Un amour flamboyant au cœur d'un monde sans qualité.

Echange entre Sylvain Reboul et  Jacques Bonniot (en rouge) à propos du roman de Michel Houellebecq: "Plateforme", à partir d'un texte critique de Sylvain Reboul (en bleu); les remarques de Sylvain Reboul au commentaires de Jacques Bonniot sont en vert.



Jacques Bonniot est co-auteur de "La sensibilité", "Autrui" et "50 fiches de lecture en philosophie" chez "Bréal Éditeur" en 2 tomes; dernier tome paru en janvier 2000:
"De Hegel à la philosophie contemporaine", "Eléments de culture générale" (Ellipses 1999)
écrits en collaboration avec G. Guislain et P. Dumont
Dictionnaire des philosophes(100) par Sébastien Blanc et Jacques Bonniot, Alphabac Philosophie, Albin Michel-Education, août 2000.
"Le nombril", Éditions du Seuil (nouveau)
"Levinas, le visage de l'autre", Seuil 2001
Site de Jacques Bonniot

Texte de Sylvain Reboul:

Le dernier roman de Houellebecq est une réussite: il épouse son temps sans illusion ni
détestation. Il le (dé)marque et, en cela, Il fait époque.

1) Son personnage central, l’auteur, renoue avec le désir du désir de l'autre et l'amour
érotique dans sa  flamboyante par lequel s'opère la rencontre entre deux subjectivités  et où il
sort, sinon de l'alcool, du moins pour un temps de cette solitude pathologique et de la vacuité
dépressive  du désir absent de ses précédents récits qui lui faisaient  mépriser les autres et
lui-même; en cela il n'est plus cette caricature  cinglante qui ne lui faisait voir le monde qu'à
travers les clichés et stéréotypes produits par les médias. Il se met en scène dans le cadre d'
une relation forte, grave, joyeuse, tendre et authentique entre deux amants qui  s'affirment dans
la seule jouissance tendre d'eux-même pour eux-même qu'ils se donnent et s'échangent: ils
existent et s'affirment dans la puissance insatiable de leur désir du désir de l'autre

2) Le monde est vu au travers de cet amour, à la fois de l'intérieur, dans sa gestion rationnelle
et pragmatique et à distance ironique, au cœur de son ambivalence tragique: le sexe et le fric
sont au fond les ultimes motivations du capitalisme après la chute des valeurs religieuses et des
héroïsmes individuels sur fond d’emballements collectifs . Or ces deux motivations
conduisent à la prostitution généralisée : le tourisme sexuel ou elles se fondent, encore
provisoirement  harmonieusement dans  l'art élaboré tendre et efficace des prostituées
asiatiques mais s'excluent chez nous : l'occident pris par le jeu du fric et ses contraintes ne
produit plus qu'une sexualité rabougrie et désérotisée, dans l'intellection froide de la
pornographie (sexe sans amour)  et la violence ritualisée: les S.M et autres clubs pornos.
Cette contradiction condamne à la fuite dans l'alcool et la drogue ou à l'« ennichement » dans
les plis du capitalisme pour en détourner l'efficace au profit de la seule relation à deux qui ne
peut vivre qu'en se désocialisant partiellement.

3) L'autre monde, le  monde religieux, gluant et gélifié des origines, dont l'islamisme des
taliban est la caricature grimaçante et totalitaire ne peut plus se manifester que par l'extrême
violence intégriste. Les anges de la mort rêvant de harem parfumés, où le sexe leur sera
donné gratuitement dans la surabondance, sont le signe de sa défaite prochaine sur une planète
sans frontière, ni protection, contre la marchandisation généralisée des échanges. Si la haine
du sexe et des femmes des religions traditionnelles génère en retour la haine du religieux
comme violence faite à l'individu en son désir érotique; nous voyons déjà que le fric gagnera
la guerre et fera du sexe une arme commerciale irrésistible contre la  religion ; il
l'instrumentalisera à son  profit selon des montages plus ou moins  hypocrites pour démolir de
l'intérieur l'intégrisme qui, par contre coup, signera dans le sang l'arrêt de mort de toutes les
valeurs religieuses possibles: le monde sans qualité du capitalisme jetant aux orties toutes
croyances transcendantes sous l'alibi hypocrite de la démocratie  par laquelle, la politique, à
l'instar de l'économie, est transformée en gestion des ressources humaines afin de réduire le
risque violence en ajustant mieux l'offre à la demande, tout concourt à vider l'érotisme de son
énergie inventive en tentant de la détourner à son profit, à rendre difficile son ouverture au
désir de l'autre, seul objet authentique du désir amoureux.
En ce monde sans qualité voué à la seule quantité sonnante et trébuchante, quelle peut être la
place pour l'amour en sa flamboyance solaire, qui pourtant reste la seule possibilité
d'affirmation et de reconnaissance positive de soi? Le roman ne répond pas sinon par le vide
terminal, le retour à l'indifférence : finie la haine contre les musulmans terroristes: il sont
vaincus par le sexe  et le fric et le sentent et avec eux la plus religieuse et la « dernière des
religions » comme ils se l'ont serinés pendant des siècles ; la dernière, en effet car, loin
d'accomplir celles qui l'ont précédées comme ils le croyaient, elle va sombrer, la dernière,
dans la folie meurtrière et suicidaire.

Quelle place pour l'érotisme dans un monde voué au calcul glacé de l'intérêt égoïste
généralisé comme disait Marx; celle d' un improbable écart: en profiter dans ses marges sans
y croire, en l'aidant à recycler la frénésie sexuelle sans issue et la frustration permanente qu'il
(res)suscite. Se trouver une plate-forme sur un sommet pour vivre des prébendes du
capitalisme sans s'y absorber et en observer ironiquement les manigances sans s'y soumettre.
Dans cet univers sans qualité, c'est à dire sans religion que d'autres cinglés croient encore
pouvoir contre carrer par la terreur; l'amour est la seule valeur possible; mais elle est de
l'ordre soit du détournement érotique soit de la marchandise soit de la navigation habile entre
les deux, afin d'éviter autant que faire se peut et pour quelques instants précaires, de sombrer
dans la violence, dans la dépression, ou dans la pornographie la plus froide. On ne peut, en
un monde sans religion et donc vide de sens et chaotique, contribuer au bien commun, lequel
n'est plus, dans la société marchande généralisée, qu'un terme creux rendant impensable un
quelconque projet collectif. Néanmoins, on peut, peut-être, se contenter de jouir et faire jouir
ceux qu'on aime en nous efforçant d'éviter de faire trop de mal au autres; ce n'est certainement
pas héroïque, mais qui prétend  que la simple justice devrait l'être?
En l'absence de Dieu, la littérature, comme l'art n'a rien à opposer à l'intérêt que l'amour
érotique et celui ci n'a rien d'héroïque : tout se qu'elle peut faire c'est d'offrir le double
dérisoire d'un monde sans arrière monde, ni prétention à le changer. Mise à plat du réel, en
plate-forme, sont les seules fonctions de l'art en un monde définitivement désenchanté. Le
style est vidé de toute efficace métaphysique; seuls quelques instants de bonheur littéraire
érotico-poétique le font échapper, ça et là, aux lieux communs dont la répétition en boucle
constitue le réel même.

On peut refuser la vision de l’auteur mais l’on ne peut prétendre que sa thématique ne nous
concerne pas. Qu’il s’agisse ou non de « grande littérature » est une question dépourvue de
pertinence : la grandeur, comme l’éternité, sinon l’amour, n’ont plus de place en un monde
sans qualité.
S.R: le 07/10/2001


Réponses et réactions de Jacques Bonniot :

1/ « L'autre monde, le  monde religieux, gluant et gélifié des origines, dont l'islamisme des
talibans est la carricature grimaçante et totalitaire, ne peut plus se manifester que par
l'extrême violence intégriste »
Une telle affirmation serait à étayer par des arguments : n’est-ce pas faire la part belle aux
intégristes de tout poil (Monseigneur Lefevbre aussi et cie) de leur concéder, comme ils le
prétendent, qu’ils sont bien la « vérité » de la religion, qu’ils l’incarnent, seuls, légitimement
(quel plus beau cadeau, quel plus grand honneur leur faire : ils ne demandent rien d’autre…)
et invalider par là (de quel droit, au nom de quoi ?) tous ceux qui ont entrepris d’élaborer
leur rapport au religieux, de le repenser dans le cadre de la modernité ?
C’est à mon avis la position de l’auteur ; mais le problème n’est pas seulement dans le fait qu’il est une autre dimension du religieux possible, plus ouverte et libérale ; mais que celle-ci ne peut être « populaire », au sens de « communautaire » et « identificatoire » du terme ; les intellectuels ne font ni l’histoire, ni la fonction politico-sociale des religions, comme fondement du lien social et de l’autorité politique dans les sociétés traditionnelles :

2/  Si la haine du sexe et des femmes des religions traditionnelles génère en retour la haine du
religieux comme violence faite à l'individu en son désir érotique, nous voyons déjà que le fric
gagnera la guerre et fera du sexe une arme commerciale irrésistible contre la  religion
Avons-nous à nous enfermer dans ce cercle de haine, ou au contraire à le briser pour nous
repenser dans notre rapport distancié au passé – mais non pas inexistant : ce serait une
superbe illusion, cela ne ferait que reconduire l’illusion que « du passé » on peut faire « table
rase »…On ne nie pas le passé, et  la modernité erre dans le nihilisme si elle ne prend pas à
bras le corps la tâche et la nécessité de repenser et d’élaborer par la pensée et l’invention de
nouvelles conduites (mœurs, Sittlichkeit) son rapport à la tradition (aux traditions multiples
dont nous sommes héritiers, comme le rappelle Ricoeur, incluant celle des Lumières, mais ne
se réduisant nullement à celle-ci (sans compter que celle-ci est déjà tissée d’un rapport
complexe au passé, plus subtil en Allemagne (Kant), moins carricatural qu’en France
(Voltaire, Diderot).
D’accord, mais à condition de désacraliser la tradition et de la passer au crible de raison critique pour en préserver les aspect positifs de libération et se débarrasser des aspects négatifs qui légitiment la domination.  Ce n’est donc pas l’autorité de la tradition qui est conservée comme telle, mais sa pertinence pragmatique générale pour vivre ensemble en réduisant le risque de violence et en améliorant les chances de coopération mutuelle.

3/ l'intégrisme qui, par contre coup, signera dans le sang l'arrêt de mort de toutes les valeurs
religieuses possibles
Ce n’est le cas que si tu accordes l’équation que réclament l’intégrisme à corps et à cris : «
intégrisme = religion authentique, fidèle, seul rapport authentique à « l’héritage religieux».
Equation que je conteste naturellement : l’intégrisme est une composante à part entière de la
modernité, il  appartient de part en part à la modernité, comme un contre-coup ou un
phénomène symptômatique du heurt frontal et non élaboré entre héritage de la
tradition/rupture et revendication de la modernité. Pour moi l’intégrisme est le refus (et la
conséquence symptômatique de ce refus : il fait donc sens à titre de symptôme mais constitue
fondamentalement une impasse et ne fait signe vers aucune issue ni aucun dépassement : il est
fondamentalement a-dialectique en proposant un retour pur et simple vers un passé – idéalisé
ou diabolisé, en tout cas mythifié. Les intégristes musulmans seraient bien surpris de
redécouvrir l’islam ouvert des 13è-14è siècles où les philosophes et penseurs musulmans
redécouvraient l’Antiquité grecque et dialoguaient ouvertement avec les théologiens juifs
(Maïmonide à Cordoue) et chrétiens (averroïsme latin, débat-opposition de belle tenue
théorique Averroès/st Thomas d’Aquin par exemple.
Mais justement, l’intégrisme me paraît reposer sur l’instrumentalisation politique du religieux ; or n’est-ce pas plus ou moins fatal, si l’on n’est pas un intellectuel critique et si l’on considère la religion comme une institution de pouvoir sur les consciences? voir mon texte sur ce sujet: La laïcité comme paradoxe politique
D'autre part l'intégrisme islamiste réactualise des tendances qui ont existé dans la passé (ex;:la tendance Wahabite au 18ème) et qui l'ont emporté  après le 14ème siècle et prétend renouer avec un passé mythique perdu...Les sciences et la philosophie et la liberté de penser qui va avec, semblent avoir été alors exclues de la culture musulmane pour des raisons politiques appuyées sur des motifs doctrinaux manipulés.

4/ ? Le roman ne répond pas sinon par le vide terminal, le retour à l'indifférence : finie la
haine contre les musulmans terroristes : il sont vaincus par le sexe  et le fric
Comment articules-tu ce constat désenchanté, sinon cynique, avec l’optimisme qui précède :
une improbable résurgence du désir désaliéné, la possibilité comme spontanée, surgissant du
pur désir, de surmonter la vulgarité de l’époque, selon notre conversation téléphonique
précédente ? Pour moi il y a un travail sur soi dont nous ne ferons pas l’économie si nous
voulons sortir de l’impasse et de cette impossibilité de dialogue. La mouvance islamiste
parle alternativement des « armées athées souillant les lieux saints » (de l’Islam) et d’une
guerre de la chrétienté contre le monde musulman. Ce discours est manifestement
contradictoire et destiné à faire feu de tout bois, mais quant à ce qui permettrait de lever ce
qui rend possible, sinon plausible, ce discours contradictoire, la balle est bel et bien dans
notre camp : penser notre propre trajet vers la laïcité (et non pas l’athéisme à mon avis) : les
USA sont une société à la fois laïque (à part des dérapages qui se font jour comme par hasard
dans un contexte de « guerre » ou de guerre larvée, et que je prends comme des régressions
historiques) et profondément religieuse, comme l’analyse fort bien Marcel Gauchet dans Le
désanchantement du monde (Gallimard). Il faut avec lui penser le christianisme comme « la
religion de la sortie de la religion » (M. G.) d’où immédiatement la question : l’Islam est-il
pris dans une impasse ou a-t-il devant lui à faire face à la questiion à laquelle est depuis
longtemps confrontée l’Europe, la question « théologico-politique », et a-t-il à faire son
propre chemin, sinon vers la laïcité (comme modèle importé de l’extérieur, de "l’occident"),
du moins vers sa propre solution (et ce dans des conditions particulièrement difficiles, plus
difficiles sans doute que celles qui prévalaient en Europe, à cause du modèle prévalent, à la
fois fascinant (la réussite de modèle occidental, sa prospérité économique et sa relative
stabilité politique) et repoussoir (l’occident faisant dans le monde arabo-musulman fonction
de la figure de sa propre apostasie possible, la tentation du reniement de soi.) Le terrorisme
prospère naturellement en jouant de cette ambivalence, sans parler de la misère économique
qui plonge des couches entières de la population dans le désespoir, ni de l’injustice flagrante
et de l’humiliation subie au quotidien par le peuple palestinien.
Parce qu’ils voient aussi dans la figure du Christ homme-Dieu une idole qui soustrait l’homme au pouvoir transcendant de Dieu. En cela pour eux le christianisme est une forme particulièrement perverse d’athéisme ; M.Gauchet ne parle-t-il pas du christianisme comme « la religion de la sortie de la religion » ? La question que tu ne traites pas est celle du rapport du religieux et du sacré. Que l’on peut séparer idéalement dans la culture philosophique mais pas réellement dans le culte ! Quant à l'humiliation voir mes textes: Réflexion sur une tragédie: Terrorisme et politique  et Respect des religions et lutte contre le fanatisme

5/ Dans cet univers sans qualité, c'est à dire sans religion :
C’est aller un peu vite : n’y a-t-il réellement de « qualités » ou de valeurs (comme dirait
Nietzsche) que religieuses ? A mon sens, un occident désacralisé n’est pas abandonné pour
autant aux ravages du  seul nihilisme : il y a des valeurs éthiques (cf. les questions de
bioéthiques), politiques (des modes d’organisation politique, des types de régimes et des
institutions qui rendent au moins un minimum de libertés possibles (dans quel pays islamique
la liberté de culte, de religion (y compris bien sûr celle capitale de n’en pas avoir) est-elle
respectée, plus : revendiquée, établie, défendue ? Même en faisant la part de l’inévitable
rhétorique guerrière, il n’est pas absurde de prétendre qu’au delà des intérêts de l’occident en
général et des Etats-Unis en particulier, ce sont bien des institutions libérales qui sont
attaquées et qu’il s’agit de défendre. Le fait que les opinions publiques occidentales semblent
s’accorder sur la nécessité de défendre ces institutions (fut-ce au prix d’une certaine sécurité,
fut-ce au prix d’actes de guerre qui ne sont plus couverts par la doctrine « zéro morts »)
semble montrer que l’homme occidental ne se réduit pas au "dernier homme" que décrit
Nietzsche dans le « Prologue » d’Ainsi parlait Zarathoustra : celui qui ne place plus rien au
dessus de son confort, sa sécurité, la complaisance à sa propre médiocrité. Il est possible de
défendre certaines valeurs largement communes sur un autre mode que fanatique et mortifère.
Certainement, mais ces valeurs ne sont pas religieuses, sinon par extension, à mon avis confuse, du terme, mais sont plutôt des principes régulateurs fondamentaux des sociétés pluralistes libérales.

6/ Dans cet univers sans qualité, c'est à dire sans religion que d'autres cinglés croient encore
pouvoir contrecarrer par la terreur :

L’argument des „cinglés“ est un peu rapide et me semble même une facilité,
même s'il est tentant face à des attentats kamikazes visant aveuglément des
meurtres de masse – raison de plus peut-être pour résister à la tentation ? Il
semble y avoir là une ou des organisation(s) extrêmement bien structurée(s),
planifiant des attentats de façon méticuleuse, au point de damer le pion à la CIA
et au FBI, à l’unique « Hyperpuissance » en lice jusque sur son propre
territoire. Dire qu’il s’agit de « fous » risque de nous dispenser de penser sur
quel terreau  prospère le terrorisme : à mon sens, sur une version fanatisée et
extrémiste (y compris en Arabie Saoudite et pas seulement en Iran et chez les
talibans) d’une religion par ailleurs a priori comme les autres, l’Islam ; les
incroyables inégalités sociales au sein même du monde arabe, et en particulier
dans les « pétro-monarchies » du Golfe, l’unilatéralisme de la politique
américaine (allant jusqu’à aider la prise du pouvoir des talibans à Kaboul et à
former et financer Oussama ben Laden quand elle croit, avec sa myopie
habituelle, pour ne pas dire légendaire, que cela « sert » les intérêts de
l’Amérique), et bien sûr le soutien inconditionnel à la politique indéfendable
d’Israël vis à vis des palestiniens depuis l’arrivée au pouvoir de Sharon en
Israël, avec lequel le président Bush affirmait il n‘y a pas si longtemps qu’ « [il
aurait] plaisir à travailler avec lui à la paix dans la région » - cherchez
l’erreur. Juste avant de découvrir il y a quelques jours qu’il était favorable à la
création d’un Etat palestinien…
D'accord sur les critiques que tu fais à la politique américaine; mais cette critique renvoie à la question de savoir si le gouvernement US peut réellement  jouer les arbitres dans la région et , si nécessaire, "imposer" un arbitrage, compte tenu du poids politique en interne de son alliance avec Israël. Il a surement les moyens encore faudrait-il qu'il en ait, avec le congrès, la volonté...D'autre part, l'autorité politique d'Arafat sur les palestiniens me paraît de plus en plus purement formelle: son refus des propositions de Taba était, à cet égard, inquiétant. L'intégrisme politico-religieux fait  des ravages des deux cotés.

7/ l'amour est la seule valeur possible :
Voire. Non, on ne peut pas opposer la seule force de « l’amour » à des formes extrêmes et
mortifères de manifestations religieuses, face à une sorte de « secte au pouvoir » en
Afghanistan. L’amour et l’amitié sont des sentiments privés comme y insiste H. Arendt et ne
peuvent valoir comme motivations de l’action politique. Ce sont des institutions politiques
viables, rendant possible la coexistence pacifique d’hommes d’horizons les plus divers, y
compris de musulmans pouvant pratiquer l’Islam en toute liberté dans tous les pays
occidentaux – ce en face de quoi le monde musulman n’a rien à mettre en regard. Sans
autosatisfaction (que des actes de fanatiques, ou une xonophobie diffuse ou insidieuse
risqueraient de mettre à mal), il faut sans complexe rappeler ce que les démocraties
occidentales défendent et rendent possible – pas seulement la prospérité économique qui
fascine seule (ou la première) des populations déshéritées, ce qu’on peut comprendre. Les
minorités éthniques ou religieuses opprimées, persécutées dans le monde arabe et en Iran
(berbères, kurdes, coptes, chiites, etc.) sont les premières à souffrir d’une homogénéité
purement fictive et rhétorique du monde « arabo-musulman », rhétorique commune aux
fanatiques appelant au « jihad » et à l’extrême droite occidentale.
 

Tout à fait, c’est pourquoi la position de l’auteur me semble  dépolitisante: il oppose l'amour (à deux) à la société; quant à la mienne elle vise la justice et non l’amour en société, position communatariste potentiellement violente: aimer c'est exclure ceux que l'on n'aime pas; la justice, par contre, dont il se soucie comme d’une guigne et c’est là la limite de son texte, vise à faire coopérer sans violence, sinon sans conflits, des gens qui ne s'aiment pas nécessairement et non pas à s'aimer pour cela; or la justice est et doit toujours être l’objet de conflits justifiables en démocratie de compromis provisoires et relatifs à des rapports de force : autant dire que je refuse l’idée de justice divine et de Charia transcendantes!

8/ Mise à plat du réel, en plate-forme, sont les seules fonctions de l'art en un monde
définitivement désenchanté :
Délicat de poser le verdict du "définitivement", d’enfourcher le discours, et le pathos, de la
fin, de l’épuisement : du monde, de Dieu, de l’homme, de la religion… Si le calendrier
pousse à ce genre d’emportements, il faut peut-être résister à des dates qui ne font que frapper
l’entendement, comme dirait Hegel, sans donner véritablement à penser. On a pu écrire que «
le réenchentement du monde était le phénomène le plus marquant de la fin du XXème siècle"
– analyse au moins aussi crédible que celle de Gauchet concluant au désenchantement
définitif. Ce retour sur le devant de la scène des phénomènes religieux – qu’on le constate
pour s’en réjouir ou pour le déplorer, peu importe ! – devrait nous rendre prudents quant à
notre propension à statuer sur ce qui est ou non « définitif ». La fin de l’histoire semble avoir
tourné court, fait long feu depuis le verdict posé par Fukuyama en 1992. L’histoire repart su
tant est qu'elle se soit jamais arrêtée – la seule chose que nous ayons à déplorer est que ce
soit, une fois de plus, sous la forme tragique de guerres, de conflits, ethniques ou non,
religieux ou non, conventionnels ou non. Ce qui en résultera n’est écrit nulle part et dépend de
nous comme citoyens, de la capacité de nos institutions à tenir le coup ou non, de la lucidité
ou de la folie des choix opérés par les différents hommes politiques de tout bord.
 Je pense, pour ma part,  que ce retour du religieux dans le domaine politique impliquerait une révolution idéologique qui serait soit l'effet d'un miracle divin qui convertirait l'humanité d'un seul coup, soit serait catastrophique pour les libertés et la paix dans le monde.
Bref tes remarques, très stimulantes,  me semblent reposer sur une certaine confusion entre ma position et celle qui se dégage, selon moi, de la lecture du roman : mais le mérite de celui-ci est de poser, me semble-t-il, de bonnes questions et, parmi celles-ci, celles qui ont trait au rapport théologico-politique. Peut-il encore y avoir du bien commun dans une société capitaliste libérale qui tend à exclure le religieux comme fondement du lien social et faire de l'individu une valeur en soi; la violence religieuse peut-elle être porteuse d’un sens qui nous alerterait sur le risque de non-sens d’une société marchande généralisée?



   Retour à la page d'accueil