Dialogue à propos de la loi sur
les signes religieux à l'école publique.
Entre Yvette Rouxel (rouge) et Sylvain Reboul
(bleu)
Y. Rouxel
Je ne sais pas
si mon opinion sur ce sujet correspond à vos intérêts
et à ce que vous attendez de votre site, à tout hasard
je vous envoie mon texte, parce que j'aimerais partager ma pensée
:
Si nous n’avions pas le témoignage de tant de jeunes filles des
cités amenées à se couvrir d’un voile pour être
respectées par les garçons de leur voisinage – en attendant
d’être obligées de se couvrir jusqu’aux pieds et jusqu’aux
yeux : car sait-on où s’arrêteront les exigences des " hommes
"-chefs, quelles règles ils inventeront pour établir de
plus en plus lourdement leur puissance sur les femmes – le port du voile
comme de tout autre vêtement ne poserait pas de problème.
Remarque 1
: S.R
Le problème a plus à voir avec le machisme extrème
d'une population de jeunes mâles auto-frustrés vivant dans
un contexte d'humiliation sociale et de misère sexuelle qui
fait contraste avec la permissivité hédoniste et commerciale
ambiante, qu'avec la question du vêtement religieux
en question, foulard ou autre. Que des jeunes filles revendiquent le foulard
pour des raisons de protection contre les insultes et les représailles
ou par conviction identitaire ne signifie pas qu'elles soient responsables
d'un quelconque intégrisme politico-religieux ; dire qu'elles doivent
être punies, c'est à dire exclues de l'éducation laïque
pour être confiées à une structure confessionnelle;
c'est affirmer alors qu''elles sont coupables plutôt que victimes
des "grands frères" (plus d'ailleurs que de leurs parents) ou de
leur convictions sexistes religieuses personnelles, du reste très
ambivalentes. Si, par contre on considére qu'elles ne sont
pas responsables donc coupables, elles doivent plutôt être
éduquée à la laïcité et à la rationalité
critique pour, justement, être capables de mieux résister
à l'oppression qu'elles subisent hors et en elles même . De
plus c'est en éduquant les femmes à la lutte contre
l'oppression qu'elles subissent et à la défense de leurs
droits, que l'on pourra civiliser les hommes (Kant) et non en leur refusant
l'accès à l'école publique. Dans cette affaire il
me semble que l'on inverse les causes et les effets afin de ne pas traiter
celles-là: l'échec de l'intégration et d'un combat,
que l'on ne s'est pas donné les moyens d'engager, contre le machisme
ordinaire à prétention religieuse ou non. L'école
doit éduquer à l'égalité et à la raison
et non seulement enseigner des savoirs ( c'est cette éducation
du reste qui est la condition de l'acquisition et de l'appropiation d'un
authentique savoir) et doit donc prendre en charge le fait religieux
pour le combattre lorsque celui-ci est le prétexte justificatif
de pratiques machistes. Exclure est une attitude anti-éducative
qui consiste à refuser de prendre les élèves tels
qu'il sont ou croient être, en vue de les transformer selon les normes
de la démocratie pluraliste et laïque (en cela l'école
laïque ne doit pas être considérée comme neutre)
. L'éducation est un combat et ce n'est pas en niant ou refoulant
le fait religieux dans ses interprétations réactionnaires que
l'on gagnera ce combat. Enfin, je ne pense pas du tout que l'interdiction
du voile changera quoi que ce soit à la violence faite aux jeunes
filles dans leur quartier, voire à l'école; au contraire
les grands frères essaieront d'en profiter pour les contraindre
à aller à l'école coranique financée par les
"frères musulmans"ou l'Arabie Saoudite qui interdit aux femmes
de voter, voire de conduire. Ce qui serait une grande défaite pour
la laïcité et l'intégration.
Y.R: J'ai été
enseignante à l'école publique. Catholique, j'ai toujours
pris soin de ne pas porter de croix-bijou à l'école, par
respect pour le principe de laïcité de ma fonction.
Remarque
2 : S.R
Ne pas confondre le devoir de reserve d'un fonctionnaire
avec celui des usagers d'un service public dont la liberté d'expression
y compris vestimentaire, lorsqu'elle ne heurte pas le respect des convictions
des autres, est un droit constitutionnel.
Y.R: Et je n'avais aucun sentiment de rejet, au contraire de la sympathie,
pour des parents maghrébins qui venaient vêtus de leurs
vêtements traditionnels. Je n'ai pas connu par eux de problème
quant à l'enseignement que je donnais à leurs enfants,
filles ou garçons. Sauf à la fin de ma carrière,
vers 1995 : Un père ( puis-je dire "musulman" ? je crois que je
dois dire "extrémiste" ) s'est opposé à ce que sa
fille de 10 ans participe au spectacle préparé pour la
fin de l'année scolaire par les enfants de sa classe, car elle
aurait risqué de devoir donner la main à un garçon ...
C'était la première fois que je découvrais les
conséquences sclérosantes de cette montée d'intégrisme
...
Remarque 3 :
S.R
Les questions du contenu de l'enseignement et de sa mixité ne sont
pas négociables, car ils relèvent de la décision
démocratique, voire de ses principes régulateurs même,
mais cela est un autre problème que celui du port de signes religieux.
Le passage de l'un à l'autre ne vaut que pour ceux qui font passer
la religion comme le fondement de la politique, ce qui est, en effet,
la position des intégristes, mais ne doit pas être la nôtre.
C'est sur ce terrain du fonctionnement du service public que la lutte
contre l'intégrisme doit se déployer dans la clarté
et non dans le confusion entre symboles vestimentaire et réalité
politique des comportements. Faire la part entre les deux est à
la fois efficace et simple. Je signale du reste que cette distinctoin
ne fait pas probléme dans tous les pays à tradition démocratiques
autres que la France. Pourquoi ?
Y.R: Nous vivons une triste période où des " hommes "
en mal de puissance saisissent l’occasion de dominer les femmes en suivant
avec délectation les paroles mensongères de quelques extrémistes
orgueilleux et avides de pouvoir – et ayant parfois un talent oratoire
certain - qui osent se nommer " Frères musulmans " , bafouant
en réalité ainsi la religion qu’ils invoquent.
S.R: Raison de plus pour ne pas chasser ces jeunes
filles hors de l'école laïque; mais de les aider, par l'éducation
publique, à revendiquer leurs droits, avec ou sans foulard. La
question du foulard fait donc à mon sens diversion pour ne pas se
donner les moyens de combattre, par une authentique politique
d'éducation et d'intégration, le risque de communautarisme,
religieux et/ou mafieux.
Y.R: Dans ce contexte, la loi d'interdiction des signes religieux dans
les écoles publiques me semble donc utile et importante.
S.R: Utile à qui et à quoi?, nous
verrons bien. Je pense plutôt que toute confusion sur la nature
des questions et que les diversions symboliques sont plutôt politiquement
nuisibles qu'utiles pour la démocratie. Se battre sur des symboles
pour éviter d'affronter la réalité en face et de se
donner les moyens d'affirmation positive afin réduire la
fracture sociale et sociétale est stérile voire dangereux,
car cette attitude peut faire le jeu symbolico-religieux des adversaires
de la démocratie qui ne manqueraient pas de présenter la
laïcité, ainsi comprise, comme une machine de guerre contre
les religions et la tolérance religieuse.
Amitiés laïques, S. Reboul
Yvette Rouxel
Je vous remercie de votre longue réponse.
Votre point
de vue me touche, car beaucoup de points correspondent à
mes propres aspirations. Aussi, à une première lecture,
j'ai tendance à être troublée, ébranlée.
Je médite
sur vos arguments, j'essaie d'appréhender les réalités
multiples qu'ils recouvrent.
Et finalement
émergent les raisons de mon désaccord.
Je me permets
de vous donner mon avis sur vos remarques, je choisis de les numéroter
pour plus de clarté :
Remarque
1:
Je suis d'accord
avec votre analyse.
Mais le problème,
c'est justement l'éducation. Les jeunes filles qui en France veulent
porter le voile aujourd'hui ont été à l'école,
est-ce que cela leur a permis d'avoir conscience de la déviation
de la religion qui leur était proposée , et de son interprétation
rétrograde pour une prise de pouvoir des hommes sur les femmes
? Les garçons eux aussi sont allés à l'école
: y ont-ils appris le respect d'autrui, le devoir envers les petits et
les faibles, la dignité et l'égalité des sexes ?
Certes, l'éducation devrait apprendre ces valeurs humaines fondamentales,
mais elle ne sait guère le faire. Les enseignants font de leur
mieux, je l'ai expérimenté, mais l''intégration des
valeurs ne dépend pas que de l'école, la preuve en est faite.
Certes, une
jeune fille qui a de l'instruction a plus de poids, plus d'assurance pour
s'affirmer dans la société, il serait dramatique qu'elles
ne puissent plus suivre des études.
Mais, me basant
sur la réaction de l'immam de Paris, qui sait insister sur l'intériorité
de la religion, j'ose faire le pari que la grande majorité des
Musulmans de France auront à coeur de suivre tout simplement la
loi française, comme le leur commande d'ailleurs le Coran. Et cette
loi pourra les aider à mettre un terme à leurs perplexités,
et donner peut-être un coup d'arrêt aux exigences des extrémistes,
qui ne sauraient que croître ...
En tous les
cas la loi indique haut et fort que la France n'accepte pas l'oppression
des femmes, même si elle s'appuie sur une tradition ou une coutume , quelles
qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Et c'est une affirmation
réconfortante.
Remarque
2 :
Je suis d'accord
avec vous, c'est en effet un autre sujet.
Remarque
3 :
En effet, la
lutte contre l'intégrisme que doit mener l'école ne devrait
pas être liée à une histoire de port d'insignes religieux.
Mais le contexte actuel montre bien que l'intégrisme s'installe et
prospère d'abord par l'instauration de signes extérieurs
de plus en plus forts.
J'ai vu en
20 ans de carrière la transformation des comportements des
Musulmans de nos écoles : autrefois dans les cantines il n'était
pas demandé de menu spécial pour les enfants musulmans ;
ma fille avait une amie musulmane qui simplement ne mangeait pas de porc,
maintenant elle ne mange pas non plus de viande qui ne soit pas "hallal"
...
Aujourd'hui,
les "frères musulmans" affirment que Dieu commande le voile , demain
si aucune voix conséquente et compétente ne s'y oppose,
ils commanderont le tchador, et ensuite .. ?
Il faut voir
la réalité, et ne pas la cacher par de grandes théories.
Les belles idées ne doivent pas être perdues de vue,
l'application de mesures sensées et adéquates doit au contraire
tracer un chemin vers leur réalisation.
Remarques
4 et 5 :
Comme je vous
l'ait dit pour la remarque1, le problème c'est : comment
"combattre le risque de communautarisme religieux et /ou mafieux" ?
Qu'y a-t-il
sous les mots : "authentique politique d'éducation et d'intégration"
?
Quels "moyens
d'affirmation positive" peut-on mettre en place ? Evidemment si la conjoncture
économique était meilleure, si l'emploi et ses revenus étaient
plus justement répartis, si ... si ...
Mais nous sommes
dans une société qui demandera encore beaucoup de travail,
d'effort et d'évolution personnelle pour se diriger vers l'état
de justice dont on rêve.
En attendant,
il faut prendre parfois prendre des mesures d'urgence dans la société
telle qu'elle est.
La loi sur
le voile, c'est l'essai d'une réponse à la question "comment
". Pour les raisons que je vous ai exposées, je l'approuve.
Ce qui n'empêche
pas que d'autres mesures doivent compléter cette décision
, à nous de les inventer ... Ou à qui de les inventer ?