Entre Monsieur Gérard Blanc, juriste à la retraite, et S.Reboul
Monsieur Gérard Blanc est un très pertinent connaisseur des grandes religions de l'humanité; il intervient régulièrement, sous le pseudo, succube, dans dans les forums philosophiques
Deux positions possibles:
1) Un homme doit par principe toujours
être
considéré comme ayant des droits et être
respecté
comme tel: le droit d'avoir des droits est universel car toute
violation
de cette exigence ouvrirait la porte à l'arbitraire, c'est
à
dire à la
négation de l'humanité chez
qui l'on veut exclure, détruire ou dominer. Le refus de
l'humanité
chez un homme, quelqu'il soit, serait la porte ouverte à la
légitimation
de la violence. Ce qui ne va pas sans poser le problème de la
violence sur les non-humains (animaux).
2) Mais certains hommes paraissent
dépourvus
de la capacité de respecter cette exigence et se conduisent
d'une
manière inhumaine (voir les crimes contre l'humanité);
ils
seraient justifiables d'une sanction exemplaire pour
inhumanité caractérisée,
au nom de cette humanité qu'ils bafouent chez les autres et en
eux-mêmes:
ils sont monstrueux et doivent être éliminés; or
cela
veut dire que leurs actes ne peuvent peuvent être reconnus comme
humains, ils manifestent et/ou constituent leur nature non humaine.
Au
nom de la nature universelle sociale et solidaire de l'homme toute
sanction
doit être réductrice de leur droit y compris de vivre
et/ou
de se racheter.
Cependant cette confusion entre la valeur
de
la personne du criminel et celle de ses actes peut tout autant
justifier
l'innocence de celle-ci; dès lors qu'elle est reconnue comme non
responsable; elle n'est pas coupable et son exemple n'a rien de
dissuasif,
ni de propédeutique pour les autres. Cette position, de plus,
justifie
l'usage de la violence vengeresse ou exterminatrice au nom d'une
idée
restrictive de l'humanité; ce qui ne va pas sans contradiction:
peut-on décider que certains hommes doivent être exclus de
l'humanité, sous prétexte qu'ils se se sont conduits
d'une
manière moralement inhumaine, sans compromettre
radicalement
l'universalité de celle-ci, au seul profit de la violence
arbitraire?
Tout violent pourrait alors se réclamer de la violence subie,
jugée
inhumaine, pour légitimer la violence commise.
Ainsi seule la distinction de la valeur de
la personne et celle des ses actes fait que la personne est
reconnue
responsable (donc autonome) et donc coupable de ses actes; la sanction
méritée ne fait que restaurer, en elle-même et pour
tous les autres, le sens de leur humanité, compromis par les
actes
. Il convient de ne pas croire que l'inhumanité soit hors de la
nature humaine, si tant est que cette notion ait un sens hors un
contexte
humain plus ou moins favorable au développement de la
réciprocité
éthique régulatrice du désir.
Reste le problème redoutable des
individus
qui n'ont pas ou perdent leurs capacités cognitives au point
d'être
déclarés entièrement irresponsables de leurs
actes:
pas de pensée autonome, ni parfois de paroles; pas de conscience
de leur humanité. Les êtres dépourvus de
raison...(et
donc de comportements et d'affectivité humaines) peuvent-ils
être
considérés comme des êtres ayant le droit d'avoir
des
droits? La tutelle juridique permet de transférer à
d'autres
l'exercice de ce droit sans le supprimer.
Et cet exercice exige de tout mettre en oeuvre pour réduire la
souffrance
et développer les capacités humaines de celui qui est
victime
innocente de cette inhumanité de fait (et non de droit)
La question de l'inhumanité de
l'homme
se présente sous la forme d'un paradoxe, mais nous savons que ce
paradoxe n'est qu'apparent; si l'inhumanité ne renvoie pas
à
une nature figée substancielle, mais à la violence
des actes, alors la violence est humaine, en cela que tout homme est
supposé
comprendre (reconnaître) cette violence comme nuisible aux autres
et à lui-même au moment même où il la commet
et qu'il sent que la violence qu'il commet engendre une souffrance qui
pourrait être sa propre souffrance s'il la subissait , au point,
parfois d'en jouir par personne interposée. Cette
inhumanité
exprime donc son humanité sous une forme nuisible: il sait ce
qu'il
fait.
Toutefois on peut et on doit s'interroger
sur l'origine des actes inhumains: la violence commise peut être
la conséquence d'une violence subie: la violence s'inscrit
presque
toujours dans le cycle vicieux de la méfiance réciproque,
du mépris et de la non-reconnaissance subjective de soi par
l'autre,
par soi à travers l'autre. Mais cela ne signifie pas que
l'action
violente soit déshumanisée, cela signifie seulement que
l'on
ne peut reconnaître positivement
les autres que si l'on pense pouvoir
l'être
soi-même. La violence est systémique et sa gestion
symbolique
ne l'efface pas, mais en maintient le risque à distance du
passage
à l'acte jusqu'au moment où le jeux des relations impose
une souffrance morale telle que la seule issue à court terme
pour
préserver l'image valorisante de soi, condition
nécessaire
du bonheur, parait être de l'objectiver sur et aux dépens
d'autrui, jusqu'à en être soi-même victime en retour.
L'humanisme éthique suppose des
conditions
relationnelles favorables qui transcendent les capacités
d'action
des individus isolés; il est clair à cet égard que
la peine de mort et d'emprisonnement dans les conditions actuelles ou
l'on
interdit, par exemple, les relations sexuelles avec les partenaires
extérieurs
(mais où on distribue des préservatifs, car on sait que
les
rapports entre prisonniers, parfois violents, engendre la
propagation
du sida) sont des peines inhumaines qui entretiennent le cycle de la
violence,
car elles traitent la personne comme si ses actes devaient l'exclure de
ses droits fondamentaux à la vie et à l'amour
réciproque.
Comme quoi l'inhumanité n'est jamais le seul fait de l'autre
criminalisé.
Monsieur Gérard Blanc:
Le drame de tout discours de philosophie
positive
est qu'il donne souvent l'impression , malgréb la qualité
de son argumentaire , de se développer en état
d'apesanteur
sur du vide qu'elle que soit par ailleurs la rigueur de la
pensée.
Ce type de philosophie cherche par principe à imiter
l'idéal
du raisonnement scientifique à base déductif sans
cependant
pouvoir bénéficier comme lui en fin de course de la
possibilité
d'une vérification expérimentale .De même , pour
assise
, il fait appel ,comme lui , à des axiomes ou des
présupposés
sur des points fondamentaux dont il se dispense
d'étudier la provenance ainsi que la
solidité et ceci sous le prétexte plus ou moins conscient
que la légitimité de la question permet de se dispenser
d'un
approfondissement sérieux mais nécessairement pesant de
ses
bases de départ . Dans l'urgence à aborder les "
véritables
" problèmes on se dit qu'il faut courir à l'essentiel
c'est-à-dire
dégager l'aspect pratique du problème , en sérier
les divers points de vue pour mettre rapidement en oeuvre un "agir"
où
l'homme sérieux puisse se
reconnaître
. Mais ce qui est excusable pour la science dont l'essentiel revient
à
administrer des choses où un contresens
généralisé
et continu est de peu de gravité ( théorie historique de
l'atome partie insécable par exemple ) devient plus
délicat
dans un domaine où l'essence et la liberté et
peut-être
la vie de l'homme sont en question .
Je remarque que dés le début
de votre intervention " que veut-t-on dire lorsque l'on parle de
l'inhumanité
de certains hommes ?" vous marquez un premier embarras pour
circonscrire
votre question , car quelques soient les détours que vous
utilisez
, il ne vous échappe certainement pas que le préfixe "in"
à valeur privative , valeur d'un manque et que c'est sans doute
en définissant l'humain que l'on a le plus de chance en toute
logique
d'approcher la notion d'inhumanité et ceci bien avant de toute
interrogation
sur le fait de savoir si celle-ci serait un attribut accidentel ou
relatif à des actes d'une essence
particulière
. Mais l'humain étant un grand problème de philosophie
spéculative
, quasiment tabou pour cause de danger de fuite vers la transcendance,
on recourt donc , car on ne peut guère s'en passer , à
des
définitions circonstancielles celles que
l'on juge les plus aptes à nous
faciliter
la tâche . Vous définissez ainsi l'humanité par
"une
exigence de réciprocité positive " et aussi par " un
contexte
favorable au développement de la réciprocité
éthique
du désir " abandonnant ainsi , curieusement , celle plus courte
, mais qui a suffi ,depuis toujours, et chez tous les philosophes ,
à
satisfaire absolument tous les développements de la
pensée
rationnelle " l'homme est un animal raisonnable "
Si vous mettez spontanément cette
définition
de côté , c'est bien sûr parce que vous savez
qu'elle
ne vous amènera pas très loin et ceci parce que vous
sentez
qu'il y a quelque part , dans votre question , quelque chose qui a
trait
à l'éthique , non pas à la morale, mais à
l'ethos
c'est-à-dire au sens de l'humain que la morale positive peine
tout
aussi bien à définir . Qui donc , en effet, pourrait
affirmer
qu'un criminel auteur de crimes abominables est de ce seul fait
privé
de raison ? Personne de sensé évidemment mais pour autant
il reste inhumain ou mieux l'inhumanité le possède . Mais
comme vous êtes l'héritier d'une très vieille
civilisation
chrétienne , vous vous acharnez à lui conserver au nom
d'un
l'humanisme chrétien résiduel, pour l'instant ,son statut
d'être humain envers et contre tout , arrivant à ce
paradoxe
d'un humain inhumain , contradiction de laquelle vous tentez de vous
évader
par le biais de la qualification des actes et non plus de la personne ,
actes conceptuellement séparés , qui bien que commis par
un humain ne contredirait
pas profondément sa nature . On voit
dans quelle gymnastique conceptuelle désespérée
vous
êtes poussé ( punir l'homme ou punir l'acte à
travers
l'homme ) pour éviter l'application pure et simple de la loi du
talion qui pourtant correspondrait d'une façon parfaite à
votre définition de l'humanité bâtie sur une "
exigence
de réciprocité positive " reste inconscient de
considération
pour l'humanité en tout criminel et qu'il vous faudra bien un
jour
, au nom de la pure efficacité , accrocher au tableau des
vieilles
lunes . Pour s'en convaincre il n'est que de voir le rôle de la
peine
de mort et de l'attente de cette peine dans un pays où
règne
sans masque et sans partage les philosophies positivistes comme les
Etats
Unis .
Combien plus simple sera la position du philosophe transcendantal , combien plus simple ses choix ,lui qui nous fait de suite signe vers l'"humain " de cet " inhumain" justement à jamais " mystère indéfinissable" , " configurateur de mondes et de morales ", incomparable à tout autre et indisponible pour quoi que ce soit , toujours en devenir , toujours tendu vers le comblement de son déficit d'être et par quoi il est possible de voir chez ce frère actuellement perdu , peut être fou , peut être hyper raisonnable , sa part d'inhumanité et notre commune part d'humanité .
S.Reboul:
Le problème de la métaphysique
est qu'elle croit pouvoir expliquer les comportements humains par des
pseudo-concepts
dont le sens se perd dans les nuées de la transcendance
inaccessibles
à la raison ; elle substitue la foi à la raison en
prétendant
faire avancer la réflexion par le recours au mystère,
à
l'incompréhensible, comme la seule réponse
définitive
(mais indéfinie) possible aux questions difficiles que
soulèvent
les contradictions de l'existence humaine. Ce faisant, elle risque de
faire
le lit de l'attitude qui, en fin de compte, consiste à se fier
sans
conditions à ceux qui, parmi les maitres à penser,
proclament
détenir la clé des prétendus mystères de la
vie. Elle nourrit tous les dogmatismes qui soumettent la pensée
à une loi divine, incompréhensible et donc indiscutable
(sacrée)
et à ceux qui l'administrent au nom de leur prétendue
mission
divine (religion collective orthodoxe).
La philosophie n'est pas la science en celà qu'elle ne produit aucun savoir positif universellement démontré; elle ne peut qu'avancer des hypothèses permettant à chacun d'expérimenter des attitudes et des règles de pensée et de vie, sous le contrôle de son désir de bien-vivre et selon des critères rationnels expérimentables par tous, croyants ou non. Elle libére, ce faisant l'individu de tout asservissement idéologique qui limiterait ses capacités d'initiatives vitales.