On retrouve souvent, pour dénoncer le clonage reproductif appliqué à l’homme, l’argument qu'il nierait l’altérité, voire la singularité de l’individu humain en le qualifiant génétiquement selon un modèle préexistant qui lui serait identique : celui du donneur des ses gènes ; on ajoute alors qu’il en serait fait de l'autonomie individuelle et donc des droits de l’homme qu’elle fonde. Cet argument m’apparaît triplement fallacieux, car, me semble-t-il, il repose sur une triple confusion et découle d'un postulat éthique continuellement démenti et déjoué par l’histoire individuelle et collective des humains.
Les confusions et amalgames sont les suivants
1) Cet argument admet comme allant de soi que l’identité d’un
individu repose sur la singularité irréductible de la
combinaison
génétique qui définit son génome propre. Or
nous savons tous, et les biologistes les premiers, que
l’identité
d’un individu est l’expression d’une histoire qui met en jeu ce
génome
dans les relations toujours singulières avec les circonstances
et
expériences particulières qu’il a vécu, ainsi
qu’avec
la construction d’une stratégie personnelle active et plus ou
moins
délibérée de formation de la conscience de soi, en
tant que différent de tout autre. Personne, y compris lorsqu’il
a un frère jumeau (homozygote), ne peut être le même
qu’un autre, même quand il décide de s’identifier à
cet autre, car ce désir lui est propre ; ainsi son
expérience,
vécue mémorisée et mémorisante et la
conscience
active (construite) de lui-même lui conféreront cette
identité
différentielle, fondement de l’autonomie individuelle et des
droits
qu’elle exige.
2) De plus il considère comme allant de soi qu’un individu
cloné
ne l’est que par l‘effet d’un projet de réduction de son
identité
à un désir/fantasme d’identification du et/ou au donneur
du génome ; ce peut être le cas en effet ; mais d’une part
tout indique que ce fantasme sera contredit par la
réalité
psychique de l’individu cloné qui ne pourra vivre et se
développer
que par le refus de ce fantasme, au regard de son propre désir
d’être
pour lui-même (conscience valorisante de soi) dans une
société
qui somme chacun à l’autonomie personnelle ; d’autre part le
projet
du donneur ou de celui qui recherche cette filiation peut être
d’une
autre nature dans le cas de l’échec de toute autre
méthode
de procréation médicalement assistée ;
exemple
: faire, non pas revivre un mort, mais faire un enfant avec un mort
aimé
que l’on n’a pas pu faire de son vivant ; ce qui est tout à fait
différent
3) Enfin l’argument fait comme si l’identité d’un individu se
confondait avec une sa « mêmeté » biologique,
voire historique, alors que cette identité évolue sans
cesse
et que cette évolution ne peut être identifiée
qu’à
la condition que le sujet la fasse sienne dans et par la reconnaissance
de soi au travers de cette évolution, dès lors qu’elle
met
en jeu son propre désir d’être. L’identité n’est
jamais
donnée et encore moins au départ, elle est toujours
liée
à une mémoire active et à des projets personnels.
Le postulat fallacieux implicite de cette argumentation contre le clonage est double :
1) D’une part il affirme que l’identité
génétique
et l’identité individuelle sont une seule et même chose ;
ce qui n’est même pas vrai pour les animaux, et l’est encore
moins
pour les humains, encore moins déterminés par leurs
gènes
que ces derniers dès lors qu’ils sont aussi des êtres
conscient
d’eux-mêmes, de culture et de langage
2) D’autre part il considère que les relations symboliques
à
l’identité et à l’altérité ne peuvent que
prendre
la figure de l’identité génétique dont la
permanence
serait la condition de la stabilité de l’ordre et des rapports
sociaux
; or nous savons bien que les symboles eux-mêmes sont des
productions
historiques dont l’évolution est une condition d’adaptation des
sociétés à des situations nouvelles induites par
les
progrès des sciences et des techniques et des modes de vie
qu’ils
génèrent. L’oubli de la dimension historique de la
culture
m’apparaît comme rédhibitoire et me fait considérer
que la con-damnation de tout clonage reproductif n’est rien d’autre que
l’expression d’un fantasme conservateur, voire réactionnaire et
réactif, au même titre que celle, du divorce, de
l’égalité
en droit des femmes et des hommes, de la contraception, de
l’avortement,
de l’autonomie sexuelle, de l’homosexualité etc.. .
Qu’il faille ne pas autoriser un clonage reproductif qui ferait peser un grave danger sur la diversité biologique et l’unicité de l’espèce et sur les chances de développement autonome d’un individu, compte tenu des motivations de ceux qui le pratiqueraient, est une nécessité éthique conforme aux droits de l’homme ; mais cela ne condamne pas tout clonage reproductif pour autant. Les partisans de son interdiction totale et définitive me semblent victime de l’illusion que l’on peut, par une interdiction aveugle, s’opposer à des applications condamnables alors que d’autres seraient positives. Il est vrai que cela obligerait à analyser et à distinguer les cas et à réguler l’usage de cette pratique ; donc à être intelligent et rigoureux : serait-ce là un effort démesuré demandé à des citoyens d’un pays démocratique ?
1) Nous pouvons tous être d'accord sur un point: le patrimoine génétique d'une individu ne définit pas (et/ou ne suffit pas à définir) son identité.
2) Là où nous divergeons, me semble-t-il, c'est sur la vision de cette identité: pour certains elle est posée comme une exigence sacrée qui s'inscrit dans une expérience religieuse et éthique transcendante, laquelle leur appartient en propre en tant qu'expérience de foi; selon moi elle s'inscrit dans le constat empiriquement vérifiable que, dans la mesure où on ne la confond pas avec la "mêmeté"(voir Paul Ricoeur: "Moi comme un autre"), elle est le résultat toujours en train de se faire d'une interaction complexe entre le génome et son environnment naturel, social et symbolique dans un cadre qui fait toujours place aux stratégies individuelles de reconnaissance de soi et de production de cette identité reconnue par l'effet même d'une mémoire auto-centrée de sa propre expérience désirante en relation aux autres, passée présente et anticipée, (imagination) plus ou moins réfléchie et raisonnée.
3) Cette divergence a pour conséquence que, selon moi, toute
reproduction ou thérapie par clonage, ainsi que toute
intervention
sur le génome humain, ne sont pas forcément nuisibles
à
l'autonomie future de l'individu dans un cadre social et relationnel
libéral
dont l'évolution juridique et symbolique s'inscrit comme une
nécessité
adaptative; nécessite dont on peut constater l'exigence dans les
nombreux et bouleversants exemples historiques depuis le
néolithique...;
pourvu que soient préservées, voire accrues les chances
de
cette autonomie individuelle, d'une part, et que l'universalité
du patrimoine génétique humain soit garanti; ce qui
exclut
tout projet centralisé de (dé)formation d'une
humanité
hiérarchiquement prédéterminée et tout
projet
parental qui viserait la "mêmeté" plus que
l'identité
personnelle. Je pense plus profondément que le risque que
beaucoup
pointent de "prémodélisation" et de
prédétermination
des individus réside plus dans les condition, finalités
et
moyens éducatifs (ex: les "sectes éducatrices" plus ou
moins
fanatiques) que dans une quelconque intervention
génétique.
Pour beaucoup de bons esprits, tout clonage , voire toute intervention
génétique, doit être interdite au nom d'une vision
de foi dans la transcendance humaine qui ne détient aucun moyen
empirique et rationnel , ni donc aucune chance positive, de se faire
reconnaître
par tous dans le cadre pluraliste et et donc démocratique qui
est
le nôtre; et cela au risque d'aller à l'encontre
même
de son objectif, car en amalgamant confusément et sur des bases
éthiques et religieuses non-pragmatiques toujours discutables,
dans
une même condamnation, les effets potentiellement positifs et
négatifs
de ces interventions, il rend toute régulation, en terme de
droit
raisonnable et libéral, impossible. Tout interdire c'est, dans
de
telles conditions, ne rien interdire et donc, un jour ou l'autre, tout
laisser faire.
4) C'est pourquoi ma position est, pour l'essentiel, une critique des arguments qui, en sacralisant le naturel et donc en le confondant avec le surnaturel, sont philosophiquement faibles; ainsi, au fond, ce type de discours est paradoxalement "biologiste" (et non pas biologique) et donc réducteur (donc non-libéral), de l'identité personnelle. Cette argumentation maintient les esprits dans la confusion et les amalgames douteux, en jouant sur le fantasme du pire et les pires fantasmes; ce qui nuit à la qualité du débat démocratique qui doit être tranché, en dernière instance, par les citoyens que nous sommes, quelque soient nos convictions religieuses et nos conceptions philosophiques. Plus ce débat sera rationel (mesuré) et nuancé dans ses analyses, plus une régulation efficace des pratiques de bio-pouvoir aura de chances d'être progressivement instituée.
Donc la vraie question serait: À quelles
conditions
affectives, symboliques et juridiques un clone humain pourrait
le mieux être "en situation"
d'interpréter
positivement son origine comme condition de la construction de son
identité réflexive et agissante
propre?
Je précise que cette question est déjà
engagée
dans le cas d'adoption, voire
de l'insémination artificielle par un donneur
de sperme inconnu. Le problème des jumeaux recoupe en partie
cette
question: comment être soi quand on est
identique
génétiquement et qu'on ressemble, voir qu'on est souvent
indiscernable au regard des autres, à son
frère ou à sa soeur?
Le clonage, à mon sens, dans un
société
libérale, produirait, non sans hésitations et
débats,
les conditions de son
acceptation positive; au même titre que le
droit (virtuel) et le fait (déjà avéré chez
pas mal de lesbiennes), pour les
homosexuels, d' être parents d'enfants
biologiques
et/ou adoptés. C'est le problème du rapport à la
norme
qu'entretient la personne qui n'y répond
pas (encore) tout à fait et qui doit faire en sorte, dans un
contexte
qui met
toujours en jeu ses rapports avec les autres et
les valeurs dominantes dont ils font usage, que son identité
subjective s'affirme dans le récit qu'elle
fait de sa vie en vue de l'inscire dans des projets positifs de
reconnaissance de soi. Dire que cela est impossible,
c'est affirmer un ordre symbolique et éthique immuable et
donc non libéral (ordre moral). Ce qui, me
semble-t-il, ne peut être votre position.
Manipulations de l'embryon humain et éthique
À propos de l'arrêt Perruche: du
droit à la qualité de la vie
Limite et régulation du bio-pouvoir
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