De la violence sociale


Le désir de violence est en chacun de nous ; il n’est qu’une forme du désir de puissance transformé par des conditions défavorables en désir du pouvoir instantané et inconditionnel sur les choses et les êtres en tant que source d’affirmation de soi-même gratifiante , et donc de jouissance : ce n’est pas un hasard si, dans toutes les cultures, la violence, sous telles ou telles forme est valorisée (le courage et l’honneur du guerrier, la valeur identificatoire du vainqueur...) ; elle est partout l’objet de spectacles ou d’activités sportives extrêmement populaires. Ceux-ci comme la chasse sont des dérivatifs à la guerre. Mais suffit-il de ne condamner et de ne réprimer que la violence illégale en acte pour s’en croire soi-même absout et vivre en sécurité ?


Or nous n’avons pas tous les mêmes possibilités d’exprimer ce désir de puissance dans le cadre régulé de compétitions sociales codifiées dans lesquelles les chances des uns et des autres sont ressenties (à tort ou à raison) comme égalitaire. De fait dans une société où l’inégalité des chances est acceptée comme naturelle la violence directe et physique contre ceux d’en haut est réduite (au contraire de la violence entre égaux et/ou entre les hommes et les femmes ») ; la société démocratique, contrairement à ce qu’on dit, attise la jalousie, car elle légitime la comparaison permanente entre les situations. De plus nous vivons, pour la première fois dans l’histoire, dans des sociétés en paix qui ne permettent donc pas l’expression guerrière du désir de la violence (chez les jeunes surtout pour qui l’on a même supprimé le service militaire). Si rien n’est fait dans notre société pour accroître le sentiment de l’égalité des chances et de la compétition ouverte et si aucun dérivatif civilisé suffisant au désir de violence n’est proposé alors la violence sous sa forme illégale devient quasi-irrésistible, d’autant plus qu’elle est valorisée dans la cadre de contre-sociétés alternatives valorisantes par rapport à celle, globale qui institue des modes de domination hypocrites dans un cadre social profondément inégalitaire et discriminant.

Si ce déterminisme psychologique et social d’injustice et d’humiliation latente n’implique pas nécessairement un passage à l’acte ; il est clair que on le doit à la répression institutionnelle ; en ce sens le point de vue d’un avocat général qui, pas sa fonction, ne s’attache qu’au sanctionné le caractère illégal de la violence en oubliant la violence légale est tout à la fois nécessaire et insuffisant. Nécessaire car aucune société ne peut tolérer la violence illégale généralisée indifférenciée sauf à sombrer dans le chaos et la guerre civile autodestructrice de tous contre tous et insuffisant dès lors que cette répression ne peut être interprétée par les casseurs ou délinquants que comme une violence faite à ceux qui se sentent socialement exclus ou victimes d’une injustice persistante et qui n’ont plus comme domaine d’affirmation que le repli communautariste, la défense de leur petit territoire de quartier et la haine des autres. Quant à l’éducation elle n’est efficace que si un minimum d’accord existe entre les valeurs enseignée et la réalité des comportements. Ce qui, tout le monde en convient, est loin d’être le cas : la domination en gants blancs est au cœur du fonctionnement de nos sociétés inégalitaires qui, et là est la paradoxe, se réclament de l’égalité démocratique

L’immense majorité des jeunes qui manifestent contre le CPE ns sont pas des violents, mais il est clair que ceux qui agressent indifféremment et les policiers et les jeunes manifestants pacifiques tentent de sur-vivre dans d’autres conditions et d’autres désespérances que celles de ces derniers. Leur éducation comme leur désir de reconnaissance (et les deux sont indissociables) ont été sacrifiés.

Quelle puissance leur reste-il à exprimer en l’absence de guerre contre un ennemi désigné comme commun ? Du foot (PSG) à l’auto-destruction par la drogue ou les défis extrêmes (ex : rodéos) , jusqu’à ces identités religieuses extrémistes et sexuelles d’emprunt en passant par l’expression verbalisée et rythmée du rap (ce qui est un moyen somme toute pacifique et souvent créatif) . Tout devient bon à prendre. Et aucune répression n’y changera quoi que ce soit sauf à la marge et pour les autres (dissuasion). Il seront simplement instrumentalisés en boucs émissaires de la violence sociale.

N’oublions jamais que nul ne sait comment il aurait évolué dans les conditions semblables à celles de jeunes en situation de déréliction sociale et familiale quasi totale ; même ceux qui s’en sortent disent qu’ils ont eu beaucoup de chance..


Liberté et violence

Je suis de ceux qui pensent avec Spinoza que l’idée du libre-arbitre est une illusion; si on en fait une entité métaphysique, elle n’existe pas plus que "Dieu le père" pour un non-croyant; au mieux il s’agit d’une fiction idéologico-juridique: on déclare un individu coupable parce qu’il est libre et on affirme sans aucune preuve qu’il est libre (donc qu’il avait absolument le choix d’agir autrement) pour pouvoir le sanctionner comme coupable. CETTE FICTION EST DISSUASIVE ET EDUCATIVE, MAIS ELLE N’EST EN RIEN UNE VERITE DEMONTRABLE.

Au pire elle est une mystification pour ne pas avoir à s’interroger sur les déterminations d’un acte et se permettre de condamner le dénommé coupable sans savoir et sans mettre en cause "sa" situation dès lors qu’elle refuse de comprendre qu’il n’ y a pas d’autre liberté que l’action de se libérer et que celle-ci suppose deux conditions:

-Etre conscient des déterminismes psychologiques et sociaux qui pèsent sur nos désirs et nos actes

-Etre capable de faire l’analyse critique des tenants et des aboutissants de nos intentions et de nos actes; donc être capable de s’auto-analyser et de se critiquer soi-même; or cela ne peut être que le résultat d’une éducation de la raison qui va contre la tendance première: nous valoriser dans ce que nous faisons et refuser a priori toute critique et à plus forte raison (mauvaise) toute auto-critique.

Mais justement, dans la plupart des cas de violence sociale, cette éducation est défaillante. Car pour être un bon éducateur, il faut soi-même pratiquer les valeurs et principes dont on se réclame, être investi d’une certaine reconnaissance sociale et être en position de garantir à ceux que l’on éduque cette reconnaissance.

Or qui peut éduquer les éducateurs se demandait déjà Kant? Question à laquelle j’ajoute immédiatement: Quel éducateur peut offrir une telle garantie dans la société pour le moins discriminante dans laquelle nous vivons, à commencer par l’école comme système de sélection accélérée de l’élite républicaine à vie?

Seuls ceux qui ont eu la chance de rencontrer un éducateur crédible et ont pu forcer la mur de verre de la discrimination (casser le bocal) ont pu s’en sortir. Les autres ne deviennent pas forcément des délinquants, mais il leur faut des palliatifs, plus ou moins symboliques en l’absence de guerre extérieure, à leur désir de violence: le foot, le rap, la drogue, le défi mortel, la domination des femmes et la défense du territoire (ça va toujours de pair) etc..

Spinoza et la liberté


Violence et agressivité

Le rasoir philosophique