3) Le débat interne au libéralisme aujourd'hui : Libéralisme ou social-libéralisme?
La notion de justice sociale est-elle compatible avec le libéralisme?
Textes de Benjamin Constant
Textes de Friedrich Hayek
Textes de John Rawls
Textes d'Amartya Sen

3-1 La critique de la position sociale-libérale de Stuart-Mill
La position  social-libérale de Mill  rencontre une grande difficulté: celle de faire de l'état un régulateur nécessaire de l'économie libérale, afin de préparer les conditions d'un hypothétique stade ultime, stationnaire et harmonieux de l'histoire humaine, alors que ce stade lui apparaît  contraire à le dynamique même de la liberté d'entreprendre en vue de profit individuel qui définit la logique de l'économie de marché capitaliste et que, selon lui, l'état ne peut prétendre diriger l'économie libérale sans devenir nécessairement tyrannique. Devant un telle  difficulté Mill est tenté par la fuite dans le rêve finaliste d'une humanité supérieure, acquise à la recherche d'un bonheur général spiritualisé aux dépens du bonheur matériel de l'enrichissement illimité. Cette humanité  ne verrait plus dans l'économie marchande elle-même le cadre essentiel de la vie sociale et relationnelle des individus et de leurs  désirs mutuels de reconnaissance. Il fait bien souvent
recours à l'idéal chrétien de l'amour universel et altruiste sans, afin d'assurer cet optimisme, avoir la ressource de l'espérance que produit la  révélation religieuse. On peut donc dire que Mill tente de jeter les bases d'un christianisme non religieux , ce qui est confirmé par ses références constantes au christianisme authentique des origines qu'aurait trahi le christianisme historique et despotique (intolérant). La position de Mill revient donc à reprendre à son compte l'idéal eschatologique du salut de l'humanité pour l'inscrire dans une perspective libérale et séculière. Il emprunte semble t-il à A.Comte cette vision d'une religion positive et immanente possible du salut de l'humanité, à la  différence qu'il ne souhaite nullement fonder une nouvelle église pour la promouvoir. Or on voit mal comment une société de marché dans laquelle les individus poursuivent des buts égoïstes, même mutualisés,  pourrait se convertir en société réconciliée et altruiste sans intervention divine transcendante (supérieure à l'humaine condition) ou soumission à une autorité morale et politique immanente (une église ou un parti politique hégémonique) qui aurait le pouvoir de l'incarner. Une société religieuse sans religion ni église dominantes,  voire exclusives, et sans culte obligatoire peut à juste titre nous apparaître comme une espérance impossible car contradictoire.

On peut donc faire à Mill la même critique que l'on a pu faire à certains socialistes
idéalistes : croire que l'on peut changer les hommes par la puissance d'idées généreuses et qu'il faut penser l'histoire humaine du point de vue de ce que doivent être ou devenir les hommes et non de celui qui définit ce qu'ils sont à savoir nécessairement égocentriques dans le recherche, même partagée, du bonheur ou contentement de soi. Il convient donc  plutôt de compendre  ce qu'ils peuvent faire de ce qu'ils sont en vue d'entretenir avec les autres des relations plus pacifiques et libérales de coopérations.
Une telle attitude moralisante qui juge de l'histoire selon une vision utopique des hommes s'appelle de l'idéalisme et nous savons d'expérience qu'à vouloir changer radicalement les homme en un sens utopiquement moral (contraire à toute réalité existante ou réalisable), on aboutit toujours à la contrainte extrême religieuse (terreur divine) ou politique et policiere  (totalitarisme révolutionnaire). Kant déjà remarquait qu'il était impossible de faire des battons droits dans le bois aussi tordu dont les hommes sont faits et que toute éducation soulevait le problème de savoir qui pouvait éduquer les éducateurs du point de vue d'un idéal  qui était si contraire à la réalité vécue et à l'éducation réelle qu'ils avaient eux-mêmes  reçus; n'oublions jamais en effet que l'on éduque d'abord par l'exemple et non par des discours aussi généreux soient-ils, car dès lors que ceux-ci ne correspondent plus aux comportements réels des éducateurs, il perdent toutes crédibilité et non seulement n'éduquent plus dans le sens de l'idéal mais au contraire favorise les comportement exclusivement  égoïstes; dans de telles conditions la morale ne peut alors s'imposer que pas la terreur qu'exercent les prétendus éducateurs sur ceux qu'ils ont ou qu'ils se donnent ou qu'on leur donne pour mission d'éduquer. Mais une telle terreur est pas essence anti-éducative; il suffit en effet qu'elle soit levée ou que celui qui l'a subie croit qu'elle est défaillante pour que le pire s'affirme sans limite, ni règle, c'est à dire que les mal-éduqués, sinon les mal élevés
seraient alors tentés de faire la plus mauvais usage de la (pseudo) liberté ainsi recouvrée. À prétendre forcer les hommes à être des anges on a toute chance de les transformer en brutes égoïstes exclusives et violentes.

Retenons de la critique de ce rêve de Mill (et dans un autre contexte philosophique communiste de Marx) que l'idée de société harmonieuse, c'est à dire sans inégalité ou conflits sociaux ou de classe, suppose des valeurs communes
incontestées fondatrices d'une volonté générale susceptible d'être incarnée par un état investi de la mission de les formaliser et de les faire respecter, sinon de les imposer. Or une telle communauté de valeurs est impossible dans une société libérale qui reconnaît le droit des individus à penser et à s'exprimer éventuellement contre les idées de la réalité sociale (ce qu'elle semble être) et les valeurs dominantes (ce que doit être la vie sociale) et à entreprendre dans le domaine économique réglé par le libre marché concurrentiel.
Chacun sait, en effet, que la compatibilité entre la liberté et  l'égalité ne va pas de soi, pas plus que l'affirmation de l'autonomie individuelle ne l'est avec celle de la solidarité collective; chacun sait que les compromis entre ces valeurs, d'autant plus  opposées qu'elles sont interprétées et instumentalisées, dans le réalité,  par des intérêts en conflit entre possédants et non-possédants , riches et pauvres, dirigeants et dirigés, employeurs et employés sont toujours discutables et nourrissent les divisions politiques, voire éthiques et religieuses ; de tels compromis ou hiérarchie entre les valeurs et leur interprétations concrètes  sont donc toujours problématiques dans une société qui se reconnaît comme démocratique,  objectivement divisée et idéologiquement pluraliste. Une telle définition de la volonté générale ou commune assortie d'une conception de l'état central chargé de l'incarner risque donc toujours de légitimer telle ou telle forme de tyrannie, fut-elle à forme démocratique; ce que Tocqueville appelait le tyrannie douce de la majorité, douceur qui ne l'a rend pas moins tyrannique, mais plus, dès lors qu'elle s'impose d'autant plus qu'elle paraît plus légitime.

3-2 Benjamin Constant, critique de Rousseau et fondateur du libéralisme moderne
Déjà Benjamin Constant, le plus grand penseur libéral français du XIXème siècle (1767-1830), avait instruit dès 1815, le procès de la vision rousseauiste de la souveraineté populaire et de la volonté générale. L'idée même de souveraineté populaire peut-être source de menace pour les libertés individuelles. Celle-ci en effet est affirmée par Rousseau comme devant s'imposer sans restriction aux intérêts particuliers par la  médiation de magistrats qui sont chargés de l'appliquer sans aucun contrôle, ni limite. Mais il ne convient pas, pour B.Constant, d'en faire reproche à ces derniers ni même à la forme
monarchique ou représentative de gouvernement , car cette dérive relève de l'idée même de volonté générale et de souveraineté populaire "absolue", c'est à dire sans limite légale suffisante visant à préserver les droits individuels vis-à-vis de l'intérêt commun ou bien de l'état ou de la majorité qui s'arroge le monopole de sa définition.  Rousseau, en effet, fonde la contrat social sur "l'aliénation originaire par chaque individu de tous ses biens et de tous ses droits à la communauté" en vue d'éradiquer toute forme d'inégalité antérieure, qu'elle soit naturelle ou historique; si celui-ci  récupère des droits et des biens par la suite, il ne le doit qu'à l'état et selon des formes et dans des limites décidées par lui en tant que ce dernier incarne la volonté générale expression de la souveraineté (au moins majoritaire) du peuple. Il n'y a pas chez Rousseau de droit humain indépendant des droits des citoyens: chacun, dans une société juste, doit être entièrement soumis, dans ses droits, à la loi générale égalitaire telle qu'elle s'exprime par la voie du scrutin majoritaire sous forme de volonté générale qui, en elle-même ne peut errer, bien que son expression puisse être pervertie par des mouvements erratiques de l'opinion majoritaire passionnelle des électeurs, dès lors que la société est ou reste peu ou prou inégalitaire. Tous les attributs du souverain qui "en tant que corps social ne peut nuire à chacun de ses membres" et par lesquels chacun se donnant à tous nul ne se donne à personne ne sont effectifs que si le souverain délègue ce pouvoir à une minorité qui seule peut faire usage de la force, à savoir les membres de l'état ou le prince et l'égalité théorique qui fonde le contrat social disparaît alors dans la pratique même du pouvoir étatique d'autant plus absolu qu'il se réclame de l'autorité, réelle ou supposée, de la volonté générale ou majoritaire que seul il peut prétendre incarner . L'état est alors (le) tout et les individus souverains en tant que citoyens contractants,  ne sont plus rien en tant que membres ou sujets de l'état face à son autorité instituée comme juridiquement transcendante.."Le peuple a écrit Rousseau est souverain dans un rapport et sujet sous un autre" ; dans ces conditions lui répond B.Constant "Il est facile à l'autorité d'opprimer le peuple comme sujet pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu'elle lui prescrit ". Nous avons là par anticipation une critique tout à fait pertinente du totalitarisme des soi-disant ex-démocraties populaires  lesquelles ne manquaient pas de se réclamer de l'exigence d'égalité non seulement de Marx mais aussi (et peut-être surtout) de Rousseau pour justifier l'absence de liberté individuelle sur tout les plans: en l'absence de toute liberté politique et de penser, l'état au nom d'une volonté générale dont il s'arroge l'usage monopolistique soumet le peuple à un régime despotique qui exclut par principe les opinions et intérêts particuliers et pluriels des individus à l'exception de ceux des dirigeants. Un tel état ne peut tolérer aucun pouvoir ni aucune initiative individuelle , en particulier sur le plan économique lequel détermine la vie sociale et les rapports sociaux. Un tel état est donc tenté de s'approprier toutes les sources possible de richesse et de pouvoir aux dépens de l'initiative individuelle et de ce fait prépare une économie fonctionnarisée totalement incapable de satisfaire aux désirs et aux besoins des individus consommateurs, mais génératrices de dirigeants dont le pouvoir fusionne l'autorité  politique et économique pour ne rien dire de l'autorité juridique et qui de ce fait ne connaît plus aucune limite. Un tel pouvoir, nous ne savons d'expérience, ne peut qu'ouvrir  la porte à la corruption généralisée.

Ainsi la position de Rousseau, apparemment libérale dans le domaine législatif, puisqu'elle reconnaît la souveraineté de peuple  pour décider des lois, ne l'est, selon B.Constant, ni en ce qui concerne du pouvoir exécutif qui reste l'apanage des magistrats qui pourraient ne pas être élus mais nommés à vie et dont les décisions échappent au pouvoir et au contrôle populaire qui ne concerne que les lois dans leur généralité mais non dans leur mise en application particulière, ni sur celui du pouvoir judiciaire, pour le même motif. De plus Rousseau refuse un principe essentiel du libéralisme politique, celui de la liberté d'organisation politique des citoyens et de la représentation parlementaire sous le motif qu'elles mettraient en danger l'égalité entre les citoyens et surtout le souci par chacun d'eux de l'intérêt général  au profit des intérêts particuliers des partis et des députés, ne serait-ce que de leurs intérêts de pouvoir. Une telle représentation ferait donc selon lui capoter l'expression (mais non pas sa réalité) d'une volonté authentiquement générale. Enfin , l'exigence de préserver l'égalité réelle entre tous les citoyens, au regard du droit individuel  à la propriété que Rousseau considère comme une condition de l'autonomie citoyenne, fait de l'état et des magistrats les contrôleurs suspicieux et incontestables, sinon les décideurs, d'une l'économie qui doit rester strictement frugale et égalitaire. Autant dire que pour B.Constant la liberté politique à pour condition nécessaire (bien que non suffisante) la liberté économique et vice-versa. Au point même que pour lui citoyenneté et propriété sont indissociables dans la mesure ou, comme chez Rousseau, un prolétaire (qui ne possède rien) ne peut être une citoyen autonome dès lors qu'il n'aurait pas d'intérêts propres à défendre.  B. Constant distingue en effet deux conceptions de la liberté, plus ou moins exclusive, celle des anciens et celle des modernes.

- La première (celle des anciens) consiste, pour les citoyens, à exercer collectivement et directement plusieurs parties de la souveraineté ppolitique, mais fait d'eux des esclaves dans tous ses rapports privés. "Comme citoyen, il décide de la paix, de la guerre et des lois, mais comme particulier, il est circonscrit, observé et réprimé dans tous ses mouvements". même lorsqu'il a
, comme citoyen, le pouvoir de destituer les magistrats et de les bannir, voire de les mettre à mort, comme soumis au corps collectif  il peut être à son tour "être privé de son état, dépouillé de ses dignités, banni, mis à mort" au nom du bien commun et de la volonté dite générale. Rousseau ne dit-il pas qu'"il faut (l'état comme pouvoir exécutif doit) forcer les hommes à être libres"! L'individu soumis entièrement à la communauté à laquelle chacun a l'obligation de participer comme citoyen telle la liberté des anciens. La position de Rousseau appartient entièrement à cette vision archaïque  de la liberté.

- La seconde (celle des modernes),  sur fond de rapports marchands dominants (doux commerce) et non  plus de rapports  hiérarchiques statutaires ou rapports de force violents (la guerre) , "l'individu, indépendant dans la vie privée" (en particulier dans le domaine économique en tant que propriétaire de ses biens), "même dans les états les plus libres, n'est souverain qu'en apparence" et si à époques fixes (au moment des élections) , mais rares, durant lesquelles il est encore entouré de précautions et d'entraves, il exerce cette souveraineté, ce n'est jamais que pour l'abdiquer". Dans ces conditions, fondée sur la vision marchande donc individualiste de la liberté, la vie privée doit l'emporter sur  la vie politique dans les activités ces individus. "Que le pouvoir s'y résigne donc, s'exclame B.Constant, il nous faut la liberté et nous l'aurons; mais comme la liberté qu'il nous faut est différente de celle des anciens, Il faut à cette liberté une autre organisation que celle qui pourrait convenir à la liberté antique. "De là, ajoute-t-il vient le système représentatif"  qui n'est autre que que "l'organisation à l'aide de laquelle une nation" d'individus privés "se décharge du souci des affaires publiques sur une minorité" que, dans le meilleur des cas, elle élit régulièrement pour cela.

Or si la liberté des modernes est préférable et plus adaptée à la vie des individus pourvus de droits individuels inviolables, dont le droit de penser et d'entreprendre dans le domaine économique et marchand, elle n'est pas exempte de dangers :
le premier d'entre eux qui entraîne les autres, est celui  qui ferait que les individus renoncent à trop facilement à leur droit de partager le pouvoir politique au profit de la jouissance de l'indépendance privée. Donc à sacrifier leur droit (et leur devoir) politique à la poursuite de leur bonheur personnel. Or celui-ci ne permet pas de progresser intellectuellement et moralement; il rend l'individu limité dans ses facultés cognitives et égoïste exclusif sur le plan éthique. La liberté politique soumettant à tous les citoyens, sans exception, l'examen et à l'étude de leurs intérêts sacrés (disons mutuels et collectifs), sinon communs, agrandit leur esprit et anoblit leurs pensées (traduisons: les rend plus raisonnables). Il convient donc que les citoyens soient éduqués par la politique (éducation civique dirions nous aujourd'hui) à la réflexion politique, ne serait pour comprendre en quoi leurs intérêts privés sont tributaires de lois et règles collectives qui en sont les conditions de possibilités. Il faut donc, sur le plan de l'éducation éthique,  apprendre à combiner la liberté des anciens avec celle des modernes, sans pour autant nous rallier à l'exigence rousseauiste de sacrifier la seconde à la première.

Le caractère spécifique, pour B. Constant, par lequel la société moderne limite l'arbitraire de l'état, voire le rend impossible, est le développement autonome de l'économie marchande et de la propriété et du crédit privés qui font perdre à la puissance proprement politique un des ses instrument essentiels de contrôle des motivations et des comportement individuels; cela n'entraîne du reste pas la violence car les échanges marchands pour se poursuivre exige la confiance et donc leur auto-régulation
non-violente égalitaire (droit commercial) que l'état moderne lui-même est obligé de formaliser par la loi et de garantir (le doux commerce cher à Montesquieu): on ne peut emprunter ou commercer avec qui on traite en ennemi ou que l'on vole ou escroque.. Dans une société où les principaux rapports entre des individus, qui ne se connaissent pas forcément entre eux, sont commerciaux et contractuels, l'intérêt individuel (donc la liberté des modernes) prend nécessairement le pas sur la communauté religieuse ou politique, de proximité et d'allégeance, pour constituer le lien social  et la vie avec les autres dans le cadre de la société globale.

Non seulement pour notre auteur la liberté des anciens est condamnable, elle serait , dans le cadre économique de la société moderne génératrice d'une violence pire que dans le sociétés précédentes, dès lors qu'elle devrait s'opposer frontalement à l'idée que les individus se font massivement, dans l'économie et la société, de leurs droits individuels. Un tel pouvoir ne pourrait plus prétendre incarner une quelconque volonté générale et devrait 
la détruire et/ou  la formater par la terreur extrême pour s'imposer, tout en  abolissant  l'économie marchande. (totalitarisme) Ce que Rousseau refusait justement, c'est la logique d'une société marchande de progrès infini de production des richesses et des échanges qui, selon lui, ne pouvait aboutir qu'à la démoralisation de l'idée de communautaire de contrat social dont il rêvait su le modèle mythique des anciens ou plus encore des micro-sociétés tribales primitives.. En cela  la position de Rousseau est cohérente: pas de société égalitaire possible sans une soumission illimitée des intérêts individuels à une volonté générale qui prétend transcender les volonté particulières, mais qui toujours confie un pouvoir réel sans limite à ceux, particuliers, qui l'exercent.

Cette défense du libéralisme économique comme condition de libéralisme  politique, bien que régulée par l'éducation, et axée, au contraire de la position de Rousseau, sur une conception individualiste de la liberté qui s'oppose à l'idée d'une volonté générale qui s'imposerait aux dépend des libertés privées d'entreprendre, elles mêmes liées à la propriété sans limite des biens de production et d'échange, fait de B.Constant le véritable initiateur de la pensée capitaliste-libérale de notre temps. La société libérale,
pour lui, est avant tout concurrentielle et compétitive à tous les niveaux, économique, social et politique; mais ce que ne développe pas notre auteur national (malheureusement oublié dans notre tradition culturelle et notre conception jacobine, voire napoléonienne, de la république qui semble reprendre la vision mythique de la liberté citoyenne chez les anciens dont il faut ajouter qu'elle était esclavagiste, impériale et guerrière: il est possible de concevoir une liberté politique de participation permanente des citoyens au pouvoir politique lorsqu'il y a des esclaves pour faire le travail en vue de la satisfaction de leurs intérêts privés et que l'on peurt exploiter sans limites les richesses et le travail d'autres populations), c'est de définir les règles de cette concurrence et les raisons qui font que l'économie libérale  l'emporte sur tout autre système économique plus ou moins administré ou contrôlé par l'état. Ce sera le travail au XXème siècle de F.Hayek, suite aux expériences totalitaires catastrophique de droite et de gauche de montrer qu'aucun système socialiste ou social-national de l'économie ne peut être, au rebours de ses prétentions, ni juste ni efficace. Et qu'à sacrifier les libertés économiques, la libre concurrence et la compétition sociale, on sacrifie nécessairement aussi les libertés politiques et la justice.

3-3 F.Hayek: La critique de l'économie étatisée ou la liberté économique comme condition nécessaire de la justice.

La critique de l'économie administrée
par l'état , chez Hayek   se déploie sur trois plans indissociables :
le plan épistémologique, le plan économique et le plan politique, ce qui lui confère une radicalité d'une extrême efficacité critique du rêve socialiste d'état..

- La critique épistémologique de la possibilité d'un entrepreneur économique global.
Pour Hayek l'économie,
dès lors qu'elle vise à satisfaire les besoins et désirs des consommateurs, met nécessairement en jeu, en situation normale,  des acteurs et des forces qui poursuivent des buts divers selon des valeurs plus ou moins hétérogènes voire contradictoires, . Or ces contradictions interdisent,  sauf situation de détresse collective temporaires extrêmes qui menacerait  globalement la survie des populations  (guerre, famine, épidémie ou  catastrophe écologiques imminentes etc.), de  définir sur un plan global des priorités univoques générales, et  d'ordonner par un plan central une politique cohérente de production et de distribution . Un plan central en économie ne peut qu'être trop rigide, car défini à a priori ,et par là incapable de s'autocorriger  pour s'adapter souplement aux besoins et désirs multiples et évolutifs des consommateurs et/ou usagers des biens et des services au contraire du marché concurrentiel nécessairement pluriel et soumis à la demande des consommateurs. Il est irrationnel selon notre auteur de prétendre rationaliser ou planifier l'économie par en haut  (l'état central) alors que celle-ci ne se déploie et ne peut accroître son dynamisme et son adaptabilité que dans le cadre d'une demande plurielle  et hétérogène. Pour lui une rationalité économique planifiée ne peut être que sectorielle et multipolaire ou multifactorielle visant telle ou telle sorte de désir et de besoin ou ciblant telle ou telle type de clientèle à satisfaire. Dans une société où, du fait des progrès des forces productives et des technologies, l'économie du désir individuel (de réalisation de soi par soi) a pris le pas sur celle du besoin collectif, l'idée même de maîtrise politique rationnelle de l'ensemble de la production et des échanges est précisément irrationnelle  en cela qu'elle est contradictoire avec le réalité même du fonctionnement rationnel d'une société économique nécessairement individualiste et plurielle, ce qu'est forcément une économie du désir comme expression de soi par soi.

Vouloir centraliser les décisions économiques, c'est refuser  les sociétés modernes dans lesquelles, comme l'avait compris B. Constant, les individus se sentent, aujourd'hui,  d'abord libres dans l'expression de leurs intérêts privés, pour, au fond promouvoir une société frugale et stagnante à la Rousseau dans laquelle les individus acceptent de se soumettre à un prétendu intérêt général uniformisé et liberticide. De plus un telle irrationnelle conception de la rationalité économique, en contradiction avec le complexité du réel dans nos sociétés modernes développées, n'ont pu aboutir qu'à une
irrésistible catastrophe économique. Il convient de se demander en quoi et pourquoi.

-La critique politique des économies planifiées par l'état.
  Hayek distingue à juste titre l'idée de planification fondée sur un but déterminé, satisfaire tel désir ou besoin, de l'idée de planification généralisée de l'économie dans son ensemble. La première est indispensable pour diriger un  processus de production et d'échange efficace au regard d'une demande particulière exprimée sur un marché concurrentiel. La seconde est par nature incapable de trancher entre des demandes diverses et concurrentes, sauf, nous le verrons, pour l'état à imposer sa décision, c'est à dire celles des experts-fonctionnaires  concepteurs du plan national, aux consommateurs et usagers. Ainsi cette dernière alternative est condamnée à l'échec en cela que l'état est par nature incapable de prévoir les désirs et besoins des individus particuliers, sauf à les considérer d'une manière abstraire et impersonnelle, de plus il est incapable de savoir à l'avance quels seront les effets concrets de ses décisions, dès lors qu'elles
ont des conséquences diverses sur le jeu et les comportements des différents acteurs du point de vue de leur motivations propres en évolution constante et de la perception et jugement toujours imprévisible de leur situation . Chaque individu sait, en tout cas mieux qu'une institution planifiante étatique, ce qu'il désire; mais la satisfaction de tel désir chez lui fait nécessairement naître de nouveaux désirs différents voire parfois opposés au désir antérieurement satisfait; c'est dire qu'en économie moderne développée, c'est le désir et son infinité d'objets possibles, entre lesquels chacun doit en permanence arbitrer à tel ou tel moment, qui constitue la demande économique effective et c'est la capacité de chacun à opérer des choix entre des offres concurrentes en fonction d'un critère utilité/coût dont il ne peut être que le seul juge qui stimule en permanence l'innovation et le développement des techniques et des modes de production pour toujours mieux s'ajuster; Or dans s'ajuster transparaît aussi une certaine idée de "justice" comme "justesse" sur fond de rapport marchand entre partenaires égaux en droits et valeurs d'échange monétairement équivalentes.

Par contre, dès que l'état  prétend décider de ce qui est bon pour chacun, il ne peut décider que du seul point de vue de ceux qui ont le pouvoir politique de décider centralement pour les autres, car il est incapable de savoir ce que tel ou tel individu -et chacun de nous est  un individu différent dans l'expression mouvante de nos désirs- qui subit sa décision et ses conséquences préfère à tel ou tel moment de sa vie. De plus si l'institution planificatrice étatique prétend définir les besoins en consultant collectivement les consommateurs et usagers , elle se heurtera immédiatement au fait qu'il est impossible d'agréger en une demande globale des préférences individuelles aussi versatiles et contradictoires. Cette impossibilité entraîne comme conséquence que l'état produira les biens économiques qui avantagent l'idée qu'il se fait des besoins prioritaires et uniformes des consommateurs du point de vue de l'intérêt que chaque fonctionnaire responsable de la production a de son intérêt propre à suivre le plan et à réaliser ses objectifs sans se soucier de la satisfaction des consommateurs en tant qu'individus qui nécessairement lui échappe et vis-à-vis desquels il n'est pas personnellement intéressé ; on peut même dire que, s'il a intérêt pour sa carrière, de suivre le plan, il serait contradictoire pour lui de satisfaire le demande privée des individus consommateurs.

Ainsi une économie centralement administrée ne peut être que fonctionarisée, c'est à dire routinière, bureaucratique et donc  inadaptée à la demande réelle, sans aucun souci de rentabilité et d'innovation en faveur des consommateurs/usagers, mais par contre il fait du gaspillage et de la non-qualité car son inadéquation entre offre et demande suscite les conditions irrésistibles d'une faillite inéluctable. La faillite d'une telle économie n'est pas seulement de l'ordre d'une conjecture théorique, elle a été prouvée par toutes les tentatives socialistes ou nationale-socialistes d'état. L'état en tant qu'il est un pouvoir central est donc nécessairement la plus mauvais décideur économique qui soit, car il n'est soumis ni à aucune contrainte du marché, ni en aval (les clients), ni en amont (ressource en capital); en effet il ne peut être "déclaré" en faillite tout en l'étant réellement. La seule contrainte de son action est politique:  il doit favoriser les demandes de protection qui "légitiment" son action, doublée de celles des fonctionnaires de l'économie qui cherchent nécessairement à préserver leur pouvoir et les privilèges qu'ils en tirent . Enfin  l'économie d'état réalise une nouvelle forme de despotisme en cela qu'il fusionne deux pouvoirs, le pouvoir politique et le pouvoir économique  et que cette fusion conduit nécessairement au totalitarisme politique et idéologique.

-La critique philosophique du socialisme d'état: Économie d'état et totalitarisme.
Selon Hayek l'état planificateur de l'économie ne peut décider de ce qu'il faut produire et distribuer qu'en hiérarchisant les désirs et besoins des individus selon des valeurs homogènes qui commandent l'expression de leurs désirs et qui doivent s'imposer à tous. Il faut donc pour cela qu'il contrôle l'expression de ces  désirs individuels de telle sorte qu'elle ne mette pas en cause les critères des décisions économiques qu'il prend au nom d'un intérêt prétendument général dont il détient le monopole de la définition
. Or définir ce que doivent être les désirs prioritaires des individus d'une manière centrale et a priori c'est nécessairement chercher à imposer une idéologie commune incontestable qui tend à effacer les différences entre les valeurs, les intérêts et les désirs privés divergents ainsi que la distinction entre vie publique et vie privée,  cet effacement définit précisément l'idéologie totalitaire. Une telle volonté rendue nécessaire par l'économie étatisée ne peut, pour être efficace, qu'utiliser la terreur en refusant  les droits individuels de l'homme, dénoncés comme  bourgeois, car contraire  au socialisme collectiviste étatiste.

Ainsi dans le cadre de l'échec programmé de la planification économie centralisée , la seule manière pour l'état et ceux qui en profitent de préserver leur système est de faire
, au lieu et place du marché concurrentiel,  du système D informel,  de la corruption et de la police, les seules formes possibles  de la régulation des conflits inévitables et croissants entre l'offre et la demande que ce système produit nécessairement. Une économie centrale étatisée porte en elle le totalitarisme politique généralisé, voire la guerre internationale afin de ressouder l'unité autoritaire contre l'étranger, comme les nuées portent l'orage. Là où le libre commerce pacifie et impose le respect des droits de l'homme et de la propriété, l'économie administrée ne peut que fonctionner à la violence et à la domination.  Entre le national-socialisme et le social-nationalisme, il n' y a que des différences superficielles et rhétoriques: l'impérialisme totalitaire anti-individualiste et ultra-nationaliste fondé sur le culte du chef tout puissant,  que ce soit eu nom de la race ou de la classe, dérive logiquement du refus de l'économie concurrentielle de marché et du droit à la propriété privée des moyens de production et d'échange pour faire de l'état le seul propriétaire de fait sinon de droit (cas du nazisme) de l'ensemble de la machinerie économique. Là encore tous les exemples historiques confirment cette analyse.

Cette triple critique coordonnée du socialisme d'état oblige notre auteur à critiquer le notion de justice dont le totalitarisme se réclame pour 
légitimer son despotisme au nom de la sécurité socialisée et de l'égalité généralisée.


La liberté comme source de la justice

Quand on pense à l'idée de justice, on l'associe spontanément à l'idée d'égalité; mais celle-ci peut avoir deux acceptions écrit Hayek reprenant l'analyse d'Aristote, à savoir l'égalité absolue ou l'égalité distributive.

La première considère que tous les individus doivent recevoir le même revenu quelque soit leur activité, y compris s'il n'en ont aucune, la seconde proportionne le revenu au mérite. Or on voit tout de suite apparaître deux difficultés: personne ne trouve juste la première dans la mesure où elle ne distingue pas les individus selon leur utilité pour les autres.
Quant à la seconde elle rencontre immédiatement les deux  questions de savoir comment définir le mérite et qui a le droit de définir les critères pertinents pour l'évaluer. Si l'on dit que c'est le bon sens commun, on se heurte immédiatement, soit au fait que le mérite est dépendant dans la conscience des individus des inégalités telles qu'elles apparaissent dans le cadre d'une économie de marché, soit  on tente de définir un mérite idéal et alors on ne trouve aucun consensus pour définir les valeurs  qui permettent de fonder un tel mérite, certains vont privilégier les efforts faits quelque soient le résultat, d'autres le résultat,  d'autres le talent, d'autres encore l'esprit de sacrifice etc.. Or si l'état prétend définir ce qu'il en est du mérite,  il est alors obligé d'imposer une échelle arbitraire de valeur qui ne repose sur aucun accord spontané. De plus s'il veut faire respecter cette échelle des revenus selon le mérite, il doit tout à la fois fixer le hiérarchie des salaires et interdire le libre choix des professions. Ainsi toute mesure de justice autoritaire de rétribution selon le mérite  interdit pratiquement la compétition sociale ouverte et donc toute stratégie professionnelle personnelle, au profit, et cela a été confirmé par l'expérience, des fonctionnaires  responsables de la sélection en vue d'avantager leurs proches ou leur clientèle (corruption).

On peut donc affirmer que
, selon Hayek, l'absence de liberté de choix qu'impose la détermination centralisée de la répartition des activités et des revenus est toujours pire, c'est à dire plus inégalitaire que le marché compétitif et libéral de l'emploi, aussi inégalitaire soit ce dernier dans le détail, car il rigidifie les inégalités au profit de la classe qui dispose tout à la fois du pouvoir politique et économique. La société anti-libérale devient donc rapidement et nécessairement une société de caste dans laquelle la mobilité sociale, très réelle au début, tend à  disparaître dès lors que la classe dirigeante, soustraite à tout risque démocratique ou à la sanction du marché de l'emploi,  conforte et accroît sa domination incontestable. Ainsi  le système libéral (économie concurrentielle de marché) est nécessairement le plus juste possible, dans la mesure où la liberté d'entreprendre est toujours soumis à la sanction des consommateurs/usagers disposant d'un réel pouvoir de choix. Le distinction du mérite incombe en dernier ressort à ceux qui en bénéficient et sont seuls à même de  l'apprécier, à savoir l'ensemble des individus consommateurs et usagers (clients) et cet ensemble inclut tous les individus sans exception. Le marché, de plus, égalise nécessairement les conditions et les statuts, en tout cas beaucoup plus que tout système hiérarchique autoritaire centralisé. Si nombre d'inégalités, en économie de marché,  reste le fruit du hasard, on ne peut déclarer ces dernières plus injustes que celles qui concernent le fait d'être beau ou laid,  malade ou bien portant, plus ou moins intelligent, talentueux ou doué etc... au regard de l'utilité sociale des activités de production et d'échange, constatée et évaluée par tous en tant qu'individus-clients autonomes dans le choix d'acheter ou non tel produit ou tel service proposé par telle ou telle  personne.

La liberté économique, en économie de marché, est donc avant tout celle des consommateurs et non pas celle des producteurs qui n'ont que le liberté d'entreprendre afin de mieux satisfaire les désirs et besoins des clients que leurs concurrents. En cela la liberté de consommer et d'acheter est bien la source de la seule justice distributive possible: celle qui distribue les revenus en fonction de l'utilité sociale
des activités, mesurables par ceux , à savoir tous, pour lesquels elles sont destinées: les individus-clients autonomes. L'économie libérale est par nature individualiste, elle exclut les relations et  les privilèges statutaires de classe ou de caste au profit de la seule relation marchande contractuelle. En cela elle met en jeu, via la concurrence (à supposer qu'elle soit libre et non-faussée), une égalité compétitive des chances en vue de développer les activités économiques au service de tous et de chacun. Dans ce contexte l'idée même de justice sociale n'a aucun sens si ce n'est celui, absurde, qui viserait à instaurer des protections sécuritaires pour telle ou telle corporation qui chercherait par ce biais à se mettre à l'abri de la concurrence et à préserver leurs revenus de l'appréciation par le marché de leur mérite social. Toute idée de justice sociale prétend donc refuser la sanction par le mérite au profit du maintien de privilèges en terme de  sécurité sociale. L'idée de justice sociale ne peut être qu'injuste du point de vue des individus, de leurs droits individuels et de leur liberté d'entreprendre.  On voit donc que la relation entre sécurité et liberté reste toujours problématique et que trop de mesures sécuritaire ou protectionnistes ne peut que compromettre à la fois le liberté et la justice distributive.

Sécurité et liberté

Les relations entre la sécurité et la liberté sont complexes, voire paradoxales;  d'un côté nul ne peut être libre d'exercer quelque droit que ce soit dans l'extrême insécurité. Lorsque chacun se sent menacé dans sa vie, il est partagé entre deux attitudes: soit la révolte potentiellement mortelle (et une minorité peut "préférer" la mort à la soumission totale), soit la tendance à renoncer à revendiquer ou à lutter pour l'obtention de ses droits; la plupart des hommes qui sont dépossédés de moyens d'agir et qui se sentent impuissants face à une menace irrésistible ne peuvent cultiver en eux l'indépendance d'esprit et la force de caractère nécessaire pour faire valoir leurs droits; ils ont tendance à se soumettre à un chef puissant qui, à leurs yeux, est susceptible de les protéger tout en les exploitant et à s'identifier au groupe auquel le chef confère symboliquement et réellement cette puissance collective qu'il incarne. Toute identification à un groupe est nécessairement identification à la puissance du chef qui en ordonne l'unité fusionnelle par le pouvoir de terreur et de séduction qu'il exerce sur lui. Dans l'extrême insécurité le besoin de se soumettre collectivement au chef-sauveur dont le pouvoir est (doit être) sans limite, car sans contre-pouvoir, domine tout autre désir individuel. Dans l'extrême insécurité la tentation de créer des Dieux despotiques ou de diviniser des hommes tout puissants l'emporte sur tout désir possible d'autonomie. Mais un trop grand besoin de sécurité, laquelle est nécessaire à l'autonomie individuelle, est ambivalent car d'une part il peut conduire à renoncer à agir par soi-même pour l'obtenir et que, d'autre part,  le fait de se sentir en sécurité en un monde incertain conduit à refuser toute innovation, toute adaptation, tout progrès,  ou toute création personnelle qui pourrait conduire à la compromettre.

Ainsi le désir de préserver ses revenus, son métier, son emploi, pour conserver une relative sécurité sociale se heurte nécessairement à toute évolution et à toute dynamique économique et sociale et plus grave pour la liberté individuelle à préférer être garanti par l'état aussi bien dans son activité que dans ses revenus, même lorsque ceux-ci n'ont plus d'utilité sociale et à renoncer à toute mobilité et autonomie personnelle de choix. L'état ne peut garantir cette sécurité d'emploi et de revenu qu'en supprimant toute possibilité individuelle de choix du métier et en obligeant les uns et les autres à accepter les activités qu'il leur octroie. Si l'on ne peut obtenir les variations constantes de l'affectation des hommes aux emploi, mouvement indispensable en toute société qui se développe économiquement, par le moyen de récompenses et  et de pénalités pécunières, il faudra les réaliser en donnant des ordres irrésistibles. Ceux qui contrôlent les revenus et les emplois choisiront pour les individus, soit en les gardant dans leur emploi, même s'il n'a plus rien à faire d'utile, soit en l'affectant ailleurs sans même le consulter ou sans tenir compte de son avis si tant est qu'on le consulte pour la forme.

Par contre Hayek non seulement admet, mais au nom de la liberté individuelle, exige que les conditions minimales de la survie et de l'ordre public soient garanties à tous. Il est nécessaire, écrit-il, que "dans une société économiquement développée "et ce afin d'éviter l'extrême misère qui suscite la révolte violente généralisée ",  l'état assure à chacun un minimum de nourriture, de vêtement, et un abri pour sauvegarder sa capacité de travail", bref  ce que l'on appellerait aujourd'hui  un revenu minimum d'existence.

 Démocratie et liberté : le libéralisme économique comme condition nécessaire du libéralisme politique et de la justice.

Pour Hayek la démocratie, à savoir l'expression du  suffrage universel en vue de décider du rôle et des missions de l'état, ne doit jamais être considérée comme une fin en soi, mais comme un simple moyen en vue de préserver  le maximum de liberté individuelle compatible avec la sécurité et l'ordre publics; il se peut en effet qu'une majorité décide de confier à l'état le pouvoir de planifier centralement l'économie, sous le prétexte de mettre en oeuvre une plus grande justice sociale, mais d'une part il en est incapable et d'autre part une telle décision ne pourrait aboutir qu'à un état totalitaire pour toutes les raisons que nous avons développées qui se résument par le fait qu'elle confierait
nécessairement à une minorité le pouvoir de décider de la vie de la grande majorité des individus transformés en serviteurs aliénés du plan imposé.

Le rôle de l'état doit donc être fondé sur ce qui fait l'accord de tous , à savoir les règles générales de la liberté qui permettent à chacun de poursuivre ses propres fins sans nuire aux autres et qui assurent la sécurité en tant que condition de la liberté. L'état libéral est nécessairement non interventionniste dans le domaine de ce qui doit être produit et échangé, son rôle, dans la sphère de l'économie, doit se limiter à poser et faire respecter les conditions générales de la concurrence libre et non faussée. Son pouvoir est purement formel: faire respecter les lois libérales du marché et non pas factuel: décider de ce qui est économiquement bon pour les individus particuliers. Tout ce qui peut nuire aux uns et aux autres dans le jeu du marché libre ne peut être imputé
qu'à leur absence d'utilité économique et sociale et au hasard; or ceux-ci sont les conditions de l'exercice socialisé des libertés individuelles. Refuser le hasard et les efforts à faire pour être utiles aux autres, c'est refuser le liberté même: une démocratie qui prétendrait protéger contre le hasard des circonstances ou contre l'absence d'utilité sociale soit ne serait pas démocratique soit ne le serait qu'en apparence, mais serait despotique en réalité. C'est dire, qu'en prolongeant l'analyse de  Hayek, il ne peut y avoir  de démocratie authentique, à savoir politiquement libérale, que dans le cadre de l'économie de marché. Ainsi le libéralisme économique et le libéralisme politique sont-ils indissociables. Dans le cadre d'une société libérale, sans corporatisme et égalitaire en droit, la question de la justice sociale ne se pose plus, dès lors que chacun est conduit à faire ce qu'il peut désister dans le cadre de conditions aléatoires qu'il ne peut pas plus reprocher à la société que celles qui le font malade ou bien portant, beau ou laid, plus ou moins intelligent et talentueux. Le caractère aléatoire des conditions sociales est la condition d'exercice de l'autonomie personnelle et celle-ci, dans un cadre authentiquement libéral et compétitif, est la condition une justice qui pour n'être pas sociale ou liée à des considérations politiques arbitraires et statutaires est authentiquement juste du seul point de vue formel qui vaille: le point de vue individuel de l'équité.

3-4 La critique sociale libérale du libéralisme anti-social

S'il faut rendre hommage à la rigueur de la critique que Hayek fait de toutes les tentatives d'abolir l'économie de marché au profit d'une économie planiste administrée par l'état, il reste que l'on doit néamoins regretter qu'il en soit resté à cette critique sans faire celle d'un libéralisme économique sauvage ou dérégulé et de ses dérives précisément anti-libérales dès lors qu'il repose sur l'unique socle de la propriété des moyens de production et d'échange et des inégalités; non pas naturelle mais sociales cumulatives, qu'elle risque nécessairement de générer en  l'absence de toute intervention de la puissance publique.  Si Hayek lui-même n'est pas directement responsable du fait qu'un prétendu ultra-libéralisme (qui se réclame de sa position en la simplifiant à l'excès et surtout sans voir que son propos était principalement unilatéral ) s'est détourné de tout responsabilité sociale en prétendant que le libre marché très inégalitaire pouvait suffire à assurer une justice minimale fondée sur la proportion entre les revenus et le mérite, il n'en reste pas moins que l'unilatéralisme de sa critique a pu servir de justification-prétexte  à cette dérive.

Déjà A. Smith avait souligné le fait que le pouvoir des investisseurs et les rapports de forces entre propriétaires et non propriétaires pouvaient être tels que des inégalités inacceptables et anti-libérales, en cela qu'elle tendent au protectionnisme déguisé et au détournement de la concurrence, pouvaient s'accroître sans que cela soit dû aux démérites des vaincus de la compétition sociale. De plus ceux-ci tendent à devenir victimes à la naissance de la situation sociale défavorisée dont ils héritent et à la transmettre à leur descendance qui va rapidement voir ses chances de promotion, dans la compétition sociale pour la propriété et la richesse, se réduire comme peau de chagrin, sauf chance extraordinaire ou effort héroïque .

Nous savons que Marx ira plus loin qu'A.Smith puisqu'il fera avec quelques bons arguments de la relation entre capitaliste et salarié une relation d'exploitation telle qu'elle serait selon lui condamnée à réduire nécessairement le niveau de de vie des salariés (baisse tendancielle du teaux de profit dû à la mécanisation de plus en plus lourde des investissements pour rester dans la course de plus en plus difficilement compensée par la hausse du taux d'exploitation )et à provoquer de ce fait un déséquilibre grandissant entre l'offre et la demande jusqu'à rendre impossible de la réalisation par la vente de la plus-value inscrite dans les marchandises devenues invendables par défaut de demande solvable. On sait aussi que Marx voit dans cette contradiction le moteur du développement de la lutte des classes qui abolira le capitalisme, à savoir la propriété privée des moyens de production  et d'échange, par le renversement révolutionnaire de la classe dominante et de son état la démocratie bourgeoise fondée sur les droits de l'homme confondus par lui et les ultra-libéraux avec les droits des propriétaires-exploiteurs du travail salarié aux dépens des travailleurs. Or cette révolution ne peut être que violente dès lors que la bourgeoisie dispose de l'appareil d'état, du droit bourgeois (droit de propriété) et de la justice à sa solde  ainsi que des forces policières et militaires pour le faire respecter en l'imposant si besoin est. Mais  cette révolution pour l'emporter et réorganiser l'ensemble de l'économie socialisée (propriété sociale des loyens de production et d'échange) devra, selon Marx, instaurer transitoirement une dictature anti-libérale du prolétariat contre la bourgeoisie, ancienne, voire renouvelée, mais toujours capable et tentée de reprendre ses biens et le pouvoir politique ainsi que les privilèges de classe perdus. Nous ne développerons pas ce thème qui nous ferait sortir de notre sujet, sauf pour dire que chez Marx la chute du capitalisme et l'instauration d'une société communiste (sans classes) dans laquelle tout serait gratuit et donc sans marché conurrentiel, doit entrainer le dépérissement de l'état et donc l'édification d'une société entièrement auto-gérée, au sens propre anarchiste, dont nul ne peut dire, à commencer par Marx lui-même,  comment elle peut fonctionner sans que la compétition , la concurrence et l'égoisme spontané du désir ne la mettent en échec. En ce sens on peut dire que la position de Marx est ultra-libérale quant à sa finalité et anti-libérale quant aux moyen d'y accéder; ce qui nous oblige à nous poser la question de savoir comment une telle conversion de la dictature du prolétariat en anarchie auto-régulée est possible, si tant est qu'elle soit souhaitable. De toute façon Marx, dont la position est à distinguer de celle du marxisme historique a toujours été contre le l'idée de propriété étatique des moyens de production, car il savait pertinemment qu'un tel état ne pouvait que réintroduire la division en classes au profit d'une nouvelle bourgeoisie d'état contre les travailleurs. Sa position nous paraît donc à la fois irréaliste quant au principe final d'une société sans classes et contradictoire avec cerre finalité, si l'on tente de la réaliser. Elle nous laisse sur l'idée que ses analyses sont valables sur le plan de la critique des contradictions du capitatisme, mais fallacieuses quant à la solution à ces contradictions qu'il présente à tort comme une nécessité historique; à savoir une société  totalement réconciliée où les hommes coopéreraient sans compétition et sans se jalouser les uns les autres tout en étant individualiste dans leurs goûts et leurs activité (le but du travail restant l'autoréalisation de soi par soi) , disons une société 
paradisiaque  dans laquelle chacun travaillerait  pour tous et, pour autant, se trouverait entièrement satisfait dans son désir propre.

Ainsi une révolution antilibérale en vue d'instaurer un libéralisme intégral, communiste et anarchiste, est un cercle carré et l'on peut s'étonner que beaucoup aient pu y croire (dont moi-même). Comme quoi le rève eschatologique d'essence religieuse perdure même et surtout dans les utopies qui se veulent athées. Ce qui est confirmé par Marx lui-même qui prétendait que le communisme ne voulait pas renverser la religion mais la réaliser sur terre.

Comment alors refuser ce délire communiste et son passage
obligé révolutionnaire anti-libéral, en forme de guerre civile ultra-violente, voire terroriste, tout en reprenant à notre compte la critique du capitalisme ultra-libéral ou sauvage et des ses effets d'injustice?

Il revient au penseurs contemporains du courant social-libéral  ou social-démocrate libéral de tenter de sortir de cette aporie en ces deux représentants que John Rawls et Armartya Sen.


3-5 Du social-libéralisme

3-5-1 John Rawls (philosophe américain contemporain)  se pose la question de savoir comment construire ou édifier une société à la fois juste et libérale.

Une première remarque doit être faite au regard de cette question: elle se situe au niveau d'une société idéale plus ou moins fermée sur elle-même, son projet est donc philosophique, pour ne pas dire métaphysique, mais se veut aussi rationnel universaliste en cela  que cette constitution ne fait appel qu'à des principes susceptibles de valoir pour tous et surtout pour toute société libérale pluraliste dont il pense qu'elle vaut comme modèle pour la modernité, laquelle oriente, par delà les resistances,  l'histoire des sociétés contemporaines. En cela Rawls refuse toutes les visions de la société et de la politique traditionnelles, ethniques-nationalistes ou , idéologiquement, voire religieusement ou racialement,  homogènes, qui  ont marqué toutes les conceptions anti-libérales. Il est donc tout autant opposé au communisme qui suppose une conscience dite de classe unifiée et unifiante que des positions nationalistes éthniques,  autoritaires et moralistes de droite, et se prononce pour un individualisme théorique radical. Un tel individualisme ne supprime pas les attachements collectifs  ou idéologiques particuliers mais refuse de faire d'eux le fondement de la vie politique. Celle-ci doit être l'affaire de citoyens qui, sur le plan politique doivent se prononcent librement en tant qu'individu délivrés de leurs intérêts individuel ou collectifs empiriques.

Une deuxième remarque en découle : la position de Rawls ne doit pas être interprétée comme un idéalisme messianique ou prophétique qui annoncerait une société future réelle ou même possible. Elle se veut idéale en ce qu'elle doit conduitre la critique des sociétés existantes pour les rendre plus justes, tout en sachant que les sociétés reélles sont toujours menacées d'injustice et d'aliénation. La société juste selon Rawls doit donc être comprise comme une société utopique qui doit servir de principe régulateur irréaliste aux transformations libérales réelles des sociétés modernes. Il est en effet nécessaire dans toute vie politique démocratique de maintenir un écart permanent entre la réalité et l'idéal, car seul cet écart est capable de faire évoluer en un sens positif cette réalité. La construction théorique ou idéale  de la société juste ne s'incarne donc pas dans d'un projet révolutionnaire dont nous avons vu quels en étaient les dangers. On ne peut donc pas l'accuser d'irréalisme, car elle revendique l'idéalisme constructiviste comme une condition réellement nécessaire du progrès démocratique et du tout progrès vers une société pluraliste et libérale pacifique.

3-5-2 Les principes de la justice libérale selon J. Rawls

Pour définir les principes d'une telle société idéale ou fictive, Rawls se place d'emblée dans la situation du législateur qui doit la décider ou la construire. Celui ci doit tout ignorer des situations particulières des uns et des autres, y compris de le sienne propre et ne doit surtout pas s'inspirer des sociétés existantes ou ayant existé car elles sont toutes à des degrès divers injustes dès lors qu'elle légalisent les inégalités existantes en les justifiant par les différences de compétences, les différences naturelles, la volonté divine et/ou la tradition; cela veut dire que les législateurs doivent être placés ou se placer volontairement sous ce qu'il appelle un voile d'ignorance qui les oblige à se situer dans l'horizon de l'universalité et de la réciprocité des droits. Une telle situation est  peut être impossible à réaliser entièrement, mais tout doit être fait comme si elle pouvait l'être. Cela veut dire que la justice, dans ses principes fondamentaux , doit donc être le résultat d'un effort pour s'abstraire du contexte situationnel particulier des législateurs, des appartenances de groupes, des intérêts concrets plus ou moins en conflits et des éthiques positives de nature opposées (lesquelles sont fondées sur des visions du Bien et du Mal, des perspectives de salut et de promesse de bonheur différentes et souvent contradictoires, parfois même chez un même individu.

Dans la théorie de la justice comme équité, les institutions de la structure de base sont considérées comme justes dès lors qu'elles satisfont aux principes que des personnes morales, libres et égales et placées dans une situation équitable (précisons: dans celle du voile d'ignorance) adopteraient dans le but de réguler cette structure. Les deux principes les plus importants que, selon Rawls, dans un telle situation,les législateurs ne peuvent pas ne pas adopter, sont les suivants:
"1 Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un même système de libertés pour tous.

  2  Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :

a) elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalité des chances
b) elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société."

Commentons rapidement ces principes. Il sont pour Rawls indissociables. Si le premier est premier cela veut dire que la liberté est au fondement de la constitution de la société libérale et pluraliste, mais que le second est non moins important dans la mesure où il permet de mettre en oeuvre le premier d'une manière réellement universaliste. Sans égalité des chances et sans bénéfice pour les plus désavantagés dans le cadre des inégalités réelles, il n' y aurait pas d'égalité des droits: les plus favorisés imposeraient leur droit, par exemple de propriété, aux dépens du même droit pour les autres de telle sorte que ceux-ci ne puissent espérer en faire usage et que cet avantage des riches propriétaires opèrerait nécessairement contre le droit des autres à faire valoir leur droit à profiter de la richesse qu'ils contribuent à produire ou pire à participer à la production des biens, y compris socialement vitaux, qui leur seraient de ce fait interdits et qui les exclureraient de la société pour les faire tomber dans la dépendance anti-libérale de l'assistanat, négatrice de l'égale dignité en droit des personnes. Ainsi les inégalités réelles ne sont justifiée (justes) que si elle permettent la mise en oeuvre d'un dynamisme collectif et d'une gestion efficace de la production des biens et des services favorables à tous et en particulier à ceux d'en bas dont, pour Rawls, le plus grand bénéfice possible est le critère de justice qui seul est décisif pour juger de la justice de la constitution socile toute entière. La redistibution maximale sans nuire aux autres des biens en faveur de ceux-ci est donc pour lui la caractéristique d'une société libérale qui ne peut être telle que si elle est juste en ce sens. Ainsi Rawls pense-t-il dépasser l'opposition entre la liberté et la solidarité. Cette dernière est la condition de l'universalité des droits libéraux; la refuser c'est introduire la liberté devenue pouvoir despotique de ceux d'en haut sur ceux d'en bas et, comme ni les premiers ne sont pas assurés d'en être toujours et ni les seconds assurés de pouvoir sortir de leur situation, un tel déni réel de droit ne peut que générer la violence sociale et la réduction voire la suppression des libertés constitutionnelles essentielles. L'injustice est donc toujours liberticides pour tous.

Mais reste à savoir quels sont les biens qui sont indispensables et dont chacun doit bénéficier pour que chacun est des chances optimales de profiter des richesses produites collectivement  ainsi que des droits égaux et une réelle égalité des chances égalité qui doit être au coeur d'une société authentiquement libérale et quel doit être le rôle de l'état à cet égard.

Les biens que Rawls appelle "premiers" sont ceux qui forment le socle des moyens égaux offerts à tous pour permettre  à chacun d'exercer ses libertés fondamentales; il sont les conditions de base de la justice universelle. Il convient donc de distinguer les libertés comme droits formels et les moyens de les exercer qui font la valeur de ces  libertés (leur coûts) qui  doivent être pris en charge par la collectivité sans considération des revenus des personnes et donc sur une base égalitaire.

Parmi les libertés fondamentales, les principales sont les libertés politiques, car elles sont la garantie des autres. Leur  valeur réside dans le fait que chacun doit avoir accès à leur exercice dans le cadre d'un service public gratuit dont l'espace doit être limité aux buts politiques poursuivis. Il convient de définir selon des procédures démocratiques les limites de ce domaine. Or du fait que ceux qui auraient par eux-mêmes les moyens d'exercer ces libertés politiques, il pourrait se faire que, dès lors que le principe de différence est respecté, ils en excluent les autres; pensons par exemple au suffrage censitaire ou à la liberté d'expression dans les médias. Les riches disposeraient seuls des moyens et de la valeur des droits politiques  formellement égaux, ce qui, de fait, reviendrait à priver les autres, non pas des droits-libertés formels mais de la possibilité réelle de les exercer. La détermination précise de ces moyens relève de la décision infra-constitutionnelle ou de la politique démocratique ordinaire ; il est donc exclu de les inclure dans un cadre précisément constitutionnel. Mais l'on peut définir leur cadre politique général : les biens premiers sont ceux qui font de chacun un citoyen de plein droit: Le droit à la vie, à la libre circulation, à l'égalité des chances et donc à l'éducation publique, voire à la réduction de la souffrance lorsque celle-ci compromet l'exercice des droits politiques sont nécessaires à chacun pour réaliser ces  buts politiques démocratiques et plus largement au but du respect de soi comme personne morale ou sujet de droits politiques et sujet libre de sa propre vie personnelle.. C'est pourquoi, si l'état doit rester neutre quant aux conceptions plurielles des buts personnels et du bien et quant à la définition et à la  réalisation des fins de chacun, il ne doit privilégier aucune morale ou éthique particulière, sauf cette éthique politique libérale et procédurielle inclue dans la structure de base de la constitution politique qui rend possible les droits politiques universels de chacun et les moyens indispensables d'y accéder. Cette neutralité est la condition de possibilité du pluralisme libéral (et il n' y a de liberté personnelle que dans et par cette pluralité garantie des choix possibles de vie) qui doit garantir à chacun le droit de rechercher son propre bonheur selon sa conception éthique positive personnelle et j'ajouterais, avec qui il veut..

Dira-t-on que cette éthique civile et libérale est un éthique particulière qui dérogerait au principe de neutralité et qu'il y aurait là une contradiction interne de la pensée libérale? La réponse de Rawls est négative et cela pour deux raisons:
- cette éhique est procédurielle et non, comme il le dit compréhensive,: elle ne propose aucune valeur positive qui supposerait une adhésion personnelle (prises en soi) à des buts et des manières de vivre ou morales déterminées, sinon la liberté et l'égalité des droits elle-même, comme fondements juridiques indissociables de le justice politique.
- Elle ne s'oppose qu'aux manières de vivre déraisonnables, à savoir celles qui refusent(raient) le principe
libéral de justice . Toute société libérale a besoin de limiter par le droit le risque que le liberté des uns nuise à celle des autres. Elle est négative et non pas positive en cela qu'elle n'exclut donc que l'intolérance et la domination religieuse ou éthique sans rien dire de ce qu'elle autorise ou plutôt n'interdit pas. Le principe libéral qui autorise tout ce qui n'est pas interdit car nuisible à l'égalité des libertés fondamentales est donc respecté , lequel est contraire au principe anti-libéral qui affirme que tout ce qui n'est pas explicitement autorisé doit être interdit.

Si l'on fait cette distinction nécessaire et  hiérarchique des normes procédurières (premières) et des normes particulières morales
et éthiques ou religieuses secondes qui leurs sont soumises, il n' y pas de contradiction et la théorie de la justice est donc à la fois complète et cohérente.

3-5-3 Les limites de la position de J. Rawls

La position de Rawls est idéale en cela elle se présente comme régulatrice des rapports de force réels, mais ses limites proçèdent de fait qu'elle ne tient aucun compte des conditions de réalisation de cette régulation ; pire il ne se pose même pas la question; il semble croire qu'il suffit d'y croire pour que cela marche; c'est à dire que les deux principes libéraux de justice qu'il expose sont réalisables à la seule condition que les citoyens en soient intellectuellement convaincus. Il s'agit là de l'illusion classique de la philosophie: les idées et la volonté des hommes qui croient en elles,  ont le pouvoir magique de  changer le monde réel. Or tout paraît rendre impossible la réalisation d'un tel modèle idéal, dès lors que les conditions de possibilités de sa tentative de mise en oeuvre contredisent la réalité, sans qu'il puisse dire comment changer celle-ci.

Il oublie en effets deux conditions de la réalité politique qui s'opposent radicalement à son idéal:

1) Que les rapports de forces politiques mettent en jeu des intérêts et des valeurs contradictoires qui se présentent toujours, du moins en démocratie,  comme conformes à la justice pour tous et que ces rapports de forces dépendent des pouvoirs non seulement poltiques ou juridiques (procéduriels) mais économiques  et de forces sociales bien réelles qui peuvent utiliser, contourner  ou neutraliser les procédures démocratiques à leur profit en prétendant servir l'intérêt général. Rawls oublie que la politique, dans nos sociétés marchandes et capitalistes modernes, est de plus en plus dépendante de l'économie et que la régulation des relations entre les citoyens -ne serait-ce que la définition, la nature et la quantité des biens premiers distribués à tous- dépend de considérations et de rapports de forces économiques et sociaux. Or il cherche en permanence à définir un idéal politique qui serait indépendant de l'économie, ce qui est proprement une entreprise absurde, sauf à refuser l'économie libérale; ce qu'il ne fait justement pas. Plus profondément Il ne se rend pas compte que nos sociétés ne sont pas des sociétés de besoins mais de désir et que le désir nait et se nourrit de la compétition pour la reconnaissance (d'où l'importance de la pub) qui est au coeur du sentiment de la justice revendicative. Il n' y a donc pas de définition objectivement déterminable juste des biens premiers, ni en nature ni en quantité  (ex: faut y mettre ou non le temps de travail, le confort domestique, les loisirs, la culture gratruite etc..).
Il est donc impossible de décider si les inégalités sont justes ou non sur la base de son deuxième principe, car rien ne permet d'affirmer qu'une autre répartition des biens serait plus ou moins favorables aux plus démunis. Le système de distribution serait autre et les critères dévaluation de la satisfaction du désir  de reconnaissance aussi.   Plus fondamentalement, il ne comprend pas que ce qui motive les hommes, c'est la puissance d'auto-réalisation de soi et que les moyens de cette puissance sont multiples et incommensurables entre eux sur fond d'une hiérarchie des désirs premiers admissibles par tous. Curieusement le pluralisme théorique de Rawls lui interdit de croire que l'on puisse se mettre d'accord sur un plan purement procéduriel sur une conception commune et les conditions d'une justice universelle. Il s'agit chez cet auteur, non seulement d'un conflit entre la théorie politique et la réalité sociale et économique qu'on ne peut déconnecter de la première, mais aussi d'une contradiction dans sa théorie même entre son pluralisme libéral et sa vision d'une justice  collective et rationnelle selon son deuxième principe de justice. Rien n'empêche ceux qui croient que la justice justifie l'aggravation des inégalités en fonction des mérites réels ou supposés, jusqu'à refuser, à ceux qui n'en sont pas jugés dignes, les biens premiers , voire le  droit à la vie, de récuser ce deuxième principe; si bien que les principes de justice de Rawls ne sont pas seulement procéduriels mais implique un contenu positif: la reconnaissance des valeurs fondamentales de solidarité et d'égalité des droits et des chances qu'il implique; ce qu'il admet du bout des lèvres tout en arguant que ces valeurs sont d'ordre supérieur universaliste; mais  qui ne vaut que pour qui les admet comme telles. On ne peut donc séparer le pluralisme libéral universaliste des valeurs concrètes de tolérance et d'égalité qui le fonde.

2) La deuxième condition qui s'oppose à la réalisation de cet idéal est le fait que les sociétés pluralistes sont de plus en plus des sociétés ouvertes et interdépendantes (mondialisation des échanges), alors qu'un accord sur un éventuel principe de justice suppose une société fermée sur elle-même sans contrainte extérieure qui lui imposerait des choix économiques qui iraient, par exemple, dans le sens de l'aggravation des inégalités et serait contraire au deuxième principe de justice. Le modèle  idéal qu'il construit supposerait pour fonctionner, soit une société autarcique (ce qui du reste était l'idéal de la cité parfaite selon Platon et Aristote), soit une société, non seulement plurielle et libérale, mais mondiale. Ce qui n'est peut-être, au nom même du pluralisme, pas souhaitable, ni dans les consitions de la compétition mondiale possible.

On ne peut donc raisonner dans les termes trop théoriques qui sont ceux de J.Rawls pour penser la modernité politique et les conditions concrètes de sa juste évolution
, sauf à souligner l'écart entre cette construction idéaliste de l'esprit et la réalité, afin de mesurer son impossibilté théorique et pratique et se libérer de l'illusion de croire que l'on peut construire la réalité politique sans transformer la réalité. Or on ne peut transformer celle-ci  qu'en jouant sur les contradictions sociales, économiques et politiques existantes, par les luttes sociales et démocratiques à l'échelon des sociétés et des relations internationales, pour imposer aux échanges des rêgles de justice qui sont nécessairement orientées par des principes de régulation (dont l'égalité des chances et des droits) positifs, capables de réduire le risque très concret de violence sociale ou de guerre civile et inter-étatique et d'accroître les échanges de telle sorte que la guerre soit vécue comme nécessairement nuisible sinon à tous, du moins à la majorité des populations du monde.

C'est le sens de la problématique de Amartya Sen de s'efforcer depenser la justice libérale en termes réalistes et évolutifs, c'est à dire en liaison avec les combats politiques et sociaux concrets pour l'élargissement de  démocratie sociale et libérale.

4  L'économie libérale problématisée: la position sociale-libérale d'Amartya Sen

Rawls , nous l'avons vu, a commis l'erreur de proposer un modèle politique idéal de nos sociétés modernes qui fait l'impasse sur l'importance de la vie économique sur la vie politique : outre qu'il ne comprend pas l'interdépendance économique et donc politique de nos sociétés en voie de mondialisation , il refuse de prendre position sur les modes de production et de régulation sociales et économiques; par exemple il refuse de trancher sur la question, centrale,  de savoir si une économie doit être nationale et administrée par l'état ou libérale sur la principe de la concurrence libre et non faussée et dans quelle mesure et comment l'état ou des instances politiques internationales doivent intervenir dans le régulation des échanges économiques et des (d)équilibres sociaux et politiques qu'ils génèrent.
C'est au contraire sa position d'économiste libéral critique qui emmène A.Sen  à récuser le dogmatisme du libéralisme économique réducteur et à problématiser la relation entre l'économie et l'éthique démocratique (qu'il appelle la morale) et à considérer l'économie libérale comme dépendante de choix éthiques et politiques discutables. et non pas comme la mis en oeuvre  mécanique d'une prétendue main invisible nécessairement juste. La liberté est selon lui dépendante d'une vision de la justice qui oblige à remettre en question la concept central du mécanisme autorégulé du marché à savoir celui de l'"homo économicus" dont la seule motivation serait l'intérêt personnel, indépendamment de toute autre considération. Il faut selon cet auteur se représenter les motivations humaines comme toujours socialement conditionnées par des valeurs et des convictions idéologiques et il n' y a pas lieu de réduire l'économie rationnelle au seul jeu mécanique de l'intérêt égoiste individuel, réduction, du reste, elle-même idéoligiquement construite.

Cette vision large de l'économie éthique ou politique permet à notre auteur de faire une critique du deuxième principe de justice de Rawls comme indécidable sur des bases objectives et abstraitres: il est en effet impossible de savoir quelle distribution des richesses est la meilleure pour ceux qui sont les plus défavorisés dès lors que l'on ne sait rien des effets à plus ou moins long terme d'un système concurrent ou d'une distribution alterne des richesses: la question de savoir quel écart est le plus favorable à tous et en priorité à ceux d'en bas  ne peut recevoir de réponse indiscutable a priori;  de même il est impossible de concilier le principe de Paréto cher aux économistes libéraux  dits classiques qui affirme que la meilleure économie est celle qui améliore la satisfaction des uns sans nuire à celle des autres, dès lors que cette amélioration peut toujours être vécue comme éthiquement injuste et donc nuisible à ceux qui en sont exclus.

La notion de justice en effet ne va pas de soi, car, si elle repose sur celle d'égalité, celle-ci elle-même peut être définie sur des plans différents et parfois contradictoires; nous le savons depuis Aristote.
1- Soit elle est évaluée sur les résultats et il s'agit d'une réduction des inégalités de revenus.
2- Soit elle vise la récompense des mérites, ce qui pose la question indécidable de l'évaluation de ce mérites en termes de compétence et d'utilité sociale, voire de courage personnel.
3- Soit encore elle vise à égaliser non les biens premiers qui ne sont que des moyens de la liberté, sans considération des libertés dites concrètes (position de Rawls) , mais des chances en terme de capabilité, c'est à dire d'accès réel à l'égalisation autant que faire ce peut des possibilités de choix et de développement personnel pour tous, quels que soient leurs handicaps sociaux, de santé ou de sexe au départ.

Cette dernière position est, selon Sen, seule conforme à une éthique authentiquement libérale. En ce sens il est juste de donner plus de biens premiers (moyens) à ceux qui ont par exemple un handicap de santé pour pouvoir avoir accès à des soins couteux spéciaux, conditions d'une plus grande possibilité de choix de vie dès lors que ces handicapés ont plus besoin que les autres de moyens qui visent à compenser leur handicap de départ et cela dans deux domaines essentiels à l'égalisation des chances et aux capacités de choix de vie que sont  la santé et l'éducation. Cette vision de la justice libérale (-la justice en vue d'accroître l'égalisation de la capabilité de chacun ) relève donc de procédures démocratiques et ne peut être décidée et mise en oeuvre que par des instances politiques, nationales et de plus en plus internationales, sensibles aux mouvements sociaux. Ce qui signifie qu'il est impossible de traiter de justice politique sans choix indissociablement économiques et éthiques donc politiques concrets et q ue toute libérté économique doit être régulée pour mettre en forme l'égalisation des capabiltés. Ainsi Sen refuse de n'envisager les performances économiques qu'en terme de production des richesses (PIB); pour lui un système n'est libéral que dans la mesure où il sert la liberté ou capabilité individuelle  (possibilité de choix de vie et mobilité sociale) et l'égalité des chances de chacun. Ce qui évidemment remet en question le capitalisme sauvage comme mode automatique de régulation libéral économique et social. Celui-ci fonctionne spontanément à l'accroissement des inégalités de chances et de la capabilité entre les individus et donc à la  dictature despotique de ceux qui détiennet les capitaux et le pouvoir économique aux dépens des autres. le capitalisme libéral ne peut être que régulé éthiquement et poltiquement selon des formes et des instituions démocratiques à inventer sur le plan mondial. En ce qui concerne l'aide au développement par exemple Sen est à l'origine de la formation d'autres critères que le seul critère du PIB
dans la définition de l'évaluation des performances économiques elle-mêmes,
sous la forme de ce que  certains ont appelé l'indice de développement humain (IDH) qui prend en compte la durée de vie, l'égalité des chances, le niveau d'éducation générale, l'égalité des sexes, l'écart des revenus, les données écologiques etc...

La position de Sen nous oblige donc à nous interroger sur le lien devenu, par son analyse critique même, problématique, entre le libéralisme et le capitalisme dès lors que ce dernier est toujours susceptible, hors régulation sociale internationale, de compromettre les équilibres sociaux et écologiques pourtant nécessaire non seulement à la paix dans le monde mais à sa survie à moyen terme même.


Libéralisme et capitalisme

Le capitalisme est un système d'exploitation du travail fondé sur la propriété privée des moyens de production en vue du profit maximuim pour les détenteurs du capital aux dépens
des salariés; cela n'est pas discutable , ni par les capitalistes qui s'emploient en permanence à faire baisser le coût du travail pour accroître le retour sur investissement (rentabilité) , ni par les salariés qui doivent en permanence lorsque les conditions ne leur sont plus favorables (ex: chomage) se battrent pour leurs salaires,leurs conditions de travail et leurs droits sociaux. La lutte de classe n'est donc pas un fantasme marxiste, comme l'expérience des conflits sociaux nous l'apprend tous les jours. Mais le capitalisme est aussi lié à un système de distribution concurrentiel de marché qui oblige les entreprises à tenir compte de la demande solvable et donc à améliorer leurs produits et services et à baisser leurs prix pour accroître cette demande et surtout accroître leur part de marché vis-à-vis de leurs  concurrents. En cela on peut dire que le capitalisme n'est pas par nature libéral et que spontanément une entreprise capitaliste tend à neutraliser ou à détourner la concurrence pour gagner une position de monopole qui lui permette de maximiser ses profits , mais il doit être forcé de l'être dès lors que la concurrence lui est imposée politiquement au nom du libéralisme du marché qui, en tant que tel, est donc favorable aux consommateurs (la concurrence fait baisser les prix et oblige à l'amélioration, voire à l'innovation des produits et des services) . Or chaque  les membre d'une société, voire du monde dans le cadre de la mondialisation des marchés, est peu ou prou un consommateur potentiel. La concurrence est donc au service de la liberté de choix de ce dernier en cela elle est indissociable d'une économie qui laisse le choix aux acteurs (et en premier lieu les consommateurs) de l'économie de négocier les transactions selon leurs désirs et leurs moyens; la concurrence relève donc d'une logique libérale économique globale ,mais  aussi politique dès lors qu'elle exige la mise en place d'un droit de la concurrence pour faire pièce au risque monopoliste permanent qui relève de la logique d'intérêt de chaque entreprise.

Cependant cette tension entre monopolisme capitalisme spontané antilibéral que j'appelle "ultra-capitalisme sauvage" (et non pas ultra-libéralisme)  et le libéralisme économique régulé socialement et politiquement dans le cadre du marché concurrentiel ne règle pas pour autant la question de l'exploitation du travail salarié; or nous savons que le libéralisme ne se limite pas à l'économie mais s'affirme d'abord comme une philosophie globale de la vie sociale qui accorde à tous les mêmes droits contre les puissants, l'état tout d'abord, mais aussi ceux qui dispose du pouvoir économique (la capital)  ; la  vraie question et la plus difficile est donc d'articuler le libéralisme politique et le libéralisme économique pour régulé le capitalisme de telle sorte que celui-ci n'impose pas la liberté des uns,
les détenteurs des capitaux, minoritaires, , aux dépens de la liberté de la grande majorité des autres, les salariés, producteurs et consommateurs. Or cette égalité dans les droits (libertés fondamentales) des individus exige sur le plan social ce que l'on appelle une certaine "égalité des chances", donc la mise en place d'un service public ou d'intérêt dit général  qui garantisse à tous les libertés fondamentales et les moyens, immatériels et matériels  de les exercer, d'autant plus que nous sommes dans un système politique de démocratie universelle dans lequel tous ont le droit de voter pour définir les droits sociaux qui permettent la mise en oeuvre des libertés fondamentale et du principe de l'égalité des chances; c'est dire que le capitalisme n'est pas à confondre avec le libéralisme économique et politique.

Ainsi le libéralisme du droit social et la démocratie politique sont les conditions régulatrices nécessaires pour que le capitalisme fonctionne au bout du compte au service du plus grand nombre. Mais il est clair que dans le cadre d'une concurrence totalement ouverte  et non faussée, la part des profit tendrait vers zéro, ce qui interdirait de nouveaux inverstissements et détournerait les investisseurs de la création de richesses économique  potentiellement partageables pour ne plus se livrer qu'à des péculations financières à très court terme (bulle spéculative) prédatrice de l'économie réelle et incapable de satisfaire les désirs des consommateurs. Il faut donc, si l'on refuse l'économie administée par l'état, au nom de la séparation libérale entre les pouvoirs économique et politique qui ferait de ce dernier un pouvoir despotique sans limite (le pouvoir doit limiter le pouvoir dixit Montesquieu) décidant autoritairement de la vie des individus, non pas supprimer le profit, mais faire que la concurrence permettent de faire des profit susceptibles d'être réinvestis dans la production (ainsi la protection temporaire des innovations par des brevets); il est aussi indispensable que la demande solvable soit mieux répartie entre tous et donc que les salariés obtiennent les moyens  de consommer et de faire valoir d'autres valeurs indispensables à l'obtention de leurs droits, en particulier dans le domaine de la santé et de l'éducation. Les droits sociaux sont donc indissociables de l'exigence libérale, dès lors que celle-ci s'affirme comme universelle (valant pour tous) et de l'égalité des chances qui lui est indissociable.


Dans ces conditions, les  critiques de l’hyper-capitalisme financier (appelé à tort «ultra-libéralisme») qui privilégie le profit privé à court terme aux dépens du développement économique socialement et écologiquement durable et équilibré sont tout à fait justifiées.

Mais lorsque on s'en prend  au libéralisme et à l’économie de marché, on se trompe de cible: L’hyper-capitalisme est réellement anti-libéral:

-sur le plan politique: en méconnaissant les droits sociaux qui font partie des droits de l’homme et en instaurant le dictature du capital financier contre les intérêts de la majorité des populations
-sur le plan économique en neutralisant la concurrence à leur profit pour instaurer des monopoles de fait.(protectionisme et mercantilisme)

L’authentique libéralisme est contre tous les despotismes, y compris le despotisme monopoliste du capitalisme sauvage. La liberté n’est libérale que si elle est universelle . L’authentique libéralisme est régulé afin que le marché profite à tous («économie sociale de marché»).

Confondre le libéralisme avec «la liberté du renard libre dans le poulailler libre» (Marx), c’est faire croire qu’une économie d’état de production et de distribution autoritaire serait la solution la plus juste, or nous savons d’expérience qu’un tel modèle, en effet anti-libéral (mais d’une autre manière que l’ultra-capitalisme monopoliste) et qui instaure un capitalisme monopoliste d’état sans marché libre est une catastrophe économique (gaspillage, pillage et détournement des ressources par une minorité disposant d’un pouvoir politique fusionné avec le pouvoir économique, incapacité à ajuster l’offre et la demande et à répondre aux désirs multiples et variables des consommateurs etc..) qui génère le totalitarisme politique pour contraindre la population à accepter l’économie planifiée et à se soumettre au pouvoir sans limite de ceux qui cumulent le pouvoir politique et le pouvoir économique. La critique de Hayek contre le capitalisme planifié d’état est à ce jour entièrement vérifiée par l’expérience historique mondiale.

Il n’ y a donc pas d’ alternative démocratique anti-libérale au despotisme capitaliste; il n’y a qu’une alternative sociale-libérale ou sociale-démocrate, précisément libérale, en cela que la liberté du marché est régulée au profit du plus grand nombre; les dirigeants de la gauche, partout dans le Monde sauf en France, l’ont compris.
Cette alternative sociale-libérale est impossible dans la France seule, elle exige pour le poins une régulation mondiale (ne serait-ce que pour traiter les questions écologiques et du marché devenu irréversiblement mondiales) et cette régulation exige la poursuite d’une plus grande intégration européenne selon un modèle social-libéral à construire.
Le 13/06/06

Textes de Benjamin Constant
Textes de Friedrich Hayek
Textes de John Rawls
Textes d'Amartya Sen

Les origines philosophiques du libéralisme
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