La mort

Comment vivre dans la certitude de la mort?
 
 

Méditation épicurienne...,
 

 La mort n'est pas un problème, encore moins un mystère, car, même quand nous le dénions, nous savons ce qu'elle est: rien. C'est même ce que, d'expérience, nous savons le mieux.
Comment mourir tranquille doit être la seule question digne de nous. Seules la douleur et la dégradation psychique sont indignes; tous les moyens sont bons pour que cela cesse, quand nous savons -et nous le savons certainement- que c'est la fin.

Dans le mourir, il n'est convenable ni de souhaiter ni d'espérer -car le souhait est un creux du songe et l'espérance demeure passive; contentons-nous de vouloir en finir définitivement. L'impuissance de vivre nous épuise, nous et nos proches; donner son congé au désir épuisé est la moindre des politesse que l'on doive aux autres et à soi.

La conscience de soi abolie, la vie des morts est à la disposition des vivants; les morts ne sont pas nos créanciers; puisque ils ne sont plus rien, si ce n’est dans la mémoire des vivants et ceux-ci ont le droit de faire de leur souvenir ce qu’ils désirent, y compris les oublier ; les souvenirs des morts les suivent mais ne leur ressemblent plus; chacun n’est débiteur que des vivants avec lesquels il s’est engagé et de ceux à qui il a transmis le vie.

Notre vie et celle de ceux avec qui elle s’enroule seule nous importe; c'est pourquoi il convient de vivre en digérant la mort et les morts dans la certitude que nous le serons à notre tour.

La philosophie au service du bonheur doit être une méditation non sur la mort, mais sur la vie.
 

Sylvain Reboul, le 04/03/99 



La religion et la mort

Il est juste de dire que la question de la mort est universelle; mais toute  religion, et surtout les religions monothéïstes, transforme cette question en celle de l'après-mort; en ce sens elles substituent l'angoisse de l'après-mort  à la peur de la mort: toutes elles parlent de jugement dernier de Dieu qui peut nous condamner sans même nous entendre et faire droit à notre défense (voire qui nous a déjà damné dans la version hard de l'augustanisme). Qu'avons-nous à gagner (et à perdre) aujourd'hui à cette substitution?

Le problème de la mort est, à mon sens, celui, non de l'après, mais du maintenant de la vie: comment s'accepter mortel, dès lors que pour l'instant ce fait semble indépassable? et surtout comment accepter la mort de ceux qui nous sont proches?

Il me semble que la seule manière efficace d'éviter de soumettre sa vie à l'obsession impuissante de l'après-mort et au sentiment du péché  qu'elle engendre est de philosophiquement savoir ce qu'elle est: la fin de la vie de l'organisme, corps et esprit, c'est à dire rien; sauf chez ceux qui survivent et garde le souvenir et préservent les oeuvres des ex-vivants. De plus il convient de connaître scientifiquement ce qu'est biologiquement la mort, ses causes naturelles et accidentelles, pour la combattre; ce que fait la médecine depuis toujours et de mieux en mieux jusqu'à mettre tout mettre en oeuvre, par exemple,pour lever le caractère inéluctable de la mort naturelle et qui, déjà, s'efforce de prolonger la vie indéfiniment. Quant à la souffrance provoquée par la mort, naturelle ou non, des autres, elle relève d'un traitement psychiatrique lorsque le sujet ne peut parvenir avec ses seules ressources psychologiques, voire philosophiques, à se raisonner.

Plus la question de la peur et de la souffrance face à la mort devient l'objet d'un possible traitement scientifique,  technique et psychologique (travail du deuil) efficace, moins elle est vécue comme un problème religieux et métaphysique.
Seuls ceux qui ont intérêt à préserver les anciennes croyances surnaturelles de l'après-mort pour pérenniser leur pouvoir sur les consciences en recourant à la crainte de Dieu afin d'imposer une morale de la soumission aux prètres et au pouvoir politique qui se réclame d'elles, s'efforcent de combattre comme sacrilèges les progrès de la biologie et de la médecine pour faire de la peur de la mort une question rationnelle.

Si la religion est une thérapie symbolique et sociale contre la peur de la mort qui a eu historiquement, faute de mieux, une indispensable efficacité, car elle a préservé l'espèce d'une dépression auto-destructrice, ses effets secondaires de dépendance peuvent et doivent, aujourd'hui  être combattus par une conception rationnelle de la vie (voir "L'avenir d'une illusion" de Freud) qui prend la mesure des développements des connaissances scientifiques et de leur possible efficacité thérapeutique dans la lutte contre la souffrance physique et psychique générée par la mort et la peur légitime qu'elle provoque.

S.Reboul, le 01/05/2000


L'angoisse de la mort

L'angoisse de la mort est une réalité psychologique: nul n'accepte de ne plus être conscient de lui-même et de voir abolie, effacée l'image de soi dans le mépris et le déréliction. Cette angoisse est sans solution philosophique; elle est réduite par notre capacité à maintenir le plus longtemps possible le contact et la communication positive avec autrui; et si celle-ci s'avère impossible, et/ou si la douleur est telle qu'elle avale tout, sans issue; alors le désir de vivre (en effet infini) doit être transformé en désir d'en finir. Et du reste cette tranformation vitale s'impose d'elle-même: ce que les médecins appellent le glissement. La question de l'après-mort, alors, ne se pose que pour le croyant; mais pour quel bénéfice? Celui d'une consolation ambiguë: Je crois que je vais vivre éternellement et je m'abandonne à Dieu et à son jugement ultime. Illusion positive (au sens de Freud: croire à une vérité pour le seul motif que l'on a besoin d'y croire pour satisfaire un désir)? Peut-être à ce moment là; et encore faut-il être assuré de n'être pas parmi les damnés; mais avant, que faire du sentiment du péché, de l'obéissance à Dieu, du refus absurde de l'égoisme (dont il faut faire, en effet, un usage altruiste pour être heureux), du sacrifice de soi pour être sauvé (perdre sa vie pour la gagner) etc...?
S.Reboul, le05/05/2000



Il y a-t-il une contradiction logique entre le désir de vivre et conscience de la mort?

Non car les relations d'opposition ou de non-opposition entre la vie et la mort  n'y sont pas envisagée sous le même rapport ni forcément en même temps: Quand je pense à la vie en terme de projet je ne pense pas à la mort, sinon comme une possiblité lointaine hors projet; quand je pense à la vie en tant qu'elle est affectée par la certitude de la mort, je la pense hors tout projet de vie en acte, en tant qu'entité métaphysique vide de tout désir concret; ce que je m'abstiens de faire comme nous le recommande Spoinoza. Le fait de désirer vivre tout en sachant que l'on va mourir n'est donc pas une contradiction logique (pas plus que le fait de savoir que ce soir il fera nuit alors que nous sommes en plein jour), c'est tout au plus au contrariété psychologique dont il convient de savoir comment la traiter au mieux. L'être vivant, pour moi, comme pour Spinoza, se confond avec la puissance d'agir du désir et les actes qu'elle produit. Désirer mourir c'est désirer ne plus désirer: je n'en suis pas encore là, et même en ce cas, il n'y aurait aucune contradiction car je ne serais plus un vivant mais un mort en sursis. Le principe de contradiction semble bafoué parce qu'on "ontologise" absolument le terme d'être et de vie, à mon avis à tort, si l'on désire mieux vivre...
Le 23/11/02.


Le  principe d'insuffisance


Le sentiment insupporté de l' insuffisance de la vie ici-bas procède de la passion de l'absolu, c'est à dire du désir de jouir totalement et éternellemenent du tout et donc du refus de la mort, de le finitude comme anéantissement du désir et de la frustration irrémédiable de ce désir infini et totalisant que la mort anticipée de soi et plus encore celle, actuelle ou virtuelle, de ceux qu'on aime, provoque nécessairement. Le "conatus" est toujours marqué par la conscience de la mort comme son envers nécessaire; c'est à dire indispensable à l'infini rebondissement du désir de vivre et de jouir de la vie . 

Par conséquent l'authentique sagesse philosophique, selon moi, consiste alors à admettre, contrairement aux religions, cette insuffisance comme nécessaire au désir de vivre le plus longtemps possible dans le temps; il faut remarquer en outre que cette insuffisance est une des caractéristique de la raison: aucune raison ne peut être suffisante alors même qu'elle peut être nécessaire. Il n'y a pas de raison suffisante possible de l'existence du monde et de la nôtre pas plus qu'il n'y a de raison suffisante aux axiomes mathématiques. Le principe de raison suffisante est en tant que tel hors du pouvoir de la raison. Il ne peut relever que de la foi qui nous conduit à désirer passionnellement une autre vie que celle barrée par la mort. Bref qui provoque en nous le rève passionnel car absurde d'une vie sans troubles ni désir, ni manque, ni mort, ni souffrance, en nous aveuglant sur le fait que cette vie serait proprement invivable car totalement insensible.

La seule vie sans mort possible est la mort sans vie possible. Désirer ou aimer Dieu, c'est toujours refuser la nécessité vitale de la mort.

"Qu'est ce donc que cette chose : "la nécessité vitale de la mort" ?"

Je répondrais sur deux plans:

Biologique en général: La reproduction et l'évolution du vivant supposent la mort et la sexualité.

Humain en particulier: La conscience de la mort est la condition du désir d'être et d'agir; qui se croirait immortel n'aurait de désir à rien (pas même le désir de faire des enfants), si tant est qu'il ait encore des besoins biologiques.

Vivre et désirer vivre pour l'homme ou éprouver le besoin de survivre pour l'animal et l'homme sont une seule et même chose ici-bas pour qui ne croit pas (ou ne désire pas croire, voir plus bas) dans l'au-delà. Vivre c'est appéter (Spinoza)..

Cela ne veut pas dire que tous les désirs et plaisirs soient bons: sont bons ceux qui accroissent notre puissance d'agir (ex: le désir amoureux partagé, le désir de créer, le désir de justice) sont mauvais ceux qui nous affaiblissent et au bout du compte provoque la tristesse (le désir de drogue transformé en besoin artificiel, le désir de se soumettre aveuglément à une puissance supérieure incontestable), la maladie, la dépendance et la mort par extinction du désir de vivre...

L'hédonisme est une non-philosophie puisqu'il exclue la réflexion qui seule peut nous faire distinguer et connaître les bons et les mauvais désirs et plaisirs: cette distinction est centrale chez les grecs et dans toute éthique eudémoniste (ex: Spinoza)

De la distinction entre la peur de mourir et l'angoisse de la mort

La conscience de la mort fait partie de ce que certains appellent la conscience spirituelle que je préfère nommer la conscience de soi, soit pour la nier au profit de fantasme de l'immortalité outre-tombe en un autre monde, soit pour l'assumer au profit du désir de vivre plus sagement, plus "créativement" pour soi et/ou pour ceux qui nous suivront en ce monde. Ce débat est universel, il traverse toutes les cultures; il suffit pour s'en convaincre de s'interesser à l'histoire "des" religions et "des" philosophies.

La peur de la mort, comme anéantissement ultime reconnu et assumé n'est pas l'angoisse de la mort devant une existence post-mortem inconnue, inconnaissable et donc inassumable (ex: le jugement dernier); si l'angoisse paralyse, la peur, si on en fait bon usage, peut dynamiser. Relire Epicure et Lucrèce..qui disent que nous connaissons expérimentalement la mort, de soi et des autres comme anéantissement total, sauf dans le souvenir des vivants et que nous n'avons rien à gagner à en faire une inconnaissance métaphysique qui transforme nécessairement la peur en angoisse religieuse....

Le 4/01/04

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