Voile islamique et laïcité.

Le foulard islamique est compris, à tort ou à raison, comme un symbole religieux marquant le statut inférieur de la femme par rapport à l’homme dans une tradition qui refuse le principe de la liberté se vêtir à sa convenance et qui soumet chacun à une identification impérative ; bref ce symbole semble contredire notre conception de l’égale liberté individuelle entre les hommes et les femmes et celle de la laïcité qui fait de la religion une affaire privée et qui interdit aux individus d’affirmer leurs convictions personnelles et collectives dans les lieux d’éducation publique. Mais faut-il en déduire qu'il faille faire payer les gamines pour l'attitude de leurs parents et que les jeunes filles qui portent le foulard doivent être exclues de l’enseignement public ?

1. D’une part, Il est permis de penser, au contraire, qu’elles ont encore plus besoin de l'école pour apprendre à résister à la domination qu'elles subissent.

2. D’autre part, il convient de remarquer que, dans notre culture, des analogies symboliques vestimentaires de la domination sont, aujourd'hui, largement tolérées: les talons aiguilles, les mini-jupes, voire le maquillage etc...qui contribuent à entretenir, sous une forme séduisante, le mythe de la femme-objet du désir des hommes et/ou de la femme-enfant. Si les femmes "françaises" sont libres d'en jouer, le jeu est toujours ambivalent. Il exprime à la fois la domination qu’elles subissent en tant qu’objet des fantasmes masculins et le désir de séduire donc de dominer par le désir qu’elles suscitent. Vouloir tout focaliser sur les coutumes vestimentaires "musulmanes"  c'est entretenir chez beaucoup de "français" les fantasmes du racisme "ordinaire".

3. Il ne faut jamais exploiter les apparences et s’arrêter aux symboles qui sont toujours polysémiques voir ambivalents (même le foulard peut-être revendiqué comme l’expression d’un refus de la femme-objet), mais condamner les actes reconnus comme universellement délictueux; or il n'y a pas de législation vestimentaire dans les établissements scolaires aujourd'hui; en inventer une qui ne concernerait que le foulard, c'est faire d'une exception une règle ne s'appliquant qu'à une catégorie de personnes. La pratique des "deux poids deux mesures" reste fondamentalement injuste et elle serait ressentie, par la totalité des jeunes comme un manquement à la liberté de s'habiller.

4. Que cette coutume du foulard soit l'expression d'une aliénation plus ou moins intériorisée, c'est probable; mais cela signifie-t-il que nous devons réprimer pour libérer? La libération ne s'impose pas! Elle s’apprend par le dialogue critique et rationnel. La menace d'exclusion n’apparaît comme légitime, chez les élèves, qu'en cas d'agression violente caractérisée, de refus délibéré de travail et de perturbation grave du fonctionnement de l'établissement. Tout règlement n'est pas légitime; ne pas le comprendre n'est pas une erreur mais une faute contre la démocratie.

5. C’est pourquoi il faut faire une distinction rigoureuse entre une liberté d’expression reconnue à tous à travers le port du vêtement, (sous réserve de décence et on ne peut accuser le foulard d’indécence sauf par abus de langage) et le liberté de refuser l’enseignement dans certaines disciplines sensibles comme la biologie et l’éducation physique ; celle-ci en effet est contraire à la liberté de choix des futurs adultes et citoyens que sont les élèves afin qu’ils restent soumis, sans examen et défense possible, à une idéologie particulière et de ce fait, obscurantiste. Ce qui est contradictoire avec la laïcité, principe de la démocratie républicaine, c’est le refus, dans l’éducation et l’espace publics du pluralisme et de l’exigence rationnelle et critique qui est au fondement de la connaissance scientifique et du droit libéral.

Si l'on n'autorisait, à l'école, que les opinions libérées de toute sujétion, on devrait censurer 99,99...% des expressions linguistiques ou vestimentaires, car elles sont toutes sous influence (le fric domine aussi la "liberté" de se vêtir).
C'est à partir d'une aliénation existante que les élèves peuvent apprendre à se libérer en prenant conscience des conditions idéologiques et culturelles de cette libération. Encore faut-il qu'il y ait un travail sur cette aliénation mais cela suppose qu'on lui reconnaisse le droit à l'expression, lequel ne doit pas être confondu avec le droit au passage à l'acte. La seule répression ne peut « qu'enkyster » l'aliénation en la refoulant et au bout du compte l'aggraver en laissant le champs libre à la pression des parents. N'oublions pas que l'exclusion est plutôt la cause de l'intégrisme que l'inverse. Il convient non d’exclure mais d’éduquer et cette exigence n’oblige qu’à la participation à tous les cours sans exclusive. Le refus de suivre certains cours ou la volonté d’intervenir dans la définition de leur contenu au nom de convictions particulières est donc le seul motif d’exclusion rationnel, en droit de l’école et en fait de la société laïque tout entière.

C'est la vocation de l'école de prendre le risque que se manifeste la contradiction entre la tolérance des idées illusoires et la nécessité de leur déconstruction critique, car cette contradiction n'est autre que l'objet même de l'effort éducatif.
S.Reboul, le 22/11/99
 



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