John Rawls 1993 Extraits de « Libéralisme politique »

§6.  L'ACCORD  INITIAL EST HYPOTHÉTIQUE ET NON HISTORIQUE

Dans la théorie de la justice comme équité, les institutions de la struc­ture de base sont considérées comme justes dès lors qu'elles satisfont aux prin­cipes que des personnes morales, libres et égales, et placées dans une situation équitable, adopteraient dans le but de réguler cette structure. Les deux prin­cipes les plus importants s'énoncent comme suit :

1     /Chaque personne a un droit égal à un système pleinement adéquat

de libertés de base égales pour tous, qui soit compatible avec un môme système de libertés pour tous.

 2     Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux

conditions :

a /elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste (fair) égalité des chances, et

b / elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société


Examinons de quelle façon le rôle propre à la structure de base affecte les conditions de l'accord initial et exige que cet accord soit compris comme étant hypothétique et non historique. Par hypothèse, la structure de base est le système social global qui détermine la justice du contexte social. (On obser­vera que j'ai bissé de côté ici le problème de la justice entre les nations*.) Ainsi, en premier lieu, toute situation équitable à l'égard d'individus conçus comme des personnes morales, libres et égales doit être telle qu'elle réduise de façon satisfaisante l'influence inégale des contingences au sein de ce système. Les accords réels conclus alors que les gens connaissent leur place dans la société, leur bonne ou mauvaise fortune dans la répartition des talents et des capacités naturelles, le tout dans les limites de variations nor­males'. Les partenaires ne connaissent pas non plus leurs fins ultimes et leurs intérêts, ni leur tempérament psychologique spécifique

Enfin, pour établir l'équité entre les générations (par exemple dans l'accord sur le juste principe d'épargne), les partenaires, dont on suppose qu'ils sont con­temporains, ne connaissent pas l'état présent de la société. Ils n'ont pas d'infor­mation sur le niveau des ressources naturelles ni sur celui des moyens de production et de la technologie, en dehors de ce qui peut être inféré de ce qu'on sait du contexte de la justice. La bonne ou mauvaise fortune de leur génération n'est pas connue. Car, lorsque des contemporains sont influencés par une description générale de l'état présent de la société au moment où ils se mettent d'accord sur la manière de se traiter les uns les autres et de traiter les générations futures, ils n'ont pas encore mis de côté les effets des accidents de l'histoire et des con­tingences sociales sur la structure de base. C'est ainsi que nous arrivons à la version maximale plutôt que minimale du voile d'ignorance : les partenaires doivent être envisagés, dans la mesure du possible, uniquement comme des per­sonnes morales abstraction faite des contingences. Pour être équitable, la situa­tion initiale traite les partenaires de façon symétrique car ils sont égaux en tant que personnes morales : chacun est défini par les mêmes propriétés essentielles. Nous partons d'une situation de non-information, et nous n'introduisons que les informations nécessaires pour que l'accord soit rationnel, mais suffisamment indépendant des circonstances historiques, naturelles et sociales. Une informa­tion beaucoup plus importante serait compatible avec la condition d'impartia­lité, mais une conception kantienne est plus exigeante.

La raison pour laquelle le contrat social doit être considéré comme hypo­thétique et non historique est donc évidente. L'explication en est que l'accord dans la position originelle représente le résultat d'un processus rationnel de délibération sous des conditions idéales et non historiques, qui expriment cer­taines contraintes raisonnables. Il n'existe en pratique aucun moyen de con­duire ce processus de délibération dans la réalité ni d'être sûr qu'il réponde aux conditions imposées. Par conséquent, le résultat ne peut pas être vérifié par la justice procédurale pure telle qu'elle résulterait d'une délibération des partenaires dans une situation réelle. Le résultat doit être déterminé par un raisonnement analytique, c'est-à-dire que la position originelle doit être carac­térisée avec suffisamment de précision pour qu'il soit possible d'établir à par­tir de la nature des partenaires et de la situation où ils se trouvent, la conception de la justice qui sera préférée au cours de la confrontation des arguments. Le contenu de la justice doit être découvert par la raison, c'est-à-dire en résol­vant le problème d'accord posé par la position originelle

La question en jeu est la suivante ; comment la théorie de la justice comme équité fait-elle face au problème traditionnel selon lequel les libertés de base pourraient s'avérer n'être que simplement formelles ' ? Beaucoup de gens ont prétendu, notamment des démocrates radicaux et des socialistes, que, même s'il peut sembler que les citoyens soient effectivement égaux, les inégalités sociales et économiques qui risquent de se produire si la structure de base comprend les libertés de base et l'égalité équitable des chances, sont trop grandes. Ceux qui ont davantage de responsabilités et de richesses peu­vent contrôler le déroulement de la législation à leur profit. Pour répondre à ce problème, faisons la distinction entre les libertés de base et la valeur de ces libertés, de la façon suivante ': les libertés de base sont définies par des droits et des devoirs institutionnels qui donnent le droit aux citoyens d'3gir comme ils le souhaitent, et qui empêchent les autres d'interférer. Les libertés de base constituent un ensemble articulé de moyens et de possibilités légale­ment protégés. Bien entendu, l'ignorance et la pauvreté, ainsi que, d'une manière générale, le manque de moyens matériels, empêchent les personnes d'exercer leurs droits et de profiter de ces ouvertures. Mais plutôt que de considérer ces obstacles, ainsi que d'autres semblables, comme restreignant la liberté des personnes, nous les considérons comme affectant la valeur de la liberté, c'est-à-dire l'utilité de ces libertés pour les personnes. Or, dans la théorie de la justice comme équité, cette utilité est définie dans les termes d'un indice des biens premiers, régulé par le second principe de justice. Elle n'est pas définie par le niveau de bien-être de la personne (ou par une fonc­tion d'utilité) mais par ces biens premiers; les revendications qui concernent ces derniers sont traitées comme des revendications portant sur des besoins spéciaux, définis selon les objectifs d'une conception politique de la justice.

Les deux principes spécifient également une forme idéale de la structure de base à la lumière de laquelle les processus procéduraux et institutionnels courants sont limités et ajustés. Parmi ces contraintes figurent les limites fixées à l'accumulation de la propriété (en particulier s'il existe une propriété pri­vée des moyens de production), limites qui découlent des exigences de la juste valeur de la liberté politique et de l'égalité équitable des chances, et celles qui sont basées sur les considérations relatives à la stabilité de la société et à l'envie justifiée, toutes deux reliées à ce bien premier essentiel qu'est le respect de soi '. Nous avons besoin d'un tel idéal pour orienter les ajustements nécessaires au maintien de la justice du contexte social. Comme nous l'avons vu (IV), même si tout le monde agit équitablement, c'est-à-dire en suivant les règles qu'il est à la fois raisonnable et réaliste d'imposer aux indi­vidus, le résultat de nombreuses transactions séparées peut affaiblir la justice du contexte social. C'est évident dès lors que nous concevons la société, comme nous devons le faire, en tenant compte de la coopération entre générations. Par conséquent, même dans une société bien ordonnée, des ajustements dans la structure de base sont toujours nécessaires. On doit donc établir une divi­sion institutionnelle du travail entre la structure de base et les règles qui s'appli­quent directement aux transactions particulières. Les individus et les associations restent libres de promouvoir leurs fins dans le cadre des institutions du con­texte social qui effectuent les opérations nécessaires au maintien d'une struc­ture de base juste.

Dans la théorie de la justice comme équité, donc, les libertés de base égales pour  tous sont les mêmes pour chaque citoyen et la question de la façon dont on peut compenser une moindre liberté ne se pose pas. Mais la valeur, ou l'utilité, de la liberté n'est pas la même pour tout le monde. Comme le principe de différence l'autorise, certains citoyens ont, par exemple, une richesse plus grande et un revenu plus élevé et, par conséquent, davantage de moyens qui leur permettent de réaliser leurs fins. Lorsque ce principe est respecté, cependant, cette moindre valeur de la liberté est compensée dans le sens suivant : les moyens généraux disponibles afin que les membres les plus désavantagés de la société réalisent leurs fins seraient encore moindres si les inégalités sociales et économiques, mesurées par l'indice des biens pre­miers, étaient différences de ce qu'elles sont. La structure de base de la société est organisée de telle sorte qu'elle maximise les biens premiers disponibles pour les moins avantagés afin qu'ils utilisent les libertés de base à la disposi­tion de tous. Cela constitue l'un des buts centraux de la justice politique et sociale.

Cette distinction entre la liberté et la valeur de la liberté est, bien entendu, simplement une définition et ne règle aucune question concrète'. L'idée est de combiner les libertés de base égales pour tous avec un principe régulant certains biens premiers, considérés comme des moyens généraux de faire pro­gresser nos fins. Cette définition représente une première étape vers la combinaison de la liberté et de l'égalité en une seule notion cohérente, La valeur de cette combinaison est décidée selon qu'elle produit ou non un conception viable de la justice, qui s'accorde, après mûre réflexion, avec nos convictions bien pesées. Mais, pour arriver à cet accord, nous devons franchir une nouvelle étape importante et traiter les libertés politiques égales pour tous d'une façon particulière. Cela peut être fait en incluant dans les principe de justice l'assurance que les libertés politiques, et seulement ces liber­tés, sont garanties par ce que j'appelle leur « valeur équitable »' (fair value). Cette garantie signifie que la valeur des libertés politiques pour tous les citoyens, quelle que soit leur situation sociale ou économique, doit approxi­mativement être égale ou du moins suffisamment égale, au sens où chacun a une chance équitable (fair) d'occuper une fonction publique et d'influencer l'issue des décisions politiques. Cette notion de chance équitable va de pair avec celle d'égalité équitable des chances, dans le second principe de justice1. Lorsque les partenaires dans la position originelle adoptent la priorité de la liberté, ils comprennent que les libertés politiques égales pour tous sont trai­tées d'une manière particulière. Quand nous jugeons du caractère approprié de la combinaison de la liberté et de l'égalité en une seule notion, nous devons garder présente à l'esprit la place particulière des libertés politiques dans les deux principes de justice.

C'est aller au-delà des limites d'une doctrine philosophique que de considérer en détail les types d'organisation nécessaires pour assurer la valeur équitable des libertés politiques égales pour tous, tout comme de considérer les lois et les règlements nécessaires pour assurer la compétition dans une éco­nomie de marché. Néanmoins, nous devons reconnaître que la question de la garantie de la valeur équitable des libertés politiques est d'une importance égale, si ce n'est supérieure, à celle de la compétitivité réelle des marchés. Car, à moins que la valeur équitable de ces libertés soit à peu près préservée, de justes institutions du contexte social (background institutions) ne peuvent être ni établies ni maintenues. Savoir quelle est la meilleure façon de procé­der pour garantir cette valeur équitable est une question complexe et difficile ; actuellement, il est possible que l'expérience historique et la théorisation requises manquent, de telle sorte que nous devons avancer en faisant des essais et des erreurs. Mais un moyen permettant de garantir cette valeur équitable semble être, d'une part, dans une démocratie fondée sur la pro­priété privée, de conserver les partis politiques indépendants des grandes concentrations du pouvoir personnel économique et du pouvoir social et, d'autre part, dans un régime socialiste libéral, de les garder indépendants du contrôle gouvernemental et du pouvoir bureaucratique. Dans chaque cas, la société doit supporter au moins une grande partie du coût de l'organisation et de l'exécution du processus politique et doit surveiller la conduite des élec­tions. La garantie de la valeur équitable des libertés politiques est, pour la théorie de la justice comme équité, une façon d'essayer de faire face à l'objec­tion selon laquelle les libertés de base sont simplement formelles.

    Or, cette garantie de la valeur équitable des libertés politiques comporte plusieurs traits dignes d'être mentionnés. Premièrement, elle garantit à chaque citoyen un accès équitable et assez égal à l'utilisation des services publics des­tinés à servir un objectif politique défini, c'est-à-dire aux services publics définis par les règles et les procédures constitutionnelles qui gouvernent le processus politique et qui contrôlent l'accès aux situations d'autorité politique. Comme nous l'examinerons plus loin (§9), ces règles et procédures doivent former un processus équitable, destiné à produire une législation juste et efficace. Le point à noter est que les revendications valides des citoyens égaux sont maintenues à l'intérieur de certaines limites normales, grâce à la notion d'un accès équitable et juste au processus politique considéré comme service public. Deuxièmement, ce service public dispose d'un espace limité, si l'on peut dire. C'est pourquoi, en l'absence de la garantie de la valeur équitable des libertés politiques, ceux qui possèdent des moyens relativement plus importants peuvent s'arranger entre eux et exclure ceux qui en ont moins. Nous ne pouvons pas être sûrs que les inégalités autorisées par le principe de différence seront suffisamment réduites pour empêcher cela. Il est certain qu'en l'absence du second principe de justice, le résultat sera une conclusion décidée d'avance ; car la limitation de l'espace du processus politique a pour conséquence que l'utilité que peuvent avoir nos libertés politiques dépend beaucoup plus de notre position sociale et de notre place dans la répartition du revenu et de la richesse que l'utilité de nos autres libertés de base. Quand nous considé­rons également le rôle particulier du processus politique dans la détermina­tion des lois et des politiques gouvernant la structure de base, il est compréhensible que seules ces libertés reçoivent la garantie particulière de la valeur équitable. Cette garantie est un point naturel de focalisation entre la liberté simplement formelle d'un côté et une sorte de garantie plus large pour toutes les libertés de base, de l'autre.

La mention de ce point naturel de focalisation soulève la question sui­vante: pourquoi le principe de justice n'inclut-il pas une garantie plus large ? Même s'il est problématique de définir ce qu'est une garantie plus large de cette valeur équitable, la réponse à la question est, je crois, qu'une telle garantie est soit irrationnelle, soit superflue, soit source de division sociale. Ainsi, commençons par imaginer que cette garantie prescrive une répartition égale de tous les biens premiers et pas seulement des libertés de base. Je fais l'hypothèse que ce principe doit être rejeté comme irrationnel puisqu'il ne permet pas à la société de faire face à certaines nécessités de l'organisation sociale, de prendre avantage des considérations portant sur l'efficacité, etc. Cette garantie plus large peut être comprise d'une seconde façon : dans ce cas, elle requiert qu'une certaine somme fixe de biens premiers soit garantie à chaque citoyen comme une façon d'illustrer publiquement l'idéal qui consiste à accorder une valeur égale aux libertés de chacun. Quels que soient les méri­tes de cette suggestion, elle est superflue eu égard au principe de différence. Car chaque fraction de l'indice des biens premiers dont bénéficie le citoyen le plus désavantagé peut déjà être considérée de cette manière.

Liste des biens premiers

La liste de base des biens premiers (que nous pouvons élargir si nécessaire) comprend les cinq biens suivants : a / les droits et les libertés de base, dont on peut également proposer une liste ; b / la liberté de circulation et la liberté dans le choix d'une occupation entre des possibilités variées ; c / les pouvoirs et les prérogatives afférant à certains emplois et positions de responsabilité dans les institutions politiques et économiques de la structure de base ; d / les reve­nus et la richesse ; et enfin e / les bases sociales du respect de soi.
Cette liste inclut essentiellement des traits institutionnels, comme les droits et les libertés fondamentaux, les possibilités créées par les institutions et les prérogatives liées à l'emploi et aux positions ainsi que le revenu et la richesse. Les bases sociales du respect de soi y sont expliquées en rapport avec la struc­ture et le contenu d'institutions justes auxquels s'ajoutent les caractéristi­ques de la culture politique publique, telles que la reconnaissance et l'acceptation publiques des principes de justice.

4. Nous espérons, en introduisant les biens premiers, trouver une base publique pour les comparaisons interpersonnelles qui soit utilisable à partir des caractéristiques objectives du contexte social des citoyens tel qu'il est visible, avec, à l'arrière-plan, le pluralisme raisonnable. A condition de prendre les précautions nécessaires, nous pouvons en principe élargir la liste à d'autres biens comme, par exemple, le temps libre ' et même certains états psychologiques comme l'absence de douleur1. Je ne m'étendrai pas là-dessus ici. Ce qui est crucial, c'est de reconnaître les limites de ce qui est politique et de ce qui est réalisable.

Arrow et Sen ont indiqué de nombreuses préoccupations pratiques urgen­tes. Ils notent qu'il existe des variations importantes entre les personnes en ce qui concerne leurs capacités — morales, intellectuelles et physiques — et leurs conceptions précises du bien ainsi que leurs préférences et leurs goûts. Ils indiquent que ces variations sont souvent si importantes qu'il n'est pas équitable de fournir à chacun le même indice de biens premiers pour satis­faire leurs besoins en tant que citoyens et d'en rester là. Arrow mentionne des variations dans les besoins médicaux des gens et dans le coût de la satis­faction de leurs goûts et de leurs préférences, Sen a souligné l'importance des variations entre les capabilités (capahilities) fondamentales des gens et, par conséquent, dans leur aptitude à utiliser les biens premiers pour atteindre leurs objectifs. Arrow et Sen ont certainement raison et, dans certains de ces cas, il serait injuste d'avoir le même indice pour tous.

Une autre manière, très différente, d'aborder la neutralité, c'est de la définir par rapport aux buts des institutions fondamentales et des politiques publiques, tout en tenant compte des doctrines compréhensives et des conceptions du bien qui leur sont associées. Ici la neutralité du but, par oppo­sition à la neutralité procédurale, signifie que ces institutions et ces politi­ques sont neutres au sens où elles peuvent être approuvées par les citoyens dans leur ensemble parce qu'elles se situent dans le cadre d'une conception politique. Dans ce cas, la neutralité pourra signifier, par exemple : a / que l'Etat doit assurer à tous les citoyens une chance égale de réaliser la conception du bien, quelle qu'elle soit, qu'ils ont librement adoptée ; b / que l'Etat ne doit rien faire pour favoriser ou promouvoir une doctrine compréhensive particulière plutôt que d'une autre ou fournir davantage d'assistance à ceux qui en sont partisans1; c / que l'Etat ne doit rien faire qui rende plus probable l'adoption par les cito­yens d'une conception particulière plutôt que d'une autre, à moins que des dispositions ne soient prises pour annuler ou compenser les effets de mesures de ce genre'

. La priorité du juste exclut le premier sens, la neutralité du but, car seules les conceptions acceptables (celles qui respectent les principes de justice) peu­vent être choisies. Ce premier sens peut être modifié et on dira alors que l'Etat doit garantir des chances égales aux conceptions acceptables, quelles qu'elles soient. Dans ce cas, en fonction de la définition de ce qu'est une chance égale, la théorie de la justice comme équité peut être neutre quant au but des conceptions du bien. Quant au second sens, il est réalisé en raison des caractéristiques d'une conception politique qui exprime la priorité du juste ; tant que la structure de base est gouvernée par une telle conception, ses institutions n'ont pas à favoriser une doctrine compréhensive particulière. Mais, en ce qui concerne le troisième sens (envisagé dans la section 6, plus loin), il est certainement impossible que la structure de base d'un régime constitutionnel juste n'ait pas d'influence ou d'effets importants et ne déter­mine pas quelles sont les doctrines compréhensives qui durent et qui gagnent des partisans ; il serait futile de tenter de neutraliser ces effets et ces influences ou même d'évaluer pour des fins politiques leur profondeur ou leur étendue dans la société. Nous devons accepter les données de la sociolo­gie politique du sens commun.

En résumé, nous pouvons distinguer la neutralité procédurale de la neutralité vis-à-vis du but; cependant cette dernière ne doit pas être confondue avec celle qui concerne l'effet ou l'influence. En tant que conception politique appliquée à la structure de base, la théorie de la justice comme équité, dans son ensemble, tente de fournir un terrain commun pour un consensus PR. Elle s'efforce également de respecter la neutralité du but au sens où les institutions fondamentales et les politiques publiques ne doi­vent pas être conçues pour favoriser une doctrine en particulier


'

Retour à la page sur les "origines de la pensée libérale".
Retour à la page d'accueil