Introduction:
Croire c'est non seulement adhérer à une idée, mais se fier à elle pour agir. Les motifs de cette adhésion peuvent être plus ou moins rationnels (connaissance et technique) ou raisonnables (action éthique et politique), mais ils ne sont jamais tels que nous pouvons les considérer sans examen préalable comme objectivement vrais ; la question de savoir si le Vrai et le Bien en soi peuvent être pensés ne change rien à la définition de la croyance: s'ils ne sont que des idéaux inaccessibles, alors le domaine de la croyance s'étend à toutes les idées possibles, y compris les domaines de la philosophie et des sciences. Ce qui ne nous autorise pas à considérer a priori que toutes les croyances se valent
Car si toutes nos idées sont des croyances, cela signifie-t-il, en effet, que toutes se valent et doivent être autorisées, et si non, faut-il interdire celles qui paraissent en contradiction avec les idées que l’on se fait du vrai ou le bien (opinion), afin de faire échec à l'illusion et au mal? Dans le premier cas, on risque de ne plus distinguer entre les croyances dangereuses pour les personnes et les biens (ex: la croyance raciste) et les croyances bénéfiques (ex: la croyance à la liberté universelle) et de permettre aux premières de se développer aux dépens des secondes; dans le second on risque de récuser au nom du bien et du vrai la liberté de pensée et la libre discussion des idées qui sont les conditions de possibilité de la justice démocratique (fondée sur l'expression du libre choix des citoyens quant à la définition de la loi commune), ainsi que du progrès des sciences dans la production de la vérité.
Si l'on admet que certaines croyances menacent l'ordre public et la paix civile, ainsi que le progrès des sciences (ex: certaines positions religieuses "intégristes"), ne conviendrait-il pas de les combattre jusqu'à ne pas tolérer qu'elles puissent s'exprimer publiquement? Le principe démocratique de la tolérance est-il absolu (inconditionnel et sans limites) ou relatif (dans le cadre du droit)? C'est à la philosophie du droit d'examiner cette question.
Or elle distingue le droit moral et le droit juridique;
- le premier relève de l'obligation que chacun s'impose
librement
de suivre des règles de conduite dans le souci d'une
nécessaire
solidarité et du respect de soi et des autres; en cela il oblige
chacun à résister à ses impulsions violentes ou
purement
égoïstes et à combattre, d'abord en lui même,
les croyances irrationnelles qu'elles produisent et qui les expriment;
- le droit juridique permet à l'état de contraindre et
d'imposer, par la menace, le respect des interdits indispensables
à
la préservation de l'ordre public et de la justice dans les
relations
entre les individus.
Dans ces conditions, les limites de la tolérance, si elle
apparaissent
nécessaires, sont-elles de la compétence de l'état
et du droit juridique ou relèvent-elles strictement de la
conscience
individuelle? Faut-il s'interdire, soi-même, de croire n'importe
quoi, ou faut-il accorder à l'état le droit de
légiférer
dans un domaine ou la liberté individuelle de pensée est
en cause?
Pour répondre à la question de savoir si les hommes
doivent
avoir ou non le droit, et lequel, de croire n'importe quoi, laquelle a
pour enjeu la pratique de la tolérance, il convient, d'abord,
d'analyser
la croyance, ses différents types et leurs motivations, et de
nous
poser ensuite la question de l'existence et de la valeur des
critères
d'évaluation des croyances.
1- Des différents types de croyances
3 types de croyances peuvent être distingués: les croyances réalistes (jugements de réalité), les croyances prescriptives (valeurs éthiques) et les croyances mixtes ou ambiguës (jugements de valeur concernant la réalité, croyances religieuses et/ou philosophiques etc...).
1-1 Les croyances "réalistes".
Les croyances réalistes prétendent rendre compte des
faits,
de leur déroulement, soit en les décrivant, soit en les
expliquant.
Ces faits relèvent de l'expérience réelle ou
possible;
ils peuvent être passés, actuels ou futurs, voire
imaginés;
mais il convient alors de le préciser en montrant qu'ils sont au
moins logiquement possibles. La valeur de référence des
croyances
réalistes est la vérité ou la vraisemblance. Dans
les deux cas, la concordance réelle ou possible entre la
pensée
et les faits est exigée.
Les simples descriptions ne font que rapporter les faits particuliers
dans leur contexte spatio-temporel. L'expérience sensible ou
scientifique
réelle ou possible est nécessairement invoquée,
sinon
explicitement évoquée. Cette description renvoie toujours
à un certain point de vue qui peut être discuté ou
critiqué selon un autre point de vue; c'est dire qu'il n'y a pas
de description "neutre": chacune se réfère à des
critères
de choix qui, eux-mêmes, font intervenir, consciemment ou non,
des
hypothèses interprétatives, ne serait-ce que pour
distinguer
ce qui est significatif et important dans les faits ou ce qui est
secondaire,
et qui peut être négligé.
Les explications tentent de relier les faits selon des lois
générales
de cause à effet, plus ou moins logiquement construites. Cette
explication
autorise la prévision, plus ou moins probable, selon le principe
du déterminisme qui affirme la reproductibilité de
l'enchaînement
des faits dans des conditions semblables. C'est ce principe qui permet
de soumettre la théorie à l'épreuve de
l'expérience
renouvelable Mais apparait ici un problème; la prévision
dépend de la valeur de la théorie générale
de référence; or cette valeur, en droit, ne peut jamais
être
entièrement prouvée par des expériences
particulières.
La contradiction entre la théorie générale et
l'expérience,
toujours particulière, rend donc la question de la
vérité
ou de la vraisemblance nécessairement problématique.
Ainsi, description et explication ne peuvent pas, en pratique,
être
totalement indépendantes; les deux démarches sont
indispensables
et leur confrontation incessante permet seule de répondre au
besoin
de prévoir l'avenir qu'exige la réussite de nos actions.
La vérité est une nécessité technique: de
la
qualité de nos théories prévisionnelles
dépend
la réussite ou l'échec, et dans de nombreux cas, la vie
ou
la mort, la santé ou la maladie, le plaisir ou la douleur.
Si la vérité concerne notre pouvoir d'action, elle ne concerne pas la détermination de la valeur des fins de nos actions: la vérité se rapporte à ce qui est et peut être et l'éthique à ce qui doit être considéré comme bon. Personne ne doit confondre ce qui est souhaitable, du point de vue du bonheur personnel et du bien vivre ensemble, et ce qui est réel ou possible: le possible ou le réel ne sont pas forcément souhaitables et le souhaitable n'est pas nécessairement réel ou possible; même s'il faut s'efforcer, pour ne pas échouer lamentablement, de définir un compromis entre le souhaitable et le réellement possible, ce compromis suppose que l'on distingue rigoureusement le vrai et le bien. La question du bien relève de la croyance prescriptive.
1-2 Les croyances prescriptives.
Les croyances prescriptives concernent le domaines des valeurs
éthiques
et politiques; elles définissent les règles les devoirs
les
impératifs de l'action bonne et/ou juste. Une prescription.est
soit
égoïste soit altruiste, soit les deux; "Il faut se battre
pour
réussir et l'emporter sur l'adversaire!" est un impératif
égocentrique; "Il faut aimer et se dévouer aux autres!"
est
un devoir altruiste; "Il faut aimer les autres pour être
aimé
et s'aimer soi-même!" est un impératif
égo-altruiste.
On voit par là que les valeurs sont contradictoires: la
liberté
et la égalité ne font pas nécessairement bon
ménage;
ainsi que le bonheur personnel avec la justice, et la liberté
avec
la sécurité etc...
Le choix et/ou les compromis entre ces impératifs sont
difficilement
justifiables et deviennent l'objet de controverses infinies, comme on
le
voit dans la vie politique. Si l'on peut reconnaitre une contradiction
dans une conception purement égoïste du bonheur et du bien,
si l'extrème violence indifférenciée est un mal
pour
tous, la question de savoir où commence et où se termine
l'égoïsme légitime, au regard des exigences de la
liberté
et de la solidarité, semble indécidable. Ainsi les
croyances,
et les convictions prescriptives sont largement arbitraires et
dépendent
des choix culturels et individuels, ainsi que des jeux des
désirs:
on ne désire pas une chose parce qu'elle est bonne, mais on la
juge
bonne parce qu'on la désire.
Or une société a besoin de valeurs communes pour
constituer
le lien social et réguler les jeu des désirs
contradictoires,
d'où la tentation de fonder les croyances prescriptives sur des
croyances réalistes apparentes ou révélées
ou, sur le plan philosophique, de présenter les
impératifs
éthiques comme des vérités rationnelles et
nécessaires
auquelles il faudrait se soumettre librement (La liberté comme
obéissance
à la Raison). Il nous faut dons étudier ces croyances
mixtes
ou ambiguës;
1-3 Les croyances mixtes.
3 types de croyances mixtes doivent être distinguées: les jugements de valeurs portant sur des choses, actions ou personnes concrètes réelles ou possibles; ex: cet homme est bon, cette action est juste, l'argent fait le bonheur etc...;les croyances religieuses; et les convictions philosophiques.
1-3-1 Les jugements de valeur.
Les jugements de valeur "appliquent" des croyances préscriptives
à des réalités réelles ou possible; ils
affirment
que telle chose a telle valeur, bonne ou mauvaise. Ex: tel homme est
criminel
parce qu'il a commis un acte interdit par la loi; il y a dans ce
jugement
au moins trois affirmations de nature différente: l'une qui
impute
l'acte concerné à la personne, l'autre qui affirme
l'existence
positive de la loi interdisant cet acte et enfin la valeur
éthique
ou morale de ladite loi; c'est elle qui, en dernier ressort, permet de
statuer sur la valeur de l'acte et de justifier le jugement de valeur
en
question: qui, en effet, traiterait, aujourd'hui, les actes de
résistance
contre l'oppression nazie de criminels, bien qu'ils aient
été
illégaux, voire sanglants?
Ainsi ce mélange de croyances et/ou de savoirs est
subordonné
à une croyance prescriptive dont le choix peut toujours
apparaitre
arbitraire comme nous l'avons montré plus haut.
Or la pratique du jugement de valeur consiste bien souvent à
nier cet arbitraire en spéculant sur l'opinion majoritaire,
voire
unanime, que la loi est évidemment légitime; ce qui est
un
pur et simple tour de passe-passe conceptuel: une loi peut, en effet,
être
considérée comme criminelle, comme on le voit à
propos
de la "libéralisation de l'avortement", et l'opinion,
majoritaire
ou unanime, est et reste contestable. Toute la ruse du jugement de
valeur
est donc de présenter l'homme comme objectivement criminel, et
non
pas de dire qu'il ne l'est que parce que nous le jugeons subjectivement
tel (quelqu'en soient les motifs et les raisons).
Cette confusion est à son comble lorsque nous avons
affaire
à des croyances religieuses, comme nous allons maintenant le
montrer.
1-3-2 Les croyances religieuses.
Les croyances religieuses prétendent, sans preuves rationnelles,
voire à l'encontre de la raison (révélation
mystique),
affirmer la valeur réelle des valeurs éthiques, au nom de
l'existence réelle et de la puissance et bonté
réelles
et indiscutables (sacrées) du divin: Dieu ordonne le bien, les
hommes,
les croyants doivent s'y soumettre sans conditions, sous peine de
sanctions
hyper-violentes et par nature irrésistibles, ici-bas ou
après
la mort. En spéculant sur la faiblesse des hommes, leur angoisse
de la mort et leur désir d'immortalité (le salut), la
religion
les persuade collectivement d'accepter volontairement de croire et
d'agir
aveuglément selon la loi divine, confondue avec la loi de la
communauté,
et, partant, présentée comme fondatrice du lien social et
de la légitimité de la loi civile. Les prescriptions
divines
apparaissent aussi réelles que l'existence de Dieu; ce qui
faisait
dire à Descartes que sans religion, il n'existerait quasiment
plus
de morale commune. La religion apparaît bien comme un ensemble de
croyances prescriptives qui, parce qu'elles sont
présentées
comme réellement fondées dans la réalité
absolue
de Dieu, interdisent toute possibilité de pensée critique
à leur égard. Elle sert à confondent le bien et le
vrai; et encore, pas n'importe quelle vérité: celle qui,
par définition, ne se discute pas!
Mais cette sacralisation des valeurs ne suffit pas, dans les moments
de crise ou de conflit à préserver le lien social, au
contraire;
il n'existe pas une seule religion ni une seule interprétation
possible
d'une religion, et pour cause: un contenu de foi n'est pas, en tant
qu'irrationnel,
universalisable; les divisions éthiques humaines, dès
lors
qu'elles s'expriment sous la forme d'affrontements religieux deviennent
insurmontables: l'absolu interdit le relatif et donc le compromis. Le
fanatisme,
conséquence de l'illusion délirante, c'est à dire
irrationnelle, qui consiste à croire dans l'existence
réelle
de l'Absolu, , n'est pas une maladie de la religion; il est la religion
en tant que maladie sociale et personnelle de l'esprit qui renonce
à
sa puissance critique et s'aliène à une transcendance
imaginaire,
faussement "réaliste", plus ou moins socialement
contrôlée.
C'est pourquoi la philosophie, au nom de la raison, a tenté
de se substituer à la religion pour "démontrer"
l'universalité
indiscutable des croyances prescriptives, ou tout au moins de certaines
d'entre elles.
1-3-3 Les croyances philosophiques.
La philosophie n'est ni une science expérimentale, ni une
science
formelle; elle ne peut donc prétendre produire un savoir positif
ou purement logique: elle relève donc bien, dans ses
présupposés
comme dans ses objets; de la croyance. Elle se distingue toutefois des
autres formes de la croyance par sa démarche: elle se veut
critique
et rationnelle, et à ce titre prétend définir les
fondements rationnels et les conditions authentiques de
possibilité
du Vrai, du Bien, voire du Beau. Cette visée des valeurs
fondamentales
de l'existence humaine fait donc de la philosophie un mode de
production
de croyances prédictives; Philosopher ce n'est rien d'autre que
se mettre à la recherche d'un sens rationnel universellement
compréhensible
de la vie et des conditions du Bien-Vivre. Mais parce que ces croyances
rationnelles, ou mieux rationalisées, ne peuvent
échapper,
dans leur objet même, à la subjectivité qui seule,
an bout du compte, est susceptible de décider du mieux vivre,
les
philosophies sont nécessairement plurielles. En philosophie la
pluralité
contradictoire des positions subjectives s'exprime sous la forme
d'axiomatiques
logiquement possibles, mais plus ou moins exclusives, de la
subjectivité,
et produit leur universalisation intellectuelle; et partant, celle-ci
rend
possible, voire nécessaire, un dialogue susceptible de
déboucher,
non sur un accord unanime, mais sur la prise de conscience des raisons
et de la légitimité des désaccords: des compromis
entre les désirs et les intérêts reconnus comme
légitimement
contradictoires,, s'ils sont possibles et voulus, peuvent alors
être
négociés.
Or, beaucoup, sinon la plupart, des philosophies particulières,
se réclame de l'idée de vérité unique,
voire
absolue; elles prétendent, chacune, définir le vrai sens
de la vie, le vrai bien, la vérité vraie etc...Elles se
veulent
des croyances réalistes et non pas seulement prescriptives.
Elles
tentent pour cela d'assimiler toutes les valeurs à la valeur de
Vérité; les distinction entre elles, fondées
rationnellement
et universellement, ne seraient que l'expression plurielle,
diversifiée,
d'une même croyance fondamentale: la croyance dans la Raison en
tant
que Vérité auto-fondée et auto-fondatrice
d'elle-même
. Ce substitut philosophique au divin conduit les philosophes à
construire des propositions cognitives, éthiques, politiques et
esthétiques qui prétendent trouver leur fondement:
- soit dans l'Être rationnel, tel qu'il est vraiment: le cosmos,
les lois de la nature en général et/ou de la nature
humaine
en particulier; être dont la tâche de la philosophie est de
déployer la logique essentielle (idéaliste ou
matérialiste,
fixiste ou dialectique et évolutive, etc...);
- soit dans un pur formalisme abstrait imposant des impératifs
catégoriques à la volonté purement raisonnable, au
même titre que la logique pure à la connaissance, sur la
seule
considération du principe de la non-contradiction.
Dans les deux cas, la philosophie tente de soustraire l'éthique
à l'arbitraire du désir et de la subjectivité;
mais,
ce faisant, elle propose, soit une conception du bonheur sans
désirs
sensibles et égocentriques, dans l'ataraxie et la
sérénité
de l'universel raisonnable, soit elle exclue la question du bonheur
hors
du champs de la philosophie, réduisant celle-ci à
n'être
qu'une propédeutique auto-castatrice du pur devoir, de la
négation
du corps et de la sensibilité soi-disant séparés
de
l'âme raisonnable et du sacrifice de soi; tout cela confondu avec
la "vraie" liberté.
S'il est donc théoriquement possible de distinguer les croyances quant à leur nature, on voit que, pratiquement, beaucoup, sinon la totalité, se présentent confusément masquées. On peut donc se demander s'il est possible de les évaluer et selon quels critères universellement fiables. Toutes les croyances se valent-elles? Si oui pourquoi, sinon comment les juger?
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2) De l'évaluation des
croyances
La position du philosophe sceptique Sextus Empiricus est à la fois juste et paradoxale:
- juste, car elle affirme qu'il n'y a pas de vérité
rationnelle
absolue possible;
- paradoxale, car en prétendant qu'aucune croyance ne peut en
valoir une autre, elle affirme cette position comme une croyance
supérieure.
Si on ne peut vivre et penser sans croire dans la justesse,
l'authenticité,
la vérité de certaine idées, bref sans choisir
entre
les bonnes et les mauvaises croyances, est-il possible d'évaluer
les croyances, en l'absence de tout critère de valeur absolu
rationnellement
indubitable? Le choix est-il voué à l'arbitraire de la
subjectivité?
Reprenons notre analyse des différents types de croyances pour
nous
prononcer cas par cas.
2-1 Les croyances
réalistes
et la vérité scientifique.
Les croyances réalistes, semble-t-il, se prouvent par
l'expérience
et la logique; précisons que la logique seule n'est pas
suffisante,
mais seulement nécessaire: une théorie peut être
cohérente
en elle-même mais en contradiction avec les faits qu'elle
prétend
expliquer ou prévoir, en revanche une théorie
contradictoire
ne peut jamais être vérifiable ou réfutable
expérimentalement:
elle n'autorise, en effet, la déduction d'aucune
prévision
univoque testable. C'est donc l'expérience qui, en dernier
ressort,
peut servir de critère de la vérité.
Mais l'expérience sensible est forcément qualitative,
subjective et instable, il faut donc lui substituer l'expérience
scientifique; celle-ci, en effet, est quantifiable, instrumentale et
reproductible,
donc universalisable et objectivable. Dans ces conditions,
l'expérience
scientifique est à la fois dépendante de la
théorie,
car elle est induite par elle dans ses conditions de
possibilités
et sa définition présuppose toujours une ou des
hypothèses
générales, et autonome, car ses résultats sont
mesurés
selon des procédures et des instruments distincts de la
théorie
et des hypothèses génératrices. La confrontation
entre
les deux lignes de résultats, les résultats logiquement
calculés
selon la théorie, et les résultats mesurés par des
instruments objectifs, permet de décider de la valeur de la
théorie.
Quelle valeur? Non pas la vérité absolue car aucune
expérience
particulière ne peut valider une hypothèse
générale
et que d'une hypothèse fausse on peut logiquement déduire
une conséquence « réalistement » vraie (en
cela
les sceptiques ont raison); mais de sa valeur relative, en concurrence
avec d'autres théories au domaine d'application semblable. En
droit
plusieurs théories peuvent être explicatives d'un
même
ensemble de phénomènes expérimentaux. Dans ce cas,
le choix est affaire de commodité dans les calculs et
d'élégance
logique, jusqu'au moment ou des tests nouveaux feront la
différence.
Mais si cette autonomie (et non pas indépendance) de
l'expérience
par rapport à la théorie vaut pour les sciences de la
nature,
elle ne semble pas être possible dans les sciences humaines pour
deux raisons:
- Il n'y a pas d'expérimentation objective des comportements
humains, dans les conditions stables de laboratoire; ceux-ci font
intervenir
des valeurs subjectives, plus ou moins conscientes et leur sens
vécu
par des sujets, en droit et en fait, différents. Aucune
expérience
sur l'homme n'est universalisable, si ce n'est des expériences
en
aveugle portant sur le fonctionnement purement physiologique, si cela
à
un sens, de son organisme, en excluant par conséquent les
comportements
psychologique ou sociaux, c'est à dire les comportement
spécifiquement
humains. L'homme n'est et ne peut pas être un pur objet
d'expérience;
aucun test objectivement pertinent ne peut donc, sinon valider, du
moins
invalider une théorie dans les sciences humaines car elles sont,
de par la nature de leurs "objets", imprédictibles;
- les théories dans les sciences humaines modifient les
comportements
humains; lorsqu'elles prétendent faire des prévisions,
elles
réalisent, dans la conscience des hommes, les conditions de leur
réalisation. Comment distinguer, sur des critères
cliniques,
la valeur de la croyance dans la psychanalyse par rapport à la
valeur
de telle ou telle interprétation religieuse? La guérison
n'est-elle pas conditionnée par la croyance que les sujets leurs
vouent?
Ainsi les chiffres et les données, dans les sciences "humaines"
sont toujours réinterprétables et manipulables, à
volonté.
Nous sommes donc réduits à juger les propositions des
sciences humaines à leurs fruits; c'est à dire à
leurs
effets sur les comportements humains: sont-ils bons ou mauvais, du
point
de vue de quelles valeurs? Les sciences "humaines" sont donc
nécessairement
des savoirs éthiques: les questions qu'elles posent, les
méthodes
qu'elles mettent en oeuvre, les effets qu'elles produisent, se
réfèrent
à des valeurs implicites. En cela, elles sont des philosophies
appliquées.
Et quant à faire de la philosophie, mieux vaut en faire
consciemment,
en explicitant les présupposés et les implications
éthiques
auxquels elles renvoient.
Si donc les sciences de la nature peuvent évaluer les croyances réalistes, elles ne peuvent prétendre au savoir absolument certain. Elles produisent des croyances plus ou moins vraisemblables; les savoirs scientifiques sont et restent des croyances rectifiables en droit; mais à la différence des croyances idéologiques elles se savent incertaines et hypothétiques; "tout se passent, pour le moment, comme si"; et non pas, "voilà définitivement ce qui est": telle est la formule qui résume le mieux la modestie de la vérité scientifique. Or seules les croyances scientifiques explicatives, concernant les phénomènes naturels, disposent d'un critère de vérité relative, objectivement fiable et universalisable; c'est dire, par conséquent, que toute vérité, en dehors des vérités factuelles, qui se présente comme absolue et extra-scientifique ne peut être qu'une illusion religieuse, philosophique et/ou idéologique; c'est à dire une croyance prescriptive déguisée en savoir réaliste, sur laquelle nous reviendrons.
Quant au sciences humaines et à l'usage des sciences de la
nature
leur valeur implique des croyances prescriptives ou valeurs
éthiques.
Mais comment évaluer les valeurs éthiques?
2-2 La valeur
raisonnable
des croyances prescriptives.
Les croyances prescriptives prétendent définir le Bien et le Juste. Mais les phénomènes objectifs ne sont, en soi, ni l'un, ni l'autre; Les valeurs ne découlent pas de la vérité objective, ni ne sont objectivement vraies: le Bien et le Juste ne sont que les fins de nos désirs individuels et/ou collectifs. Les valeurs ne sont pas universellement désirables parce qu'elles sont bonnes, mais elles sont bonnes parce qu'elles sont, à tord ou à raison, considérées comme universellement désirables. Dans ces conditions toutes les valeurs sont au fond subjectives. Faut-il admettre alors qu'elle sont arbitraires et, qu'à ce titre, elles se valent?
On aurait raison de penser que toutes les croyances prescriptives
sont
nécessairement irrationnelles, s'il était
définitivement
impossible d'accorder les désirs des individus et des
collectivités
humaines; or, d'un certain côté, cela est juste: les
désirs
sont contradictoires: nous désirons tous la liberté et la
sécurité, l'affirmation égoïste de
soi-même
et la solidarité, la fraternité et la compétition
etc...
De plus, le désir fonctionne sur fond de rareté et
obéit
nécessairement à la logique de la compétition; il
oppose les hommes les uns contre les autres: chacun désire, soit
l'objet du désir des autres -ce qu'il n'a pas et que les autres
sont susceptibles d'avoir- soit le désir des autres, mais d'une
manière exclusive (ex: la jalousie). Le désir de chacun
est
médié par le désir d'autrui, en un conflit
mimétique
irréductible: l'amour partagé, n'est que la gestion,
difficile
et fragile, de ce conflit au bénéfice réciproque,
ou ressenti comme tel, de chacun des partenaires; mais le désir
est par nature insatiable, car il n'est rien d'autre, au fond, que le
désir
infini d'être et de se reconnaître par et pour soi de
chaque
homme, dans la conscience des autres, en tant qu'il est l'être
conscient
de lui-même, animé d'un amour infini de soi qui peut
conduire,
soit à la destruction ou à la domination des autres,
réelle
ou symbolique, soit au sacrifice suprême, valorisant et
salvateur,
du héros et du saint.
Ainsi le désir est spontanément
générateur
de la violence généralisée et
indifférenciées,
que Hobbes reconnaissait dans les deux passions naturelles de l'homme:
le désir de tout posséder et la vanité. Mais cette
violence est destructrice et contredit le désir de s'affirmer et
de se reconnaître
dans son être et sa valeur (le désir d'être
heureux);
c'est pourquoi il convient, non pas de le refouler, mais de le
réguler,
afin de permettre au plus grand nombre de participer à son
effectuation
sans craindre pour la vie sociale et individuelle. Les valeurs ne sont
rien d'autres que les exigences fondatrices des règles de raison
que le désir doit s'imposer et que l'état doit imposer,
pour
qu'il puisse se réaliser, pour le plus grand nombre, sans
sombrer
dans la guerre généralisée de tous contre tous. En
cela les croyances prescriptives sont plus ou moins rationnelles: plus
elles sont au service de tous sans contradictions logiques
insupportables,
dans une réciprocité généralisée des
droits et donc des devoirs, plus elles sont raisonnables. Le
critère
de la valeur des valeurs est bien la réciprocité non
contradictoire
du droit, pour chaque homme, de prétendre au bonheur pour soi
dans
les relations qu'il entretient avec les autres.
Cela dit, on ne peut convaincre, par la raison seule, un violent ou
un ambitieux qu'il a tord: la violence et la domination des autres
restent
désirables; et il suffit de les pratiquer, symboliquement ou
réellement,
dans les formes du droit positif existant pour en jouïr
impunément.
De plus les valeurs, aussi universelles soient elles en
elles-mêmes,
sont en réalité contradictoires entre elles lorsque l'on
prétend les appliquer à des situations concrètes:
comment aider autrui sans porter atteinte à sa liberté,
comment
concilier dans chaque cas, la liberté avec
l'égalité
ou la solidarité, le droit à la vie avec la
liberté
des femmes ( le droit à l'avortement) etc...Dans ces conditions
une morale universelle concrète est impossible; tout ce que l'on
peut dire c'est que certaines valeurs sont logiquement porteuses d'une
violence physique ou morale insupportable et injustifiable au regard du
principe de la réciprocité universalisée. Ce
critère
de choix n'est valable que faute de mieux et par peur du pire: la peur
du meurtre et de l'esclavage qui nous menacent à chaque instant.
Mais, dans chaque cas, chacun doit choisir ce qu'il estime être
le
moindre mal, la meilleur compromis qu'il estime possible, c'est
à
dire réalisable, entre des exigences et des contraintes
contradictoires.
Que ces choix divisent les hommes, c'est inévitable: tout ce que
l'on peut désirer, c'est que des procédures
démocratiques
de décisions permettent de favoriser les conditions de la
mutualité,
sans exclusion ni exclusive, des intérêts et du
désir
d'être heureux de chacun. Mais cette diversité,
potentiellement
contradictoire, des choix éthiques pose un problème:
celui
de faire accepter par tous un choix cohérent de règles
communes,
reconnues comme légitimes. Pour cela, la force ne suffit pas,
elle
doit être accompagnée d'une pratique rhétorique
visant
à persuader chacun qu'il doit obligatoirement se soumettre
à
la loi, dans son propre intérêt positif, c'est à
dire
en vue de la recherche des conditions de son bonheur. C'est pour cela
que
les croyances mixtes ont été produites. Ne sont-elles que
des illusions? Quels dangers recèlent-elles? Certaines ne
sont-elles
pas bénéfiques? Peut-on faire des distinctions de valeur
entre elles, et selon quels critères universalisables?
2-3 Les croyances mixtes et
l'illusion
idéologique.
2-3-1 Les jugements de valeur et l'illusion.
L'illusion consiste à confondre les valeurs avec la
réalité,
et, en ce qui concerne les jugements de valeur, à attribuer la
valeur
à l'objet même que l'on évalue; La norme
utilisée
est admise comme indiscutable et l'objet du jugement est, selon la
conformité
à cette norme, jugé bon ou mauvais en soi. Or toute norme
est subjective, qu'elle soit particulière ou universelle;
l'illusion
consiste donc à objectiver fallacieusement une visée
subjective,
afin que le jugement de valeur en question échappe à
toute
interrogation critique. Le sujet du jugement est alors conforté
dans la certitude de son appréciation et de sa propre
valeur
positive et se trouve justifié, sans avoir à prendre le
risque
d'argumenter sa visée subjective, dans les actions qui
découlent
de son jugement; il peut aussi prétendre en persuader les autres
à moindre frais. Si l'autre et son action sont
diabolisés,
chacun est sommé de participer à l'action sacrificielle
de
la victime-émissaire présentée comme l'incarnation
même du mal.
Pour éviter la violence fanatisée, violatrice de tout
droit, que risque d'engendrer cette diabolisation objectivée, il
est alors indispensable de réintroduire la confrontation des
jugements
de valeur et de saisir leur nécessaire relativité
à
des normes dont il convient de redéfinir la signification
éthique
et/ou politique. Cette confrontation devra toujours accorder à
la
personne jugée le droit de faire valoir sa défense, sa
position
éthico-politique propres et ses motivations. La question que
chacun
doit se poser, lorsqu'il a à juger autrui, c'est de savoir
comment
il aurait agi lui-même dans les conditions objectives et
éthico-politiques
vécues par le sujet de l'acte jugé et de s'interroger sur
la valeur de sa propre position éthico-politique selon la
visée
de sa problématique universalisation rationnelle et des
contradictions
qui peuvent affecter celle-ci.
Mais cette règle de raison est radicalement compromise par la
foi religieuse, dès lors qu'elle récuse la raison en tant
que faculté de réfléchir le désir
d'être
et d'agir par et pour soi dans la visée de l'universel, comme
instance
critique des valeurs éthiques fondatrices. Est-ce à dire
que toutes les croyances religieuses se valent, car elles seraient
toutes
mystificatrices, liberticides et fanatiques?
2-3-2 Croyances religieuses et déraison.
Les croyances religieuses stabilisent les valeurs éthiques en
les fondant sur une vérité "révélée"
collective; cette prétendue révélation divine leur
confère un caractère inviolable et indiscutable: le
sacré
met fin à l'errance et à l'arbitraire contradictoire du
désir
de vivre barré par la mort. Ainsi toute société
traditionnelle
contrôle l'imagination désirante des individus par une
symbolique
"réaliste" contraignante et normalisante; elle a pour fonction
de
répondre (en un imaginaire présenté comme
réel
de par le recours à la volonté divine), aux angoisses et
aspirations existentielles des hommes (la mort, la protection contre la
souffrance, l'accès au bonheur) en soumettant leur expression
à
une ritualisation précisément codée qui garantisse
la reproduction ou la redéfinition des conditions
idéologiques
régulatrices de l'ordre et/ou du lien social.
Mais les religions ne peuvent assurer leur fonction régulatrice
du lien social qu'en disqualifiant l'athéisme et les religions
potentiellement
ou réellement concurrentes. Elles doivent, pour ce faire:
- soit interdire toute liberté critique de repenser la
légitimité
de leur discours (l'existence et la parole de Dieu sont au dessus de la
Raison humaine);
- soit contrôler par la rhétorique rationalisante et
apparemment
philosophique l'exercice de cette pensée.
Dans le premier cas, elles pratiquent la censure et la
répression
ouverte, au nom de la vraie religion; toute critique de celle-ci est
considérée
comme un blasphème, un crime destructeur de l'ordre divin,
politique
et social qui donc met en cause la survie même de la
communauté
; ce qui justifie la peine capitale, sacrificielle pour le coupable
(pratique
du bouc-émissaire).
Dans le second, elles tendent à imposer une philosophie qui
récupère le contenu mystique de l'absolue
vérité,
en sa rayonnante splendeur, comme justifiée, au nom de la nature
et de l'universelle Raison naturelle. Or, si la première
attitude
s'avère impossible à pratiquer dans une
société
pluraliste sans ouvrir la voie à la violence extrême qui
compromet
la possibilité même du lien social, la seconde,
désacralise
la vérité religieuse en tentant de la présenter
comme
rationnelle, c'est-à-dire objet d'un débat humain, et du
même coup l'ouvre à la contestation radicale qui consiste
à disqualifier l'expérience mystique et religieuse de la
Vérité comme telle.
Ainsi, que cela choque ou nom, la vérité religieuse ne
peut se prétendre telle qu'en refusant tout compromis avec la
Raison
critique et libre; elle est fanatique par essence: le fanatisme
irrationnel
n'est pas une maladie de la religion, il est la religion comme maladie
de l'esprit, en cela que la folie est justement déraison; c'est
à dire, perte du sens de la relativité des choses, et par
confusion avec l'imaginaire, du sens du réel, de la distance
entre
l'être et la pensée, entre le possible et le souhaitable.
La religion est donc, à mon sens, une folie socialisée
qui
ne peut aujourd'hui, dans un monde pluraliste, ouvert et
planétaire,
prétendre tempérer le risque de violence engendrée
par la folie individuelle et collective, mais, au contraire, le porte
à
son comble en absolutisant ses références
légitimantes.
Ceci dit, les religions peuvent se distinguer entre elles, selon les
valeurs plus ou moins raisonnables qu'elles préconisent; mais,
d'une
part cette distinction ne peut qu'être le résultat,
toujours
problématique, d'un travail de démystification du
caractère
proprement religieux qui les enveloppe, d'autre part, il est toujours
possible
d'expliquer le caractère raisonnable de ces valeurs par
l'affaiblissement
du sens du sacré, essence du phénomène religieux:
ce sont les religions les moins religieuses qui sont
nécessairement
les plus raisonnables. N'a-t-on pas dit que le christianisme, par sa
nature
plus libérale, en incarnant paradoxalement le divin dans
l'humain,
est la religion de la sortie de la religion? C'est à la raison
de
juger , au nom du désir de vivre et de ses conditions optimales
de possibilités, de la valeur des valeurs religieuses, et non
l'inverse.
C'est à la raison de récupérer le sens proprement
humain des valeurs religieuses, en opérant une critique radicale
de la prétendue légitimité du sentiment religieux.
Ainsi toutes les religions, en tant qu'elles sont liberticides et
fanatiques,
se valent: elles nourrissent toutes les dérives et les
délires
collectifs et socio-politiques de l'esprit. Elles doivent être
déconstruites
par la philosophie, identifiée à la libre pensée
rationnelle
et critique. Mais faut-il en conclure qu'à la religion mystique
doit se substituer la religion philosophique?
2-3-3 L'illusion philosophique et sa critique philosophique.
La philosophie a prétendu être la science rationnelle
des
premières causes et des premiers principes du monde, de
l'existence
humaine, de la connaissance et de l'action. Ces premiers principes ne
peuvent
être que métaphysiques, en tant qu'ils échappent
par
nature à l'expérience possible. Or une telle science est
impossible car, justement, aucune expérience objective ne peut
valider
ou réfuter ses énoncés. Les systèmes et les
problématiques conceptuels plus ou moins élaborés
et achevés des philosophes ne relèvent pas du domaine des
connaissances; mais des propositions articulées logiquement et
justifiées
rationnellement eu vue du bien vivre, du bien connaitre et du bien
agir.
Or le bien vivre met nécessairement en jeu la
subjectivité
universelle et particulière des individus humains et des valeurs
en nombre fini, en elles mêmes et entre elles, contradictoires;
leur
axiologie donc est nécessairement polymorphe; c'est pourquoi il
y aura toujours plusieurs philosophies qui s'affrontent en un
interminable
combat, toujours repris, avec des arguments réadaptés
à
l'évolution des savoirs et des pratiques. L'illusion, en
philosophie,
réside donc dans la croyance en un savoir absolu qui
réduirait
ou dépasserait cette confrontation permanente.
La valeur de la philosophie tient à sa fonction et à
sa puissance critique, susceptible de provoquer, chez chacun, une prise
de conscience de la pluralité plus ou moins contradictoires des
axiomatiques rationnelles et possibles du bien vivre. La philosophie
est
donc un travail de libération de l'esprit face à tous les
dogmatismes religieux et/ou philosophiques. Or il convient, pour cela,
qu'elle se critique elle-même en permanence; c'est à dire
qu'elle déconstruise ce qui continue à la hanter: la
perspective
religieuse de l'Absolu Unique Fondateur. La réflexion
philosophique
ne peut déchirer l'illusion idéologique qu'est la foi
dans
la Vérité Unique, qu'en retournant ses armes contre ses
propres
énoncés dans leur prétention totalitaire et
exclusive.
Ce qui fait la supériorité de la pensée
dialectique
philosophique sur toute autre forme de pensée, c'est
précisément
qu'elle est seule capable de se mettre en question, dans ses contenus
comme
dans ses démarches. La philosophie est, en effet, par son
exigence
de fondement rationnel, la seule pensée auto-critique possible;
et toute philosophie, même la plus dogmatique en apparence, doit
être lue comme la mise en forme dans ses tenants et ses
aboutissants
logiques d'une manière de vivre plus heureux ou moins
malheureux,
mais toujours parmi d'autres possibles. La pensée philosophique
est universelle parce qu'elle est plurielle et qu'elle s'efforce de
penser
cette pluralité des attitudes de vie possibles en évitant
de les confondre. Elle tend, en cela, de penser les contradictions de
la
vie d'une manière moins contradictoire, et permet de
problématiser
les choix existentiels de façon réfléchie et donc
plus libre. Les propositions philosophiques sont toujours, directement
ou indirectement, des croyances éthiques; mais elles ont
l'immense
avantage sur toutes les autres croyances d'être rationnelles et
donc
infiniment discutables et d'ouvrir les esprits à la richesse de
la vie, dans toutes ses possibilités logiques d'être et
d'agir.
Mais si la philosophie a pour mission de démystifier toutes les illusions et de défaire le fanatisme, y compris le sien, cela veut-il dire qu'elle doit remettre en cause le principe de la tolérance? Le combat philosophique pour la liberté de pensée et d'agir implique-t-il l'interdiction de croire n'importe quoi?
_______________________________________
3) Philosophie et
tolérance
La tolérance est un principe de la démocratie, c'est
à
dire du Bien-vivre ensemble sans violence physique et morale; mais
respecter
les idées d'autrui, en particulier religieuses, et le droit
à
leur expression, semble exiger de renoncer à la critique; or la
liberté de penser sans liberté critique est
stérile
et menace la pensée de sclérose, car c'est la lutte des
idées
qui la fait progresser. Comment réduire cette apparente
contradiction?
3-1 Tolérance et
liberté.
La notion de tolérance est pour le moins ambiguë.
3-1-1 Au sens premier, elle signifie la possibilité accordée de déroger à une loi chargée de sanctionner un comportement coupable ou l'expression d'une idée interdite. Cette dérogation ne les réhabilite en rien; il ne fait que suspendre la sanction, pour des raisons d'opportunité tactique. En cela, la tolérance ne reconnait pas la liberté publique de croire et d'agir; elle fait en permanence peser une menace sur le coupable et peut à chaque instant être suspendue. Elle reste à la discrétion de celui qui exerce le pouvoir et contitue pour lui un moyen de pression visant à obtenir du ou des coupables certains services ou certains avantages, ne serait-ce que celui, politique, de les désigner à la vindicte publique. Mais, progressivement, l'exception s'institutionnalise et tend à devenir la règle: le pluralisme des comportements et des idées, dans les limites de l'ordre public, est non seulement toléré mais revendiqué comme constitutif de la liberté individuelle. Le sens de la tolérance change alors et tend à se confondre avec l'interdiction, au moins éthique, sinon juridique, de réprimer l'expression des idées et des croyances.
3-1-2 En un deuxième sens,
la tolérance s'identifie à la liberté de penser et
d'agir des personnes lorsque cela n'implique aucune violence physique
ou
morale vis à vis des autres: Il est interdire d'interdire un
acte
ou une idée non-violents; tel semble être
l'impératif
éthique et juridique de la tolérance, aujourd'hui. Sur
quel
fondement repose-t-il?
Sur celui de la liberté et du droit de chacun à pratiquer
les croyances de son choix, dès lors qu'il n'y a plus de
vérité
uniforme possible, en un monde où elle n'est pas donnée
aux
hommes par le biais d'une religion unique ou de la science confondue
avec
le savoir absolu. La vérité et le bien communs sont
l'objet
d'un débat rationnel qui en assure l'évolution
nécessaire.
Or ce débat n'est possible que si nul ne peut et ne doit se
prétendre
détenteur exclusif du vrai et du bien: tout ce que chacun doit
savoir,
c'est qu'il ne sait rien de certain! Mais dans ces conditions, il peut
sembler que l'on a le droit et même le devoir d'être
sceptique
et de reconnaître que la vérité et le bien
universels
n'existent pas. Si la vérité est plurielle, chacun doit
admettre
que l'autre, non seulement peut avoir, mais a toujours raison, de son
point
de vue, quitte, ensuite, à s'efforcer de rapprocher les points
de
vue, si cela est possible, en pratiquant l'expression réciproque
des convictions et des réactions plus émotionnelles que
réfléchies.
A quoi, en effet, peut servir la réflexion rationnelle et
critique,
si la vérité est purement subjective?
Ainsi pour une tendance de plus en plus dominante, tolérance
émotionnelle et scepticisme mou vont de pair; ils conjuguent
l'absence
de vérité objective avec l'ouverture, forcément
sympathisante,
à la différence des autres. Ils convient alors de refuser
toutes les mises en question critiques des croyances comme autant
d'agression
intolérables aux personnes. Le respect d'autrui se confond avec
le refus de porter atteinte à l'authenticité affective
des
croyances. Mais il devient, du même coup, impossible de
distinguer
les croyances en plus ou moins vraisemblables et en plus ou moins
universalisables.
Tout débat critique et toute réflexion philosophiques
sont
à priori interdits, au nom de la liberté de penser; ce
qui
est pour le moins paradoxal! C'est, en effet, par eux que la
pensée
scientifique peut progresser et que la pensée éthique
peut
se libérer des illusions plus ou moins violentes et fanatiques.
Comment traiter ce paradoxe? Ne convient-il pas de reconsidérer
la notion de tolérance à la lumière de
l'interrogation
philosophique?
3-2 Liberté et philosophie.
Pour le philosophe, la liberté est moins un état
extérieur
qu'une exigence intérieure. N'est pas authentiquement libre
celui
qui se laisse aller à ses passions et aux croyances illusoires
qu'elles
engendrent et qui les nourrissent. La liberté de choix
réside
dans l'effort de remise en question de soi-même par une prise de
conscience critique de la valeur rationnelle (non contradictoire) de
nos
croyances. Choisir c'est être conscient des raisons
universalisables
de notre choix; et il n'y a de choix authentique que de choix
justifié
pour soi et les autres. S'il n'y a pas de valeurs purement
rationnelles,
ni de vérité absolue universelle et unique, cela
n'implique
pas le droit éthique de croire n'importe quoi, mais, au nom de
la
liberté raisonnable, le droit, voire le devoir, de critiquer
toutes
les croyances et de susciter la critique des siennes propres, en un
dialogue
sans concession, avec les autres et avec soi. "Critique-moi, tu me fais
du bien!", disait Socrate, au grand étonnement de ses
interlocuteurs.
La liberté est une conquête une lutte pour l'accès
à des représentations du monde et de l'existence plus
rationnelles,
eu vue d’accroître, dans la réciprocité
réglée,
le désir d'être et d'agir, la volonté de puissance
de chacun et leur reconnaissance heureuse.
La philosophie ne peut admettre le consensus pluraliste mou du scepticisme acritique et stérile, car il autorise toutes les manipulations commerciales et idéologiques de la subjectivité désirante et interdit toute pratique réelle de libération. La dépendance au plaisir suscité, sur fond de croyances provoquées, détruit l'autonomie des sujets, autant, sinon mieux, que l'exercice de la menace et l'exploitation de la peur. L'instrumentalisation, par le pouvoir médiatisé, économique et politique, du désir est la forme moderne de la domination.
Dans ces conditions, il est nécessaire de s'interroger sur la relation entre la tolérance, en tant que droit de croire et d'exprimer publiquement les croyances, et la philosophie.
3-3 Philosophie et tolérance.
Il convient pour examiner le principe de la tolérance de distinguer le droit juridique et le droit moral.
3-3-1 Philosophie et tolérance
juridique.
La lutte pour la rationalisation des croyances, indispensable à
la liberté critique de penser et à la réduction de
la violence physique et morale (que l'on songe, par exemple à la
croyance nationale et/ou religieuse) exige que, sur le plan du droit
juridique,
l'expression publique des croyances soit garantie. Mais cette garantie
doit s'arréter, dès lors que le principe de la
tolérance
est compromis; ce qui est le cas lorsque les croyances font directement
appel aux passions violentes (ex: le racisme), autorise l'insulte et la
diffamation, voire prétendent légitimer le meurtre et la
domination de l'homme par l'homme. La loi répressive ne doit pas
hésiter à interdire, à censurer et à
sanctionner
ce qui n'est pas tolérable au regard des conditions mêmes
de l'exercice du principe de la tolérance. Pas de
tolérance
pour les ennemis de la tolérance! L'expression des convictions
doit
être non-violente et argumentée pour être admise
dans
l'espace public.
Mais le droit juridique pour la tolérance est sans effet sur
le progrès moral de l'humanité, s'il n'est pas
fondé
sur un droit moral à la liberté critique de penser.
3-3-2 Philosophie et droit moral pour la
tolérance.
La philosophie est fondée, au nom de la liberté
authentique
et du respect de la pensée humaine, avons-nous vu, sur le devoir
moral de critiquer l'illusion. Une telle critique suppose que chacun
fasse
effort sur lui-même pour se mettre en question; ce qui exige que
l'on ne confonde pas les convictions d'un homme et son être
propre,
chez les autres et pour soi-même. C'est probablement le plus
difficile,
mais aussi le plus indispensable impératif, pour qui veut
participer
au débat public. Cet effort ne peut être imposé de
l'extérieur, il relève de l'obligation personnelle.
C'est en s'obligeant à cet effort, que chacun peut être
réellement tolérant; c'est à dire, non pas croire
n'importe quoi, mais au contraire, refuser le conformisme, la
manipulation
idéologique et l'asservissement à l'illusion interne
et/ou
intériorisée. La réelle tolérance, sur le
plan
moral, exige la droit de critiquer les idées et d'accepter la
critique
des autres, bref le devoir de ne pas croire n'importe quoi et le droit
de le dire haut et clair!
SYLVAIN REBOUL, le 04/03/99
Critique d'un raisonnement philosophique de Pascal: faut-il croire à l'existence de Dieu?
Dans ce texte célèbre PASCAL (Le fameux pari) procède de la façon suivante qu'il convient de résumer pour se poser la question de ses conditions de pertinence.
- Position de PASCAL:
Selon la raison, l'existence de Dieu est indémontrable par la
voie de la raison, ainsi que la connaissance de sa nature.
Donc on ne peut blâmer les chrétiens de ne pas avoir de
preuve rationnelle de la vérité de leur foi: il serait
irrationnel
d'en avoir (=>la foi lui suffit).
- Objection possible:
Mais peut-on excuser l'incroyant qui reçoit cette
vérité
de la recevoir comme telle sans exiger de preuve?
En effet, s'il ne l'a pas reçue dans son enfance (avant
l’âge
de raison) ou de Dieu même (expérience mystique), comment
peut-il l'admettre sans la raison dès lors qu'elle lui est
communiquée
par un être raisonnable? S'il ne le peut, la seule attitude
correcte
rationnelle pour lui est l'agnosticisme: il n'a pas le droit de choisir
entre l'existence et l'inexistence de Dieu car il commettrait alors une
faute contre la raison.
- Réponse de PASCAL:
L'agnosticisme est impossible car nous devons choisir, il en va du
sens
de la vie et de la mort (nous sommes embarqués sur le fleuve du
temps qui nous conduit inexorablement vers la mort).
La question est de savoir comment choisir; deux modalités sont
possibles: selon la raison (intelligence), ou selon le désir
(coeur).
- Selon le raison c'est impossible, nous venons de le voir; cela veut
dire que la croyance dans l'existence de Dieu ne peut être
démontrée
ni vraie ni fausse et donc qu'il n'est pas interdit d'y croire pas
l'autre
voie, celle du coeur.
- selon le désir c'est possible et nécessaire: le choix
entre le bien et le mal, le salut et le néant nous l'impose.
Seul
le choix de croire dans l'existence de Dieu peut nous donner l'espoir
d'être
sauver du néant et du péché originel. On a tout
à
y gagner et rien à y perdre: il s'agit donc bien d'un calcul
rationnel
que doit faire l'incroyant pour se convertir.
Si l'on ne peut démontrer rationnellement l'existence de Dieu,
on peut démontrer rationnellement que selon le désir
universel
d'être sauvé, l'incroyant doit parier, sans risque
réel,
et donc choisir de croire que Dieu existe réellement.
CRITIQUE:
Ce raisonnement ne vaut qu'à deux conditions:
1) Que si l'on admet que la peur de la mort est pire et coûte plus cher dans cette vie que celle du jugement dernier; ce qui signifie qu'il faut considérer que Dieu est très indulgent vis-à-vis de nos péchés, expression du péché originel; ce qui n'est pas particulièrement la position augustinienne de PASCAL sur cette question.
2) Que si l'idée de l'existence de Dieu telle que la religion l'expose n'est pas incompatible avec la raison, c'est à dire reste logiquement pensable en respectant les principes d'identité et de non-contradiction ; il faut donc que la foi tout en étant suprarationnelle ne soit pas irrationnelle: cela est pour le moins problématique (quid de la trinité et de la responsabilité du mal?).
CONCLUSION:
Si la foi est est irrationnelle, en quoi se distingue-t-elle de
l'illusion,
voire du délire, comme l'indique Freud dans "l'avenir
d'une illusion"?
Defs: - La vérité non formelle est la correspondance
entre
la pensée discursive et la réalité
extérieure
au discours. Cette réalité peut être le sujet
lui-même
(y compris de la connaissance), dans la mesure où il est devient
objet de connaissance et référent extérieur au
discours.
La vérité est dite absolue lorsque cette correspondance
prétend
être une identité.
Toute autre acception de la notion de vérité fait courir
le risque de confondre le domaine des prescriptions avec celui des
descriptions;
cette confusion est la source de la plupart des sophismes
philosophiques
et religieux qui présentent le devoir-être comme
préinscrit
dans la réalité physique et/ou métaphysique, pour
le créditer illusoirement d'un caractère logiquement ou
ontologiquement
nécessaire. Le bien n'est pas déductible du vrai, sauf
à
décider que le réel connu et connaissable est
nécessairement
bon (ne serait-ce que la réalité divine dont l'existence
n'est pas démontrable), ce qui n'est pas démontrable: le
bien est toujours objet de désir et non pas objet réel;
tout
au plus peut-il être pensé comme plus ou moins
réalisable,
au prix d'un compromis entre le possible et le souhaitable; ce qui nous
oblige à maintenir la distinction entre le réel possible
et le souhaitable désirable et donc entre la
vérité
et le bien.
- La croyance, dans le domaine de la connaissance du réel, est la reconnaissance subjective de cette correspondance, c'est à dire de la vérité; quels que soient les motifs objectifs ou subjectifs de cette reconnaissance.
On peut distinguer, parmi les croyances, la simple conviction, relative et conditionnelle, hypothétique et donc douteuse en droit, de la foi, absolue car inconditionnelle, dans laquelle le doute n'est subjectivement pas permis (mais non pas impossible).
___________________
Une croyance est d'autant plus vraisemblable qu'elle s'appuie sur des preuves expérimentales et rationnelles objectives. La foi religieuse, en cela, est, dans son contenu, objectivement invraisemblable, car elle n'est relative et n'est subordonnée à aucune expérience objective et à aucun critère rationnel (contradiction, identité): elle affirme le mystère de la Vérité Splendide du divin (folie pour la raison, selon Paul). Seule est vraisemblable une croyance hypothétique que l'on peut soumettre à l'épreuve de la réfutation selon des procédures rationnelles et expérimentales rigoureuses et qui résiste, pour le moment, à cette réfutation. La vérité religieuse parce qu'absolue et sans critères universalisables, est irrationnelle dans sa démarche et dans son contenu; la foi n'obéit qu'à des critères subjectifs (la douce euphorie qu'elle provoque, l'espérance et la charité) mais prétend fonder des prescriptions et des valeurs sur la vérité (la correspondance avec la réalité de Dieu, non démontrable), ce qui est logiquement impossible. Donc la vérité absolue est toujours une illusion, elle est même la suprême illusion: seule la vraisemblance scientifique peut être dite vraie, parce que relative. Le dogme religieux ou autre est le pire ennemi de la vérité: le seul dogme susceptible de produire des effets de vérité (de vraisemblance) est le scepticisme relatif et constructif des sciences qui affirme que rien ne peut être absolument vrai, sauf la relativité féconde du savoir lui-même. La foi religieuse et toute autre croyance qui se refusent à l'épreuve de la preuve sont des illusions plus ou moins délirantes selon qu'elles sont plus ou moins en contradiction avec les preuves rationnelles et expérimentales, dont on dispose. La raison n'est pas un absolu, elle évolue au travers des contradictions, en elle-même et avec l'expérience, qu'elle rencontre: elle est activité universalisable régulatrice et auto-régulante qui s'expérimente elle-même dans ses effets et conséquences.
Par conséquent 4 cas sont possibles, quant aux rapports entre la croyance et la vérité;
1er cas: la croyance subjective sans preuves objectives mais motifs subjectifs => illusion;
2ème cas: la croyance subjective
absolue
à l'encontre des preuves objectives => délire;
la religion est un délire collectif institué, qui vise
à manipuler et à contrôler socialement et
symboliquement
(rituellement) le délire individuel, en un sens favorable au
lien
social à condition que la société soit
homogène
et fermée;
3ème cas: La croyance subjective qui cherche à se confirmer dans des preuves objectives apparentes => sophistique rationalisante ou illusion rationnelle, en particulier en philosophie. Mais elle peut être mise à l'épreuve de la dialectique;
4ème cas: la croyance subjective hypothétique et à forme rationnelle qui a résisté, pour le moment, aux procédures opératoires de preuves, validées par l'usage => vraisemblance scientifique. Elle exige le doute systématique et permanent car, logiquement, on ne peut démontrer définitivement que l'erreur et non pas la vérité (Scepticisme actif et fécond).
On peut se représenter le mouvement de la vérité (3ème et 4ème cas), et la vérité n'est autre que son mouvement, comme suit:
sophistique
1)...==> CROYANCES SUBJECTIVES 1
==========>
PREUVES "OBJECTIVES" RATIONALISEES
2) DOUTE SYSTEMATIQUE RATIONNEL ET
EXPERIMENTAL
3) CONTRE-PREUVES "OBJECTIVES" ===> CROYANCES RATIONALISEES 2=>... (qui intègrent preuves+contre preuves)
SYLVAIN REBOUL, le 20/12/94.