La peine de mort existe encore dans nombres d'états américains et fait encore débat dans ce qu'il est convenu d'appeler la plus grande démocratie du monde: les USA.. Les plus libéraux des américains, les organisations humanitaires, comme «AMNISTY INTERNATIONAL », qui se réclament des droits de l'homme, renouvellent constamment en leur nom, leur condamnation des condamnations à la peine capitale et, parmi les états et gouvernements européens, l'opposition grandit contre une sanction jugée inhumaine et antilibérale. Ce refus de la peine de mort est-il justifiable selon la philosophie des droits de l'homme? Peine de mort et droits de l'homme seraient-ils logiquement contradictoires? Pourquoi alors nombre de personnes qui se réclament des valeurs de la démocratie refusent-elles son abolition?
Tout d'abord il convient de distinguer deux fonctions de la peine:
L’une consiste à éliminer le crime à travers la personne du criminel en l'empêchant plus ou moins définitivement de nuire et à intimider quiconque serait tenté de commettre des crimes par l'exemple de la souffrance publiquement imposée au criminel dans un cadre symbolique qui rend cette condamnation légitime au nom de la loi , de l'ordre public et de la sécurité des personnes, premier des droits et condition première des libertés fondamentales; encore convient-il que soit reconnue l’entière responsabilité du dit criminel quant à l'établissement "prouvé" du fait qu'il en est l'auteur. Dans un tel cadre conceptuel, non seulement, l'efficacité de l'intimidation suppose que la sanction soit à la hauteur du crime, mais la justice exige une sanction proportionnelle réparatrice du crime de telle sorte que la victime et ceux qui pourraient s'identifier à elle, ne se sentent pas doublement victimes: du crime d'une part det de l'injustice de cette non-réparation par défaut de reconnaissance sociale de leur préjudice d'autre part; ce qui pourrait entretenir et alimenter leur désir spontané de vengeance (et de contre-vengeance) que la sanction judiciaire a précisément pour fonction de réduire au nom de la paix civile.
Le problème est que cette vision ne tient pas compte de fait
que l'idée de culpabilité et de
responsabilité,
en droit libéral, est fondé sur un postulat
régulateur
(axiome pratique): celui qu'il n'y a de responsabilité qu'au
titre
de la liberté de celui qui est reconnu l'acteur, sinon l'auteur
du crime. La notion de crime est par exemple évacuée en
cas
de folie ou de légitime défense; car le choix, en ce
cas,
est sensé être nul. D'autre part la question des
circonstances
plus ou moins atténuantes met en jeu celle des
déterminismes
psychologiques et/ou sociaux de telle sorte que nul ne peut affirmer
avec
certitude que l'individu est entièrement responsable de
son
acte et par conséquent il reste toujours un doute sur sa
qualification
criminelle.
L'autre vision de la peine alors sera moins une sanction visant
à éliminer le criminel afin d'intimider quiconque
serait
tenté par le crime qu'à corriger le criminel et/ou
à
le reconditionné afin qu'il se libère du
déterminisme
négatif éventuel qui l'ont conduit à le commettre
en vue de sa réinsertion. Il s'agit alors de lui
faire
subir une souffrance susceptible de satisfaire au moins symboliquement
les victimes tout en lui faisant prendre conscience de la faute qu’il a
commise afin qu'il se réinsère librement dans la
société
après avoir purgé sa peine. Une telle fonction
pénale
est plus cohérente que la première car elle place la
liberté
du criminel au centre de sa problématique: on ne peut condamner
quelqu'un à un sanction définitive (peine de mort et ou
sanction
dégradante de sa capacité de se libérer de son
crime);
dès lors que sa culpabilité reste problématique et
que la liberté qu'on lui suppose pour le condamner exige qu'on
lui
laisse une chance de se réhabiliter dans le futur.
Pour résumer, ce qui condamne la peine du mort au nom du droit libéral est:
1) Qu'elle méconnaît la différence entre être acteur d'un acte et en être responsable, différence toujours incertaine et relative, ce qui logiquement exclut une sanction aussi radicale et inconditionnelle.
2) Qu'elle enferme le criminel dans son crime et ne distingue pas la personne de son acte et donc l'asservit à son passé d'une manière définitive par le fait qu’elle est absolue, incorrigible et ne lui laisse aucune chance de se choisir non-criminel.
Petite remarque terminale: la peine de mort serait d'autant plus acceptable qu'elle ne serait pas considérée comme définitive dès lors qu'un jugement d'appel post-mortem serait possible et ouvrirait sur un possible rachat ou sur le fait d'être justement innocenté en une autre vie: le jugement de Dieu. Selon la formule célèbre: "Tuez les criminels et Dieu reconnaîtra les siens", condamner à mort revient donc se réclamer de la justice divine à un double titre: prendre la place de Dieu pour décider de la culpabilité absolue et non-relative du criminel et faire appel à Dieu pour corriger un mauvais jugement éventuel; ce qui est le cas aux USA dont le caractère laïc des institutions n'est pas évident et il n'est donc pas étonnant de constater que les états les plus hostile à l'abolition de la peine de mort sont souvent les états les plus religieux. Comme quoi la séparation entre droits de l'homme et religion (droit de dieu), donc l'affirmation de la laïcité de toute justice humaine démocratique et non théocratique est nécessaire pour que l'abolition de la peine de mort s'impose comme un décision logique du point de vue des droits de l'homme.
Sylvain Reboul, le 30/05/02