Le matérialisme philosophique (à ne pas confondre avec le matérialisme, dit "vulgaire" qui réduit tout intérêt à l'intérêt pour des objets soi-disant matériels) pose les thèses suivantes:
1) Le réel objectif (hors de la pensée) existe indépendamment de la pensée, et celle-ci est une produit de la réalité corporelle et psycho-sociale, individuelle et collective: pas de pensée sans cerveau, sans langage et sans société ayant produit des idées objectives qui lui préexistent et la conditionnent.
2) Le réel ne se laisse par connaître entièrement par la pensée: une pensée est toujours une interprétation du réel et lorsque cette interprétation est validée par la logique et l'expérience universelle il s'agit de réalité partielle, connue dans un cadre théorique et expérimental donné, et non du réel qui reste à connaître infiniment.
3) la pensée est une puissance de production et de transformation de représentations intentionnelles du réel, qui à leur tour conditionnent nos actes qui transforment la réalité connue, soit dans l'ordre de la connaissance objectives et c'est le monde des science, soit dans l'ordre du réel et c'est le monde de la technique, soit dans l'ordre des relations humaines et c'est le monde de l'éthique et/ou de la politique, soit dans l'ordre du désir, des émotions esthétiques et de l'imaginaire et c'est le monde l'art, soit dans l'ordre des présupposés fondamentaux de la pensée et de l'action et c'est le monde de la religion ( sous une forme non-rationnelle) ou de la philosophie (sous une forme rationnelle)
4) La liberté est cette puissance de transformation par la pensée et le corps indissociablement (pas de pensée sans cerveau, ai-je dit) de nos relations au monde réel, aux autres et à nous même, en vue de réaliser nos désirs propres toujours déterminés d'une manière complexe et contradictoire (biologiquement, socialement, culturellement etc..), selon des procédures plus ou moins réfléchies et conscientes. Notre degrés de « liberté » (je préfère parler d'autonomie relative ou de marge de manœuvre) dépend de la connaissance du monde, de nos désirs et des moyens dont nous disposons pour les transformer: celui qui ne sait pas est toujours sous influences, celui qui sait peut utiliser ce savoir pour modifier ce qui le détermine et donc contrôler le jeu de ses désirs pour les rendre plus clairs quant aux objectifs souhaitable et possibles et plus efficaces quand aux moyens.
5) Le matérialisme philosophique inclut l'efficacité de la pensée dans l'analyse de la réalité et de son évolution, comme une causalité non-transcendante mais autonome de la production des phénomènes et du réel. Il n'est pas lié au déterminisme classique et du reste, les sciences modernes ont élargi la notion de déterminisme au déterministe statistique et au chaos déterministe, sans la supprimer!
C'est dire que la pertinence et/ou la justesse (non la vérité) des thèses du matérialisme philosophique ne se prouve pas dans la théorie mais dans la pratique de production des connaissances et de la mise en oeuvre efficace des désirs des hommes en vue du mieux-vivre avec les autres et avec soi (réduction de la souffrance et de l'oppression). Il n'est pas une philosophie "de" l'être ultime des choses et donc pas une métaphysique de la transcendance, mais "pour" bien agir sur le monde et nous-mêmes. Bref une philosophie pragmatique qui reconnaît la connaissance de la réalité objective, ainsi que des désirs humains et des valeurs , plus ou moins contradictoires qu'ils poursuivent, des conditions qui les affectent et des conséquences qu'ils engendrent comme la condition du succès de l'action. Le refus de l'illusion qui consiste à croire réel et/ou réalisable ce que nous désirons, par le seul fait que cela nous parait souhaitable, est l'exigence éthique centrale du matérialisme philosophique.
Le matérialisme ne mourra que lorsque les hommes renonceront aux sciences, aux techniques et à la satisfaction de leurs besoins et désirs économiques et sociaux; le moins que l'on puisse dire c'est qu'aucun indice ne vient étayer cette très improbable involution. Il serait irrationnel de ne pas reconnaître ses succès scientifiques et techniques et déraisonnable de s'aveugler sur l'accroissement d'autonomie qu'il rend possible.
Qu'est-ce que penser pour un
matérialiste?
Penser rationnellement (il existe d'autres formes moins rationnelles de pensée (er), ex: la pensée mythique qui ne se soucie pas de la contradiction), c'est mettre en question, à propos de nos expériences, les catégories disponibles non pour penser sans catégories, ce qui serait contempler des images stériles car dépourvues d'activité de penser, mais pour produire des dictinctions plus fines et plus justes, voire de nouvelles catégories ou concepts mieux définis (plus clairs et distincts au sens de Descartes) afin de connaître mieux le monde (produire des connaissance nouvelles validées par l'expérience) et d'agir plus efficacement sur lui. Ainsi penser philophiquement c'est travailler, voire transformer, d'une manière plus rationnelle nos valeurs et concepts fondamentaux pour les rendre plus consistants entre eux et plus conformes au connaître et à l'agir sur le monde, sur les autres et sur soi.
Les catégories ne sont donc pas seulement des moyens passifs de transmettre nos pensées mais des instruments pour transformer celles-ci en vue de les rendre plus rationnelles et plus efficaces; il convient pour cela d'interroger leur consistance en les liant autrement par des questions pertinentes au regard de contradictions apparentes que l'on rencontre entre nos idées d'une part et nos idées et l'expérience en ce qu'elle a d'universalisable d'autre part.1) Penser philosophiquement c'est penser rationnellement et donc d'une manière critique les principes et valeurs fondamentales de la pensée et de l'action en vue du mieux-vivre dans la perspective de l'universel humain.
2) La pensée mythique ne fait pas usage de concepts abstraits logiquement articulés (catégories au sens d'Aristote) dans le cadre d'un discours critique argumenté et ne problématise pas son contenu, car elle ne le soumet au principe et à la contrainte de la non-contradiction.
3) La réflexion philosophique, dans son rapport à la connaissance, élabore, synthétise, voire généralise et évalue les limites des principes épistémologiques et méthodologiques des sciences aux différentes époques de leur développement.
Reste que souvent la pensée philosophique reste hantée par la pensée religieuse et mythique (révélation) et tente souvent d'en rationaliser le contenu; or cette tentative a un double prix: la limitation du sens critique d'une part et la perte du sacré d'autre part. Le premier est selon moi négatif et le second positif.La réponse est, sans contestation rationnelle possible: la position "épistémologique" matérialiste car elle seule permet la mise place de questions théoriques précises et de processus physico-chimiques testables.
La position "transcendantiste", dualiste ou idéaliste est de part en part métaphysique et interdit a priori toute recherche scientifique possible. Elle est donc par principe anti-scientifique; sa fonction n’est pas de connaissance mais elle est pratique ou normative: sauver une certaine idée, discutable sur le plan éthique, de la dignité supposée de l’homme divinisé dans le contexte de la crise du religieux comme source de vérité. L’illusion d’une telle position réside dans le fait qu’elle prétend être aussi une vérité opposable à la vérité scientifique sans avoir les moyens objectifs de la réfuter.
Seule la position matérialiste pourrait théoriquement démontrer que la conscience échappe à la connaissance scientifique, mais une telle démonstration ne pourrait valoir que dans le cadre d’une certaine configuration temporaire de nos théories et possibilité technique d’expérimentation.
Quant à la question de savoir
quelle est la nature "ontologique" (ce qu’elle est en elle-même) et non
pas seulement phénoménologique (ce qu’elle est en tant qu’objet
d’expérience) de la conscience, cela est rigoureusement indécidable et
échappe par conséquent à la question de la vérité au sens objectif et
universel du terme; c’est une question de croyance métaphysique
subjective, à forme religieuse ou non, et rien de plus.
S. Reboul, le 26/12/05
Ce que l'on appelle ’irrationnel -et qui pour moi n’est que la rationalité
apparement paradoxale du désir- témoigne de la réalité subjective
humaine et de la tendance des hommes à imaginer. L’imagination
est une excellente chose si on en soumet le contenu (l’imaginaire) au
contrôle critique de la raison (non contradiction des idées entre elles
et des idées et de l’expérience) pour se projeter dans l’avenir avec
succès (anticipation), mais qui, en l’absence de ce contrôle critique,
conduit à l’illusion c’est à dire à considérer comme réalité objective
ce qui n’est que la projection imaginaire de notre désir subjectif. Je
suis rationaliste en cela que je refuse de prendre mes désirs pour la
réalité et que je refuse le délire religieux ou politique; exemples:
l’existence objective de Dieu ou de la mort; la possibilité aujourd’hui
d’une économie nationale viable, la capacité des intégristes musulmans
de prendre le pouvoir en France et dans le monde etc...
le 1/05/06