Définition:
Le travail,doit d'abord être défini
comme une activité productrice de bien et de services dont le but
est de satisfaire les besoins et/ou désirs des autres qui ne sont ni
des membres de la famille ni des proches, mais peuvent être des
inconnus ou des institutions qui sont susceptibles d'acheter ou
d'exiger le produit du travail.
En cela le travail se distingue des
activités de loisir dont le but est de se satisfaire soi-même et
des activités domestiques gratuites qui concernent la famille et les
proches.
Le travail est donc une activité soumise (ce que signifie par exemple le notion d'emploi qui veut dire « être ployé sous la volonté d'un autre ») plus ou moins pénible ou contraignante ce qui justifie que son produit soit rétribué par un dédommagement monétaire ou socialement récompensé sous une forme ou une autre. La forme la plus extrême du travail, en terme de contrainte, est le travail de l'esclave , lequel esclave ne doit sa survie qu'en tant qu'il est la propriété de son maître et lui est soumis sans conditions. La forme la plus douce est celle du travail dit indépendant qui est rétribué sous la forme d'un prix négocié ou négociable de son résultat avec un acheteur ou commanditaire. La forme intermédiaire est celle du travail salarié qui est une activité au service d'un autre contre une rémunération monétaire librement consentie sous la forme d'un contrat de travail qui en spécifie les modalités , les limites et soumises à des droits politiquement et juridiquement définies sous la forme du droit au travail.
En quoi peut-on dire que le travail aurait une « valeur »? Il faut être clair sur ce point quitte à remettre en question un discours à la mode qui du reste est paradoxal dès lors qu'on assigne au travail un but extérieur à lui: gagner de l'argent. Dire que le travail a une valeur c'est dire qu'il a une utilité une finalité hors de lui-même qui peut être un gain économique et social. Mais ce n'est pas du tout la même chose que de dire que le travail est une valeur, La valeur-travail signifie que le travail est en lui-même l'expression s'une valeur inhérente qui vaut pour elle-même. Or est une valeur ce qui vaut comme fin universelle de la vie pour soi et les autres. Sauf à considérer que l'argent soit une valeur morale ou éthique et le travail un simple moyen de la mettre en œuvre, il est clair que cette valeur n'a aucune valeur éthique car il ne vaut pas en soi comme fin dernière. De plus il n'est pas nécessairement une liberté dès lors qu'on le soumet à une nécessité vitale en tant que simple moyen. Tout au plus peut-on dire qu'il est un service visant à la coopération sociale générale au bénéfice de ceux qui sont en position de payer ce service, sinon au service de tous. Perdre sa vie pour la gagner ou se soumettre à d'autres pour se libérer tels semblent être les paradoxes du travail comme prétendue valeur.
Le travail est-il une valeur?
D'une part le travail, comme activité de production et de service soumise à la contrainte sociale, est vécue comme une nécessité vitale pour la grande majorité des individus qui ne peuvent gagner leur vie, c'est à dire leurs moyens de vivre, qu'en travaillant pour d'autres que leurs proches, donc en s'y soumettant plus ou moins volontairement, d'autre part il est un motif de valorisation sociale au point que même dans les professions les plus pénibles, voire les plus dangereuses pour la santé et les plus dégradantes pour l'intégrité humaine des travailleurs transformées en machines inintelligentes à opérer dans un cadre subi, il est revendiqué comme une identité valorisante. Comment comprendre ce paradoxe qui fait d'une nécessité aliénante une valeur morale?
La notion de
valeur est complexe car subjective, ne vaut en effet que ce qui est
socialement désirable par un groupe d'individus en fonction de
valeurs éthiques plus ou moins contradictoires et donc toujours
discutables, voire négociables en chacun et par chacun d'entre eux .
Est valeur pour un individu ce qui est ressenti comme socialement
valorisant par et pour chacun d'entre nous, en fonction des relations
de reconnaissance et de valorisations réciproques, qu'il entretient
avec les autres. Mais on peut définir plusieurs niveaux de
valorisation possibles pour chacun d'entre nous lesquels fondent les
jugements de valeurs que l'on peut porter ou dénier aux différentes
activités professionnelles et/ou métiers.
1) Le premier
niveau de valorisation est personnel, à savoir concerne les
qualités morales particulières socialement valorisées, d'un
individu considérées comme éthiquement supérieur aux autres au
regard de ces qualités. Un individu peut apparaître comme plus
intelligent, plus courageux, plus performant, plus volontaire, plus
méritant aux service des autres que d'autres et donc se sentir
honoré et valorisé dans ses activités et/ou son travail. Tout
désir humain est en effet désir de reconnaissance de soi par la
médiation des autres, au nom de valeurs partagées. L'amour ou
l'estime de soi (fierté, honneur, dignité) sont les motivations
les plus fortes de la psyché humaine, au point que l'humiliation
vécue est la plus insupportable des expériences existentielles ,
au point de provoquer le désir paradoxalement valorisant de se
détruire (suicide) et/ou de détruire les autres (violence
passionnelle) , rendus responsables de cette dévalorisation. En
cela tout travail peut être admis comme une valeur dès lors qu'il
met les qualités propres d'un individu au service des autres. En
effet tout travail suppose un courage personnel et un effort de
coopération volontaire au bien-être général (société,
entreprise), donc une maitrise plus ou moins sacrificielle de soi
par laquelle il renonce ou diffère ses désirs spontanés propres
(auto-discipline) pour le bien mutuel ou commun. La rémunération
du travail ne serait dans ces conditions que l'expression de la
reconnaissance par les autres du service rendu par l'usage altruiste
que l'individu fait de ses qualités personnelles. Gagner sa vie par
son travail serait alors non pas seulement une nécessité vitale
mais d'abord le signe socialement objectif de la valeur personnelle
des efforts et des talents que chaque travailleur met au services
des autres. La rémunération monétaire reconnaît objectivement
son mérite altruiste et la position sociale qu'il occupe au regard
de ses qualités propres dans la hiérarchie socialement construite
des mérites. Mais cette division socialement plus ou moins
valorisée et valorisante du travail de chacun signifie aussi que
les professions ne sont pas également reconnue comme méritante et
donc que tous les travaux ne sont pas également des valeurs . Une
activité ne vaut que par comparaison et les travaux les moins
qualifiés seront donc méprisés au profit des travaux les plus
qualifiants. Tout travail n'est pas une valeur dès lors qu'un grand
nombre de professions renvoient à des activités inintelligentes,
scotomisée, mécaniques ou routinières et donc lobotomisée (ce
qui exige l'amputation d'une partie du cerveau) asservies à des
normes ou objectifs imposés. Le travail d'un ouvrier à la chaine
ou d'une caissière est sans grande valeur humaine, sauf à le
détourner dans le cadre de positives relations au autres, au
contraire de celui d'un artisan ou d'un paysan qui exige un
savoir-faire complexe et une réflexion plus ou moins innovante dans
le cadre de situations et de données environnementales jamais
identiques.
Ainsi le travail
industriel a largement vidé le travail en général de toute valeur
intellectuelle ou spirituelle humaine en transformant les ouvriers
et employés, même intellectuels, en simples opérateurs
corvéables à merci..
C'est l'industrie des biens et des services
soumis à la seule norme externe de la productivité, à savoir de
la profitabilité et de rentabilité économique, qui a réellement
disqualifié le travail humain et non une prétendue disposition à
la paresse. C'est la division technique et sociale du travail en vue
de la rentabilité économique et financière maximale pour le plus
grand profit des détenteurs des capitaux et des propriétaires des
biens de productions qui a généré la misère et la souffrance
humaine au travail, jusqu'au suicide parfois, comme manifestations
tangibles de sa déshumanisation .
2) Le deuxième niveau de la
valorisation du travail, par delà, voire contre, sa finalité
économique en terme de valeur ou de plus-value financière,
pourrait résider le fait que le travail concernerait les valeurs
républicaines (ou démocratiques) considérées comme universelles
que sont la liberté, l'égalité et la solidarité.
Or en tant que le travail du plus grand nombre des salariés ou
employés est soumis à la logique capitaliste tournée vers
l'appropriation privée du profit par les détenteurs de capitaux,
le travail de la plupart est liberticide et inégalitaire en cela
qu'il soumet chacun au despotisme du capital et détruit la
solidarité sociale en soumettant chacun, comme vendeur de sa force
de travail, sur le marché de l'emploi, à la concurrence avec les
autres. Le travail devient donc une marchandise, à la disposition
du capital et exige de chacun, pour pouvoir vivre de son salaire,
de se vendre et de se soumettre au pouvoir non négociable d'une
hiérarchie qui exerce sur lui un pouvoir qui échappe à son
contrôle et dont la finalité n'est pas l'intérêt général ou
public mais l'intérêt privé des actionnaires. C'est pourquoi le
salarié est payé pour accepter la pouvoir de celui qui le paye en
faisant de cette servitude une servitude apparemment volontaire
régie par un contrat plus ou moins imposé par la nécessité
extérieure de gagner les moyens de vivre et d'entretenir et de
reproduire sa force de travail . C'est parce que le travail est du
point de vue des valeurs éthiques fondamentales dégradant de et
pour la personne, au contraire d'une activité de loisir, qu'il est
rétribué, à titre de réparation, sous la forme d'un salaire. Si
le travail n'était qu'un loisir dont les finalités internes serait
celles, altruistes ou non, du travailleur salarié, il serait
bénévole. C'est l'aliénation au travail qui seule lui confère
une valeur économique!
C'est ainsi que celui qui prend du plaisir à travailler au sens où il réalise dans ses activités professionnelles ou son métier, ses capacités humaines de création originales, de recherche et de découvertes nouvelles, de développement de ses talents et qualités propres, mais aussi qui en fait l'expression de son désir de puissance sur lui-même et les autres peut confondre son travail avec un loisir au point de ne pas considérer sa rémunération comme la motivation principale de son activité. Il se trouve alors doublement récompensé: dans les finalités inhérentes de son travail pour lui-même et la jouissance narcissique qu'il lui procure et dans la reconnaissance extérieure de son talent qui ne joue plus qu'un rôle de confirmation objective et non pas seulement subjective, de sa valeur propre.
Mais peu de professions (die Beruf) peuvent être vécues comme des vocations, voire des missions (die Berufung), moralement valorisantes, dans le cadre capitaliste d'exploitation économique de la force de travail et de la domination hiérarchique, toujours despotique, qu'elle institue. Or certains semblent trouver dans leur travail, aussi aliéné soit-il, une satisfaction paradoxale dont on dit dans les cas extrêmes qu'elle relève d'un trouble ou d'une affection pathologiques appelés névrose du travail ou addiction au travail. Ils semblent avoir besoin d'être doublement aliénés pour se sentir sécurisés, à savoir préservés de l'angoisse de devoir décider du sens à donner à leur vie, aliénés ou dépossédés d'eux-même dans le cadre hiérarchique, les contraintes et les objectifs quantitatifs que leur impose leur activité professionnelle, aliénés quant au but externe de cette activité, gagner le plus possible d'argent en travaillant toujours plus pour consommer toujours plus, au risque de ne pas avoir le temps de profiter du temps libre pour développer des activités de loisirs, les seules en effet authentiquement libérales, car délivrées de la nécessité sociale et économique. Ce temps de loisir est, en effet, le seul temps pour soi et à donner gratuitement aux autres (bénévolat), il est le temps de l'amitié, de l'amour et de la tendresse qui est le seul temps créateur de la vie hors mode d'emploi imposé. Être aliéné au travail pour un décideur par exemple, c'est être aliéné au désir passionnel narcissique du pouvoir social qu'il confère sur les autres, jusqu'à le dépossession de sa personne au nom du personnage sinon prestigieux en tout cas dominant que lui impose la comédie de devoir, à tout moment, s'imposer et affirmer son autorité vis-à-vis de ses subordonnés et ou concurrents; et cela aux dépens du désir d'aimer et d'être aimé pour lui-même. Posséder les autres, c'est être dépossédé de soi comme sujet/objet de l'amour réciproque des autres. L'amour possessif et dominateur des autres est un leurre, comme le bonheur ou l'amour de soi authentique dans la consommation ostentatoire. Ils ne rencontre que la soumission craintive et/ou la résistance, voire la haine jalouse des autres.
C'est
dire que le travail n'est une valeur, au sens des valeurs
républicaines que sont la liberté, l'égalité et la solidarité
vis-à-vis des plus faibles , que lorsqu'il est libéré de la
nécessité économique dès lors que celle-ci s'inscrit dans la
logique du profit financier maximum, source permanente d'injustice,
comme l'affirmait déjà Aristote . Le capitalisme, dominé par la
seule logique de la rentabilité financière est amoral, voire
immoral, car par nature aliénant et servile. Si la logique
marchande capitaliste du travail devient la norme sociétale
hégémonique , il transforme les individus eux-même en marchandise
et en marchands d'eux-même comme marchandise exploitable. Il détruit
tant les liens de la solidarité volontaire, que la condition même
de la liberté individuelle qu'est le loisir. Il est alors
contraire à tout lien social de coopération consenti, car il
institue la lutte de tous contre tous, la violence sinon physique du
moins symbolique et politique, l'égoïsme exclusif comme forme
paradoxale (contradictoire) de la sociabilité.
Il nous faut donc
dévaloriser le travail pour valoriser les relations humaines en
tant que relations de solidarité volontaire (voir la bénévolat) et
contre la logique capitaliste de l'exploitation du travail, mettre le
temps de travail encore nécessaire au service du temps de loisir et
faire converger l'économie et le progrès technique vers:
1) l'évolution du travail dans le sens d'un loisir parmi d'autres, c'est à dire dans le sens donc d'une activité fondée, comme chez l'artiste professionnel, sur le plaisir de la création, de la recherche, du développement et de la qualité éthique des relations humaines. Le travail deviendrait une activité à la fois nécessaire et ludique ou esthétique, mais reconnue par une rémunération publique et privée
2) .la réduction du temps de travail, pour ce qui concerne les métiers les moins créatifs et les plus contraignants de la personnalité des salariés ou employés. Cette évolution est déjà inéluctablement déjà inscrite dans les faits , de part les progrès des technologies intelligentes et de l'importance grandissante de l'usage de robots plus efficaces encore que le travail humain. Cela, comme depuis la fin, du XIXème siècle, doit favoriser le développement irréversible du temps pour soi (loisir, retraire) , seul temps de la vie libre, créatrice et aimante, donc pleinement humaine. En cela il est temps, contre la mystification idéologique instillée par prétendue valeur du travail, de faire comme Paul Lafargue, gendre de Marx « l'éloge de la paresse », c'est à dire du refus de travailler et d'être exploité dans l'essentiel de son temps de vie et donc de faire de ce refus, la condition du développement personnel et des capacités (capabilité selon A.Sen)
Conclusion: Tous ceux qui prétendent accorder une valeur morale ou républicaine au travail sans s'interroger sur les conditions sociales du travail comme mode de domination et d'exploitation de l'homme par l'homme ne font que révéler leur mépris réel pour ceux qui travaillent . Tous ceux qui se gargarisent de la valeur du travail, en masquant le fait massif que le travail, les travailleurs et le chômage sont devenus les variables d'ajustement les plus importants pour maximiser les profits sont des mystificateurs politiques. Tous ceux qui font croire que le chômage massif a pour cause le fainéantise personnelle des chômeurs sont des menteurs publics cyniques. Valoriser le travail dans le système capitaliste, et non le considérer comme une condition ou un mal nécessaires, c'est exiger de renoncer aux valeurs humanistes pour ne considérer comme valeurs que les valeurs économiques et financières et faire de ces dernières les valeurs hégémoniques, en cela immorales, d'une société.
Je ne résiste pas au plaisir de terminer par une citation géniale du plus grand artiste contemporain mondialement connu et vivant en Anjou, François Morellet, auquel la musée d'Angers consacre une salle dont je vous recommande la visite: « On ne peut faire que deux métiers : artiste et dictateur. J'ai choisi le premier! »