Question(s) d'actualité
 

  À propos du PACS, voir en fin de page.
 
 À propos de l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie : Forum de "Libération"
 

Légitimité et efficacité de la "guerre humanitaire".

On peut discuter à perte de vue sur la légitimité théorique de l’intervention de l’OTAN en Yougoslavie ; les avis comme on la vu dans les différentes interventions de philosophes dans le journal « Le Monde » sont divers et contradictoires ( Edgard Morin, Regis Debray Bernard-Henri Levy, Alain Badiou etc..) mais, ce qui est indiscutable, c’est que, dommages collatéraux obligent, cette intervention ne vise pas seulement le régime serbe car il atteint aussi et de plus en plus les populations civiles  qui vivent sous son autorité et se trouvent de ce seul fait sous les bombes.
Cette discussion sur la légitimité de l’intervention est certainement nécessaire pour éclairer le débat public et éviter d’être victime de l’influence unilatérale de la propagande officielle de nos gouvernements comme le sont les serbes aujourd’hui, mais il est indécidable. Or il est probable que si cette intervention réussissait à renverser le régime serbe pour trouver une solution démocratique et multinationale au problème du Kosovo, la discussion cesserait d’elle-même : la preuve serait faite qu’elle est tout à la fois légitime et efficace. Quiconque est politiquement responsable et cherche à éviter d’aggraver, à court et à long terme, la situation des populations concernées ne peut séparer l’une à l’autre : légitimité et efficacité sont condamnées à se valoriser réciproquement. D’où la question : cette intervention est-elle et peut-elle être efficace si tant est qu’elle nous apparaisse comme moralement légitime ? et sinon, sa légitimité morale ne s’en trouve-t-elle pas politiquement, pour ne pas dire militairement, réellement compromise ?

Par delà ses bonnes raisons morales, l’efficacité supposée d’une intervention militaire qui atteint des populations civiles, se mesure par une analyse pragmatique de la cohérence des moyens, dans une situation et des rapports de forces donnés, aux fins que l’on prétend poursuivre. Il serait irrationnel d’utiliser des moyens qui aggraveraient pour un temps indéterminé la situation de ces populations que l’on prétend améliorer ; que dirait-on si l’on bombardait un bus dont les voyageurs seraient les otages de dangereux terroristes sans chercher à négocier avec ceux-ci le plus longtemps possible, quitte à leur accorder partiellement ce qu’ils demandent, pour mieux les saisir ensuite, sans danger pour les otages ? On crierait avec raison à l’irresponsabilité et l’action des autorités chargées du maintien de l’ordre seraient moralement disqualifiée : on ne pourrait manquer de s’interroger sur les vrais motifs de l’intervention. Le seul fait de dire que c’était la seule possibilité ne suffit pas car cette preuve reste à faire, surtout lorsque l’on sait qu’elles ont été les manoeuvres de certains (des deux cotés) pour faire capoter les accords de Rambouillet ( cf l’article de Paul-Marie de la Gorce dans « Le Monde Diplomatique » de mai 1999).

Admettons néanmoins qu’il n’y avait pas d’autre possibilité que d’intervenir militairement en faveur des albanais du Kosovo. Quelle intervention aurait été la plus raisonnable pour limiter les risques pour la population ? Le seul risque 0 pour les secouristes ne constitue pas, en effet un argument suffisant et encore moins principal au regard de la mission qu’ils se sont octroyée. Certains remèdes peuvent s’avérer pire que le mal particulièrement lorsque les médecins se soucient plus de leur sécurité et de leur survie que celles des personnes auxquelles ils prétendent venir en aide.

Dans le cas du Kosovo, l’OTAN a décidé d’obliger le régime serbe à capituler par le recours aux seules attaques aériennes en excluant à l’avance toute intervention terrestre ; les rumeurs récurrentes de celle-ci n’apparaissent pour l’instant , en l’absence de toute préparation sérieuse, que comme des manoeuvres d’intoxication pour contrebalancer le doute croissant , chez nous, dans l’opinion publique quant au succès des bombardements (le régime serbe, lui, croit savoir à quoi s’en tenir). Remarquons en effet que ces attaques n’ont en rien empêché le régime nationaliste serbe de se livrer à son sport favori, la pratique de l’épuration ethnique (dont les serbes ont eux-mêmes été victimes de la part du régime croate, sans que l’occident ne proteste) ; bien au contraire, elles l’ont conduit a vider l’eau avec le poisson avec une brutalité sans précédent pour ne pas avoir à se battre contre l’UCK dans des conditions plus défavorables et pour rejeter le problème humanitaire des expulsés sur les occidentaux. Les dirigeants serbes savent en effet pertinemment que les réfugiés expulsés du Kosovo ne pourront pas indéfiniment rester dans des camps de fortune et qu’il est un date butoir pour leur retour ou leur dispersion tout azimuts : les mois d’août, septembre. Si l’on refuse le dispersion, dans quelles conditions et par quels moyens ce retour rapide est-il possible ?
La voie royale serait la capitulation à brève échéance du régime serbe sous l’action d’une population lassée par les bombardements et qui, pour cette raison, accepterait de négocier sans conditions ; mais cela semble improbable, malgré certaine manifestations récentes, pour les raisons suivantes :
· Sans obtenir l’arrêt préalable des bombardements ou la promesse de cet arrêt, les dirigeants serbes ne peuvent accepter de négocier sans perdre leur légitimité et la face vis-à-vis des populations qu’ils contrôlent et donc leur pouvoir. Or c’est leur pouvoir qui leur importe et rien d’autre.
· Les bombardements, dans la phase actuelle, ont pour objectifs de détruire les infrastructures militaires mais aussi civiles de la Yougoslavie, ce qui va aggraver les conditions de vie de la population ; sans pour autant l’engager à se révolter efficacement contre le pouvoir des dirigeants actuels dans le cadre d’une guerre civile prolongée : quant il s’agit de survie personnelle et familiale, sur fond de dépression collective, , la politique a tendance à passer après. Nous ne pouvons, à la fois, affirmer que ces dirigeants sont des dictateurs et qu’ils souffriraient personnellement du sort des populations sur lesquels ils exercent leur pouvoir. De plus, faire payer aux opprimés les exactions de leurs oppresseurs pour les inciter à la révolte contre eux me paraît un calcul pour le moins aventureux. Cette révolte se produirait dans des conditions politiquement défavorables et pourrait profiter à d’autres éventuels prétendants démagogues à la dictature populiste ; ce dont la démocratie ne pourrait tirer, à court terme, aucun profit.
· Le régime serbe est une paradictature ou pour le moins une « démocratie de temps de guerre » : elle peut réprimer à court terme l’expression de toute opposition interne conséquente (démocratique). D’autre part la chute du régime serbe ne ferait pas disparaître les extrémistes ouvertement nazis qui déjà, sous l’aile du régime actuel, sont à l’avant garde dans l’organisation de la terreur et la réalisation des massacres (groupes paramilitaires et autres polices parallèles).
· La majorité des serbes semblent, pour le moment, s’être solidarisée avec leur régime autant de temps que celui-ci apparaît défendre leur territoire national contre ce qui leur paraît (à tort ou à raison) comme une agression terroriste interne (l’UCK) et externe (L’OTAN).
· Les gouvernements occidentaux sont des « démocraties en temps de paix » (malgré certains dérapages mineurs) dont l’accord sur la poursuite de la guerre, à l’intérieur et entre elles, est par définition problématique : elles n’ont pas à défendre les intérêts directs de leur population  et leur volonté d’accepter les sacrifices qu’imposerait une attaque et une occupation terrestre en situation hostile au Kosovo et peut-être en Serbie pour défaire son régime est pour l’instant très faible mis à part quelques rodomontades de moralistes guerrier en chambre.
 
De plus, on peut penser pis que pendre de la turpitude des dirigeants serbes, mais on est obligé d’admettre que ce ne sont pas des imbéciles. Cela nous oblige, pour, le moins, à essayer d’être aussi intelligents qu’eux...
Pour l’instant, le temps semble donc jouer en faveur du gouvernement serbe et la preuve est faite qu’ils sait jouer avec le temps; mais cela ne signifie nullement que la situation soit sans issue pour les alliés : il leur faut le courage et l’intelligence de substituer une stratégie mobile à une stratégie figée et délimitée à l’avance : La qualité de l’usage du temps peut compenser sa limite quantitative.

Il me semble qu’il est possible de suspendre les bombardements dont l’efficacité politique n’est, pour l’instant, pas démontrée (il n’y a pas d’exemple historique qu’une guerre aérienne, en l’absence d’une intervention terrestre prolongée, puisse suffire pour vaincre un adversaire déterminé et rusé, s’appuyant sur un large fraction de la population) et de prendre le gouvernement serbe au mot s’il accepte formellement de négocier sur les propositions du G8 qu’il semble reconnaître comme base de discussion ; celles-ci impliquent, comme on le sait, la mise sous tutelle politique et militaire par l’ONU, seule instance légitime en droit international, du Kosovo, dans le but de rendre possible le retour des réfugiés dans des conditions de sécurité et d’autonomie garanties. Les contreparties ne peuvent être que le maintien formel de Kosovo dans le territoire de la Serbie (le régime serbe sauve, pour un temps, la face) et donc la mise à l’écart du l’UCK et de sa revendication à l’indépendance du Kosovo en vue de la construction d’une grande Albanie qui mettrait en cause les frontières de la région.

Si ce retour à la voie diplomatique échoue, alors il conviendrait en bonne logique de nous préparer dès maintenant, militairement et politiquement, à la conquête et à l’occupation du Kosovo par la voie militaire aérienne et terrestre afin de le rendre à sa population multinationale avant l’hiver. Le temps presse et il serait bon d’annoncer nos intentions afin de « faciliter les négociations » ; les conditions internes et externes  de cette intervention seraient politiquement plus favorables après un échec dont le régime serbe serait clairement responsable (ce qui, du fait de certaines manoeuvres de l’UCK soutenues par la diplomatie américaine, ne s’est pas produit à Rambouillet) en faisant apparaître, vis-à-vis des populations qu‘il prétend représenter, le régime serbe comme le seul obstacle à la paix.

Avec ou sans l’accord des dirigeants yougoslaves, la tutelle politique et l’occupation militaire du Kosovo devra s’accompagner d’une politique systématique de mise en conformité  économique et politique avec le libéralisme démocratique, social et plurinational dont l’Union européenne se réclame, sans toujours le mettre en pratique chez elle. Il s’agira de réduire le nationalisme exacerbé dont nous nous sommes aussi rendus complices en soutenant inconditionnellement l’indépendance de la Slovénie, l’ultra nationalisme du régime croate et la ségrégation ethnique en Bosnie qui ont conduit au dépeçage de l’ex-Yougoslavie. Et pour cela une présence militaire défensive et offensive sera nécessaire pour neutraliser les bandes nationalistes plus ou moins contrôlées de tous bords
On pourrait même, si l’on ne pouvait  vaincre à court terme le régime serbe, tenter, pour le désagréger, de corrompre ces affidés : un ennemi que l’on ne peut détruire par la force, peut éventuellement être acheté à un coût moindre qu’une guerre totale...

La diplomatie et la politique doivent commander à la guerre, surtout si celle-ci se veut humanitaire ; mais, maintenant que l’intervention a été engagée, si nous renonçons à l’avance pour des raisons politiques internes (décisions parlementaires impossibles à prendre, désaccord entre les alliés etc...), aux risques d’une victoire militaire et politique totale sur le terrain, autant essayer de négocier un compromis avec les dirigeant serbes actuels ou leurs remplaçants éventuels dont rien ne nous dit qu’ils serons de meilleurs démocrates. Mais une occupation militaire du Kosovo, même avec l’accord de ces dirigeants, présente des risques humains et aura un coût financier : il convient de le dire clairement aux citoyens de nos « démocraties » à qui on a trop fait croire que les armes technologiques modernes pouvaient nous éviter les charges de la guerre.
La question devient alors de savoir qui, de l’Europe ou des USA, doit diriger politiquement et « culturellement » le processus qui devra associer subtilement négociation et menace de reprendre les bombardements.

Nous savons que la nécessité en histoire n’existe pas, mais il est du devoir d’une politique responsable de ne pas compter sur l’improbable pour prendre des décisions qui comportent des risques graves. Celles-ci ne peuvent être totalement conformes à la morale ou à la logique car les conditions réelles de possibilité manquent toujours. Tout l’art de la politique est de choisir la moins mauvaise des possibilités données dans un contexte donné ; et c’est par là que la politique se distingue de la morale.

Texte rédigé après discussions avec des amis albanais du Kosovo et serbes (opposants au régime). 



Texte remanié dont la première version est parue dans le forum "Libération" du 06/06/99

Indiscutablement, le régime Serbe a plié sous les bombes, mais il est prématuré d'affirmer qu'il a capitulé en acceptant les propositions du G8.

Trois différences de taille, favorables à la position des dirigeants Yougoslaves, séparent celles-ci du non-accord de Rambouillet:
1) L'UCK est passée à la trappe; elle devra rendre les armes et renoncer à ses ambitions (indépendance et grande Albanie
2) Le Kosovo est confirmé comme partie intégrante de la Yougoslavie et son statut d'autonomie ne remet pas en cause cette appartenance indispensable pour refuser, en droit, la purification ethnique.
3) Le tutorat et l'occupation militaire du Kosovo se fera sous l'égide, non  de l'OTAN, mais de l'ONU, seule instance légitime en droit international au conseil de sécurité de laquelle la Russie et la Chine ont un droit de véto

Ainsi quelque sera le sort futur des dirigeants de la Yougoslavie; ils peuvent dès maintenant se prévaloir d'avoir tout tenté pour faire échec aux visées américaines, au profit du plan européen moins calamiteux (de leur point du vue politique).

S'il n'y a pas de victoire militaire sans victoire politique,  celle-ci n'apparait  pas aussi tranchée qu'on veut bien le dire! Mais s'il s'agit là d'une condition pour que la négociation et la paix soit encore possible, qui s'en plaindrait, hormis ceux qui confondent la politique et leur morale et leur morale avec la guerre "humanitaire". 



Texte du 12/06/99.  Victoire...Quelle victoire?

« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! »
 
« À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ! »
 

La presse occidentale s’étonne que de nombreux serbes crient victoire et dansent dans les rues de Belgrade et d’ailleurs. Cet étonnement est étonnant, il dénote à mon sens, la croyance fausse que la défaite ou la victoire ne sont que des faits objectifs, alors qu’elles sont d’abord des interprétations psychologiques : pour se sentir vaincu, il faut s’être mal battu et avoir démérité au point de n’avoir, vis-à-vis du vainqueur, plus aucun droit de négocier les conditions de la fin des combats.

Or le régime serbe peut se targuer d’avoir réussi à imposer certaines conditions significatives à l’arrêt des bombardements que sont :

Que, contrairement à certains attendus du non-accord de Rambouillet, les troupes de OTAN ne soient pas autorisées à contrôler la Yougoslavie et la Serbie
Que les Russes, qui ont été indispensables à la négociation, fassent partie des troupes de sécurité au KOSOVO ; (l’entrée inattendue, avant toutes les autres, des troupes Russes à Prestina en est l’illustration symbolique).
Que l’UCK ne soit plus partie prenante des négociations et que ces objectifs d’indépendance et de grande Albanie soient évacués au profit du maintien du KOSOVO dans la Yougoslavie et la Serbie.
Que le tutorat et l’occupation du Kosovo se fasse sous l’égide de l’ONU et de son conseil de sécurité où la Russie et la Chine disposent d’un droit de veto.

Mais il y plus important pour l’avenir : beaucoup de Serbes ne peuvent se sentir vaincus, car ils peuvent croire que les occidentaux ont refusé de prendre le risque de les combattre. Le concept de guerre technologique propre, qui exclut les pertes chez ceux qui l’utilisent et interdit le combat à armes égales, disqualifie la victoire du vainqueur théorique: celui-ci ne l’a pas méritée. Pour être reconnu victorieux, il faut risquer sa propre vie dans un « combat à la loyale » ; les Serbes adorent le football et ils savent que l’on est vaincu que lorsque l’on a mal joué dans les règles ou lorsque que l’on a voulu gagner contre la règle qui exige que, lorsque l’on se bat, on prenne le risque de la défaite et de la mort. La guerre est en dernier ressort une affaire d’hommes à hommes : De nombreux Serbes peuvent croire avoir résisté à une guerre inhumaine dès lors qu’ils considèrent que leurs adversaires se sont, en tant qu’hommes, dérobé. La vertu, le courage « humains » étaient de leur coté et non de ceux qui bombardaient sans risque et plus ou moins aveuglément à 3000 mètres. (Il serait bon de relire à ce sujet HEGEL.)

Si de nombreux serbes peuvent croire qu’ils sont, sinon vainqueurs, du moins invaincus, les occidentaux seraient dans l’illusion s’ils pensaient que la majorité des serbes a le sentiment d’avoir capitulé contre plus forts qu’eux : la force véritable est la force de la volonté ; or sur ce plan le victoire n’est pas décisive !
L’important, en effet, pour l’avenir de la démocratie en Yougoslavie, est moins l’avenir personnels des dirigeants serbes que l’idée que les serbes, dans leur majorité, peuvent se faire d’eux-mêmes et la remise en question de leur nationalisme ethnique. Or celle-ci passe nécessairement par l’aide à la reconstruction sans distinction ethnique.

S.Reboul, le12/06/99 



Reconstruire la paix, le15/06/99.

    Pour éviter la violence a contrario et mettre un terme au cycle de la vengeance, il convient, selon moi, que le
    tribunal international juge, en leur présence ou par contumace, les criminels de guerre à Pristina comme cela a été
    fait à Nuremberg après la chute du régime nazi. Ce procès devra éclairer les population serbes (et albanaises) sur
    les conséquences insupportables du nationalisme ethniques de tous les bords.

    D’autre part étant donné l’état d’esprit des « vaincus qui ne le sont pas dans leur tête » (l’armée yougoslaves et
    nombre de yougoslaves) de la guerre technologique (voir mon intervention précédente) il conviendra rapidement
    de proposer une aide à la reconstruction sans exclusive sous l’autorité de l’ONU. Reste le cas des dirigeants
    yougoslaves sous le coup d’une inculpation pour crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité (qui semblent
    aujourd’hui être confondus). Remarquons d’abord que cette inculpation n’a pas empêché la négociation pour mettre
    fin aux bombardements : en effet être inculpé ne signifie pas encore être condamné ; d’autre part, le fait que les
    dirigeants serbes se dérobent au procès n’est pas illégal , par le fait même des conditions délimitant les
    compétences du tribunal admises par les 120 pays qui y ont souscrit (mais qui ne les ont pas encore tous ratifiées!)

    Cela dit soyons clair :
    Il convient que l’enquête établisse publiquement et sur place les faits et les responsabilités sans en exclure le chef
    de l’état yougoslave ; mais tant que les populations yougoslaves n’auront pas décidé elles-mêmes de changer le
    gouvernement et/ou de régime et le fondement de sa légitimité politique et puisque l’on ne peut et veut le changer
    par la force en investissant la Serbie, Il faudra bien, si l’on veut en sortir sans perpétuer leurs souffrances et éviter
    la relance du nationalisme ethnique, négocier avec les dirigeants existants sur les conditions minimales suivantes
    de cette aide sous contrôle , à savoir : le respect de la liberté d’opinion et la promotion des droits fondamentaux de
    l’homme et du citoyen. Le vrai danger ne réside pas seulement, en effet, dans les dirigeants serbes qui ont tout fait
    pour exacerber le nationalisme criminel, mais dans ce nationalisme lui-même qui, s’il n’est pas réduit dans l’esprit
    de nombre de yougoslaves, trouvera toujours d’autres dirigeants pour l’exploiter dont rien ne nous assure qu’il ne
    puissent être pires.

    Une politique responsable doit être réaliste, c’est à dire ne pas confondre le souhaitable et le possible et admettre
    que le moindre mal est souvent meilleur car plus efficace à court et à moyen terme que l’idée que l’on se fait du
    Bien en soi qui, sans compromis, reste inapplicable ou aboutit au contraire de ce que l’on souhaite. 



Démocratie et nationalisme, le 17/06/99
 

    Une épuration ethnique risque d'en chasser une autre; il serait tentant de penser que cela va faciliter les choses: les
    albanais, victimes principales, vont chasser les serbes ou provoquer uns situation politique qui les empèchent de
    rester et il n'y aura plus de problèmes de conflit ethniques au Kosovo; dans la foulée les frontières de la région
    pourront être modifiées plus ou moins démocratiquement en fonction de critères linguistiques et/ou religieux
    Cette position est cohérente.

    Mais le problème est de savoir si ces modifications de frontières admises dans les Balkans ne vont pas créer un
    précédent et entrainer une inflation incontrôlables de revendications nationalistes voire claniques sanglantes, dans
    les pays de l'ex-urss, les pays Baltes, l'Afrique et y compris en Europe occidentale (pensons à la Corse) etc.... Je
    pense, pour ma part, que les,revendications nationalistes ethniques sont le danger principal et la religion
    nationaliste, la religion politique potentiellement la plus sanglante aujourd'hui, pour deux raisons:

    1) Les états dans le monde seront de plus en plus multiethniques, de par le développement des échanges et des
    inégalités qui entrainent des déplacements de populations (nouveau nomadisme dont parle J.Attali) et, sans cesse,
    de nouveaux mélanges qu'aucun nationalisme ethnique ne pourra limiter sans user de moyens +ou- contraires aux
    droits de l'homme et à la démocratie. (cf Le Pen)

    2) La démocratie exclut par principe la volonté d'une majorité, au nom de son identité nationale, d'exclure les
    minorités qu'elle désigne plus ou moins arbitrairement comme étrangères (langue, origine, religion,couleur de la
    peau etc...) La démocratie n'est pas le pouvoir de la majorité d'opprimer la ou les minorités. Je pense
    qu'aujourd'hui plus qu'hier, il convient de restaurer, par le droit international, l'action politique, diplomatique et
    éventuellement militaire, le principe laïc que la citoyenneté n'est pas une question d'appartenance ethnique mais de
    vie ensemble dans un même espace public et juridique dont la redéfinition exige non seulement la décision
    majoritaire mais le respect du droit des minorités. Or, sur ce point, je n'ai aucune confiance dans les convictions
    démocratiques de l'UCK et je pense que la sratégie des USA à leur égard peut être aussi désastreuse que celle qui
    consistait à soutenir, pour des raisons d'opportunité à court terme, les talibans ou les mouvements intégistes
    musulmans,un peu partout dans le monde.
    Ce que je désire, c'est que l'Europe affirme une stratégie plus autonome par rapport aux USA et ne les laisse pas en
    faire à leur (absence) de tête et selon leurs seuls intérêts économiques.
    Mais il est vrai que la position des Allemands, en Europe, reste encore très dépendante, quelque soient les efforts
    des 'verts', d'une conception communautariste (sanguine et culturaliste) de la nation, ce qui ne va pas sans leur
    poser des questions intérieures insolubles (problème des'aussiedler', des turcs d'origine etc..).

    L'Europe doit se prononcer sur la question des rapports entre démocratie et nationalité dans le sens d sa propre
    construction: une citoyenneté multinationale. 


Après les frappes, quelle leçon pour l'avenir? le 21/06/99

Les troupes Yougoslaves se sont retirées du Kosovo, l’UCK sera démilitarisée ,les forces de l’ONU prennent le Kosovo sous leur tutelle ; quelle leçon peut-on tirer de l’engagement et des frappes de l’OTAN ?

Le résultat en est positif dans la mesure où :
n L’ONU est réintégré dans le rôle qui est le sien : celui de garant légitime de tout accord international et d’instance de contrôle des conditions de la paix civile.
n La KFOR dépendant de l’ONU doit prendre en main le retour des réfugiés quelque soit leur nationalité sans séparation ou ségrégation ethniques, l’administration et la reconstruction du Kosovo ainsi que la sécurité des populations,.
n Les deux adversaires nationalistes éthniques (régime yougoslave et extrémistes albanais) sont neutralisés.

Ces résultats, selon certains observateurs très bien informés et excellents informateurs (cf. « Le Monde Diplomatique »), auraient théoriquement pu être obtenus à Rambouillet, ce qui aurait permis de faire l’économie des bombardements et des souffrances et cruauté qu’ils ont favorisés et dont ont été victime les populations civiles : ce qui avait fait obstacle à l’accord du côté serbe, il est bon de s’en souvenir, c’était la clause de mise sous contrôle de l’ensemble du territoire de la Yougoslavie par l’OTAN et les USA (et non l’ONU) et la perspective de l’indépendance du Kosovo sous la direction possible de l’UCK dont la conséquence aurait été l’épuration éthnique aux dépens des serbes. Il s’agit là, non d’interprétation mais de faits consignés dans les documents du non-accord de Rambouillet eux-mêmes. Est-ce à dire que les frappes n’ont servi à rien d’autre qu’à punir le régime serbe que l’on voulait sanctionner quelque soit son attitude ?

Deux lectures des frappes sont possibles :
1)  La première est négative : Les frappes ont servi, aux dépens des populations civiles que l’on prétendait secourir, outre à punir le régime serbe, à resserrer l’OTAN sous le direction politique et militaire des USA et à faire de ceux-ci le seul gendarme du monde en disqualifiant l’ONU et en contestant, dans les faits, son rôle de régulateur légitime des conflits internationaux. Les buts humanitaires cachaient (mal) une l’ambition de restaurer la domination des USA sur l’Europe naissante. Or cette lecture n’est pas fausse, pour un observateur qui n’est pas naïf, à tel point qu’elle a été aussi celle de la France et de l’Allemagne (avec Oscar Fischer comme ministre des affaires étrangères), comme l’ont démontré les efforts qu’elles ont déployés pour réintroduire la Russie, la Chine et donc l’ONU dans le processus de sortie de la crise. Mais elle est partiale ; pourquoi ? Parce qu’elle est trop négative.
2)  D’une part, en effet, l’Europe ne s’est pas soumise aux USA, car c’est sa vision des choses qui l’a emporté ; ses objectifs ont prévalu (jusqu'à présent..) : Le respect des frontières existantes et de l’intégrité territoriale de la Yougoslavie et le refus de la ségrégation et du séparatisme éthniques (il est vrai apparemment admis par les USA, mais dont le soutien réel à l’UCK, plutôt qu’au mouvement de Rugova, démentait les propos officiels). Mais surtout le retour de l’ONU et de la Russie dans la négociation et la prise de décision et sa présence militaire significative sur le terrain est une victoire européenne pour s’opposer à la tentative de faire de l’OTAN et des USA l’unique décideur de l’avenir des pays européens non encore intégrés à l’Union européenne. On peut donc considérer que ces frappes ont eu un effet positif dans la mesure où elles ont indiscutablement affaibli le régime nationaliste ethnique Serbo/Yougoslave au point de le dissuader de violer son engagement (lors des soi-disant négociations de Rambouillet) de respecter l’autonomie du Kosovo. Elle a permis en outre d’utiliser les dirigeants de ce régime pour organiser un repli en bon ordre de ses troupes et autres supplétifs hors du Kosovo. Mais à plus long terme les frappes pourront être considérées comme une leçon sanglante et douloureuse, une opération chirurgicale à vif pour les populations elles-mêmes (serbe et albanaise), afin qu’elles rejettent la tentation nationaliste, ce cancer foudroyant de la politique, cette drogue mortelle, qui est le plus dangereux ennemi de la paix dans le monde.

Entre les deux lectures, on ne peut encore définitivement trancher, tout dépendra de la capacité de la KFOR à rétablir la paix civile sans séparatisme, et à faire respecter au Kosovo et de l’ONU à exiger en Yougoslavie, les conditions minimales de la démocratie que sont, le respect des droits de l’homme, la liberté de la presses et les libertés politiques. Disons que, après les frappes, un avenir plus conforme à nos désirs de liberté est possible. 



 

Sylvain Thibeau m'écrit:  Pour écrire à Monsieur Sylvain Thibeau

J'ai beaucoup apprécié ton message. Cependant, je dois te dire que je ne partage pas tes conclusions...
Pour moi, il n'est pas concevable de financer la Yougoslavie de Milosevic, étant donnés les soupçons qui pèsent sur lui, et la démarche actuelle du TPI.  Peut-être que l'existence d'une justice internationale est une utopie,  en particulier à cause de l'état désastreux des relations  internationales en général (néo-colanialisme, impérialisme...). Cependant, il ne faut pas abandonner les faibles lueurs d'espoir qui se  présentent pour donner un sens au mot "humanité".  Il y a donc pour moi trois possibilités pour "les vainqueurs" en ce qui  concerne la reconstruction de la Serbie (hormis le Kosovo, bien-sûr) : * ne rien faire, en espérant que Milosevic tombe de lui-même, ce qui présente le désavantage indéniable de faire payer aux civils la  présence de leur président (élu, faut il le rappeler) ;  faire tomber Milosevic au cours d'une intervention militaire au sol (la solution n'est pas forcément meilleure pour les populations civiles);  indiquer sans ambiguïtés aux populations que la reconstruction de la Serbie est directement liée aux prochaines élections en Yougoslavie et en Serbie.  J'irai même jusqu'à dire que je ne comprends pas le dogme de l'inviolabilité des frontières. Que la République Serbe quitte la Bosnie si ça lui chante (au lieu de créer un pseudo-pays portant en lui les germes d'une nouvelle guerre) pour s'intégrer dans la Serbie; que la Moldavie réintègre pareillement la Roumanie (si bien sûr les deux  populations en formulent le désir) et que le Kosovo quitte la Serbie et  la Yougoslavie pour, si cela chante aux Kosovars, se regrouper avec  l'Albanie. >Non, l'existence d'une minorité Serbe au Kosovo ne m'émeut pas. Un  territoire aussi homogène quant à sa population me parait rare à trouver  de nos jours en Europe. Le nationalisme et le "nettoyage ethnique par la modification des frontières " n'est pas un succès, seulement, par moment, il faut savoir choisir le moindre mal.  A une prochaine !



Sylvain Reboul :

Bonjour, Ta position est cohérente et elle est extrèmement tentante. Mais le problème est de savoir si ces modifications de frontières admises dans les Balkans ne vont pas céer un précédent et entraîner une inflation incontrôlables de revendications nationalistes voire claniques sanglantes, dans les pays de l'ex-urss, les pays Baltes, l'Afrique, y compris en Europe occidentale etc.... Je pense pour ma part que les revendications nationalistes ethniques sont le danger principal et la religion nationaliste, la religion potentiellement la plus sanglante aujourd'hui, pour deux raisons: -Les états dans le monde seront de plus en plus multiethniques, de par le développement des échanges, des inégalités qui entrainent des déplacements de populations (nouveau nomadisme dont parle J.Attali) et sans cesse de nouveaux mélanges que je pense qu'aucun nationalisme ethnique ne peut limiter sans user de moyens +ou- contraires aux droits de l'homme et à la démocratie. (cf Le Pen) - La démocratie exclut par principe la volonté d'une majorité, au nom de son identité nationale, d'exclure les minorités qu'elle désigne plus ou moins arbitrairement comme étrangères (langue, origine, religion, couleur de la peau etc...) La démocratie n'est pas le pouvoir de la majorité d'opprimer la ou les minorités. Je pense qu'aujourd'hui plus qu'hier, il convient de restaurer, par le droit international,et l'action politique, diplomatique et éventuellement militaire, le principe laïc que la citoyenneté n'est pas une question d'appartenance ethnique mais de vie ensemble dans un même espace public et juridique dont la redéfinition exige non seulement la décision majoritaire mais lae respect du droit des minorités. Or je n'ai aucune confiance dans les convictions démocratiques de l'UCK et je pense que la sratégie des USA à leur égard, peut être aussi désastreuse que celle qui consistait à soutenir les talibans ou les mouvements intégistes musulmans pour des raisons d'opportunité à court-terme, un peu partout dans le monde. Ce que je désire, c'est que l'Europe affirme une stratégie plus autonome par rapport aux USA et ne les laisse pas en faire à leur (absence) de tête politique et selon la logique de leurs intérêts économiques. Il est vrai que la position des Allemands reste très dépendante, quelque soient les efforts des verts, d'une conception communautariste (sanguine et culturaliste) de la nation, ce qui ne va pas sans leur poser des questions intérieures insolubles (problème des "aussiedler", des turcs d'origine etc..).

Ta position m’a surpris : tu sembles confondre une épuration ethnique avec un divorce par consentement mutuel, un problème politique mettant des intérêts collectifs, des forces organisées militairement plus ou moins ennemies, en tout cas rivales, avec un problème d’arrangement privé entre deux personnes raisonnables bien conseillées par leurs avocats respectifs sous l’autorité décisionnelle d’un juge reconnu par chacun comme légitime. Malheureusement, déjà que, lors d’un divorce, les choses ne se passent pas forcément sans remous ni conflits (les biens, les enfants etc..). Le séparatisme ethnique et haineux entre des populations déjà mélangées, conduit nécessairement à l’expulsion des plus faibles vers des camps de fortune plus ou moins permanents (ex : les camps palestiniens) ; d’autre part je maintiens que si on fait de ce droit un droit international légitime, on encourage tous les nationalistes éthniques à prendre le pouvoir en spéculant sur la puissance des ressentiments et des rancoeurs historiques.

Cette prise de pouvoir par l’idéologie nationaliste signifie non pas : « chacun chez soi et la paix de la famille sera assurée, il suffit de tracer une frontière entre chacun comme on change d’appartement après une séparation et de définir les modalités de garde des enfants et de partage des biens », mais : « tu es chez moi ; fous le camps, pour que je puisse prendre ta maison, tes biens, ton travail  ou je te tue! » Pour aller où et faire quoi ?.
Conclusion, des millions de réfugiés partout dans le monde sans grand espoir de vivre une vie digne et autonome !

Récompenser la volonté séparatiste c’est donner un gage à la haine et au refus violent de l’autre. Les exemples que tu cites ne sont pas très pertinents : la séparation de fait et non de droit en Bosnie entraîne une catastrophe économique et sociale sans fin (plus aucun investissement, les fonds détournés par des mafias au nom de leur combat national et/ou religieux) etc.. ; la position de l’Ukraine n’a rien d’enviable : elle ne doit de ne pas exploser qu’au fait que cette séparation n’est qu’une fiction à laquelle personne ne croit plus vraiment, et je ne parle pas des ex-républiques du Sud de l’ex-URSS. Quant aux pays baltes, comme tu le sais, l’occident a interdit toute épuration et séparation ethnique sous peine de sanctions économiques insupportables aux pouvoirs en place. La situation de la Russie et des russes dans les anciennes républiques non-russes est loin d’être réglée et encore moins sans menaces pour la paix.

Tout ce que je te dis, tu le sais, car je sais que tu es lecteur comme moi du « Monde diplomatique » ; (cf :Attac) mais de loin, en effet, il peut sembler que tout peut s’arranger magiquement : il suffit de séparer les peuples qui ne s’entendent plus et tout rentrera dans l’ordre ;...et il suffit que les médias parlent d’autre chose pour que l’on s’empresse de croire que les conflits et les misères n’existent plus ; or aucune séparation, ne peut, dans ces conditions, se faire sans extrême violence physique ou morale dont les effets se prolongent bien au-delà...de la une du journal télé !
Je n’ai, pour ma part, jamais défendu le nationalisme du régime serbe (et de la majorité de la population), mais je me suis interrogé et je ne suis pas le seul, sur la stratégie des occidentaux et j’ai eu tellement raison de le faire que celle-ci, face à la réalité des problèmes, a abandonné les objectifs d’indépendance du Kosovo et de la mise sous tutelle de l’ensemble de la Yougoslavie.
Ma crainte était que les USA, à la faveur de la domination politique et militaire (aérienne) que leur confère l’OTAN, ne nous embarquent à nouveau dans l’impasse, humanitairement catastrophique, de la situation irakienne. Je suis en accord avec la stratégie du G8 et le retour sur le devant de la scène de l’ONU et l’intégration de la Russie dans la mise sous tutelle du Kosovo me semble un gage positif pour l’avenir de la paix sur le continent européen.

Tu comprendras, d’autre part, qu’élevé par mon père, ancien résistant dans le Vercors, dans la haine des boches et ayant par la suite épousé une allemande devenue française tout en restant allemande, je ne puisse pas être d’accord pour que des crétins ivres de nationalisme, de vin ou de bière viennent exiger que nous nous séparions en invoquant les souffrances du passé !
Voilà, je pense en tout cas que si cette situation pouvait me menacer, je pourrais compter sur ta solidarité..

Amicalement, Sylvain. 


Le PACS, l'ordre public et l'autonomie individuelle.
 
 

Les adversaires « éclairés » du PACS s’y opposent, non pas au nom d’une vision religieuse et traditionnelle de la morale, mais au nom de l’ordre public et de la nécessaire différenciation sexuelle comme condition de la liberté individuelle. À l’encontre de toute conception identitaire et communautariste que le PACS serait censé établir, il faudrait, selon eux, maintenir le rôle symbolique de l’hétérosexualité comme fondement et modèle privilégié de l’exigence de la relation à l’autre en tant qu’il est autre pour qu’une société libérale et tolérante soit possible.
Je voudrais montrer que l’habileté rhétorique de cette argumentation, qui consiste à retourner les arguments libéraux des partisans du PACS contre eux, présente à son tour certaines incohérences et confusions et surtout néglige de tirer toutes les conséquences de l’évolution en cours de nos sociétés, au point que ces adversaires contribuent eux-mêmes au trouble potentiel de l’ordre public (libéral) dont ils s’estiment les défenseurs intelligents .

Incohérence logique du droit:

A partir du moment où, au nom du droit à l’autonomie, à la vie privée et au bonheur, l’on ne considère plus l’homosexualité entre deux personnes consentantes ni comme un délit, ni comme une maladie, il est illogique de ne pas accorder aux homosexuels les mêmes droit qu’aux hétérosexuels, sauf à refuser le principe même de l’universalité des droits et des devoirs. La question du droit pour les homosexuels d’avoir (par quelques moyens que ce soit) et d’éduquer des enfants, n’échappe pas à ce principe de l’universalité et ceux qui prétendent que les enfants auraient à pâtir de cette situation commettent une confusion entre un jugement, d’ailleurs discutable, portant sur la réalité présente qui fait contradictoirement des relations homosexuelles un déni de droit sans en faire un délit avec les conséquences psychologiques que l’on sait et ce qui peut être dans une situation nouvelle où l’homosexualité ne serait plus irrationnellement stigmatisée tout en étant reconnue comme l’expression légitime du droit à l’autonomie.

Confusion entre jugement de réalité et jugement normatif :

Cette confusion est classiquement reconnue par la logique comme étant celle qui prétend fonder un jugement normatif valant pour toujours sur un jugement portant sur le réalité actuelle qu’il s’agit justement de transformer. On ne peut, en effet, déduire de la situation actuelle paradoxale, ce qu’il en sera dans une situation nouvelle moins paradoxale pour l’avenir personnel et les difficultés éventuelles des enfants élevés par des couples homosexuels. On ne doit pas en bonne logique justifier ou remettre en cause un jugement normatif à partir d’un connaissance quelconque , sauf à croire qu’une norme peut être démontrée et scientifiquement établie comme valant dans n’importe quels conditions et référentiels car ces conditions et ces référentiels sont considérées, à tort comme éternels. Je pense que les sciences ont depuis pas mal de temps remis en question cette vision simpliste de la Vérité absolue (splendide comme l’affirme le Pape Jean-Paul II) qui, de plus, prétendrait définir un Bien tout aussi absolu. Il s’agit là du modèle théologique et religieux de la vérité divine éternelle qui est en contradiction, on l’a vu dans l’histoire de notre culture, tout autant avec la pratique des sciences, qu’avec une vision libérale de l’éthique qui, par définition, refuse l’obligation de se soumette aveuglément à une tradition quelconque, même vénérable (oedipienne ou non), pour décider de ce qui doit être à l’avenir. J’ajoute qu’aujourd’hui les femmes homosexuelles peuvent librement avoir et élever leurs enfants, sans que notre droit puisse s’y opposer ; voudrait-on introduire une nouvelle discrimination entre les hommes et les femmes, cette fois à l’avantage de celles-ci ?
Décidément, la simple logique voudrait que l’on régularise une situation de fait et de droit, dont le maintien en l’état est, à lui seul, un motif de conflit et de trouble de l’ordre public.

Confusion entre identité personnelle et identité collective :

Les adversaires raisonneurs du PACS, sentant bien la faiblesse logique de leur argumentation, sont alors conduits à restaurer la question de l’identité sexuelle comme fondement universel de l’ordre différentialiste de la société. Mais ils ne se posent pas la question de savoir comment cette différence est produite et dans quel contexte. Or il n’y a rien de plus perméable aux évolutions de notre société libérale (en droit) que la distribution des rôles (masculin et féminin).
Les femmes refusent progressivement d’être asservies au rôle traditionnel féminin de mère au foyer et les hommes revendiquent non seulement le droit à la paternité mais aussi le droit à la maternité : bref ce qui est en cours, c’est un partage et une mixité des rôles et plus profondément c’est le refus de se soumettre à une identité collective (sexuelle ou non) qui irait à l’encontre des choix individuels : chacun doit aussi choisir son sexe et la manière d’en assumer le rôle, y compris jusqu'à le en remettre en question les normes traditionnelles. De toutes manières un homme n’est jamais purement viril (et une femme féminine) et n’a pas obligation sociale à l’être. Le principe de l’égalité des chances interdit, en effet, que l’on assigne une identité collective aux individus en fonction de leur appartenance à tel ou tel sexe biologique ou prétendue nature originelle. Chacun peut aujourd’hui découvrir en lui-même la différence sexuelle symbolique dans la relation à lui-même (bisexualité) et à l’autre et en jouer à sa convenance et à celle de son (sa) partenaire ; c’est même recommandé si l’on veut intensifier et enrichir les échanges érotiques et autres. La relation homosexuelle n’échappe pas à la différence, y compris symbolique et sexuelle, sinon pour qui ne voit pas et ne veut pas voir que cette différence ne se confond plus avec la distribution autoritaire et préétablie des rôles traditionnels. La société libérale libéralise les différences sexuelles non dans le sens de l’uniformité communautariste mais dans le sens de l’individualisation des rôles et des projets de vie, jusqu’à faire de chacun un moi qui peut être un autre et à voir en chacun une pluralité de possibles et par conséquent qui n’est pas rivé à une fonction ou identité sociale qu’on déclarerait arbitrairement universelles et éternelles (voir plus haut).

Je ne vois pas comment ni pourquoi, dans une société libérale, on pourrait, sous prétexte de maintien de l’ordre public, revenir sur une évolution qui  s’inscrit dans sa logique même ; si on le faisait, c’est alors que les conflits dus à des contradictions du droit et entre le droit et les faits s’exacerberaient d’une manière en effet incontrôlable et remettraient en cause et l’autonomie égalitaire des individus et la paix civile, bref l’invention d’un nouvel ordre public libéral et juste rendu nécessaire de par la seule légitimité politique qui puisse valoir aujourd’hui : celle de la démocratique individualiste. Le PACS s’inscrit timidement dans ce sens, soutenons le.

Sylvain Reboul, le 08/06/99

 

 



 Lire la très importante contribution de Monsieur Pierre Haffner, (Moscou), homme d'affaire et  géopoliticien, dans:
            L'espace de dialogue


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