Capitalisme et révoltes logiques .
 
 
 
 

La question principale que soulève l'évolution globalisée du capitalisme est bien celle du rapport toujours déstabilisant et potentiellement explosif entre l'égalité formelle et le développement des inégalités réelles, entre l'égalité des chances proclamée comme une condition imaginaire (fictive) de légitimité du capitalisme et l'impossibilité réelle de l'assurer idéologiquement dès lors que les inégalités économiques  et sociales (pour ne rien dire des inégalités militaires, culturelles et politiques) entre (pays) riches et (pays) pauvres la font paraître comme une mystification aux yeux de ceux d'en bas.

Mais cette tension génère la révolte, parfois violente, de ceux qui se sentent victimes d'une discrimination devenue injustifiable dans le cadre de l'idéologie libérale formellement égalitaire. Cette révolte de ceux d'en bas, des exclus de la richesse et de l'égalité des chances proclamée, qui peut menacer son fonctionnement relativement pacifique (les affaires n'aime pas l'insécurité socio-politique), oblige le capitalisme à réguler politiquement le jeux des inégalités, à l'encadrer par le droit social, voire à faire en sorte que certains secteurs sensibles où se joue la reproduction des inégalités; l'école, la santé etc, s'autonomise plus ou moins (dans l'ambiguité entre l'apparence et le réel), par rapport à la loi du marché (les services publics).

C'est dire que le capitalisme, dans le cadre politique, à terme, le plus favorable pour lui, celui de la social-démocratie, évolue par intégration dans le jeu politique des motifs de la contestation et des révoltes logiques qu'il produit. C'est sa force: la capitalisme "démocratique" se sait contradictoire et exploite cette contradiction pour accroitre politiquement son efficience. Toute révolution anti-capitaliste est aujourd'hui condamnée soit à l'échec sanglant et/ou totalitaire, soit à la récupération. Porto-A(a)lègre et Davos sont les deux pôles d'un même processus: celui de la mondialisation du modèle social-démocrate. Et, ce serait faire injure à José Bové, compte tenu de son expérience et de sa finesse politique, que de penser qu'il n'en est pas conscient.

Que la capitalisme engendre la lutte des classes et qu'il ne puisse se réguler par les seules lois du marché; c'est ce que son histoire prouve abondamment.  Mais cela veut-il dire qu'il est condamné, voire condamnable?

En l'absence d'alternatives crédibles, dont nous savons que la lutte des classes n'est pas porteuse ; sauf sous les formes totalitaires, sanglantes et inefficaces de l'économie administrée, laquelle du reste reproduit les inégalités, nous n'avons pas d’alternative au capitalisme mondialisée et cela d’autant moins que cette lutte des classes est d’une complexité telle, à l’échelon mondial, qu’aucun programme politique anti-capitaliste commun ne peut en sortir : ce que démontre Porto-A(a)legre.

Le capitalisme est par essence contradictoire et c’est pourquoi il rend nécessaire, pour ne pas se détruire lui-même, la social-démocratie et la mise en œuvre de services publics direct ou indirects (entreprises privées ayant des missions de service public, sous contrôle de l’état) qui n’obéissent pas « seulement » aux lois du marché, mais qui visent à rendre crédible son égalitarisme de principe en masquant et en corrigeant plus ou moins, son inégalitarisme de fait. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il soit politiquement possible, ni même idéologiquement et économiquement rentable pour le capitalisme de privatiser en totalité l’enseignement ou la sécurité sociale ; l’exemple des USA est sur ce point est ambigu¨ : la tentative de Clinton a pour l’instant échouée ; mais ce n’est, à mon avis que partie remise. Les variantes de la social-démocratie, selon la conjoncture des luttes de classes, peuvent être de droite et/ou de gauche, mais les variantes extrêmes, anti-sociales ou égalitaristes, n’ont pas d’avenir politique durable dans le cadre d’une démocratie formelle. Et l’on voit souvent la gauche faire une politique réputée de droite et vice-versa. C’est en effet la lutte des classes et ses effets sur les élections qui font et défont les majorités. Donc le combat politique anti-capitalisme, à moins de vouloir abolir la démocratie politique, ne peut jamais politiquement déboucher que sur une variante temporairement plus à gauche de la social-démocratie.

Quant à la lutte contre les inégalités générée par le capitalisme globalisé, en l’absence de démocratie mondiale, elle passe, en effet, par la constitution d’un pôle contestataire mondial (Porto-Alegre) au pouvoir des multinationales, mais dont les propositions n’auront d’effets que si elles sont relayées par les états démocratiques, de plus en plus économiquement et politiquement interdépendants. L’évolution des discours à Davos est à mon sens significatifs ; il n’est pas impossible que les instances les plus officielles du capitalisme mondial (FMI, Banque mondiale etc..), et d’autres qui pourront se mettre en place, reprennent à leur compte certaines propositions :

Effacement de la dette des états les plus pauvres.
Aide ciblée aux développement dans les secteurs des nouvelles technologiques
Accords sur des prix garantis sur les matière première et les produits agricoles
Droit social : interdiction du travail des enfants et de l’esclavage ; abolition des discriminations traditionnelles entre les hommes et les femmes (dont je fais un objectif décisif de la dite « lutte des classes »)
Reconnaissance des libertés syndicales  etc…

Si parfois et à court terme, un capitalisme de la violence peut profiter des guerres, je doute que les intérêts à long terme du commerce soient compatibles avec la terreur et le chaos de la guerre généralisée des pauvres contre les nantis. Quelque part le commerce n’aime pas la guerre, car il vise à substituer des rapports marchands à des rapports de rapine. Mais, en effet, le combat politique et les luttes des classes est nécessaire à l’existence même du capitalisme et à son développement mondial relativement pacifique , lequel suppose que sa légitimité démocratique ne soit pas gravement compromise !

S.Reboul, 07/02/01



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