Identité personnelle, désir et conscience de soi
 
 
 

    La notion d'identité personnelle est ambiguë: elle peut signifier :
    1) Que le sujet reste ce qu'il est intérieurement, par delà tous les changements qui l'affectent extérieurement;
    changements provoqués par les images de soi, les rôles temporaires négatifs que la société l'oblige à jouer. Bref,
    qu'il existe une vérité du sujet qui serait masquée et trahie par les exigences et les contraintes variables de la vie
    sociales , mais qui se révèle dans une attitude personnelle valorisante constante répondant à des normes morales
    et/ou religieuses prétendument éternelles.
    2) Que le sujet s'appartient à lui-même et que ses changements ne sont que les formes d'expression diversifiés de
    son moi profond dont la seule permanence est dans la transcendance de sa subjectivité autonome par rapport aux
    évènements qui l' affectent et qu'elle investit de ses désirs propres , c'est à dire de son désir d'auto réalisation
    permanente dans la diversité de ses apparences et de ses rôles.
    Les deux significations renvoient à des constructions fantasmatiques et désirantes du sujet dans le cadre d'une
    idéologie sociale dominante mais produisent des effets existentiels bien réels qu'il convient de comprendre et
    d'évaluer.

    Selon la première signification, les changements qui affectent le sujet dans sa personnalité: les évènements qui font
    rupture, heureux ou malheureux, qui marquent à jamais, c'est à dire change le sujet dans son désir d'être et d'agir
    sont déniés: il verra les autres, le monde et lui-même différemment et devra se reconstruire une identité, mais il
    refuse d'assumer cette transformation, cette évolution, au nom de son identité profonde ; pour la mettre sur le
    compte du monde extérieur. L'idée de permanence du sujet est donc illusoire mais comme toute illusion primaire
    elle est rassurante; elle permet au sujet d'assumer le changement dans la fausse certitude de la permanence et donc
    de réduire l'angoisse d'être (le manque d'être) que produit toujours la nécessité de changer, surtout quand ce
    changement est perçu comme négatif et dévalorisant . D'où la tentation de s'identifier à une identité collective
    reconnue et de ce fait valorisante, ce qui permet du même coup de réduire le conflit toujours latent entre soi et les
    autres quant à la valeur que l'on s'attribue et de sortir de l'angoisse générée par l'incertitude du devoir être social
    extérieur. Ainsi les vieillards racontent-ils indéfiniment leur vie comme l'effet de la continuité sans faille de leur
    valeur indéfectible dans l'adversité; leur légende personnelle fait du continuum de la mémoire des évènements et
    des exploits de leur vie la preuve de la permanence de leurs éminentes qualités; l'avantage de cette légende est
    qu'elle préserve la confiance en soi dans des situations d'impuissance relative et de déréliction. Le risque de cette
    fantasmagorie est de rendre difficile une remise en question qui serait, en des situations nouvelles, nécessaire à une
    adaptation efficace par l'invention, risquée pour l'image de soi, de nouvelles valeurs et/ou règles de conduites,
    savoir et savoir faire.

    Quant à la seconde signification, elle maintient le sujet dans le désir de rester autonome, en éveil, pour vivre le
    changement non comme subi et dénié mais désiré personnellement: le doute cartésien en est un exemple frappant; il
    est volontaire et la rupture qu'il provoque est vécue comme salutaire car le sujet Descartes transforme le "ça pense
    (ça doute) en moi" en"je pense (doute) par moi même" et " donc " je suis : non tel ou tel au contenu déterminé,     mais tel que je me fais par mes actes et décisions conscientes et délibérées. Ce libre-arbitre est imaginaire mais il
    maintient le sujet dans l'ouvert de projections (projets) nouvelles (nouveaux) dans lesquelles il peut reconnaître sa
    puissance d'être et d'agir; mais le risque est de ne pas voir ce qui détermine son désir d'être dans ses causes,
    conditions de possibilités et conséquences réelles et de croire que tout est toujours possible, qu'il suffit de le
    vouloir; ce qui ferait de cette fiction une illusion paranoïaque dangereuse, voire mortelle, de la toute puissance
    (souvent accompagnée de délire de la persécution.

    Ainsi la fiction de l'autonomie du sujet est nécessaire dans la société sans modèles existentiels stables, ni valeurs
    indiscutables, qui est la nôtre et qui ne prédéfinit plus les rôles des individus d'une manière invariante (ex : les
    rôles masculins et féminins) ; mais cette fiction ne peut opérer efficacement qu'à la condition que le sujet reste
    lucide, et examine, au regard de leur pertience pragmatique, les représentations qu'il se fait des conditions réelles
    du fonctionnement et de la réalisation de la puissance de son désir d'être qui est son être même. Ce qui, pour moi,
    est la finalité de la philosophie du bien-vivre dans un monde qui a fait de la multiplication des jeux du désir et de
    la transformation des situations et de valeurs de référence son mode normal d'être.

    Sylvain Reboul, le 05/02/01



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