La question de la laïcité est, en Europe, controversée. La définition que l’on donne de ce terme, quand définition il y a (ce qui n’est pas le cas en Allemagne), peut varier énormément d’un état à l’autre : certains états réclament même qu’il soit inscrit dans la constitution européenne ou ce qui en tient lieu, le traité de Lisbonne, l’origine judéo-chrétienne de l’Europe comme fondement de son unité culturelle. Il faut constater que le principe de laïcité à la française comme stricte séparation de(s) l’église(s) et de l’état et de la religion et de la politique ne va de soi pour la plupart de nos partenaires européens. Cette séparation semble se heurter à un paradoxe que l’on peut formuler de la manière suivante : comment interdire à un état de se référer, quant à ses principe fondamentaux, à des valeurs, qui plus est considérées comme sacrées, qui font consensus dans la société ? La démocratie n’a-t-elle pas vocation à exprimer les choix éthique et moraux de la majorité des citoyens pour définir ce qui est juste ou injuste ?
Tout état ne peut durablement exercer le pouvoir sur les sujets ou citoyens que s'il dispose du monopole de la force légitime (et non pas seulement légale). C'est le droit qui confère cette légitimité, comme légalité instituée, encore faut-il que celle-ci soit perçue comme juste, c'est à dire au service de l'intérêt général et de la concorde civile. Pascal affirme que, ne pouvant faire que le droit seul soit fort, les états se sont efforcés de faire que la force soit perçue comme juste dans l'usage qu'il en font. Contrairement à certaines interprétations réductrices, cette transformation du droit, chez Pascal, n' est pas seulement un mensonge cosmétique pour masquer une domination, tyrannique, mais est indispensable à la paix civile, le premier des biens commun. De plus, de ce point de vue réaliste, tout gouvernement qui en est le sommet décisionnel, en tant qu'autorité régulatrice centrale de la vie sociale, ne peut apparaître comme légitime ou juste aux yeux de ceux sur lesquels il exerce son pouvoir hiérarchique que s'il met en œuvre, dans sa politique concrète, des valeurs qui fassent l'accord du plus grand nombre. La force au service de la loi ou du droit, comme ensemble de règles favorables à l'intérêt général, est donc seule légitime au contraire d'une force tyrannique violente. Ainsi tout état repose sur un contrat social tacite (théologico-naturaliste monarchique) ou explicite (constitutionnel républicain, voire démocratique) qui en fonde la légitimité.
C'est pourquoi, comme le disait Max Weber, l'état tend à disposer du monopole de l'usage légitime de la violence pour faire régner la paix civile et satisfaire à l'exigence de justice en interne et, à l'extérieur, pour défendre la société contre ses ennemis hors frontières. Il est, en cela, absolument souverain sur son territoire. Sa violence, légitimée par le droit, est une force protectrice réputée non tyrannique et donc non-despotique, favorable à la paix, c'est à dire à la concorde civile, voire dans nos sociétés libérales, favorable aux droits universels de l'homme et du citoyen à l'intérieur, ainsi qu'à liberté de tous vis-à-vis d'un éventuelle domination étrangère.
Mais pour ce faire il est indispensable que l'état, dans la personne du monarque ou dans la constitution républicaine, incarne des valeurs communes indiscutées, sinon indiscutables. Or la manière historiquement la plus efficace d'obtenir un tel consensus a été et est encore traditionnellement la religion qui sacralise les valeurs éthiques et politiques et donc produit les conditions d'une légitimité sacrée ou sacralisée par le recours à la soumission à l'autorité divine qui ordonne absolument ce qui est bien et ce qui est mal, y compris en terme de hiérarchie sociale ici bas en vue du salut post-mortem. Obéir à l'état et accepter les inégalités de pouvoirs et de biens dans la société qu'il ordonne et préserve, c'est obéir à un pouvoir divin qui transcende la pluralité des intérêts et des valeurs opposées que génère spontanément la diversité sociale. Ainsi toute société doit, pour être ordonnée, disposer d'un état dont la légitimité repose sur des valeurs sacrées transcendant les égoïsmes personnels et collectifs particuliers. Seules les religions transcendantes ont traditionnellement jouer ce rôle de justification des pouvoirs établis. « Tout pouvoir humain vient de Dieu a affirmé Paul de Tarse ».Que ce soit celui des empereurs, des rois, des nobles, des hommes sur les femmes, des maîtres sur les esclaves etc... tout pouvoir est divin, car seul Dieu peut conférer à un homme un pouvoir supérieur stable et/ou héréditaire sur les autres. Sans cette validation divine, un pouvoir serait, en effet, immédiatement renversé par impuissance à s'imposer durablement.
Or cette unicité religieuse des sociétés traditionnelles se défait toujours, à terme, sous le coup des contradictions sociales que génèrent les conflits d'intérêt et de valeurs dans les sociétés complexes et hiérarchiquement divisées en évolution. Ces conflits se transforment alors en guerres de religions interminables, puisque chaque camp revendique pour lui même et contre les autres la justice divine, voire le sacré. Le guerre entre absolus ou interprétations divergentes de l'absolu divin (guerre des dieux comme disait Max Weber) ne connait nécessairement aucun compromis pacifique possible. Tout compromis suppose, en effet, l'acceptation que la justice est relative à des exigences contradictoires et donc non divines entre des intérêts et des valeurs opposées. Pour sortir des guerres de religions en tant que telles interminables et de la violence sacrée et donc sacrificielle de soi et des autres, il faut que l'état renonce à tout fondement religieux transcendant et qu'il s'affirme comme laïque ou séculier, c'est à dire non théocratique. La loi est celle que se donnent démocratiquement des citoyens idéologiquement divisés et non pas celle de Dieu ou d'une église et état autoritaires de type théocratique.
Mais l'on voit poindre le paradoxe de l'état laïque : celui-ci doit favoriser un consensus qui rend légitime les inégalités des pouvoirs sociétaux (ne serait que le sien), la régulation des conflits sociaux, une exigence de justice pour tous, sans avoir recours à un pouvoir unificateur supérieur ou extérieur à la division idéologique et sociale de la société. Il doit instituer une religion laïque minimale non transcendante autour de valeurs proprement humaines ou humanistes tout en étant sacralisées (indiscutables) que sont la liberté, l'égalité et la fraternité qui s'incarne dans les droits de l'homme et du citoyen. Une religion que d'aucuns (ex : R. Debray) après Rousseau appellent civile.
Cependant cette reconnaissance de ces valeurs unificatrices ne va pas de soi. En effet elles sont, sinon logiquement contradictoires, le plus souvent pratiquement opposés et donc leur interprétation et la hiérarchie a mettre en œuvre entre elles est l'enjeu de débats politiques que les procédures démocratiques ont pour fonction non pas de dépasser mais de pacifier sous la règle majoritaire qu'il faut admettre comme momentanément (entre deux élections) incontestable ! La justice et l'intérêt général sont ce qu'une majorité de citoyens a, à tel moment, admis comme tels, quitte à changer de position aux prochaines élections (alternance).
On voit alors en quoi la démocratie est fragile et en quoi la laïcité, dès lors que des courants religieux qui se réclament de valeurs divines continuent à orienter les comportements politiques des citoyens, peut être contestée ou combattue, comme étant athée, voire anti-religieuse et donc conduire à refuser la loi de la majorité ou bien, à la faveur d'une majorité de circonstance, à imposer à tous les valeurs de leur croyances particulières et rétablir un théocratisme politico-moral tyrannique majoritaire anti-pluraliste. C'est pourquoi les libertés ou droits de l'homme et la laïcité doivent être protégés contre tous ceux qui, majoritaires ou non, au nom de leur foi, les mettraient en cause. Et cela ne peut être fait qu'en soumettant la loi majoritaire au respect des valeurs laïques humanistes et non divines en faisant de la laïcité un principe fondateur de tout régime démocratique. Ce qui implique la mise en place d'une institution transcendante, politique et juridique, apte à décider en dernier ressort, que telle loi ou comportement politique, même majoritaire, est conforme ou non aux principes constitutionnels fondamentaux humanistes et laïques. Seules seront concernés par le principe majoritaire, l'interprétation concrète des valeurs de liberté, égalité et fraternité, toujours plus ou moins opposés dans une société divisée en classes, ainsi que la hiérarchie, dans tel ou tel contexte de conflit sociaux (lutte de classes), à mettre en œuvre entre elles.
Il est clair que si la laïcité doit consacrer la séparation de la religion et de la politique ,des églises et de l'état, il reste que 3 visions de cette séparation se partagent l'offre politique dans nos démocratie :
La vision la plus incohérente est celle que l'on observe dans toutes les démocraties qui subventionnent les cultes (par l'intermédiaire d'un impôt d'église) et qui font des religions et des églises des acteurs politiques officiels parties prenantes des décisions politiques et de leur exécution au plus haut niveau et à qui l'on confie un monopole ou une hégémonie de fait sinon de droit, sur toute une partie des activités sociales de l'état : éducatives, culturelles et sociales.
La vision inverse est apparemment la plus cohérente : elle refuse toute immixtion des religions dans la vie publique et politique en les cantonnant dans le sphère strictement privée. Elle a l'avantage de régler théoriquement ou abstraitement le problème, mais à l'immense défaut de refuser la libre expression des croyances religieuses, pourtant constitutive de la laïcité, dans l'espace public et sur le plan pratique elle est inapplicable : toute religion est collective et donc doit pouvoir convertir publiquement pour exercer sa mission propre.
Ma position est de séparer la religion de la politique en distinguant ce qui relève de la vie politique et de la vie publique .Elle implique
1) L'autorisation des manifestations religieuses (sauf trouble de l'ordre public) dans l'espace public,
2) mais l'interdiction du port de signes religieux pour tout fonctionnaire ou ayant une mission relevant de la vie civique e des partis politiques se référant à une position religieuse ou biblique (ex : Christine Boutin brandissant la bible lors d'une séance de l'Assemblée nationale)
3) l'exigence de l'emploi d'arguments proprement religieux dans le débat citoyen. Ce qui veut dire que tout argument politique doit être toujours présenté comme rationnel, c'est à dire susceptible de recevoir l'assentiment raisonné de tous, croyants ou non, sur fond des valeurs de la république.
4) Enfin l'interdiction du délit de blasphème et bien sûr le refus de toute référence à la religion et à Dieu dans la constitution.
La laïcité, comme compromis politique démocratique nécessaire à la concorde civile, dans une société idéologiquement pluraliste, est donc, tout à la fois, tolérance publique de l'expression des idées religieuses et anti-religieuses, et séparation du pouvoir proprement politique (temporel) et du pouvoir idéologique ou spirituel d'influence que les diverses croyances religieuses tentent d'instaurer sur l'ensemble de la société civile. Ce compromis ne va pas de soi. Il est clair donc que la référence à des racines historiques religieuses dont la fonction serait de nous enraciner à une position religieuse particulière, bien que très floues dans ses conséquences concrètes, ouvrirait la possibilité d'imposer, à qui ne croit pas ou qui se réfère à des croyances provenant d'autres origines religieuses, des comportements éthiques et des normes juridiques qui relèvent de croyances particulières rendues en droit incontestables. C'est pourquoi les pays les plus laïques sont ceux, dont la France, qui ont admis l'athéisme comme une idée aussi légitime que les différentes croyances religieuses et qui refusent en conséquence de lier la décision politique à des considérations religieuses.
Rien ne peut justifier, sur le plan du droit démocratique européen, que tous les européens devraient se sentir judeo-chrétiens lorsqu'ils participent à la vie politique, sauf à refuser le principe de la liberté de conscience et donc les droits de l'homme, seuls authentiques fondements de la vie démocratique. La démocratie en effet n'est pas une tyrannie majoritaire dans laquelle une majorité théocratique pourrait interdire la pluralisme idéologique et religieux. Les droits de l'homme ne doivent en rien être soumis à un quelconque droit divin, fût-il judeo-chrétien dont nul, hors telle ou telle église particulière, ne peut, du reste, fournir de définition unifiée et indiscutable
Le 04/02/2011
Remarques:
1)
On peut parler des saints et de Dieu sans croire en la sainteté, ni en
l’existence de Dieu, comme on peut parler des fées et des licornes, en
tant que produits de l’imagination 2)
Je ne pense pas que la laïcité signifie le refus du mystère pour ceux
qui sont croyants, mais seulement le refus de faire
intervenir les mystères religieux dans la vie politique 3) On
peut très bien vivre sans religion dès lors que l’on entretient de bons
rapports avec les autres et soi-même. Je suis athée et je ne me porte
pas plus mal que beaucoup de croyants qui s’angoissent du
péché et du jugement dernier ...mais la laïcité n’est pas
l’athéisme. 4) Ni
l’état laïque, ni moi, n’interdisons à personne de satisfaire des
besoins religieux...que, pour ma part, je n’éprouve pas, mais la
laïcité exige seulement que nul ne prétende me les imposer ou en faire
une affaire d’état
L’idée de laïcité tente de séparer le
religieux
du politique en confinant le premier dans la sphère de la vie
privée
et à dissocier le cultuel qui normalise et bloque le jeu des
représentations
symboliques et le culturel qui l’ouvre au changement et à la
diversité.
Mais cette séparation pose problème car la confusion
entre
le religieux et le politique a une double fonction:
1) Elle permet à la religion comme institution de pouvoir sur
les consciences, d'adjoindre au pouvoir spirituel qu'elle exerce par la
médiation des croyances en un au-delà surnaturel
salvateur
et/ou réparateur, expression des espérances et
désirs
universels mis hors jeu du réel, des cultes et des rituels
qu'elle
orchestre, un pouvoir temporel afin d’instaurer la contrainte sociale
centrale,
là où la persuasion ne suffit pas. Elle se fait alors
valoir
comme le fondement de la politique, de la morale et du droit commun ;
source
incontestable car sacrée de toute autorité unifiante et
pacifiante,
garante du lien social.
2) Elle permet à la politique d’échapper à la
relativité des intérêts contradictoires, et parmi
ceux-ci
à la contradiction conflictuelle, toujours latente entre
dirigeants
et dirigés, également humains : elle établit la
légitimité
incontestable d’une hiérarchie qui, sans cette confusion, serait
toujours suspecte d’être oppressive et dominatrice.
En cela la politique a toujours besoin d’une religion ou pour le moins d’un système de valeurs transcendantes pour légitimer sa propre transcendance au nom du bien commun, introuvable dans la seule la relativité des opinions et des intérêts contradictoires qu’elles manifestent en les masquant sous la forme de l’intérêt général. Ainsi la religion cherche en permanence à instrumentaliser la politique au service de ses ambitions spirituelles et l’état en retour cherche dans le religieux à s’imposer comme force légitime, plus ou moins sacrée.
Quant est-il alors de la laïcité qui prétend
établir
une séparation entre la politique et la religion, voire la
culture
et la religion? Elle se présente à la fois comme :
1) une nécessité dans une société
idéologiquement
pluraliste qui fonde son existence sur le développement (et non
pas le seul usage) des sciences et des techniques auquel risque
toujours
de faire obstacle le dogmatisme religieux et sur le
généralisation
des relations marchandes et de la compétition économique,
qui impliquent l’individualisation et l’expression infinies des
désirs
humains que les religions traditionnelles limitaient et
prétendaient
mettre sous leur contrôle, au nom de la communauté et du
salut
personnel et collectif indissociés.
2) une difficulté dès lors qu'elle mettrait en cause des croyances très majoritaires et
l’autonomie du pouvoir politique central par rapport à la
société
civile et sa diversité chaotique.
C’est pourquoi la tentation est grande pour l’état
laïque
:
1) soit de substituer à la religion traditionnelle une religion
d’état républicain providentiel et juste (cas de la
France)
qui voit dans l’école et la culture scientifique et
philosophique
qu’elle délivre, la philosophie étant conçue comme
un substitut rationnel transcendant (« religion civile »
selon
Rousseau ou « dans les limites de la simple raison » selon
Kant) à la transcendance religieuse plus émotionnelle, le
lieu privilégié de formation du consensus citoyen.
2) soit de recourir à un syncrétisme religieux
plus ou moins oecuménique d’obédience
judéo-chrétienne
dans les moments symboliquement importants ou quand la
société
ressoudée par un danger extérieur exige la
réactualisation
du lien religieux communautarisé comme seul moyen de parer
à
ce danger de dispersion et d’anomie qui la menace toujours en
profondeur.
(cas des USA et de l’Allemagne, voir de la France parfois)
C’est dire que la question reste posée de savoir s’il est
possible,
sinon formellement , de séparer le religieux du politique sans
prendre
le risque de remettre en question la politique comme dispensatrice du
bien
commun ; l’idéal de la démocratie est une exigence
nécessaire
dans les sociétés modernes qui sont incompatibles avec un
quelconque régime théocratique, mais , soyons clair, il
ne
peut fonctionner que sur fond de la fiction que les citoyens disposent
par leur vote de la volonté générale et de la
souveraineté
au service du salut collectif. Or il est deux manières de
considérer
un idéal :
1) soit il est une illusion dès lors que l’on prétend
que cet idéal est réalisable et l’on risque au nom de
cette
illusion de fabriquer une religion civile ou d’utiliser les religions
dominantes
pour rendre cette réalisation possible.
2) soit il n’est qu’une fiction régulatrice utile pour contester
le risque de domination communautariste identitaire que fait peser
l’instrumentalisation
de la religion par la politique et vice-versa.
Si l’on choisit le deuxième membre de l’alternative alors il faut démystifier la politique pour n’en faire que la gestion des affaires publiques, celles-ci n’étant que l’administration des conditions générales de la compatibilité des libertés et des intérêts individuels, laquelle suppose que la société est et restera divisée, que les luttes sociales soient légalisées, que le compromis négociés provisoires entre des intérêts toujours contradictoires dans le cadre formel de la démocratie représentative, bref une justice et un droit proprement humaine, c’est à dire authentiquement libéraux.
Cette démystification de la politique fondée sur le
primat
des individus (droits de l’homme) sur le groupe est ce qui nous
sépare
radicalement des sociétés théocratiques
traditionnelles
et l’idée française de la laïcité ne va pas
non
plus de soi dans les sociétés, même
démocratiques
et libérales, qui n’ont pu encore dépasser l’idée
communautariste, voire multi-communautariste qui, d’une manière
ou d’une autre, admettent qu’une morale commune ne peut être que
religieuse dans son origine, voire dans son fondement..
La question de la laïcité est trop souvent réduite à
l'opposition simpliste entre le sphère publique où le religion ne devrait pas
avoir de place et la sphère privée dans laquelle elle devrait être reléguée.
Or cette opposition est tout à la fois contraire à l'esprit
de la religion quelle qu'elle soit, en tant qu'expression ouverte d'une
croyance ritualisée nécessairement collective , et à l'autonomie républicaine
de la politique, en tant que celle-ci doit réguler la sphère publique et non
pas se soumettre passivement aux rapports de forces qu'elle génère.
Il convient, à mon sens, donc de distinguer la sphère
publique (ou civile) et la sphère proprement politique où se décide les lois et
les régulations nécessaire au bien vivre ensemble par delà la pluralité des
références idéologiques, relieuses et philosophiques. Sur la base de cette distinction la laïcité n'interdit pas, voire
autorise et rend possible l'expression libre des croyances religieuses sans en
privilégier aucune dans la sphère publique autant que celles-ci ne mettent pas
en cause les lois valant pour tous et ne prétendent pas imposer à la politique,
donc aux autres, des interdits ou des obligations qui ne valent que pour leur
croyance particulière (ex: la contraception, l'avortement, l'homoparentalité,
le clonage thérapeutique etc..). Si ces croyances prétendent avoir valeur
universelle et donc être partie prenante du débat proprement politique elles se
doivent, en démocratie , pluraliste et laïque, ceux qui veulent en faire des
positions politiques se doivent de s’efforcer d'en convaincre les autres avec
des arguments rationnels et rien
d'autre. Sur le plan des convictions religieuses ou philosophique la loi de la
majorité sur un plan politique ne vaut pas et ne devrait pas valoir, car alors la
religion majoritaire deviendrait religion d'état et s'imposeraient aux autres
et nous ne serions plus en démocratie pluraliste et tolérante..
De même il serait politiquement absurde de réprimer
l’expression publique de l'athéisme ou l'agnosticisme qui doivent tout autant
être autorisés que les convictions religieuses qu'elles contestent, à condition
que la critique des convictions qu'elle
déploie soit rationnellement argumentées et non pas dévoyée en insulte ou en
appel à la violence contre les croyants. La critique, même radicale des idées,
est une marque de respect à condition de ne pas la confondre avec le mépris des personnes et autoriser la
lutte politique contre quiconque s'autorise d'un pouvoir clérical pour imposer
ses convictions aux autres par le biais du pouvoir de l’état (théocratie).
Donc, en démocratie pluraliste, il convient d'interdire tout autant le refus de l'expression
publique et collective des convictions religieuse que le délit de blasphème.
S.Reboul, le 15/12/05
Argument rationnel et argument théologique
Un argument rationnel n’est pas une preuve certaine (il n’y en a même pas en science), mais un raisonnement qui s’appuie sur des données admises et des principes d’interprétation ou de jugement éthique et politiques susceptibles de valoir pour tous sur le base de l’expérience universelle ou un universalisable des hommes ; si les théologiens savent y faire (présenter leurs arguments théologiques sous une forme non théologique) cela veut dire qu’ils abandonnent leurs arguments strictement théologiques (ex : la vie est un don de Dieu, donc elle est sacrée) qui ne s’adressent par définition qu’aux croyants au profit du discours strictement politique et c’est tant mieux pour la qualité du débat démocratique.
En cela leur discours
rationalisé, bien que contestable quant à son contenu comme tout
discours rationnel, devient tout autre chose que du charlatanisme : il
devient partie prenante de la réflexion critique collective.
Il ne faut donc pas confondre la question du jugement que nous pouvoir avoir sur
la religion sur un plan philosophique et le fait que nous
voulions interdire l’expression publique du fait religieux, ce qui
serait en effet absurde, car celui-ci est un fait social.
Ce
qui, de plus en plus, me semble devoir être distingué avec précision
-et cette précision est à définir cas par cas sur la base du type
d’argmentation- c’est la sphère publique qui concerne la société civile
(au sens de HEGEL) et la sphère politique qui concerne le débat citoyen
à propos de la loi commune (croyants et incroyants) et des ses
applications concrètes.
S. Reboul, le 16/12/05
Deux questions portant sur les deux exigences de la loi de 1905 doivent être tranchées:
Celle qui prétend assurer et garantir la liberté des cultes.
Celle qui prétend assurer l’égalité entre les cultes.
1) La première peut inclure ou exclure tout financement destiné à promouvoir cette liberté en particulier les lieux de culte, si l’on exclut tout financement en ne faisant de cette liberté reconnue par la loi qu’une liberté formelle, alors il faut arréter de financer le maintien en état, voire la construction des églises (comme à Evry) et refuser de financer les enseignements non laïcs.
2) Mais si l’on considère que cette liberté doit être "réelle" et qu’il y aurait un risque politique grave de voir des financements étrangers qui pourraient remettre en question la laïcité sur le plan politique, il conviendrait alors de financer à "égalité proportionnelle" les activités et les lieux de cultes des différentes confessions avec mission de se soumettre, sur le plan strictement politique et juridique (et non pas personnel ou collectif privé dans la mesure ou c’est compatible avec la loi générale) (lire mes interventions précédentes sur Agoravox) aux valeurs et au primat des lois de la république démocratique, pluraliste et laïque et des droits de l’homme sur quelques obligations ou interdits religieux que ce soit, la liberté de chaque croyant de pratiquer ou non ces commandements religieux étant garantie par l’état.
À mon sens il ne serait pas contradictoire avec la préservation de l’esprit de la loi de 1905 d’égaliser les conditions de financement actuelles sans en exclure d’autres mouvements athées ou agnostiques, voire philosophiquement anti-religieux (par exemple sur le modèle des émmissions de France culture le dimanche matin) , quitte à faire évoluer le texte même de la loi qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’est pas très cohérente, ni dans le texte lui-même, ni dans son application inégalitaire actuelle.
L’évolution de la loi est une question
politique et la (le) politique exige cohérence et pragmatisme
(évaluation des dangers principaux) mais ne doit surtout pas être
l’effet d’un dogmatisme qui pour être laïc n’en serait pas moins
métaphysique.
Le 21/12/05
Je suis en cela libéral.
Cela veut dire que je ne pense pas et que je ne souhaite pas que nos
sociétés soient traditionnalistes et communautaristes. Car: 1)
Elle ne peuvent plus l’être du fait du développement généralisé de
l’économie marchande, de la liberté de penser et de la démocratie
politique, fondées sur l’individualisme théorique et le refus du sacré.
Les gens se revendiquent d’abord comme des individus tant dans leur
consommation économique, que dans leur comportements politiques et
sociaux et ils ont raison: on ne peut vivre autrement dans nos sociétés
pluralistes modernes. 2) Elles ne peuvent et donc ne
doivent pas le (re)devenir sans contrainte et violence extrême, bref
sans révolutioon par la terreur qui de toute manière sera un échec
sanglant. Cette
coupure entre sociétés
traditionnnelles et ethniquement pures (et/ou qui doivent en permanence
se purifier par la violence pour survivre) est décisive.
Voilà pourquoi
je suis résolument moderne et libéral contre toutes les
visions
holistes, nationalistes, communautaristes et ethniques... de la
société. Celles-ci, nous le savons, ont conduit au pires
désastres du XXème siècle
le 13/03/06
Peut-on mainternir les religions dans un espace privé ?
Je ne le pense pas car les religions sont des cultes et des institutions collectives qui s’exhibent nécessairement dans l’espace public de par leur volonté de persuader les autres (à défaut de les convaincre), voire de les convertir, ou plus simplement de s’exprimer publiquement.
L’état laïc ne doit interdire en ce sens aucune religion dans l’espace public puisqu’il ne doit pas interdire l’expression publique des opinions dans la mesure où celles-ci ne contreviennent pas aux lois. Par contre l’état ne doit être soumis à aucune religion et la vie politique, ainsi que le débat politique dans son argumentation, doivent rester autonomes à rapport la vie religieuse (ainsi la question de l’avortement, de l’homoparentalité, du clonage thérapeutique etc..),.
Il
ne faut donc pas confondre l’espace public dans lequel les religions,
comme l’ahéisme, ont leur place, et l’espace politique qui doit, antant
que faire ce peut, rester rationnel et a-thée (sans référence au
divin). l’a-théisme n’est pas, à mon sens, l’anti-théisme, sauf pour
les fondamentalistes et sauf à faire de l’"athéisme" une nouvelle
religion.
Le 27/03/06
1)
Agir pour l'état comme si Dieu existait, comme le propose le
philosophe canadien Charles Taylor est une absurdité: il suffit de
se demander quel Dieu et selon quels enseignements pour que
cette impossibilité saute aux yeux. De plus quid des athées ou
agnostiques? Doivent-ils se soumettre à ce Dieu "civil"
auquel il ne croient pas ou à l'état laïque et démocratique en
tant qu'il ne reconnaît aucun dieu ou aucune religion comme valant
pour tous?
2) accepter le port de signes religieux pour des
fonctionnaires d'une institution publique et revendiquer la
neutralité de ces même institutions au nom de le séparation entre
la politique et la religion est une oxymore. Un fonctionnaire n'est
pas un individu quelconque: il incarne l'état laïque, séparé du
religieux.
3) Aucune religion n'est spontanément tolérante
dès lors que toutes prétendent à une vérité universelle et
absolue valant pour les croyants et les incroyants. Seul l'état
agnostique (ou laïque) peut faire que chaque religion reste dans son
domaine privé-public particulier sans contre-venir à ses lois.
4)
La garantie libérale d'un état laïque est d'autoriser non
seulement la liberté religieuse mais aussi et tout autant celle de
la critique de la religion comme vérité universelle prétendant
contester les énoncés scientifiques et la morale civile libérale.
Le 06/12/2010
La laïcité est-elle anti-religieuse?
La
version que certains appellent dure ou antri-religieuse de la
laïcité n’est que le pendant du penchant théocratique du catholicisme à
diriger la société et la politique, au nom de la supériorité supposée
du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. L’église a été longtemps
opposée à la séparation de l’église et de l’état, au point qu’il a
fallu la lui imposer. Mais
cette séparation n’est elle-même compréhensible que dans la mesure
où la religion à été l’objet d’une démystification quant à ses effets
de violence (guerre de religion) et son refus de la pensée critique et
scientifique rationnelle (philosophie des lumières) vis-à-vis
de sa prétendue vérité révélée de foi. Pensée critique qui a, en
France, permis de légitimer l’athéisme philosophique, à ne pas
confondre avec l’athéisme d’état. De
fait la laïcité politique n’est pas athée : elle ne fait
qu’affirmer l’agnosticisme de l’état qui implique 1)
de ne reconnaître aucune religion et donc de refuser de faire
sienne quelque tradition religieuse que ce soit dans une société
pluraliste où l’athéisme à droit d’expression publique, au même titre
que les religions 2)
de respecter et de faire respecter la liberté religieuse de culte et
d’expression de la pensée en général, y compris athée et
anti-religieuse (refus du délit de blasphème) En
cela il est absurde de réclamer que l’état se revendique
chrétien ou musulman ou juif ou athée .La laïcité est un
principe constitutionnel fondateur de la démocratie
pluraliste et libérale : elle n’a pas à être soumise à un vote
majoritaire, sauf à établir une tyrannie majoritaire de tel courant de
pensée sur tels autres. Le 15/01/2011