulons il est le signe de ce qui persiste : l'archaïque en ce sens est bien toujours l'actuel.  La tâche de l'humanité est bien de le dépasser mais non pas simplement de le refouler et ce dans chaque individu par rapport à la question de la moralité nous pouvons par le haut avec Kant nous demander quand est-ce que l'humanité sera majeure mais par le bas avec Freud nous pouvons nous demander quand est-ce que les hommes dépasserons enfin l'archaïque, quand est-ce que l'actualité de l'archaïque sera enfin dépassée.  Ainsi ce que nous avons caractérisé comme impulsion au respect du semblable relève d'une attitude archaïque dans le rapport à autrui dont l'actualité n'est plus à montrer.
Puisque le respect du semblable, particulièrement identifié, produit : et l'exclusion de l'autre différent particulièrement, et la menace interne d'une chasse à la différence individuelle, il s'avère que la différence d'autrui est doublement menacée de façon externe (xénophobie) et interne (ostracisme, mise au banc ... ). Il serait alors tentant de comprendre que le respect est fondamentalement respect de la différence individuelle qu'elle soit différence particulière(par l'attachement à une communauté) ou différence singulière ( par l'unicité de l'individu).
 

Deuxième moment.

Il serait alors compréhensible ou au moins tentant d'accorder aux chantres du respect des différences, de penser que le respect doit s'adresser à l'être différent de moi. Cela permet d'éviter au premier abord l'exclusion de l'étranger et le refus de l'individualité (originalité, autonomie). Cette perspective fait donc droit à la différence ou aux différences.  L'étranger ou plus largement l'être différent de moi peut exister à côté de moi sans avoir rien à craindre ; les différences peuvent coexister dans la paix à condition que cela soit réciproque.
Mais que représente pour moi cette différence que je respecte.  Si je la respecte c'est qu'elle se présente indiscutablement comme une valeur mais elle ne peut être qu'une valeur qui n'est pas la mienne (une valeur qui n'est pas une valeur pour moi mais une valeur pour autrui), et plus exactement une valeur qui ne vaut pas mieux que la mienne, donc une valeur à côté de la mienne, qui n'a ni plus, ni moins de valeur qu'elle.  Elle n'est donc pas transcendante par rapport à mes propres valeurs, elle ne vaut pas comme valeur dont le respect m'élève au-dessus de mes valeurs immédiates mais simplement son respect me laisse en paix avec les valeurs différentes d'autrui.  Il faudrait donc respecter l'égalité des différences et le droit à la différence mais quel est le fondement de cette égalité et de ce droit ? Est-ce que cela n'implique 'as que si les valeurs différentes (les miennes comme les tiennes) sont égales en ce que les unes n'ont pas plus de valeurs que les autres, elles le seraient par défaut d'une valeur transcendante.  Toutes les valeurs ou toutes les différences se vaudraient.  Si mes différences n'ont pas plus de valeur que les tiennes c'est qu'elles sont relatives.  La valeur d'autrui se trouverait sous l'égide d'un relativisme censé préserver notre droit à la différence.  Est-ce le meilleur moyen de respecter autrui et surtout est-ce respecter autrui ?
La première implication de cette perspective et non la moindre est que nous pouvons légitimement nous demander si nous avons affaire encore au respect ou si nous ne renonçons pas à sa caractérisation fondamentale esquissée dans le premier moment.  En effet, le relativisme de la valeur n'est-il pas incompatible avec le respect comme volonté d'une limitation de son individualité (amour propre) pour respecter une valeur transcendante mais constitutive de mon identité et d'autrui donc d'une communauté humaine ? Nous ne pouvons respecter que ce qui a une valeur non pas relative mais absolue.  Le respect ne peut nous amener à nous incliner devant ce qui pourrait être autrement, ou contingent.  Or dans la perspective que nous envisageons « on » ne respecte pas les différences parce qu'elles ont plus de valeur mais parce que cela permet de coexister en paix. « On » ne respecte donc pas la différence pour elle-même mais pour autre chose qu'elle même.  Ce qui présuppose de façon fort peu cohérente que le respect de la différence se fait au no e valeur qui doit s'imposer à tous les êtres différents : une valeur commune donc transcendante : la paix 



SR: Une valeur commune n'est pas nécessairement transcendante; elle peut parfaitement être immanente à l'expérience universelle du vivre ensemble, sans s'étriper. La sociabilité humaine pourrait être le produit, tout à le fois, de notre évolution biologique et de notre expérience raisonnée historique,  technique, culturelle et sociale. La hiérarchie des valeurs universelles de la sociabilité, leur combinaisons, leurs formes d'expression symboliques et les formes de pouvoirs qui les incarnent et les mettent en oeuvre sont variables. On pourrait prendre en exemple les valeurs familiales et sexuelles, voire la question de l'universalité de l'interdit de l'inceste, qui aujourd'hui, dans nos sociétés, devient problématique puisque l'inceste n'est plus juridiquement sanctionnable entre des adultes consentants (seul le mariage mariage incestueux reste interdit, ce qui n'est plus tout à fait la même chose) 

 
Finalement, le respect de la différence s'avère le respect d'une valeur commune à autrui quel qu'il soit et à moi : la paix, sous peine de s'exposer a une double contradiction.  Soit le respect de la différence est respect de la différence et alors la différence apparaît nécessairement comme une valeur transcendante qui vaut pour moi.  En ce cas la valeur différente est quelque chose que je dois vouloir puisqu'elle vaut par elle-même.  En conséquence, il faudrait vouloir respecter une valeur différente pour s'en rendre digne auquel cas elle ne serait plus différente ; ce qui est absurde; si nous respectons l'homosexualité ce n'est pas parce que l'homosexualité représente une valeur transcendante pour nous sans quoi ce serait pour nous une obligation de devenir homosexuel (comme c'est le cas pour l'homosexualité grecque de qui est respectable en elle-même). Soit le respect de la différence d'une valeur n’est que tolérance de la différence et respect d’une valeur qui doit s'imposer à toutes les différences sous  peine de nous exposer à voir notre différence niée par une autre différence.


SR: Tu pars d'une  définition  contestable du respect absolu de la différence de l'autre affirmée comme valeur transcendante à soi pour aboutir à une contradiction qui n'existe qu'au regard de ta définition. On peut très bien concevoir une différence dont l'extériorité n'implique pas supériorité et par conséquent qui puisse être l'objet d'une expérience intériorisée de l'autre en soi, si nous admettons que rien de l'expérience d'autrui ne peut nous être étranger, si nous faisons l'effort de la comprendre de l'intérieur. Les différences entre les hommes peuvent n'être que relatives à la diversité de leur histoire et des rôles qu'ils jouent dans des jeux différents mais leurs motivations restent compréhensibles par tous! Quel intérêt avons-nous d'absolutiser les différences, sinon à nous soumettre sans conditions à autrui ainsi divinisé; c'est à mon avis le dérive de le position de Lévinas dont le danger est de rendre impossible une relation de réciprocité de pouvoir et d'échange entre les hommes, donc d'égalité dans l'autonomie, au profit d'une compassion contemplative et fascinée des autres. On est très loin, me semble-t-il d'une vision libérale et rationnelle des relations humaines comme jeu des désirs et des pouvoirs autonomes et égalitaires en droit et au plus près d'une vision mystique liberticide, voire totalitaire. 

En effet, s'il n'y a que des différences en matière de valeur qu'est-ce qui nous garantit qu'autrui en sa différence respectera notre différence.  Nous ne voyons pas pourquoi la différence ne pourrait pas celle d'une personne ou d'un groupe qui affirment leur valeur comme supérieure aux autres et par conséquent s'engageraient dans un rapport d'hostilité.  Cm que la différence ne nie la différence s'il n'y a pas une valeur commune qui s'impose à tous ? Le fasciste ou le raciste, surtout dans une société démocratique, peuvent faire valoir la tolérance d'une façon pour le moins cynique, en disant que toutes les opinions se valent.  En conséquence, diront-ils, l'opinion qui déclare que toutes celles ui lui sont différentes sont inférieures, n'a pas moins droit de cité que les autres.  Le respect de la différence entendue comme respect de la différence en elle-même ne s'expose-t-il pas à tolérer l'intolérable alors qu'il pensait au moins parvenir à instaurer une tolérance des différences.  Le respect des différences pour la différence manquerait n on seulement le respect mais en outre la tolérance elle -même.
Et, il faut accorder à Lipovetsky (Le crépuscule du devoir, 1994, Paris) qu'aucune personne sensée qui revendique le respect des différences n'accepterait le relativisme qu'en toute rigueur il implique sur le plan logique'.  Il ne s'agirait pas tant de déclarer l'égalité de toutes les valeurs que de refuser le devoir d'éclaire d'éduquer les esprits à la pensée libre (qui n'est pas la liberté de pensée ce que l'o v Il s'agit de dire que chacun peut penser à sa guise dès lors qu'il ne nuit pas à autrui.  Il ne s'agit donc pas d'un idéal tourné vers autrui, mais une absolutisatio@ de l'individualisme et un désir de supprimer la dimension du devoir.  La liberté privée est au centre du respect d es différences dans la mesure où l'on veut par là éradiquer la dimension de la contrainte associée à l'idée de devoir.  Ainsi, si la tolérance est la valeur fondamentale d'une ère postmoderne, elle sait dire ce qui est intolérable et rejeter tout ce qui fait injure à la liberté de l'individu. « Il n'y aurait nul glissement vers le nivellement des valeurs, mais redistribution sociale du permis et de l'interdit, assouplissement des jugements moraux ayant trait au suicide ou à la @vie sexuelle, à l'avortement ou à la prostitution, mais persistance de la sévérité envers les différentes formes de violences et de délinquances.  Nous n'assistons ni à l'effondrement de la volonté ni au laxisme, mais à l'édification d'une conscience simultanément tolérante et la tolérance revendiquée de nos jours n'est pas assimilable au relativisme et au scepticisme complet comme aiment à le ressasser les pourfendeurs de « l'âme désarmée» La culture néo-individualiste coïncide avec un attachement de plus en plus sensible aux valeurs de la liberté privée, tout ce qui fait injure a ce principe se trouve massivement repoussé.  Ainsi m'accent pas l'attitude des témoins de +dure. » Néanmoins, Lipovetsky a tendance à faire peu cas de la distinction entre tolérance et respect ce qui ne lui permet pas de voir que le respect des différences n'est possible qu'à la condition d'un devoir de vivre en paix qui semble le dernier devoir à l'ère du « crépuscule du devoir ».
Quoi qu'il en soit, il faut donc dire que le respect de la différence n'est que tolérance de la différence et respect d'une valeur commune et transcendante : la paix.  Puisque c'est la tolérance qui prend le pas sur le respect dans le cadre du respect des différences, il serait nécessaire de faire la distinction entre une « tolérance molle » et d'une tolérance dynamique.  La première se caractérise par la possibilité de « vivre à côté de » ( perspective de l'individualisme et du communautarisme qui abrite le germe de l'indifférence aux autres ) et la seconde qui elle se caractérise par la possibilité de « vivre avec » ( société dans laquelle l'échange et le mélange des différences s'accomplit, que l'on pense à la fondation des Etats-Unis qui se forge, dans une certaine mesure, par un brassage des différences culturelles immigrants (le u encore à une France républicaine qui essaie d<brasse)es différences gionales).
Nous avons considéré jusqu'à présent le respect de la différence ou plutôt la tolérance des différences particulières en autrui.  Ce dernier considéré comme individu, peut-être caractérisé à partir de différences particulières ( elles indiquent l'appartenance à une communauté, à un groupe ou à une catégorie : chrétien, alcoolique, rappeur, homosexuel, Blanc ... ), mais il faut considérer autrui en tant qu'individu non pas simplement du point de vue de ses particularités mais du point de vue de son unicité.  Dans la perspective de la singularité, la différence d'autrui n'est ni relative à l'appartenance à un groupe ou à une catégorie, mais elle est absolue.  Une telle différence peut-elle être l'objet d'un respect?  En quoi consiste-t-il ?
Le respect d'une telle différence n'implique-t-il pas une extrême attention à autrui.  En effet, dans la mesure où cette différence ne procède pas d'une comparaison avec soi ou avec son groupe (comme dans le cas des différences particulières), dans la mesure où cette singularité est donnée d'emblée en ce qu'autrui n'est pas moi, respecter autrui en tant qu'il est singulier, ce n'est pas respecter en lui telle ou telle particularité qui l'apparente à un genre ou à un groupe, mais c'est respecter une singularité et surtout une liberté, de telle manière que je ne me permette pas d’y mettre de nom commun sur sa différence ou plutôt que je ne permette pas d’y mettre de nom commun mais seulement un nom propre.  Respecter ou plutôt tolérer ses convictions
(Jéhovah refusant de faire vacciner leurs enfants ainsi sont jugés intolérables les excisions rituelles et les mariages contraints. » Ibid., pl55) politiques ou son goût pour telle ou telle activité cela présuppose de toujours déterminer autrui à partir de catégories (toujours trop communes même si elles particularisent) ; cela fait toujours courir le risque de caricaturer autrui, de nous donner l'illusion de le connaître alors que cela ne peut produire que sa méconnaissance.  Respecter sa différence absolue, c'est avoir conscience que ma connaissance de ses particularités me laisse en défaut par rapport à lui, c'est s'interdire de l'objectiver : ne pas dire « il est ceci ou cela », « il est comme ceci ou comme cela »).  Le respect ne peut que déboucher sur l'écoute de sa singularité : « la différence absolue ne s'instaure que par le langage » Lévinas, Totalité et infini.  Cette différence absolue n'est pas de l'ordre de la représentation, de la figuration à la différence des différences particulières, elle ne peut se livrer qu'à une sensibilité spirituelle.
Mais n'est-ce pas une charge écrasante à l'égard d'autrui, dans la mesure où il parait difficile d'exiger une telle attitude devant tout le monde.  Pouvons-nous réellement parler de respect si l'on songe que ce que l'on respecte c'est une valeur qui s'impose à nous.  Si autrui est une valeur en soi, ou le fondement même de la valeur comme dit Lévinas, alors je respecte une altérité qui me place dans une situation de dissymétrie par rapport à lui ; nous ne sommes plus des égaux : « Je ne pense pas que l'autre est un alter ego, je ne pense pas que la rencontre avec l'autre commence par l'égalité parfaite (... ) ; mon obligation à l'égard d'autrui n'est pas symétrique ; la relation à l'autre homme c'est la dissymétrie par excellence ». Etre devant la singularité d'autrui et la respecter, cela implique qu'il ne s'agit pas de reconnaître le semblable dans autrui, ni même une différence particulière qui ferait appartenir autrui à une catégorie d'individus ou à une communauté, mais cela implique de voir que la différence radicale, l'altérité, ou l'unicité ne permet pas d'avoir en commun une valeur, ou de participer à une valeur identique (humanité comme idée morale par exemple).  Devant autrui, je ne peux poser un rapport de ressemblance comme préalable dans la mesure où cela impliquerait une réciprocité ; ce serait passer à côté de la singularité que de l'appréhender par rapport à une idée d'humanité commune, ce ne serait pas faire de la singularité quelque chose de premier mais la détacher sur un fond d'identité.  Or c'est justement parce que la singularité est première qu'il y a ici nonréciprocité.  Il ne s'agit pas à ce stade de fonder une communauté de semblables, ni même de fonder une société dans laquelle coexisterait pacifiquement les différences, mais de laisser advenir la singularité de l'autre dans une véritable rencontre d'autrui.  Cela, Lévinas l'appelle l'amour: « L'amour livre accès à l'unicité.  L'individu unique e st aimé et à ce stade, on est lié à autrui par une obligation à son égard où la responsabilité n'est pas encore un calcul, n'est pas encore discursive.  Avec l'unicité, il n'y a pas de justice ; c'est avant la justice, c'est beaucoup plus que la justice, c'est la charité ».
Mais, si la force de la charité est de laisser advenir la singularité, n'est-ce pas aussi sa faiblesse sur un plan moral dans la mesure où l'on voit mal comment universaliser une telle démarche ? Le respect ne peut être comme la charité, rencontre d'une singularité, d'une valeur de la singularité qui me surplombe, devant laquelle il ne s'agit pas simplement de surmonter en soi les tendances et les inclinations (sacrifice partiel) pour que la personne morale existe en moi, mais il s'agit de se sacrifier à cette singularité de « répondre à son appel » ;nous ne pouvons nous empêcher de penser qu'autrui est davantage un dieu pour nous que réellement autrui dans la mesure où l'altérité semble éclipser toute identité pourtant inséparable du concept d'autrui (identité et altérité).  Or, pour revenir au respect que je dois à autrui, ne faut-il pas insister sur le fait que l'amour est singularisant alors que le respect est universalisant.  Nous avons des obligations à l'égard d'autrui quel qu'il soit ( fût-ce un criminel !), alors qu'îl y a très peu de personnes que je peux aimer personnellement.  Nous avons à respecter tous ceux que nous ne pouvons aimer!  

SR: Là encore je ne vois pas la nécessité logique de ne respecter que ce qui me surpasse en valeur: au contraire c’est à mon sens confondre respect et admiration, voir soumission à une transcendance inaccessible ; le vrai respect, dans une société sans transcendance reconnue par tous , est plutôt fondé sur l’égalité du droit au bonheur et la réciprocité des droits et des devoirs. Ce qui me permet, au passage de sortir de la fausse aporie introduite par une formulation métaphysique du sujet : je ne respecte pas l’autre en tant qu’il est semblable ou différent dans sa nature empirique ou essentielle, ni en tant qu’il partage les mêmes valeurs transcendantes, mais seulement en tant qu’il a les mêmes droits que moi et les mêmes devoirs à mon égard que ceux que je me reconnais en tant que citoyen d’un état démocratique et libéral, pour que nous puissions vivre ensemble de la manière la moins désagréable. Ceci dit cela n’entraîne aucun relativisme : Toutes les formes d’idéologies justifiant l’intolérance et les inégalités comportementales et socio-politiques sont intolérables et doivent être combattues par les armes de la critique, voir dans certains cas et certaines conditions, par la critique des armes. Le relativisme mélange tout : ce qui est cohérent avec une formation sociale libérale et ce qui ne l’est pas ; ce qui pousse à la violence autodestructrice et à la domination et ce qui les limite, non pas seulement en droit et/ou en théorie, mais aussi en fait (à l’expérience). Le relativisme post-moderniste refuse de voir la cohérence en droit et les conditions régulatrices du libéralisme dans tous ses aspects économique, socio-politique et idéologique. Le post-modernisme refuse d’admettre que certaines valeurs sont anti-libérales et doivent être combattues ; ce en quoi il est incohérent avec son présupposé relativiste libéral. Mais il est vrai qu’il est victime de son contraire : l’universalisme républicain nationaliste dont l’universalisme de façade cache mal sa volonté d’écraser la liberté individuelle fondée sur le même droit au bonheur de tous les individus-citoyens respectueux des règles du jeu démocratique. Ce qui implique, sans avoir besoin d’une quelconque métaphysique morale fondatrice, le refus de toute pratique communautariste qui prétendrait marquer les individus à vie dans leur identité collective et dans leur statut à l’intérieur des structures de dominations existantes et des jeux de rôles qu’elles déterminent). Quant à la charité elle est une affaire privée et non pas de justice et peut par conséquent devenir un alibi pour couvrir l’injustice en perpétuant les inégalités, sans compter le fait qu’elle peut être facteur de dépendance accrue chez ses bénéficiaires apparents.  



 
Troisième moment.

Le prétendu respect des différences particulières et de la différence absolue éclipse le respect lui-même, soit par l'abaissement des exigences à l'égard d'autrui dans la tolérance, soit par leur disproportion dans l'amour.  Il semble ainsi que le respect ne puisse se concevoir qu'à l'égard du semblable en autrui, mais pour que ce respect ne soit pas discriminatoire ou pour qu'il ait sa véritable dimension morale, le semblable ne peut être déterminé que du point de vue de l'universalité, donc sur un plan formel.  Cela engage la perpective de la personnalité morale d'autrui  



SR: en tout cas son droit au bonheur et a l’autonomie dans le respect réciproque des règles libérales et égalitaires établies (ça suffit bien!).  

Le respect comme sentiment de la dignité humaine ne peut en moi-même se produire eu égard à la « matière » particulière ou singulière de l'existence d'autrui ; si tel était le cas soit je ne respecterais qu'une ressemblance contingente en autrui, soit il deviendrait le pur don de soi à autrui ( perspective de la singularité ). Le respect ne peut être respect des particularités d'autrui ou de sa singularité sans être en même temps la suppression de la valeur morale de mon rapport à autrui.  Il implique d'une part, que je reconnaisse en moi-même et en autrui une valeur universelle donc une ressemblance formelle; cette universalité n'est possible que par une loi de la raison pure (aucun recours à l'expérience où aux mobiles immédiats de l'amour propre) pratique (déterminant la condition d'une action libre ou autonome).  Le respect est le seul mobile qui ne soit pas un mobile de l'amour propre ( seule chose immédiatement en moi), le seul mobile moral produit par l'influence de la raison sur ma sensibilité (faculté de plaisir et de déplaisir).  Le respect ne peut donc s'adresser qu'à la personne morale en autrui or en quoi consiste-t-elle, si ce n'est en la possibilité pour chacun d'entre nous de déterminer notre action par rapport à nous-même et par rapport à autrui indépendamment de nos inclinations (envies, on dirait trivialement aujourd'hui).  Le respect est ainsi ce sentiment qui allie le déplaisir de la limitation que la loi morale ne peut manquer d'infliger à l'amour propre et la satisfaction d'une élévation de soi-même au niveau du pouvoir de se déterminer indépendamment de tout intérêt individuel ou égoïste ; il me fait sentir le mérite et la responsabilité morales dont je suis capable ou dont autrui est capable.  Cette affection de ma sensibilité par l'impératif catégorique mobilise ma volonté sans que celle-ci ne trouve l'origine de sa mobilisation dans la sensibilité intéressée mais dans le principe de la raison pure pratique affectant la sensibilité.  Ainsi, le respect ne peut en aucun cas être un mobile moral (déterminant mon rapport à autrui ) antérieur à la loi pratique ou indépendant d'elle, comme c'est le cas dans les philosophies de la morale qui situe son origine dans le mobile de la pitié ou de la sympathie, donc qui situe le principe de la morale dans la sensibilité. Le sentiment du respect est un effet du principe moral de la raison pure pratique sur l'affectivité et non une cause ou le principe de la valeur morale.  Le respect est le seul sentiment qui ne soit pas immédiatement mobilisateur et c'est justement ce qui fait sa valeur morale, dans la mesure où il est produit a priori par la raison elle-même, sans quoi mon rapport moral à autrui ne serait que réaction (qui traduit une attitude dont les causes ne sont pas intégralement le résultat de ma volonté) et non action.
Nous pouvons dire dans le cadre du respect que le rapport à autrui ainsi qu'à soi-même est un rapport à quelque chose de formel en autrui et en moi (c'est une pure forme qui me détermine et me mobilise), qui a pour conséquence le devoir de déterminer de façon intellectuelle (ou intelligible) et non pas de façon sensible ou empirique autrui comme semblable.  Autrui quel qu'il soit est mon semblable, cela veut bien dire que je ne dois pas tenir compte de ce qu'il est « matériellement », que je ne dois pas tenir compte de sa personnalité empirique, mais de sa personnalité morale ou pratique.  Semblable, il l'est par ce pouvoir d'autonomie ou d'autodétermination de la volonté indépendant de toute inclination ou préférence.  Le dégoût, l'absence d'intérêt ( affectif, social... ) pour autrui, l'agacement, une différence quelle qu'elle soit ne m'autorise jamais à lui manquer de respect ce qui serait me manquer de respect en abandonnant la détermination de mon rapport à autrui à des mobiles purement affectifs qui me déterminent malgré moi ou en fonction de mon intérêt individuel et donc en renonçant à la liberté comme principe de cette détermination.

Si mon rapport à autrui sur le plan du respect est rapport à ce qu'il y a de formellement semblable en autrui, ce rapport à la personnalité morale d'autrui donc à sa forme humaine (et non à la réalisation empirique [les cultures] de l'humanité), n'implique pas, bien au contraire, qu'il s'agisse d'un rapport formel à autrui comme dans le cas d'une politesse qui serait devenue pure convention ou pure hypocrisie üe le fais parce que cela se fait ou je le fais parce que j'ai intérêt à le faire et non parce que je sens que je dois le faire), ou dans le cas d'un respect de la loi, non pas pour la loi elle-même mais en vue de nos intérêts et notamment par rapport à la crainte d'une sanction.  Ce qui bien évidemment ne ferait du respect d'autrui qu'une formalité (respect formel = respect de la forme humaine intellegible), qui n'a par nature aucune valeur morale.  Ces formalités sont bien l'essentiel de l'aftitude intéressée à autrui, c'est-à-dire qu'elles ne sont que l'habillage ou la parure de l'insociable sociabilité.  Ce rapport formel ( à ne pas confondre donc avec le rapport à l'existence formelle de la personnalité morale d'autrui) ne comporte aucune attention désintéressée à autrui, contrairement au respect qui est prise en considération de l'humanité d'autrui définie comme idée morale de la raison.  Ce terme « formel » qui est la clé d'une conception de la valeur morale universellement possible en chaque homme signifie tout simplement que l'on ne peut pas tenir compte des différentes façons dont les hommes ont déterminé une morale sociale ou religieuse (donc le semblable) dans la mesure où cela est trop particulier ou relatif à une histoire, une tradition, donc à des principes que la raison pure pratique ne peut produire par elle seule, et qui relèvent par conséquent d'une hétéronomie qui nie le pouvoir propre de la raison de déterminer le critère de la valeur morale et nous fait dépendre d'autorités ou de sentiments enfermant l'homme en sa minorité.  Prenons la mesure de ce terme donc en éclaircissant son équivoque, en songeant d'abord à son emploi dans une expression telle que : « une interdiction formelle » ; cela signifie une interdiction qui ne souffre aucune exception, donc universelle et en ce cas « formel » veut bien dire indépendant de toute matière ou de toute exception.  Et songeons ensuite, que dans le domaine théorique ou de la connaissance, « formel » est l'expression même de la stérilité, dans la mesure où « un concept pur sans aucune intuition est vide » formellement, nous ne pensons rien, nous ne connaissons rien puisque penser quelque chose, c'est penser à quelque chose qui ne peut être donné que par l'intuition ou la perception.  Au contraire, dans le domaine moral, « indépendant de toute matière » est la condition même d'une rigueur morale absolue, puisqu'il s'agit de se déterminera indépendamment de toute particularité ou singularité.  



 
SR: Loi de raison pure ? Si cela veut dire contre et/ou au mépris de l’aspiration et du droit au bonheur privé en ce monde je crie au danger de tyrannie liberticide. (voir aussi ce que Kant dit du postulat du salut post-mortem comme seule manière de réconcilier l’aspiration au bonheur et le devoir moral que sa pratique nous fait mériter, ce à quoi je réponds, en tant qu’amoureux de la vie ici-bas et non-croyant : « je ne marche pas ! »),  

En conséquence,  le semblable ne se reconnaît pas ou ne se détermine pas empiriquement donc sur la base d'une existence sensible mais sur la base d une forme purement intelligible de l'existence d'autrui. cette forme de l'existence d'autrui est fondée sur la raison pratique qui fait sentir son influence sur la sensibilité dans l'expérience -du respect.
Néanmoins, nous sommes peut-être allés un peu vite en besogne en déclarant que l'amour ne pouvait pas avoir une portée universelle puisque là conception chrétienne, telle que nous la trouvons chez Paul de Tarse pose que mon semblable est mon prochain. En cela, elle remet en question l'idée que l'amour ne peut être universel et sans préférence. Ce qu'il faudrait considérer en autrui ce n'est pas seulement le semblable (respect) mais le prochain (amour).  Est-ce que cette exigence morale ne fait pas du respect une attitude morale insuffisante parce que trop sensible à la loi morale et pas assez à la personne ? Mais est-ce que ce n'est pas encore une exigence démesurée pour nous qui est de l'ordre de la sainteté plus que de la moralité ? Est-ce que ce n'est déboucher sur un « fanatisme moral » préjudiciable à la moralité même ?
L'OEy(xntl qui aurait une portée universelle est un amour désintéressé et oblatif, un dévouement absolu que les Chrétiens devraient avoir pour autrui que ce soit le passant, l'inconnu, l'étranger, l'esclave, l'ennemi ; « L'OEyunq excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout » ( Epître aux Corinthiens, XIII ). Qu'est-ce, si ce n'est un renoncement à soi, tel qu'il se manifeste dans « l'ignominie de la Croix » , dans l'abaissement, le dépouillement, l’humiliation volontaires.  Un amour qui n'a plus rien d'égocentrique pour aimer quelqu'un d'un amour de charité, nous n'attendons pas qu'il se rende aimable, que nous puissions nous complaire en lui ; nous l'aimons sans condition préalable et parce que nous l'aimons nous créons une ouverture vers lui et même un passage en lui, un oubli de soi dans l'autre.  Nous comprenons bien que nous devons respecter sans condition préalable ou particulière, mais il paraît difficile pour ne pas dire plus, que nous puissions aimer quiconque sans condition préalable.  

 
SR Si l’obligation pragmatique de respecter les droits d’autrui pour être respecté dans les miens est libérale, celle d’aimer mon prochain est anti-libérale car elle me fait obligation de me sentir proche et compatissant de et avec n’importe qui pour être heureux, voire pour mon salut post-mortem : elle tente de m’imposer une conception de mon bonheur dans la sainteté ; conception du reste impraticable à la plupart des hommes qui ne peuvent aimer que dans l’exclusivité. De plus elle disqualifie l’amour érotique et le désir amoureux comme condition du bonheur ici-bas.
Bref  cette conception de l’amour veut faire de nous des anges asexués, ce qui nourrit à tous les coup la tartufferie hypocrite et le puritanisme générateur de pornographie.  

Conclusion

Dans cette analyse de la visée du respect, a été indirectement accomplie une réflexion sur l'acte par lequel la raison limite notre amour-propre et nos prétentions vis-à-vis de la réalité d'autrui s'atteste, ici,, dans une réflexion sur la limite, non comme une situation qui m'affecte( ou comme dans le cas d’un respect-crainte), mais voulue.  L'acte d'auto-limitation impliqué par le respect est devoir et reconnaissance, puisque nous ne pouvons limiter notre désir en nous obligeant, sans poser le droit d'autrui à exister.  L'obligation à l'égard d'autrui et son existence sont corrélatives : « Il n'est pas possible que je reconnaisse autrui dans un jugement d'existence brute qui ne soit pas un consentement de mon vouloir au droit égal d'un vouloir étranger» Ricoeur, Sympathie et respect, p.388, in A l'école de la phénoménologie.
Nous Pourrions reprocher à Kant, Ou plutôt à l'analyse du respect qu'il a inspiré dans le troisième moment de n'avoir pas envisager autre chose que la dimension d'un rapport à l'existence formelle de l'existence d'autrui ( existence formelle de la personnalité morale, liée au caractère formel de l'obligation ), mais la « pauvreté même du formalisme est sa raison d'être » Ricoeur, ibid.  Cela ne doit pas faire perdre de vue que la détermination complète de quoi que ce soit est indivisément forme et matière, ainsi, dans le rapport à autrui on ne peut ni séparer la ressemblance des différences, ni déclarer la sympathie ( ou d'autres figures de l'affectivité) incompatible avec le respect.  Mais, ce qu'il faut voir, c'est que la prise en considération des différences d'autrui et de ma sympathie à l'égard de lui permet de distinguer les différences respectables de celles qui sont intolérables et une sympathie respectueuse d'une sympathie qui risque de tomber dans le travers d'un empiétement sur autrui par une tendance au rapport fusionner telle que nous la trouvons dans le romantisme et notamment dans le préromantisme de Rousseau avec le mythe d'une transparence des cceurs).
Le respect d'une part, n'est pas incompatible avec les différences empiriques d'autrui.  Elles sont respectées en seconde main si l'on peut dire, lorsqu'elles sont elles-mêmes respectueuses de cette identité formelle d'autrui avec moi. Le respect des différences quoi qu'il en soit, n'est acceptable qu'à la condition que les différences soient respectueuses de la personne ( le respect de la personne permet de reconnaître l'égale valeur de l'autre, de ne pas le considérer comme un simple individu qui court toujours le risque d'être traité comme une chose ou comme un simple moyen).  Il ne peut donc pas y avoir respect inconditionné des différences ; il doit être respectueux de la personne morale en premier lieu donc du semblable, sans quoi nous tomberions dans un relativisme dangereux par l'indifférence ou la violence qu'il sécrète à l'égard des différences ou de la -différence d'autrui.  Ainsi, le respect de l'autonomie des individus ne nous empêche pas d'être solidaires de certaines, différences. Il est ainsi possible de reconnaître les différences, d’en être  enrichis comme le dit un peu rapidement un lieu commun post-moderniste d’une façon plus incantatoire qu’effective, sans renoncer au cadre universel du rapport entre les hommes ou entre autrui et moi.  


 SR: Le respect est condition du dialogue avec autrui et avec soi. Ce dialogue est possible car les grandes valeurs sont universelles et traduisibles dans toutes les langues ou cultures au sens large ; chacun peut comprendre l’autre non pas pour approuver mais pour mieux se comprendre soi-même ; chacun porte dans sa propre expérience toutes les valeurs et les stratégies pratiques et pragmatiques (en vue du bonheur) contradictoires possibles. Mais le travail du refoulement fait son œuvre : on en oublie ses propres contradictions et on les projette sur les autres dans la haine et la violence. Dialogue et respect nous enrichissent de la conscience de nos possibilités contradictoires pour mieux être avec nous et les autres (plus raisonnablement), mieux réguler nos désirs et nous rendre plus autonomes dans leurs formes d’expression.  



 
D'autre part, le respect en sa radicalité morale, n'est pas un rapport à la personnalité individuelle, ; de ce point de vue nous pourrions critiquer le cadre limité (par rapport à 'l'affectivité ou à la spiritualité ) de ce rapport à autrui qui n'est que la rencontre d'une existence formelle, ou la rencontre de son humanité comme idée de la raison et non comme totalité vivante.  Il est bien évident que ce rapport à autrui ne se suffit pas à lui seul au regard d'une rencontre de la personne en chair et en os ; il n'est qu'une condition minimale du rapport à autrui et pourtant fondamentale, qui n'exclut pas la sympathie.  Comprenons que nous devons au moins cela, même si nous ne pouvons faire connaissance, discuter ou lier amitié...., avec tout le monde !
Limité sur le plan de la rencontre d'autrui ( en ce qu'il ne semble ne tenir compte ni des différences d'autrui, ni des sentiments que nous pouvons avoir à son égard) pourtant, le respect ne peut pas nous apparaître exorbitant en son exigence universelle, au point que Kant lui-même se demande si jamais une fois il y a eu un seul acte de respect accompli par un homme.  De ce point de vue , nous ne pouvons pas le rejeter comme utopique, mais nous devons reconnaître son caractère idéalement et obligatoirement nécessaire, même si l'histoire de l'humanité nous offre le spectacle d'individus civilisés souvent assez loin d'une telle moralité.  

SR: Nécessaire à quoi, si ce n’est à nous rendre plus heureux dans nos rapports avec les autres et nous-mêmes ?  


 Le respect (de la personne humaine) en son formalisme peut ainsi apparaître, dans mon rapport avec autrui, comme un cadre et un principe d'appréciation de toutes les particularités et de nécessaire distanciation à l'égard de la singularité d'autrui ( au sens d'un recul qui permet de voir ou de prendre en considération ce qui sans cela ne serait pas aperçu).
En posant autrui comme semblable, dans le cadre du respect nous pouvons alors dialoguer avec les différences et écouter la singularité, pour conquérir une ressemblance non plus formelle mais concrète ou plutôt spirituelle que ce soit dans l'amitié ou l'amour pour transcender la pure mais nécessaire obligation de la reconnaissance respectueuse d'autrui. 


Conclusions de cette controverse:



Sylvain Reboul:

Cette échange met en jeu deux positions:

1) L'une idéaliste, celle de Kant, héritière de l'idéologie chrétienne sacrificielle, définit le respect d'autrui comme un devoir absolu en au même titre que la compassion et la charité. Mais en tant qu'obligation purement rationnelle elle est fondée sur les croyances suprarationnelle en la liberté et en la surnaturalité de l'homme telle qu'elle s'exprimerait dans le pouvoir de la raison à s'imposer au vouloir contre le désir. Elle se veut un idéal régulateur peut-être, voire sans doute, inaccessible mais indispensable au progrès moral de l'humanité.

2) L'autre, plus réaliste, constate que l'héroïsme moral de la première, en l'absence de la perspective du salut post-mortem largement partagée, est sans effet sur les désirs humains dans une société, qui a habilité le droit au bonheur individuel comme fondement de la liberté concrète. Elle propose une conception régulatrice et éthique du respect d'autrui comme condition de ce droit au bonheur qsui anime nos sociétés démocratiqsues et pluraluistes sans possibilité de retour souhaitable, à moins de souhaiter la fin de la démocratie elle-même.

je pense donc, qu'à vouloir fonder le droit et la moralité sur un absolu métaphysique, on risque de désespérer les hommes et/ ou à les pousser à la révolte contre la démocratie elle-même. L'absolu interdit logiquement tout compromis et toute transaction en les présentant comme des compromissions perverses et hypocrites, alors qu'elles sont la condition de la paix civile et de le régulation par le droit, lui-même évolutif. L'absolu n'est pas négociable et c'est ce qui fait, sa dangerosité pour les société laïques. Il autorise tous les dérapages vers l'intégrisme et le totalitarisme idéologico-politique. Enfin comme le savait Pascal, l'absolu n'est ni pensable ni définissable par la raison et croire le contraire c'est fouvoyer la philosophie elle-même dans un domaine qui exclut son exigence propre de vérité argumentée: celui de la religion. L'histoire nous donne de nombreux indices que les idéologies de la lévitation spirituelle engendre les carnages ou la volonté suicidaire d'en finir avec le monde et la vie. 


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