Galilée a été condamné par l'église catholique pour:
1) Ne pas démoraliser le
chrétien qui croyait au monde clos et protégé par
Dieu et à la
morale qui va avec: soumission aux commandements divins en tant que les
hommes
sont créatures placées au centre du monde immobile
déstinés
à être sauvés (c'est en toute lettre dans l'acte
d'accusation)
2) Ne pas remettre en question le lettre de la
bible
afin de ne pas donner prétexte aux réformés
d'attaquer
l'église en lui opposant la Bible (argument
préféré des protestants)
3) Enfin Galilée pronait l'atomisme, ce
qui
semblait contredire le dogme de la transsubtanciation refusé par
les
calvinistes et dans une moindre mesure par les luthériens.
Ainsi le réalisme de Galilée
s'opposait-il
à celui de la Bible; ce qui était intolérable
à
l'église c'était surtout:
1) Que Galilée ait refusé le
compromis
Copernicien du type "ma thèse n'est qu'une interprétation
(fiction)
mathématique commode; mais c'est la bible qui dit la
réalité".
2) Que son matérialisme atomistique (ou
épicurien)
s'opposait au dogme de la transsubstanciation dans le cadre de la
contre-réforme.
3) Qu'il ait prétendu distinguer, dans
sa
défense, entre la vérité concernant les choses de
la
nature qui ne relèveraient que de la raison
(mathématique) et
de l'expérience (rationnelle et instrumentalisée) et les
choses
surnaturelles (ex: l'immortalité) qui seraient l'affaire de la
religion
et de la révélation. Ce faisant il disqualifiait le
pouvoir
de censure que s'arrogeait l'église dans le domaine profane et
temporel
des sciences et revendiquait l'indépendance de celles-ci par
rapport
à la religion.
4) Mais plus profondément encore, ce
qui
était insupportable c'est qu'il affirmait que la nature nous
parle
dans la langue mathématique et non pas dans celle du
créationisme sensée nous délivrer un messsage
moral concernant notre destinée: c'est le problème du
"mécanisme" contre le "finalisme" (problème clé
aussi chez Descartes et Spinoza)
Conclusion: Toute théorie qui affaiblit la prétendue vérité d'un discours mythico-religieux qui a aussi une fonction éthique et/ou morale et/ou eschatologique, est refusée par les églises au nom d'une vérité superieure tout à la fois réaliste et préscriptive (normative): "la vérité du dogme contre la vérité rationnelle". Or un dogme n'est tel que parce que on lui attribue une visée et/ou un sens éthique; ce que les sciences se refusent à faire, justement; ce qui les rend dangereuses: leur vérité n'a rien à faire du sens éthique et disqualifie la prétention de celui-ci de valoir comme vérité.
On fait souvent un double reproche aux sciences: d'une part on les accuse de vouloir assurer le monopole de la vérité en prétendant à l'objectivité et à l'universalité, d'autre part on cherche à en faire des variantes camouflées de la seule vérité possible: la vérité subjective; c'est à dire la vérité pour un certain sujet particulier, fut-ce le sujet de la science; les sciences ne pourraient alors prétendre qu'à une vérité relative, ni plus vraies, ni plus fausses que celle produite ou révélée par d'autres modes de pensée. On les voit à la fois comme totalitaires et dominatrices et comme comme partielles et partiales, incapables de totaliser le savoir en système de l'Etre ou du réel en sa totalité. Tout en leur reprochant leur ambition déshumanisante, on les réduit à n'être que des projections d'observations sensibles déguisées. Or cette analyse à effet paradoxal m'apparaît fausse, car elle néglige les pratiques réelles des sciences, qui sont essentiellement des pratiques d'objectivation expérimentale extra-sensibles et non-qualitatives qui visent à décentrer le sujet des sciences par rapport au sujet vivant et empirique.
L'observateur dans les sciences n'est pas le sujet vivant mais le sujet instrumental objectivé dans des protocoles rationnels de questions logiquement articulées, des appareils et des machines qui contrôlent en permanence les données, les conditions initiales et les résultats: le sujet de l'expérience c'est le laboratoire et l'équipe qui le compose et fait marcher la machine logique des causes et des effets testables et donc prévisibles, en droit sinon toujours en fait. Et quand cela ne marche pas, il faut (re)bricoler les hypothèses déductives, les manips et les processus. Nous sommes donc très loin de la liberté poétique et symbolique de l'artiste qui n'a d'autre réalité que l'arbitraire de ses fantasmes et de ses goûts esthétiques. Voir Bachelard: "La formation de l'esprit scientifique". La pratique scientifique tient plus de l'enquète de police en milieu technique (artificiel) qui tente d'éliminer le hasard (sinon le hasard inéliminable dans le cadre de phénomènes non-linéaires ) que de l'improvisation vitale toujours particulière et non reproductible afin de produire des lois générales qui autorisent la prévisibilité, au moins probabiliste.
Or les paramètres quantifiés
qui
sont la matière des sciences ne sont pas des sensations.Les
instruments
de mesure qu'elles mettent en oeuvre sont des phénomènes
et
processus objectifs; et la lecture des résultats mesurés
n'est
pas une vision personnelle: un ordinateur fait aussi bien l'affaire, et
même
mieux. Les concepts qu'elles produisent ne sont pas des symboles et/ou
des
métaphores; mais des idées-signes univoques, mis dans une
forme
logique universalisable.
En cela les sciences ne sont pas une forme de
poésie
ou de mythologie à effet magique et/ou placebo; mais une
construction
hypothético-déductive rationnelle soumis au
contrôle
de l'expérience non pas vécue et sensible mais objective,
instrumentale
et technique.
Le réel en soi, comme totalité
extérieure
aux connaissances que l'on en prend existe, et non en savons
l'existence
par ce qui fait, dans l'expérience objective, obstacle au connu,
mais
il n'est pas connaissable (Kant), car il ne peut se présenter
à
la pensée précise que sous la forme, produite
méthodologiquement
par les sciences, de réalités partielles
phénoménales
rationnellement et expérimentalement manipulables. Du
réel
en soi on peut dire tout et son contraire comme le démontre Kant
dans
la CRP (la métaphysique dogmatique comme illusion
transcendantale)
. Fuir cette impuissance à tout connaître et à tout
dire
dans l'extase mystique ne peut valoir que pour qui l'éprouve en
un
indicible délire sans conditions, ni limites, ni critère
universalisable.
La prétendue Vérité mystique
révélée
se présente nécessairement comme indiscutable, c'est
précisément
en quoi elle est une illusion sentimentale dogmatique. De plus elle est
conceptuellement
ineffable, sinon poétiquement, métaphoriquement et
symboliquement
évocable et donc infiniment et arbitrairement
interprétable
(polysémique). Or l'universel est le premier critère de
la
rationalité; refuser celui-ci s'est refuser tout critère
fiable
de vérité; au profit des faiseurs d'illusion, des
illuminés,
des gourous et prophètes, anciens ou modernes; et faire fi des
exigences
critiques de la dimension critique de la pensée philosophique
elle-même.
Certains, qui se disent philosophes, ne font aucune analyse sérieuse des méthodologies scientifiques comme pratiques d'objectivation et confondent le sujet sensible et le sujet de la connaissance; ce qui depuis Platon jusqu'à Husserl est pour le moins discutable, et en tout cas contraire à la pratique ci-dessus. D'autres font reproche aux sciences de se prétendre objective en oubliant le sujet sensible et donc de "désenchanter" le monde en le déshumanisant; mais cette vision (plus que conception ) de la vérité est tellement empétrée de subjectivisme passionnel (irréfléchi) qu'il conduit à penser que toute vérité doit être subjective et personnelle , y compris le vérité scientifique pour être "intéressante": il suffit pourtant d'assister à une controverse scientifique pour percevoir (par la raison et non par les sens) que l'exigence rationnelle d'objectivité y est en permanence à l'oeuvre et que, sans elle, les sciences ne seraient que délires arbitraires.
En cela, la pensée magico-mythique
est à l'opposé de la pensée scientifique
Le sujet transcendantal des sciences n'est pas
le
sujet sensible, ni le sujet poétique; il est, en effet,
historiquement construit mais d'une manière rationnelle,
non-arbitraire et contrôlée par l'ensemble des chercheurs
qui cherchent à falsifier sur fond de
données quantifiée et de corrélations
régulières objectives, toute hypothèse
expérimentable nouvelle même et surtout la plus audacieuse
et créative (ce qui est la marque de
sa fécondité potentielle), avant de l'admettre comme
temporairement valide (faute de mieux). Le doute critique
expérimental (et non pas
seulement spéculatif) est donc le moteur des sciences, au
contraire des autres formes de pensée dogmatiques qui sont par
nature auto-affirmatives.
Ceci dit, si l'on maintient comme certains,
que
la pensée scientifique "dogmatise" son exigence critique; libre
à
chacun de penser que toute pensée est par nature dogmatique et
donc
d'essence mythique (révélation); ce qui permet à
moindre
frais de condamner la pensée scientifique comme pensée
subjective
ni plus ni moins vraie que n'importe quelle autre (relativisme
subjectif
intégral); mais cette position sceptique est parfaitement
stérile:
elle ne permet pas de rendre compte de et encoremoins de rendre
possible
le développement des connaissances. Les sciences, du reste,
n'ont
rien à faire du relativisme théorique subjectiviste;
elles
prouvent leur mouvement en marchant: les chiens aboient et la caravane
passe!
Les vitupérations contre l'esprit scientifique au nom d'un
humanisme
chaleureux ne délivre en rien les hommes de la colle
idéologique mythico-religieuse, mais les y asservit à
ceux qui l'orchestrent; ce
qui est humain, c'est l' effort de libération de la
pensée des
ses archaïsme dogmatiques en vue du penser d'une manière
rationnelle
donc plus autonome et plus vraie afin d' agir plus efficacement sur la
réalité
(retour à Descartes).
Certains prétendent qu'il
pourrait
y avoir des rationalités formelles différentes qui ne
reconnaitraient
pas le principe de contradiction et/ou qui y auraient des conditions de
crédibilité
socialement incompatibles avec lui; mais, qui dit le contraire de ce
qui
est ou fait est soit un menteur, s'il le fait sciemment, soit dans
l'erreur
ou l'illusion, sinon. Et cela vaut pour toutes les cultures, sauf dans
le
domaine religieux, en effet, ou la sanction du réel est
repoussée
après la mort, c'est à dire pour toujours et qui a pour
fonction
d'évacuer les contradictions pour entretenir l'espoir un Absolu
salvateur
où toutes les contradictions auraient été
magiquement
dépassées. Il n'y a pas plus de rationalité noire
que
blanche, féminine que masculine, bourgeoise que
prolétarienne.
Il n' y a que des positions idéologiques et d'expérience
de
départ différentes.
Tout discours irrationnel ne peut
prétendre
à la vérité ou justesse publique qu'au nom d'une
révélation
transcendante indiscutable et sacrée et donc dans un discours
qui
ordonne de se soumettre sans comprendre (foi dans le mystère).
L'irrationnel en tant que discours public de vérité ne
peut être que
religieux, non- philosophique et anti-libéral, car seul le
discours
rationnel, dans sa prétention à la vérité,
est
publiquement discutable.
Si tout discours irrationnel (poético-mythique) peut valoir
comme
témoignage intersubjectif des ambiguités du désir
des
personnes privées et des groupes particuliers, il ne peut pas
valoir de critère de validité d'un discours public
laïc. La
raison, dans ses principes fondamentaux, est universel, seul son usage
diffère,
quand on désire en faire usage... Et tout discours
philosophique,
y compris pour justifier le relativism,e ne fait pas exception
à
la règle de raison: il est construit logiquement mais du fait de
la position de départ du relativisme (refus de
l'universalité
du principe de non-contradiction), celui-ci tombe nécessairement
dans
la contradiction performative bien connue du menteur qui demande
à
être crû ou (au choix) du sceptique qui affirme comme une
vérité
valant pour tous, que la vérité valant pour tous
est
impossible.
Au fond, le refus de considérer
l'opposition rationalité/irrationalité est celui de
d'admettre la différence
entre révélation intuitive/vérité processus
,
entre raison/foi, entre théocratie/démocratie et- entre
religion/philosophie,
en un relativisme culturel qui, au nom de la raison, prétendrait
disqualifier
la raison. Toute la question est alors de savoir au nom de quelle(s)
valeur(s)
à prétention universelle ou non, ces refus pourraient
être
justifiés. (voir à ce sujet le débat Rorty et
Bouveresse)
S. Reboul, le 04/02/03
Vérité, sciences et philosophie