L'analyse fonctionnelle, à juste titre, exige que l'on
détermine
les fonctions d'un produit où d'un système avant la
recherche
des solutions. Elle reprend, en 1 'affinant, l'idée
aristotélicienne
que les causes finales déterminent les causes formelles et
matérielles,
ainsi que les moyens à mettre en oeuvre et non l’inverse ne
convient-il
pas, en effet, de savoir à quoi doit servir un objet, avant de
définir
ce qu'il est ? Un Objet fabriqué (ou un système
artificiel)
est ordonné impérativement selon la visée de son
devoir
faire. Il doit être tel pour faire ce que l'an veut qu'il fasse
et
être ce qu'il doit être.
Définition 1:
Etre ce qu'il doit être en vue de sa fin active, telle est la première définition objective de la qualité d'un objet.
La réalité de l'objet doit être totalement
conforme
à son idéal pour qu'il fasse, ni plus ni moins, ce que
l'on
désire qu'il fasse. Des lors son fonctionnement réel doit
s'évanouir, pour l'usager, derrière sa fonction . La
matérialité
de l'objet doit se faire oublier dans son usage ; aucun écart
entre
l'Etre, l'Agir et le But ne doivent rappeler la résistance du
réel,
sa matérialité contingente (aléatoire). Sa
qualité
signifie la sublimation de l'Etre en Idéal, de sa
facticité
en acte pur.
Nous retrouvons là le rêve idéaliste de la toute
Puissance d'une volonté subjective qui s'imposerait à la
matière au point de l'absorber toute entière. La
technique
semble s'identifier à la création divine.
Un objectera, avec raison, que les "fonctions/services" doivent
composer avec les "fonctions/contraintes", Mais la détermination
et la maîtrise de ces dernières sont supposées
entièrement
possibles. Certes, l'homme ne crée Pas de rien, ni dans le vide,
en cela il n’est pas le Dieu judéo-chrétien, mais il est
démon au sens grec : sa volonté doit informer la
matière
au point "d'arraisonner" la totalité de l'Etre (Heidegger).
Puissance
démonique sinon démoniaque, la volonté
technologique
rationalisée recrée le monde à l'image
éclatée
du désir humain proliférant.
Définition 2:
Nous rencontrons là la deuxième définition,
cette fois-ci subjective, de la qualité : la
satisfaction incessante des besoins et des désirs humains par la
maîtrise rationnelle des facteurs technique et humains de la
production.
Mais il me semble que cette satisfaction et cette maîtrise
sont problématiques. Je vais m'efforcer de montrer en quoi.
I. Le désir et ses objets: LA QUALITE INTROUVABLE
Si, dans le projet de la technique, toute réalité tend à être transformée et idéalisée en pur vouloir, sur quoi le vouloir peut-il s'exercer désormais sinon sur le vouloir lui même ? C'est cela, selon Hegel, qui caractérise le désir humain : le désir du désir. C'est pourquoi ii convient, à mon sens, de distinguer rigoureusement le besoin du désir, ce que pressent, sans en tirer les conséquences, l'analyse fonctionnelle, lorsqu'elle distingue parmi les fonctions service (FS) les valeurs objectives et les valeurs subjectives.
1.1 Besoin et désir
Le besoin vise une fin extérieure (objective) au sujet psychologique (technique, biologique, etc...) et soumet la satisfaction intérieure à la pleine réalisation de cette fin extérieure. Le sujet est satisfait lorsqu'il n'a plus faim et que les équilibres métaboliques de l'organisme sont rétablis. Le désir, par contre, se désire lui même en agissant sur lui même par le truchement d'objets et des autres sujets . Il vise un plaisir qui met en scène la représentation du désir en le ressuscitant à l'infini. C'est dire que le désir est par essence insatiable. Il se nourrit de lui même et de celui des autres en une -mimétique rivalité perpétuelle (René Girard)- La satisfaction ne vient pas clore le désir, mais entretient sa relance, d'où le paradoxe que la satisfaction du désir accroît l’insatisfaction: le sujet désire toujours plus et davantage. Platon, dans la République compare la puissance du désir à un incendie de forêt dont les objets (les arbres) augmentent la violence. La passion amoureuse ne vise rien d'autre que l'infini et l'absolu. Aucune passion ne peut trouver son objet encore moins lorsqu'il s'agit d'objets techniques Qu'en est-il alors de la qualité et de son usage économique ?
1.2. Le désir et le rôle de la qualité
Dans un monde où la concurrence est devenue mondiale et ou
la demande solvable s'est stabilisée, la qualité est
l'enjeu
de la compétitivité économique.
Les produits concurrents tendent à devenir équivalents
dans leurs fonctions/service objectives et leur valeur d’usage- Ce qui
détermine l'achat de la clientèle ce sont les fonctions
subjectives/imaginaires
des produits/leurs valeurs symboliques, érotiques,
esthétiques
et environnementales (cf. texte :" la qualité et ses
contradictions
dans l'entreprise" de S.Reboul). Dr, ces valeurs ne sont ni
rationalisables,
ni prévisibles, pas plus que ne l'est l'évolution des
désirs
dont elles sont l'expression. Les désirs particuliers, en effet,
sont les effets du désir qui se prend lui même comme objet
sous le conditionnement de l'offre innovante et des messages
publicitaires.
Le désir cherche à se représenter lui même
et
ce sont ces représentations qui constituent les désirs.
Ceux-ci
définissent les motivations d'achat en surdéterminant et
en dominant en permanence les critères techniques et leur usage
((valeur et hiérarchie). Les performances elles-mêmes sont
les supports de valeurs symboliques: (ex.
la puissance d'une automobile symbolise la puissance sociale de
l'automobiliste). Ainsi, selon S pinoza, le désir est l'essence
de l'homme en tant que celui-ci est conscient de ses appétits et
prend conscience de lui même. Le désir est donc
désir
de désir, c'est-à-dire désir de soi-même
comme
sujet de désir ("3e désire donc j'existe car je
désire
exister à mes propres yeux et à ceux des autres") et
comme
valeur, c'est-à-dire désir de sa propre perfection
(être
meilleur) et désir d'avoir toujours plus.
Mais ce désir de soi est médié par le
désir
et la conscience des autres et se manifeste sous la forme du
désir
du désir des autres (Heg el). La conscience de soi est
nécessairement
socialisée : le désir devient désir de
reconnaissance
et recherche le désir des autres dans l'estime, l'amour, la
jalousie,
la crainte ... Le désir est donc inextricablement et en des
combinaisons
variables :
. désir de soi même par soi même (narcissisme
clôt)
contre 1es autres (prestige, compétition, domination,
privilèges)
par1es autres (empathie, partage, reconnaissance, amour, entraide par 1
'oubli de soit ) valorisant r t s é- n t
Nous reconnaissons là toutes les valeurs symboliques,
éthiques
et érotiques définissant les fonctions subjectives.
Aucun objet technique ne peut, dans sa fonction objective
délimitée,
prétendre satisfaire le désir de soi qui passe par le
désir
de l'autre sans s'adjoindre la représentation imaginaire de ces
valeurs par laquelle le désir se désire lui-même
à
l'infini. Par quels moyens ? Par la manipulation de l'image des objets
selon les techniques de la publicité.
1.3.- Désir et image de l'objet
L'image d'un objet peut être établie selon 4
modalités
diversement combinées.
La fonction technique de l’objet est reléguée au
statut
de «support prétexte au profit de sa valeur
esthétique.
L'objet est transformé en oeuvre d'art dont, selon Kant, la
finalité
est sans fin objective déterminable. Il vise alors à
provoquer
le mouvement libre de l'imagination et de la pensée
auto-interrogative
: le sujet cherche à se reconnaître et à se donner
un sens dans l'expression des mouvements les plus intimes de ses
désirs
et de ses émotions. Ainsi un objet technique
désusagé,
obsolète, peut valoir comme oeuvre exposée.
L'esthétique
industrielle formalise l'objet au point d'en fait oublier ou d'en
sublimer
la ou les fonctions techniques (le design).
L'objet est affirmé comme un partenaire de jeu
équivalent
de l'alter ego du désir par lequel le" désir va pouvoir
s'enrouler
sur lui même en un dialogue sans fin. L'ordinateur tend à
devenir l'expression dédoublée et multipliée de la
volonté de puissance du désir (cf. plus loin). Il est
présenté
comme l'objet convivial par excellence, mimétique de l'autre.
L'objet est présenté comme seulement technique et
purement fonctionnel. Sa valeur est pauvre en significations
subjectives.
Son image gomme, en effet, la sphère des émotions et des
pulsions intimes au profit de l'intelligence abstraite de
l'habileté
technique et du sérieux éthique de son fonctionnement:
fiabilité,
sécurité, respect de l'environnement. ( ex. la "Golf"
passée
au scanner valorise la sécurité au dépens de
l'esthétique,
alors que l'on achète la ZX les yeux fermés puisqu'on est
"physiquement" captivée par elle. Cette modalité semble
dominante
dans les pays "non catholiques" où la technique pure valorise
l'image
rationnelle de soi au dépend de la sensualité
débridée.
Le consommateur se reconnaît positivement dans son pouvoir
d’auto-limitation
du désir, dans sa sagesse bien pensante. La technique est
élevée
au rang de symbole de la maîtrise de soi. Alors, la
volonté
de puissance du désir s'affirme comme la volonté de
contrôler
le désir jusqu'à sa réduction au besoin. Le
rôle
des unions de consommateurs semble aller dans ce sens.
- L'objet est transformé en idole : il est
fétichisé
par la publicité. Il devient objet de séduction. Son
image
exploite l'érotisme et les valeurs socioculturelles
stéréotypées
dominantes afin de capter le désir par un conditionnement
euphorisant
permanent.
Mais cette image vieillit vite et le désir tend à
s'en détacher à l'instant même de sa consommation.
Le destin d'une idole est d'être brisée car elle
trahit
toujours le désir infini.
Ainsi publicité est condamnée à promettre pour
décevoir.
Cette déception permet de relancer le mouvement de la
promesse
pour s'adapter à et susciter l'errance du désir en
cherchant
à l'orienter à l'avantage (provisoire) de telle ou telle
offre. Le mouvement accéléré de la mode permet de
maintenir l'image de soi qui fonde la désjrabilité. Elle
est divertissante car elle escamote la perte et la mort sous l'appel
à
la joyeuse dépense (sauf la Pub de Benetton sur le Sida, mais
là,
à mon sens, une limite est atteinte).
Cette dernière modalité provoque une satisfaction
évanouissante qui exige la perspective entretenue d'une
qualité
totale mythique. Celle-ci est présentée comme
indéfiniment
accessible et vécue comme définitivement inaccessible. La
publicité a donc pour fonction de promouvoir une qualité
mirage, en entretenant le mirage de la qualité. Elle promet le
bonheur
dans la consommation illimitée où l'exigence d'être
tend à se diluer dans la soif de l'avoir.
Ces quatre modalités cherchent à effacer la distance
entre les fonctions objectives et les fonctions subjectives au profit
de
ces dernières car elles seules permettent d'agir sur l'image de
l'objet et de ce fait sur l'imaginaire du sujet. Elles s’efforcent de
répondre
au désir de désirs, au désir d'être en le
fétichisant
sous la forme du désir d'objets.
La publicité "qualitative" est le stimulant magique qui meut
le système économique en vue du marché. Elle
transforme
celui-ci au lieu d'expression et de captage du désir
d'être
erratique en fétichisant celui-ci à l'infini. Dans ces
conditions
le credo de la qualité serait au centre de l'efficacité
et
de la puissance de l'économie en tant qu'expression de la
volonté
de puissance, c'est-à-dire de la puissance qui se veut elle
même
(Neitzsche).
Une telle puissance est puissance de l'homme sur la matière mais est d'abord puissance de l'homme sur l'homme, l’homme consommateur et l'homme producteur.
II.La qualité totale : CONDITIONNEMENT OU AUTORÉALISATIDN DU PRODUCTEUR ?
La mobilité instable des désirs des consommateurs
stimulée
par la concurrence et la publicité oblige l'entreprise à
innover et à diversifier son offre ou permanence. Cela implique
la flexibilité et la souplesse de son organisation.
Le producteur doit être polyvalent et tend à devenir
partie prenante de la mise en oeuvre, voire de la conception des
produits.
Une telle participation du producteur est contradictoire avec l'adage
fameux
de H.FORD: "Un ouvrier qui pense est un mauvais ouvrier !' et plus
généralement
avec le taylorisme qui vise à segmenter le procès de
production
en opérations simplifiées à l'extrême. Les
opérateurs
sont transformés en machines au service des machines et
l'entreprise
en machine psycho-sociale, dictatoriale, hiérarchisée. La
menace permanente impose à des exécutants
déshumanisés,
sans voix, un rythme rigide. Ceux-ci sont du même coup
démotivés.
La motivation du personnel, telle est la grande "découverte" de l'entreprise "sociétale", voire "conviviale", celle qui recherche moins la compétitivité par la croissance quantitative que par l'amélioration qualitative de sa production. Elle a besoin de l'engagement volontaire de "collaborateurs" gérant eux-mêmes la qualité de leur travail.
Cette prééminence des facteurs humains rencontre néanmoins un certain nombre d'obstacles, effets des contradictions qui traversent l'entreprise.
2.1. Les contradictions dans l'entreprise
La première contradiction est celle qui oppose le capital et le travail. L'entreprise même "sociétale" est une entreprise capitaliste qui vise la rentabilisation à plus ou moins court terme du capital investi. Dr le travail et Sa mise en valeur exige du temps : temps de production, de formation et de transmission du savoir et du savoir faire, temps pour la participation au procès de production et à la politique d'innovation. La qualité dans le court terme coûte cher et ne rapporte qu'à moyen et à long terme.
La seconde contradiction concerne les relations entre les dirigeants et les dirigés, plus ou moins confondus avec les concepteurs et les exécutants. Les dirigeants ont le privilège de prendre les décisions et de les faire exécuter. Il est, en effet, plus gratifiant et plus motivant de commander que d'obéir. Ainsi, la distribution de la motivation est fonction de la position dans la hiérarchie. La motivation des exécutants est négative : ne pas se faire licencié, ne pas mourir de faim ... celle des responsables est positive: se réaliser soi-même, se reconnaître compétent, s'autoréaliser (désir d'être).
2.2. Les résistances à l'évolution de l'entreprise
Si l'on veut motiver positivement l'ensemble du personnel, il
convient
alors d'opérer une redistribution des responsabilités par
la décentralisation du pouvoir et sa redéfinition.
L'appel
à l'initiative de tous met alors en cause le système
hiérarchique
et l'image de soi valorisée sinon valorisante des dirigeants.
Ceux-ci,
en l'absence d'un fondement transcendant (ex. religieux) de
l'autorité
ont du mal à la légitimer. Tout critère de
légitimité
est contestable.
Les dirigeants doivent alors en permanence justifier leur
autorité
et créer ainsi un consensus favorable à son exercice.
Comment
? Par la grâce de leur charisme personnel.
- En faisant appel à l'initiative des subordonnés,
voire en les faisant "participer" à la prise de décision
ou en le leur faisant croire (management participatif).
- En les convainquant qu'il ne les soumet pas à sa
volonté
particulière, qu'il ne les domine pas, mais qu'il les dirige,
avec
leur accord, dans l'intérêt commun de l'entreprise.
- En mettant en oeuvre des procédures de reconnaissance
concernant
l'ensemble du personne (la pratique des contacts sur le terrain, celle
des promotions internes). Mais une telle pratique de direction est
éminemment
instable dans ses effets, elle est à la merci des aléas
économiques
financiers et psychosociologiques etc.. Or, Machiavel y insiste, on est
plus assuré de conserver le pouvoir par la crainte que par
l'amour,
car l'une ne dépend que du dirigeant pas l'autre. D'où la
tendance à maintenir la distance hiérarchique sur fond de
menace. Cette tendance est renforcée par la satisfaction
narcissique
que produit chez le dirigeant cette distance qui marque son
éminente
supériorité fantasmatique.
- Dans ses conditions le responsable évite de mettre à
1 'épreuve son autorité, il supporte mal que l'on discute
ses ordres, il en dénie le droit à ses subordonnés
puisqu'il les considère comme nécessairement moins
compétents.
Cela est encore plus vrai en France, dès lors que le
système
de formation des cadres repose sur une sélection
préalable
par concours, laquelle tend à persuader le responsable qu'il
mérite
par ses dons personnels immuables l'autorité qui lui est
attribuée.
La méritocratie sur la base du diplôme renforce la
représentation
de soi aristocratique de ceux qui exerce l'autorité; les
dirigeante
sont sélectionnés sur les seules aptitudes
intellectuelles
abstraites dans le cadre d'épreuves très formelles et
prétendent
"facilement" être intellectuellement supérieurs à
ceux
qui ont moins bien réussis. Il s'arrogent alors sans complexe le
monopole de la prise de décision et leur
légitimité
leur paraît indiscutable.
Dr, pour convaincre les "subordonnés" de cette
légitimité,
il faut que l'intérêt commun soit clairement perceptible.
Mais la contradiction entre le Capital et le travail ainsi que les
aléas
de la concurrence et du marché d'une part, et l'arrogance
spontanée
des dirigeants d'autre part compromettent cette perception sinon
l'idée
même de l'intérêt commun.
Comment gérer ces contradictions et ces difficultés qui font obstacle à la transformation de 1 'entreprise ?
2.3 La démocratie dans l'entreprise est-elle possible ?
Tel est, me semble-t-il, l'enjeu du débat : on ne peut
vouloir
motiver longtemps l'ensemble du personnel dans une politique globale de
la qualité sans remettre en cause la hiérarchie
autoritaire
et ses fondements idéologiques, sociaux et organisationnels. Le
question est la suivante : le faire réellement ou faire semblant
? Un certain nombre de pratiques, en l'absence de toute intervention
sur
les structures et leur fonctionnement me semble relever de la
deuxième
alternative.
La seule mise en oeuvre d'un culte ritualisé autour de
valeurs
transcendantes spécifiques que l'on appelle la culture de
l'entreprise.
Cette pratique vise à créer un ciment symbolique
identitaire,
afin de refouler ou de neutraliser la réalité
conflictuelle
de rapports sociaux inchangés.
L'utilisation de la communication chaleureuse, voire festive pour
masquer l'instrumentalisation du travail et l'exploitation de ses
motivations
en vue du seul profit capitalistique.
De telle pratiques se réclament de la politique de la
qualité
mais à mon avis elles en font un gadget mystificateur vite
dénoncé
par la résistance du personnel : « On y croira lorsque les
salaires seront augmentés, les conditions de travail
améliorées
et la réduction des inégalités engagées
».
Penser l'évolution réelle de l'entreprise c'est viser quatre axes de transformation
- La protection du travail et des travailleurs par rapport au jeu
spéculatif et à court terme du capital.
Entre l'économie "Casino" et l'économie réelle
il faut choisir.
- La cogestion qui associent les producteurs à la prise de
décision voire à la direction stratégique. Cela
implique
des syndicats forts, représentatifs, et indépendants,
financés
par l'entreprise selon des règles formelles
négociées
et transparentes (exemples: AXA, GAN, CASINO, etc..).
- La formation permanente qu'exige le développement des
pratiques
d'auto-organisation par conduites de projets et la fin des
organigrammes
rigides. La formation doit être promotionnelle et qualifiante.
Elle
suppose le refus du mythe aristocratique des concours et examens
préalables
ainsi que des corporatismes statutaires.
- La transparence et la circulation de l'information dans tous les
sens, vers le haut, vers le bas et horizontalement. Une telle
information
est indispensable pour assurer la mobilisation et la participation de
tous
à la vie de l'entreprise.
CONCLUSION
Entre l'économie et l'éthique , le thème de
la qualité est utilisé d'une manière ambiguë.
Il est certainement porteur d'idéal et d'une certaine
espérance
dans un possible progrès de l'économie de marché
vers
une plus grande "qualité" de la vie et des relations humaines,
Mais,
il est aussi dans son usage un mythe dès lors que l'on sous
entend
qu'une telle évolution est possible sans faire l'analyse de ses
obstacles réels, sans transformer l'humanisant,. la vie
économique
elle même.
Laquelle transformation présuppose que l'on ne fasse plus
du profit une fin en soi et du marché prétendu "libre" la
panacée pour rendre plus justes les rapports humains. L'illusion
commence lorsque l'on confond l'espérance avec la
réalité.
Or, une telle évolution est-elle réalisable ? A vrai
dire, je n'en sais rien car cela dépend de l'évolution
des
rapports de force) de la lutte des hommes, de la conscience qu'ils ont
de la nature et des causes de l'injustice.
Quel capitalisme va mettre en oeuvre l'Europe
intégrée,
sauvage ou civilisé? Comment va-t-elle peser sur les rapports de
forces mondiaux en particulier entre le Nord et le Sud ? L'histoire
semble
indiquer que les états nations ne sont plus à la hauteur
des enjeux, à elle donc d'inventer des nouvelles formes de
solidarité
internationale , si cela est possible dans le strict cadre de
l'économie
de profit. J'en doute pour ma part car celle-ci me semble, en effet,
faire
de la puissance un but en soi et elle échappe de plus en plus
à
tout contrôle politique c'est pourquoi la démocratie est
partout
en crise ; l'effondrement des régimes "à l'Est ne
signifie
en rien son non triomphe car il manque à l'appel la
réduction
des inégalités.
L'égalité, en effet, pas seulement juridique, est
condition et fin de la démocratie, comme l'avait compris
Rousseau
pour s'en féliciter et Tocqueville pour s'en inquiéter.
Pour
l'heure, la puissance de la puissance de l'économie me semble
plutôt
récupérer la notion de qualité comme
opérateur
idéologique ; développer à l'infini le
désir
en le manipulant, mobiliser les hommes pour les soumettre à la
puissance
de l'économie qui prétendrait guérir de l'angoisse
de la mort et résoudre la difficulté d'aimer telle
pourrait-être,
si nous n'y prenons garde la fonction de cet opérateur.
Le mythe (et non l'idéal) de la qualité à pour
conséquence de dévoyer l'espérance. C'est
pourquoi,
selon moi, l'éthique doit reprendre sa place : la
première.
L’économie ne peut définir le bien et donc la
qualité
de la vie, car ceux-ci sont de l'ordre de la relation fraternelle entre
les hommes. Les objets ou produits économiques ne peuvent
être
-, tout au plus, que les supports ou les leurres de cette relation. Ce
qui compte, en économie, c'est la qualité du service
rendu,
c'est-à-dire la recherche d'une mutuelle satisfaction. Cela
exige
que l'homme ne doit pas se prendre lui même comme simple objet,
instrument
ou ressource mais toujours en même temps comme sujet. Un homme ne
peut désirer, au bout du compte, que la dignité :
l'estime
de soi et sa motivation fondamentale (KANT).
C'est à l'éthique de donner un sens à l'économie, sinon se vendre et gagner deviendraient les valeurs premières de la vie; on n'aurait plus le choix, alors, qu'entre la prostitution et la guerre. Méfions nous d'un certain langage "commercial" cynique et pseudo-réaliste qui, pris à la lettre, rendrait impossible toute relation économique, car toute relation humaine exige la confiance.
Sylvain REBOUL.