Par Monsieur Alain Jattiot cadre dans un compagnie pétrolière française.
Alain Jattiot
Voici ma participation certes partielle et
lacunaire à votre débat.
« Que veut-on dire lorsque l'on parle
de l'inhumanité de certains hommes? L'expression est
ambiguë
» mais est-ce que cela a un sens
d’utiliser
cette expression. Ne doit-on pas substituer les termes de culture,
civilisation,
éducation (pedeia) dressage (Züchtung) valeur, morale,
droit
qui s’opposent aux passions, aux affects aux instincts à la
cruauté
et à la nature ? La formule conclusive : "Il
convient de ne pas croire que l'inhumanité soit hors de la
nature
humaine, si tant est que cette notion ait un sens hors un contexte
humain
plus ou moins favorable au développement de la
réciprocité
éthique régulatrice du désir (…) »
me plait bien. Mais « veut-on
souligner
qu'ils se comportent comme des animaux en leur déniant leur
nature
humaine comme si tout homme devait spontanément aimer son
prochain
ou à défaut au moins le respecter, veut-on les
considérer
comme des monstres inhumains qu'il conviendrait de mettre hors
d'état
de nuire sans procès (éventuellement par la mort ou la
suppression
perpétuelle de liberté), ni respect de leur droit
à
avoir des droits? » Dans cette
expression
deux thèmes : pour se débarrasser d’un homme, miroir de
mon
« immoralité » pour masquer peut-être mon
«immoralité
» ne dois-je pas le condamner, le désigner « bouc
émissaire
», victime désignée à l’immolation,
espèce
nuisible comme les poux, le désigner à la lapidation ? et
ainsi lui refuser tout droit de se défendre ou est-ce vraiment
un
« monstre » qu’il faut mettre hors d’état de nuire
(crimes
contre les enfants ou viols d’enfants) », parce que devant ces
actes
surgit l’infra-conscient, l’inexplicable, les pulsions de mort pas
toujours
réfrénées par l’éducation et le dressage,
mais
qui interpellent nos sociétés car rien ne dit que
ces comportements ne sont pas le fruit de
la culture de la société dans ces associations et ses
exclusions,
ses unifications et ses marginalisations. "veut-on,
au contraire, rappeler à tous que les hommes ne sont pas
forcément
humains, au sens moral, que la nature de l'homme peut conduire à
des actes inhumains, qu'il convient de sanctionner en tant qu'ils sont
humains et que leurs auteurs sont censés être conscients
de
la nocivité de ces actes, et donc qu'ils en sont coupables?
Cette
expression renvoie-t-elle à un constat: celui qui fait d'un acte
commis par un homme une contradiction logique
quasi-incompréhensible
pour qui pense qu'un homme ne peut qu'être naturellement
animé
de sentiments favorables aux autres (spontanément altruistes)?
»
mais pourquoi donc un homme serait animé de sentiments
favorables
à son prochain s’il a le sentiment d’être exclu,
marginalisé
? L’exemple du professeur de latin vivant dans une ruine et «
récupéré
» par une association qui lutte contre la solitude et aide les
hommes
à retrouver la société, le social montre bien que
les comportements des hommes ont besoin en permanence d’être
«
consolidés » « encouragés » par les
liens
sociaux, liens de fraternité et de solidarité. L’homme
cet
ange déchu, cet être révolté prêt au
pire
et au meilleur doit en permanence s’interroger, remettre à
l’ouvrage,
philo-sopher. Mais l’amour de la sagesse n’est pas inné, ni
acquis
définitivement. L’homme peut sombrer déchoir. Pour
«
restaurer le sens de l'humanité en chacun, le sens de son devoir
d'humanité (altruisme), sur fond de possible perversion ou
malfaisance
spontanées des intentions humaines égoïstes dans le
sens où elles compromettent radicalement l'humanité et
l'exigence
de réciprocité positive en chacun, y compris chez celui
qui
passe de l'intention à l'acte? » affirmer la
supériorité
de l’éthique, la probité mais ces frères
liés
par le sang qui « finissent » quatre adolescentes dans un
sinistre
blockhaus, qui fait le lien historique, sur fond sonore de la
chevauchée
des Walkyries et du fracas des bombes qui scellent l’effondrement du
Reich,
avec le rêve bestial d’un règne millénaire sur une
gigantesque armée d’esclaves. La culture et l’éducation
sont
au centre de la problématique car inhumain, humain ou trop
humain,
effectivement «Selon que l'on
confond
ou non la nature de l'homme avec ce qu'elle doit être au sens
éthique,
et la valeur de la personne et celle de ses actes, la question de
l'inhumanité
de l'homme peut engager des pratiques du droit et de la justice
radicalement
différentes. » Ce qui me
passionne
c’est bien sûr le pourquoi de la « bestialité
»
et du comment atteindre la « sur-humanité » ?
Où
sont ces phares de la civilisation ces « surhommes »
éclairant
le troupeau bêlant, souvent incapable de deviner le
précipice
approchant et grisé par la course en avant qui mène tout
droit à celui-ci ?
Reste toujours la question que
« tous que les hommes ne sont pas forcément humains, au
sens
moral » et qu’il faut leur donner
ce
sens moral. Et qui donne ce sens moral ? Si l’organisation d’une
société
avec ses règles et ses droits est contestée par une
minorité
est-ce que pour autant on parlera de révolte légitime ?
La
thèse du « coup de poignard dans le dos »
légitime
les défilés en armes dans les rues de la cultivée
république de Weimar et les « ratonnades » avant
l’heure.
La morale est attachée à une société
c’est-à-dire
à l’existence d’un consensus. Je crois comme Camus que la
liberté
de l’homme est limitée, mesurée par la liberté de
l’autre et que cette mesure, cette limite est le seul fondement du
droit.
Qu’il existe par la civilisation et la culture un corpus de droits
universels
de la personne humaine et que l’histoire (sa connaissance et sa
conscience),
notre passé sont les seuls éléments (la force de
l’exemple)
pour fonder ce corpus. Rien d’autre ne peut légitimer les
droits.
Votre droit commence là où le mien commence.
La violence, issue de la révolte serait
légitime pour autant qu’elle ne«se laisse pas contaminer
par
le ressentiment» ? Pour échapper à cette
difficulté,
seul le dialogue peut nous sauver de ce «cycle
vicieux du mépris et de la non-reconnaissance subjective de soi
par l'autre, par soi à travers l'autre et de la méfiance
réciproque » Je suis donc
d’accord
pour dire que « L'humanisme
éthique
suppose des conditions relationnelles favorables qui transcendent les
capacités
d'action des individus isolés; »
Je reviens sur le thème de l’humain
trop humain et sur l’exemplarité et la violence. En effet nous
constatons
que l’épreuve de la violence, son apprentissage détermine
plusieurs comportements, plusieurs attitudes des
hommes. La justice peut être issue de
l’histoire et l’histoire sert à cela mais elle connaît les
limites. Voilà le texte que je me suis permis d’envoyer à
un élève sur le thème « est-ce que
l’histoire
nous enseigne queque chose » : « Le système
victorien,
système régulateur crée l’équilibre entre
les
empires, la monnaie impériale et mondiale est la livre, le
commerce
international est « « britannique ».Tant que ce
système
existe lié d’ailleurs à la vie de la Reine Victoria, les
cousins restent calmes. Après sa mort on voit monter le
militarisme
prussien et les gesticulations du Kaiser Guillaume II, mais on voit
aussi
se mettre en place un système d’alliances qui contiennent dans
leurs
clauses une bonne dose d’automaticité qui fait que ces alliances
s’enclencheront dans une succession mortelle et impossible à
arrêter.
Ces alliances représentent une véritable machine
infernale.
Les guerres balkaniques servent d'expériences pour le futur.
Sarajevo
sera le signal sanglant et les périls submergeront la vieille
Europe
qui dans l’affaire y perdra sa prééminence sur le monde.
Ces processus « inéluctables » vont servir de
leçons
mais chacun retiendra la leçon qu’il voudra.
Peut-on espérer que l’histoire
réponde
aux aspirations des hommes, qu’elle soit un progrès au sens que
l’on retire tous les enseignements de celle-ci.
Ainsi à la fin de la Grande Guerre
le cri des hommes et des femmes et d’abord des anciens combattants
«
Plus jamais ça » mais aussi cet apprentissage de la
violence
des anciens combattants allemands qui prépare la violence
extrême
jusqu’à l’autodestruction du
IIIème
Reich cherchant par tous les moyens à entraîner les autres
nations dans ce goût de la mort, ce désir fanatique de la
violence qui se retourne contre soi et qui se traduit non seulement par
l’holocauste mais aussi par cette résistance acharnée
à
Königsberg face aux russes, du Vaterland, Königsberg pointe
extrême
de celui-ci. Home, sweet home. Quelle dérision !
Déjà on constate un
apprentissage
contradictoire c’est-à-dire que finalement on retient tout mais
c’est aussi dire que l’on ne retient rien. , qu’il n’y a pas
accroissement
de la sagesse. Doit-on se résoudre alors à ne voir en
l’histoire
qu’une évolution contingente sans sens, sinon sans signification
? Si sens il y a, est-il transcendant ou immanent à
l’activité
humaine ? Pourquoi s’intéresser au passé des hommes si
leur
histoire n’a pas de sens et si elle est purement contingente ? Si
l’étude
de l’histoire apporte un enseignement au sens moral car au sens
scientifique
il n’y aurait pas de progrès, seul le sens moral est visé
ici, alors il y a l’idée de progrès qui surgit. Mais
cette
idée de progrès est problématique si on s’en
réfère
au précédent exemple de la Grande Guerre. Le paradigme de
la seconde guerre et de
la dépression sert de leçon
puisque les Etats mettent en place des instances de régulation
politique
(ONU), monétaires (FMI), culturels (UNESCO), économiques
(Banque Mondiale). Malgré ces leçons d’histoire, est-ce
que
les inégalités ont régressées (source de
désordre),
est-ce que les cris en ce moment qui montent d’une certaine bande de
terre
enfermée, encerclée, ces cris de désespoir ne sont
pas aussi assourdissant que les silences des camps d’où montait
une sinistre fumée ? Quelle est alors la leçon de
l’Histoire
si les hommes ne retiennent pas la leçon ? Défaut de
mémoire
alors qu’il faudrait accomplir le devoir de mémoire. L’Ethique a
bien du mal à se frayer un chemin au milieu des
égoïsmes
irrédentitaires (cf. ; politique de Milosévic).
La notion de progrès est bien
subjective
car les hommes de bonne volonté sont vite submergés par
les
bons droits qui sont issus de l’attachement à une terre à
une histoire sacrée au mépris de la
nécessité
de la coexistence pacifique,
au mépris de la réalité
passée de la fusion des civilisations et des cultures
transcendées.
L’histoire peut être un enseignement pour l’individu
malgré
les tragédies qui ont traversé les siècles de
l’humanité,
car il ne faut pas
désespérer sinon l’homme ne
chercherait pas à fonder ou refonder l’éthique ; aucun
cri
n’échapperrait de l’amoncellement des ruines pour
réaffirmer
ce besoin de probité vis-àvis de soi-même et pour
refonder
des règles de vie du « parc humain » qui soient un
réel
progrès et surtout qui anticipent sur les problèmes
à
venir (Bio-éthique).
La question de l’histoire rebondit sur la
nécessaire éducation même si les effets de
celle-ci
ne sont jamais garantis ; l’homme ne peut être
pré-déterminé;
chaque fois il faut remettre à l’ouvrage comme Sisyphe. C’est
ce qui nous fait vivre, cette liberté
cette rupture au monde, être-dans-le-monde, façonnant le
monde
et cherchant à donner un sens à tout cela. Mais l’homme
éduqué
reste un homme mû par ses passions. Tout ce que nous
pouvons faire c’est définir les
conditions
qui instituent une société civile.
Il est clair que ces conditions ne peuvent
être elles-mêmes que le résultat d’un long
développement
historique, dans et par lequel les hommes ont fait l’expérience
négative des effets violents de l’insociabilité. Il faut
donc réaffirmer la nécessité « absolue
»
de l’enseignement de l’histoire malgré tous les échecs et
les tentatives. Les évènements auxquels j’ai fait
référence
plus haut (conflit israélo-palestinien)montre que les hommes ne
renoncent pas à la paix car l’histoire leur a enseigné
que
la paix vaut mieux que la guerre.
Les tentatives diplomatiques ultimes, presque
désespérées, pour arracher une entrevue, le
montrent.
»
Ce commentaire montre la difficulté
mais qui est du même ordre que le pourquoi les civilisations
naissent
se développent et disparaissent. Il n’y a pas de
déterminisme
ou de dialectique mécaniste mais cet alliage entre
liberté
et
nécessité ou cette ligne de
croisement entre ces deux plans d’immanence puisque je pose la
liberté
là mais aussi cette nécessité de vivre cette
liberté.
Cette ligne de coupure, cette ligne de démarcation n’est-elle
pas
l’éthique qui se forme et se reforme comme un éternel
retour
sur soi et du même. Qui veut faire l’ange fait la bête !
Le 11/11/2000